Africanisation des sciences sociales dans le contexte de la

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Africanisation des sciences sociales dans le contexte de la
globalisation
Par :Teboho J. Lebakeng ; Mmabatho M. Phalane
In : Bulletin du CODESRIA, N° 3 & 4
Publication : 2001
Le texte complet de l’article comprend 27-30 pages.
Point de départ l'héritage colonial
L’éducation, comme l’une des institutions sociales de base, est inévitablement impliquée dans les
formes de formation sociale caractéristiques de toute société. En tant que telle, l'éducation a toujours
été au cœur de la transmission des compétences et des valeurs requises pour nourrir les sociétés.
Toutefois, ce n’est pas tout simplement pour perpétuer le statu quo, mais aussi pour améliorer le mode
de vie des populations. Dans certaines circonstances, l'éducation favorise également le changement
social. L'éducation en tant que partie de la superstructure, ne peut pas être traitée, sur le plan
sociologique, comme un processus politiquement neutre et dépourvu d'idéologie. Ainsi, l'éducation en
général, en même temps que les cultures institutionnelles spécifiques manifestes dans les systèmes
éducatifs, ne peut pas être comprise sans une connaissance et une évaluation de la nature de la
structure économique du pays de la période historique concrète et des formes idéologiques qui
rationalisent les rapports sociaux actuels.
Concernant le continent africain, l'épisode colonial a profondément influé sur chaque aspect de la vie
africaine, étant donné que le colonialisme a apporté avec lui certaines façons de reconstruire ou de
déformer la réalité sociale africaine. L'éducation était une arme puissante utilisée dans la
transformation des Sociétés africaines durant la période coloniale. Par conséquent, l'éducation
occidentale institutionnalisée ou formalisée en Afrique est un produit de l'héritage colonial. L'idée
maîtresse de l'éducation coloniale était de refuser aux colonies la connaissance utile d'eux-mêmes et
de leur monde et, en retour, de transmettre une culture qui consacrait et qui était conçue pour
consolider la dépendance et en général saper la capacité de créativité des peuples colonisé dans tous
les domaines de la vie.
Le discours sur le colonialisme illustre le fait que l'objectif fondamental de l'éducation coloniale
(occidentale) était de remettre en question l'humanité et l'essence même des peuples africains, et de
produire des individus et des communautés qui se détestent, qui sont dociles et domestiques et qui
s'opposeraient à la nature satanique du mode de production, de distribution et de consommation
coloniale. Ce mode était incompatible avec les modèles et les modes indigènes africains dont il était la
négation. Les sociétés africaines avaient leurs propres institutions traditionnelles qui fonctionnaient
selon des principes et des pratiques équilibrés. En détruisant ces institutions, l'orientation de l'ensemble
de l'appareil colonial était la dépersonnalisation des Africains ou la désafricanisation. Ce processus a
revêtu des formes plus brutes et plus profondes dans le cas des pays africains dans lesquels vit une
importante minorité de colons blancs.
A la place de l'afrocentricité, les colonialistes essayaient d'instaurer des conceptions européennes de la
réalité sociale, de la connaissance sociale et de la vérité sociale. La rencontre des prétentions
universalisantes de ces conceptions avec les traditions et pratiques philosophiques indigènes de
l'Afrique durant les incursions coloniales a été une source majeure de tensions et de conflits. Cela était
Les anthropologues ont été les premiers parmi les sociologues à s'aventurer en Afrique. Par
conséquent, l'anthropologie est la seule discipline directement associée au colonialisme. De toutes les
disciplines des sciences sociales, l'anthropologie est celle qui jouissait d'une place particulière durant
les incursions coloniales, parce qu'elle a processus et modèles locaux d'organisation africaine, il n'en a
pas résulté grand chose. Par conséquent, la création et la consolidation de structures
organisationnelles adéquates, de même que l'implication des utilisateurs de la technologie, sont tout
aussi importantes que la technologie elle-même.
