vie active, vie contemplative et philosophie chez avicenne - FGW-VU

* Tout en m’assumant la responsabilité des traductions et des interpréta-
tions du texte, je tiens à remercier Jules Janssens et Christian Trottmann pour
leurs relectures et suggestions éclairées.
1La place de l’éthique dans la philosophie d’Avicenne constitue en elle-
même un problème d’exégèse. Pour M. Sebti (La distinction entre intellect
pratique et intellect théorique dans la doctrine de l’âme humaine d’Avicenne, dans
Philosophie, 77, 2003, p. 23-44) on ne peut pas repérer un développement spéci-
fique de l’éthique chez Avicenne; voir p. 37 : «Tant qu’il est lié au corps, il [scil.
l’homme] est soumis au cours des événements, contraint d’adapter ses actions
par tâtonnements. E
´tant dans l’impossibilité de déduire les règles normatives de
l’action à partir de l’intellection des formes intelligibles universelles – puisque la
production du particulier relève ontologiquement d’un ordre à part –, l’homme
est dans l’obligation de se livrer à d’improbables médiations entre les divers
aspects de son savoir pour bien agir. Un recueil consacré à l’éthique s’apparente-
rait à une casuistique nécessairement limitée, une vaine taxinomie». La seule
œuvre qu’Avicenne aurait explicitement consacrée à la question, al-Birr wa l-it
¯m
(La pitié et le péché), à laquelle il se réfère dans sa Métaphysique du K. al-S
ˇifa¯}
(voir Ila¯h., X, I, p. 439, 7-8), semble être perdue (comme le remarquait
Y. Mahdavi dans sa bibliographie, le titre est signalé dans des manuscrits
d’Istanbul; voir D. Gutas, Avicenna and the Aristotelian tradition, Leyde – New
York, 1988, p. 94). Avec d’autres textes intéressant l’éthique, un écrit qui se
présente comme un extrait de cette œuvre a été édité par A. Shams al-Dı¯n dans
Al-mad
¯hab al-tarbawı¯{inda Ibn Sı¯na¯ min h
˘ila¯l falsafati-hi al-{amaliyya (The
paedagogical doctrine of Ibn Sı¯na¯, on the basis of his practical philosophy),
al-sˇarika al-{a¯lamiyya li-l-kita¯b, Beyrouth, 1988 (p. 353-368). On a, en outre, un
petit traité, la R. fı¯ l-ah
˘la¯q, qui constitue, avec la R. fı¯l-{ahd, une sorte de guide
de conduite pour le sage. Yah
˙ya¯ Michot en fournit l’édition et la traduction dans
Ibn Sı¯na¯, Lettre au vizir Abu¯Sa{d. Editio princeps d’après le manuscrit de Bursa,
traduction de l’arabe, introduction, notes et lexique, par Y. Michot, Beyrouth,
2000 (quelques remarques dans D. Reisman, A new standard for Arabic studies,
dans Journal for African and Oriental studies, 122, 2002, p. 562-577). La R. fı¯
l-ah
˘la¯q avait été présentée par M. Fakhry (Ethical theories in Islam, Leyde, 1991;
second expanded edition 1994) mais son exposition doit être corrigée et intégrée
à la lumière du travail de Y. Michot. Un petit traité d’éthique (assez scolastique)
a été récemment découvert par B. Karliga, Un nouveau traité d’éthique d’Ibn
¯na¯ inconnu jusqu’à nos jours, dans J. Janssens et D. De Smet (dir.), Avicenna
and his heritage.Acts of the International Colloquium,Leuven – Louvain–la-
Neuve, September 8-September 11, 1999, Louvain, 2002, p. 21-36. Enfin, la