Mieux encore que la technologie, l'économie était considérée - aussi bien par ses praticiens que par les
décideurs africains - comme détenant la clé du développement. Mis à part le faux raisonnement selon
lequel au plan idéologique, elle ne représentait une menace pour personne, la tendance était de traiter
l'économie comme un domaine dépourvu de valeur et traitant uniquement de questions techniques. Les
procédures quantitatives, par opposition à celles qualitatives, devinrent les caractéristiques définissant
l'économie. Le domaine de l'économie était l'épitomé du positivisme bourgeois, alors que «l'offre» et la
«demande», le «marché», la «main-d' œuvre» et le capital étaient réifiés pour paraître froidement
impersonnels (Mafeje 1976). Les théories économiques classiques et néoclassiques de la croissance
envahissaient le domaine de l'économie, tandis que régnaient la micro- économie et l'analyse
sectorielle.
Chronologiquement, les sciences politiques ont été les dernières à fouler le territoire africain. Leur
inauguration a coïncidé avec l'indépendance des États africains. Pour les politologues, la
«démocratie», en particulier la démocratie parlementaire était l'équivalent du concept de la
modernisation, et était considérée comme la pratique de l'organisation bureaucratique, du multipartisme
et des élections régulières.
L'éducation coloniale était fondée sur des préjugés intellectuels, culturels et philosophiques
occidentaux. Ces préjugés se manifestaient dans la façon malveillante dont les colonialistes traitaient
toute forme de pratique et de connaissance sociale indigènes. Les sciences sociales qui traitaient
directement les conditions sociales et humaines ainsi que les questions de politique publique s’étaient
largement ouvertes aux abus, en tant qu'instruments sociaux colonisants. Leurs principaux postulats,
concepts-clés, méthodologies fondamentales, théories sous-jacentes et les modèles directeurs
s'inspiraient des extrapolations d'expériences discrètes et des spécificités culturelles socio-historiques
euro-américaines qu'ils représentaient essentiellement. En tant que telles, les sciences sociales ne sont
pas seulement une réflexion, mais, plus important, un produit intellectuel de cette expérience
particulière au sens ethnoceritrique.
Les luttes sociales contre le régime et l'hégémonie coloniaux et néo- coloniaux sont restées pari passu
des luttes contre la dépendance intellectuelle introduite par l'expérience coloniale. Les crises coloniales
et néocoloniales de la réalité sociale correspondaient aux crises de la vie intellectuelle organisée et les
précipitaient, en particulier, dans les sciences sociales. En tant que telles, les transformations sociales
ont fait naître le besoin de transformations intellectuelles. Le message était plutôt clair non seulement
les traditions euraméricaines étaient de clocher, mais elles étaient fondamentalement anti universelles,
et leurs pratiques de patria parens intellectuelle devaient être dispensées.
La pomme de discorde: globaliser ou africaniser?
Le débat qui fait rage chez lès intellectuels africains au sujet des implications du phénomène de la
globalisation a eu tendance à être axé autour de deux positions majeures, le point de discorde étant l'
(in)opportunité de l'agenda de la globalisation. Ainsi, la globalisation représente un agenda avec ses
partisans et ses détracteurs (Hamelink 1999, Hendricks 1999). D'un côté, il y a ceux qui posent en
principe que le processus de la globalisation est une nouvelle forme de l'impérialisme d'antan, avec les
mêmes conséquences « fâcheuses pour le continent africain. Par conséquent, la globalisation est
décrite dans la position anti-mondialiste comme bénéficiant uniquement aux riches et entraînant pour
les autres une misère et une inégalité indicibles. De l'autre côté, il y a ceux qui posent le principe que
la globalisation s'accompagne de grandes perspectives de prospérité en Afrique et que le continent
-
De l'aveu général, la réalité d'aujourd'hui est telle que, loin d'être un concept abstrait ou
ésotérique, la globalisation articule l'une des caractéristiques dominantes de l'existence moderne
(Miller 1991). Les nations sont devenues partie intégrante du réseau mondial de production et
d'échanges (Ohmae 1985). Comprise d'un point de vue dynamique, la globalisation est un
facteur majeur de l'affaiblissement et de l'érosion des identités nationales essentialistes et de la
création d'identités positionnelles. Bien qu'elle soit un phénomène multidimensionnel, il est
évident que la globalisation s'est manifestée le plus fortement dans la sphère économique. En
conséquence, elle est souvent définie essentiellement en termes de forces et de variables
économiques. Cependant, il faudrait comprendre ce phénomène comme englobant les sphères
politique, sociale, culturelle, économique et philosophique.
Notre point de vue est que les partisans de la globalisation font preuve de malveillance dans leur
évaluation de l'impact de la globalisation. Ce qui est considéré comme une intensification des liens
entre différentes régions du monde est fondamentalement une seconde vague d'imposition par les pays
développés. Dans ce processus, l'Afrique a été, une fois de plus, rayée des pages de l'histoire et du
discours international. Le continent africain, ainsi que d'autres continents en développement, restent
périphériques et désavantagés alors que les pays développés dictent le modèle et l'agenda de la
globalisation. La probabilité que le continent africain reste marginalisé est un constant facteur
d'inquiétude. Alors que le modèle actuel de la globalisation crée de nouvelles catégories de gagnants
et de perdants, l'Afrique en particulier est de façon alarmante reléguée aux marges, plutôt qu'intégrée
dans le courant dominant de la prospérité globale. La globalisation est un phénomène a regrettable, car
l'affirmation des différences identitaires ouvre des perspectives illimitées pour la création d'une
véritable solidarité entre des communautés autrement diverses. Dans son modèle actuel, elle a
également créé un environnement non favorable, étant donné qu'elle encourage l'inégalité, plutôt que
l'égalité et la réciprocité. En outre, elle est regrettable parce qu'elle engendre beaucoup de résistance
et de dédain.
Les différentes formes d'auto-détermination et d'affirmation de soi qui ont souvent suivi les tentatives de
globalisation ne sont pas signes que l'on doute de soi-même, mais sont des moyens de contrebalancer
les effets négatifs de ses assauts. Ces effets ont revêtu la forme de l'indigénisation et, en tant que
manifestation spécifique en Afrique, de l'africanisation.
Étant donné les dissensions sur les effets de la globalisation, telles qu'articulées par les participants à
la sociologie de la connaissance de la globalisation, les deux positions divergentes ont des implications
sérieuses pour les sciences sociales. Ces positions ont effectivement polarisé les chercheurs africainsen fonction de l'idéologie - en ceux qui croient en une certaine forme de protectionnisme académique,
et ceux qui propagent une sorte de position libre-échangiste en ce qui concerne l'activité intellectuelle.
Fondamentalement, le protectionnisme découle de la considération selon laquelle il est nécessaire de
créer un espace pour le développement/ l'émergence d'une véritable intelligentsia africaine, qui soit
profondément enracinée en Afrique, relativement à ses scientifiques. La «politique d'ouverture»
soutient que l'Afrique doit entrer dans une compétition vigoureuse sur le marché libre des idées, des
philosophies, des valeurs et des identités, et que les scientifiques africains ne peuvent prospérer que si
elle réussit ce pari.
Destination : l’africanisation
Répondant à un dilemme auquel les scientifiques africains ont été confrontés, feu l'ancien Président de
la Tanzanie, Mwalimu Julius Nyerere (1970), prévenait en ces termes: une université dans une nation
en développement peut être confrontée à deux dangers: le danger d'adorer aveuglément les «normes
internationales » mythiques qui peuvent jeter de l’ombre aux objectifs de développement national; et le
danger de «forcer une université à se replier sur elle-même et à se couper du monde». En d'autres
termes, il y à d deux façons de se perdre: soit dans l'universel, soit dans le particulier. Ce qu'il faut,
c'est un exercice d'équilibre délicat qui consiste à éviter de se disperser dans l'universalisme ou de
s'emmurer dans le particularisme. Toute tentative de résoudre les tensions entre les impératifs
internationale et être caractérisés uniquement par des perspectives et des impératifs particularistes.
Cela veut dire qu'il y a un grand besoin de «décoloniser» les sciences sociales.