OLGA LIZZINI
VIE ACTIVE, VIE CONTEMPLATIVE
ET PHILOSOPHIE CHEZ AVICENNE *
L’éthique ne fait pas l’objet d’une analyse systématique chez
Avicenne (Ibn Sı¯na¯, m. 1037)1, et ce n’est que dans les fragments de
208 OLGA LIZZINI
partie conclusive de la Métaphysique du K. al-S
ˇifa¯}(X, 3-5) constitue un déve-
loppement englobant l’éthique. Selon A. Bertolacci – voir The structure of meta-
physical science in the Ila¯hiyya¯t (divine science) of Avicenna’s Kita¯b al-S
ˇifa¯}(Book
of the cure), dans Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 13, 2002,
p. 25 (pour l’article, voir p. 1-70; on trouvera une version revue du même article
dans Id., The reception of Aristotle’s metaphysics in Avicenna’s Kita¯b al-S
ˇifa¯}. A
milestone of western metaphysical thought, Leyde-Boston 2006, p. 150-211) – elle
correspondrait au traité d’éthique et de politique dont Avicenne annonce la
composition dans le Prologue de son K. al-S
ˇifa¯}(Madh
˘al, p. 11, 12-13; voir
D. Gutas, Avicenna and the Aristotelian tradition... cit., p. 54, n. 11). La partie
conclusive de la Métaphysique est conçue par Bertolacci comme un «appendice»
d’éthique, ce qui laisserait penser à une fondation métaphysique de la philo-
sophie pratique chez Avicenne; voir aussi A. Bertolacci, Il pensiero filosofico di
Avicenna, dans C. D’Ancona (dir.), Storia della filosofia nell’Islam medievale,
Turin, 2004, II, p. 580. Quelques considérations sur l’éthique avicennienne se
trouvent en outre dans Ch. Butterworth, Medieval Islamic Philosophy and the
Virtue of Ethics, dans Arabica, 34, 1987, p. 221-258 qui considère les Ila¯hiyya¯t du
K. al-S
ˇifa¯}, la R. fı¯ l-ah
˘la¯q, l’Épître sur les puissances humaines et leur perception
(R. fı¯ l-quwa¯ al-insa¯niyya wa idra¯ka¯ti-ha¯) et les Sources de la sagesse ({Uyu¯n
al-h
˙ikma).
2En Eth. Nic., I, 5 Aristote distingue trois genres de vie : la vie de jouissance;
la vie active ou politique; la vie contemplative (la vie de lucre est tout de suite
refusée). La distinction remonte à une image pythagoricienne (voir Iamblicus, De
Vita Pythag. 58 et Arist. The Nicomachean Ethics, with an English translation by
H. Rackham, Cambridge, Ma, – Londres, 19342, réimpr. 1982, p. 14 note a). Sur la
grande influence de l’Éthique à Nicomaque dans la tradition musulmane, voir
R. A. Gauthier, L’Éthique à Nicomaque dans le moyen âge arabe, dans Aristote,
L’Éthique à Nicomaque, intr., trad. et comm. par R.-A. Gauthier et J.-Y. Jolif,
I-III, Louvain-Paris, 1958-1959, I, p. 71-74; sur la tradition des livres VIII-X, voir
A. J. Arberry, The Nicomachean Ethics in Arabic, dans Bulletin of the School of
Oriental and African studies, 17, 1955, p. 1-9 et maintenant surtout l’Introduction
de D. M. Dunlop. à The Arabic Version of the Nicomachean Ethics, ed. by A. A.
Akasoy and A. Fidora, with an Introduction and Translation by D. M. Dunlop,
Leiden-Boston 2005, p. 1-108.
3On fera référence aux éditions suivantes : Ibn Sı¯na¯, al-Shifa¯}, Al-Ila¯hiyya¯t
(La Métaphysique), t. I, traités I-V, éd. par G. C. Anawati et S. Zayed, révision et
introduction par I. Madkour; t. II, traités VI-X, texte établi et édité par
M. Y. Mousa, S. Dunya, S. Zayed, revu et précédé d’une introduction par le dr.
I. Madkour, à l’occasion du millénaire d’Avicenne, Le Caire, 1960/1380 h.
(réimpr. Teheran, 1983 et réimpr. successives; ici toujours indiquée par Ila¯h.);
Avicenna, Metafisica, Introduzione, traduzione italiana, note e apparati di
O. Lizzini, prefazione, revisione del testo latino e cura editoriale di P. Porro,
Milano 20062(cette édition reprend le texte arabe avec sa traduction latine);
son discours philosophique qu’il faut rechercher l’évaluation qu’il
donne des deux genres de vie définis par l’Antiquité : la vie active et la
vie théorétique2. Dans le but de repérer ces fragments et sans
prétendre à l’exhaustivité, je me concentrerai dans cette étude sur les
deux œuvres ou parties d’œuvre principales d’Avicenne : la Méta-
physique (al-Ila¯hiyya¯t) et le Livre de l’âme (K. al-Nafs) du K. al-S
ˇifa¯}, le
Livre de la guérison, qui ont été d’ailleurs – comme on le sait – des
sources doctrinales importantes pour les Latins3. J’essaierai en
209VIE ACTIVE, VIE CONTEMPLATIVE ET PHILOSOPHIE CHEZ AVICENNE
K. al-Nafs, ed. G. C. Anawati / S. Zayed, Le Caire, 1970 (ici cité comme Nafs);
Avicenne, Liber de anima seu sextus de naturalibus, I-II [livres I-III; IV-V],
édition critique de la traduction latine médiévale par S.Van Riet, introduction
doctrinale par G. Verbeke, Louvain-Leyde, 1972, 1968; K. al-Isˇa¯ra¯t wa
l-Tanbı¯ha¯t li Abı¯{Alı¯ ibn Sı¯na¯ma{a sˇarh
˙Nas
˙ı¯r al-Dı¯n al-T
˙u¯sı¯, éd. S. Dunya¯, Le
Caire, 1957, 4 vol. (ici toujours Isˇa¯ra¯t, éd. Dunya¯]; Avicenne, Kita¯b al-H
˙udu¯ d. Le
livre des définitions (Kita¯b al-H
˙udu¯d), éd. par A. M. Goichon, Institut Français
d’Archéologie Orientale, Le Caire, 1963 (ici toujours indiqué par H
˙udu¯d). On
trouvera un essai de traduction anglaise de ce dernier texte dans :
D. Kennedy-Day, Books of Definitions in Islamic philosophy : the limit of words,
Londres, 2003, p. 98-114.
4Les formes intelligibles, tout comme celles qui vont informer le monde des
êtres sensibles, dépendent d’un flux d’être qui vient de Là-haut; voir Ila¯h., IX, 5,
411, 9 et IX, 5, 413,11 où les intelligences donnent les formes (cf. la locution wa¯hib
al-s
˙uwar :dator formarum); en Ila¯h., X, 1, p. 439, 11-12 : «le principe de la Nature
vient de Là-haut».
5Ila¯h., X, 1, 435, 6-8. Ailleurs (Ila¯h., IX, 2) Avicenne établit une compa-
raison entre l’âme du ciel et l’âme humaine qui est tout à fait explicite : l’âme
qui meut le ciel peut être analogue à l’âme animale ou bien – Avicenne va
presque se corriger – à l’intellect pratique (cf. Ila¯h., IX, 2, 387, 4-7) : «Quant à
l’âme motrice, – comme il t’a apparu évident – elle est corporelle, changeante et
muable, n’étant pas libre de la matière; ou mieux : son rapport avec la sphère
est le même rapport que l’âme animale qui nous appartient a avec nous, sauf
qu’il lui appartient une sorte d’intellection qui est mêlée à la matière. Bref (bi-l-
gˇumla), les représentations estimatives [de l’âme], ou ce qui leur ressemble, sont
véridiques, ses représentations imaginatives, ou ce qui leur ressemble, sont
vraies, comme l’intellect pratique en nous, et ses perceptions sont en vertu du
corps». Cf. aussi Isˇa¯ra¯t, III, 11, p. 137 [p. 568 de l’édition à numérotation
continue].