Le point de départ critique pour se sortir de l'asservissement académique et intellectuel se trouve dans
l'établissement d'une tradition intellectuelle nettement africaine. Nous voulons dire par-là qu'il est
important que les sociologues africains rejettent le savoir qui découle de la prémisse selon laquelle
l'Afrique n'a pas de civilisation, de méthodologies, de théories, d'histoires ou de traditions.
L'africanisation, en tant qu'expression civilisationnelle ou culturelle spécifique de l'indigénisation, est
une déclaration sans ambages selon laquelle les théories, concepts et méthodologies dans les
sciences sociales (comme ailleurs) peuvent être tirés des conditions historiques et des pratiques socioculturelles africaines, et s'en nourrir. Prise sous cet angle, l'africanisation peut être également un
correctif, en mettant fin aux tendances imitatives et à l'attitude de dépendance des scientifiques
africains. Une telle dépendance a en fait aliéné les sociologues africains de leurs racines et les a
rendus incapables de trouver des idées et des solutions créatives et originales pour les problèmes.
II est évident que l'appel à l'africanisation est aussi un appel à un discours combatif et libérateur
capable de briser les régimes de pouvoir et les techniques de contrôle (Lebakeng 1999). II est
intéressant de noter que malgré la diabolique période coloniale, l'afrocentricité et l'eurocentricité ne
sont pas bi-conditionnelles ou constitutives l'une de l'autre (Lebakeng 1997).
Nombre d'individus considèrent la propagation ou l'appel en faveur de disciplines des sciences sociales
africanisées comme de l'autarcie intellectuelle réactionnaire. Mkandawire (1999) souligne l'ironie selon
laquelle «la quête d'une présence africaine a été mal interprétée par certains comme la preuve d'une
étroitesse d'esprit, un crime impardonnable dans le monde de la globalisation où on n'arrête pas le
progrès». Cependant, la réalité crue, c'est que ce sont l'authenticité et la spécificité qui permettent aux
communautés académiques d'apporter des contributions durables au savoir et de se placer sur la carte
du monde en tant que centres de développement. Alors seulement, les sociologues africains pourront
mener un dialogue véritable et mutuellement bénéfique avec leurs homologues du monde entier
(Lebakeng 2000). Un tel dialogue serait fondé sur l'égalité et le respect mutuel, plutôt que sur le
patronage.
Notre position est que si la globalisation veut avoir un sens, elle devra encourager, plutôt que
décourager, la maturation des formes, modes et processus indigènes. Le savoir universel, pour être
vraiment universel, doit accepter les valeurs culturelles et humaines de toute l'humanité, et devrait
porter les empreintes d'une telle diversité. II est évident que cela a des implications sérieuses et
profondes. Cela signifie qu'il faut une rupture épistémologique, ontologique et pédagogique et parfois
androgogique) décisive avec le passé : un passé qui porte les marques arrogantes de l'euro- centrisme.
Du point de vue de la sociologie du savoir et de la sociologie éducative, les objectifs continentaux
spécifiques et uniques nécessitent que les sciences sociales soient sensibles aux besoins légitimes de
la grande masse de la population africaine. Pour ce faire, les sciences sociales- normalement calquées
sur le modèle disciplinaire des universités des anciennes puissances colonisatrices- doivent se départir
de leur aliénation culturelle et de leur insensibilité sociale. Néanmoins, elles devront toujours se nourrir
d'éléments progressifs et révolutionnaires, tirés d'autres environnements socioculturels.
Conclusion
L'appel en faveur de 1'africanisation des sciences sociales reflète clairement l'un mécontentement de
longue date dû au mépris avec lequel est perçu tout ce qui est africain. C'est aussi un signe évident de
la tentative permanente des scientifiques africains de privilégier le savoir africain. Comme l'a montré
cette contribution, les sciences sociales dans les universités africaines n'ont jamais été fondées sur des
expériences et aspirations africaines, et ne reflètent pas les espoirs, les désirs, les aspirations, les
dilemmes et la situation difficile des Africains.
Descripteurs :
Sciences Sociales, Valeurs Culturelles, Autodétermination, Patrimoine Culturel,
BP : 3304
Dakar, Sénégal
Tel. : (221) 825 98 22/825 98 23
E.mail : [email protected]
Fax : (221) 824 12 89
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