premier lieu de présenter la distinction entre théorie (theoria) et
pratique (praxis) dans la psychologie de l’homme, et, en deuxième
lieu, d’examiner la distinction telle qu’elle apparaît dans le monde
céleste. En effet, s’engager dans une enquête autour du rapport entre
vie active et vie contemplative chez Avicenne, et autour des principes
qui l’expliquent, signifie immédiatement se donner deux domaines de
recherche : d’une part, la structure même de l’âme humaine et la
dynamique vitale qui l’intéresse; de l’autre, la structure et la dyna-
mique de la vie du ciel. On doit ce redoublement au rôle fondateur
qu’Avicenne attribue au monde céleste. En étant à la fois à la base et à
l’horizon du monde sublunaire4, le monde céleste se trouve inclus
dans la dimension psychique, éthique et intellectuelle de l’homme. À
cette raison principale, l’on doit d’ailleurs ajouter celle qui en est
comme le reflet. Avicenne témoigne du lien entre le monde humain et
le monde divin par une comparaison explicite qui empêche de
négliger le ciel et de limiter l’enquête à la dimension humaine : le
monde intellectuel des hommes, qui se distingue en intellect théo-
rique et intellect pratique, a un correspondant dans celui des anges,
distingués en intelligences pures et âmes des sphères5.
210 OLGA LIZZINI
6Voir H
˙udu¯d, p. 11-13 (p. 13-19 pour la trad. fr. de A-M. Goichon; cf.
K. Kennedy-Day, Books of Definitions... cit., p. 102-104). Pour la source aristotéli-
cienne de la distinction, voir par exemple Aristote, De an., III, 10, 433 a 14 et s.;
Eth. Nic. VI, 1, 1139 a 12 et s. où Aristote utilise toùeßpisthmoniko¥n : «partie scienti-
fique» et toù logistiko¥n : «partie calculatrice». Pour une présentation de la ques-
tion, il est encore utile de consulter R. A. Gauthier, La morale d’Aristote, Paris,
1958, p. 25-37 en particulier.
7Avicenne distingue les buts (les biens) qui sont réels de ceux qui font l’objet
d’une simple opinion, voir Ila¯h. IX, 3, p. 395-396.
8Voir M. Sebti, La distinction... cit., p. 34 note 23. On trouve la distinction
entre intellect pratique et intellect théorique aussi chez al-Fa¯ra¯bı¯, qui dans le
Livre du gouvernement de la cité ou Livre des principes des existants distingue
l’âme rationnelle théorique de l’âme rationnelle pratique; chez l’âme rationnelle
pratique il envisage en outre une faculté qui exécute et une autre qui délibère ou
réfléchit (voir K. al-Siya¯sa al-madaniyya, éd. F. Najjar, Beyrouth, 1964, p. 32,4-9).
Sur les aspects épistémologiques de la distinction farabienne, voir M. Mahdi,
Science, philosophy and religion in al-Fa¯ra¯bı¯}s Enumeration of the sciences, in
J. E. Murdoch et E. Sylla (dir.), The cultural context of medieval learning, Dor-
drecht-Boston, 1975, p. 113-147 et M. Schramm, Theoretische und praktische Dis-
ziplin bei al-Fa¯ra¯bı¯, dans Zeitschrift für Geschichte der arabisch-islamischen
Wissenschaften, 3, 1986, p. 1-55.
9M. Sebti, La distinction... cit., p. 35. Pour d’autres définitions, voir {Uyu¯n
al-H
˙ikma, éd. Abdarrahman Badawi, Institut français d’archéologie orientale, Le
Caire, 1954, p. 42, 10-17 : l’intellect pratique est orienté à l’action et aux choses
particulières; Livre de science, II (Science naturelle, Mathématiques), trad. par
M. Achena et H. Massé, Paris, 1958 [Pour le 1er vol. (Logique, Métaphysique) 1955;
2eéd. revue et corrigée 1986], p. 65); Isˇa¯ra¯t, éd. Dunya¯, II, p. 387-388 et
p. 388-392. D’autres références dans Sebti, La distinction...., p. 24-25 et 35. Pour
Intellect pratique et intellect théorique : les principes des deux vies
On peut repérer une première présentation de la distinction
entre intellect théorique et intellect pratique dans le K. al-H
˙udu¯d,
Le livre des définitions6. L’intellect théorique ou spéculatif (al-{aql
al-naz
˙arı¯) y est décrit comme la puissance ou faculté (quwwa) «qui
reçoit les quiddités des choses universelles en tant qu’elles sont
universelles». L’intellect pratique (al-{aql al-{amalı¯) est défini
comme le principe qui meut (mabda}al-tah
˙¯k) la puissance concu-
piscible vers les choses particulières que l’on a choisies en vue d’un
but qui fait l’objet d’une opinion ou bien d’une connaissance (g˙a¯ya
maz
˙nu¯ na aw ma{lu¯ma)7. Avicenne ne le dit pas de façon explicite,
mais l’intellect pratique semble être le principe par lequel on
comprend les choses particulières afin d’opérer un choix parmi
elles. La première faculté est donc orientée à la connaissance et à
l’intellection, la deuxième l’étant à l’action (ou à la connaissance en
vue de l’action). La première concerne l’universel et l’immuable, la
deuxième le singulier et la diversité8. Comme il a été remarqué, la
structure de l’intellect s’articule autour d’une scission tant originelle
que problématique9.
211VIE ACTIVE, VIE CONTEMPLATIVE ET PHILOSOPHIE CHEZ AVICENNE
Aristote (voir à ce propos Eth. Nic., VI, 1, 1139 a 12 et s. et l’analogie avec la corde
de l’arc en 1138 b 21 et s.) : avec l’une des deux parties de l’âme nous considérons
«la classe des êtres dont les principes ne peuvent pas être autrement qu’ils ne
sont», tandis qu’avec l’autre «nous considérons ceux qui le peuvent» (trad.
R.-A. Gauthier; voir Aristote, L’éthique à Nicomaque... cit., p. 160). Le rapport
entre les deux «parties» de l’âme est donc analogue à la question éthique du
rapport entre les lois et l’agir (voir le bon choix dans l’art de la médecine ou dans
celle de la navigation en Eth. Nic., II, 2, 1104 a 1-10).
10 Nafs, I, 5, p. 37, 8. Dans H
˙udu¯d (p. 13) Avicenne précise que le nom
d’‘intellect’ ({aql) est un nom dont participent en commun plusieurs sens.
11 Cf. Aristote, Eth. Nic., II, 7, 1108 a 30 et s.
12 On a ici comme des prémisses (muqaddima¯t) évidentes en dehors de toute
démonstration et qu’il faut donc distinguer des prémisses intellectuelles; cf. Arist.
Eth. Nic., I, 1, 1094 b 12 et s. et VI, 11, 1143 a 35 et s.
Parmi les passages peu nombreux qu’Avicenne consacre à la
question, le plus éloquent pour comprendre la structuration de l’âme
à laquelle il se réfère est sans doute Livre de l’âme, I, 5 où, après avoir
présenté les puissances des âmes végétative et animale, Avicenne
introduit les deux facultés ou puissances de l’âme rationnelle
humaine, deux facultés qu’il appelle ‘intellect’ par équivocité ou
analogie (bi-isˇtira¯ki al-ismi aw tasˇa¯buhi-hi)10. La puissance pratique –
qu’Avicenne présente ici avant d’aborder la puissance théorique – est
définie encore une fois comme le principe qui meut le corps de
l’homme (badan al-insa¯n) en vue des actions particulières. Elle peut
être envisagée de trois façons différentes, selon qu’elle est considérée
1) par rapport à la puissance animale concupiscible (al-quwwa
al-nuzu¯ {iyya); 2) par rapport à la puissance animale imaginative (al-
quwwa al-mutah
˘ayyila) et estimative (al-quwwa al-mutawahhima);
3) ou enfin par rapport à elle-même (ila¯ nafsi-ha¯). De la première
considération dépendent les émotions et leurs manifestations
physiques (la pudeur, la honte, le ris, le pleur, etc.) que l’on peut
définir comme des dispositions par lesquelles l’âme humaine est
prête à agir ou bien à subir l’action du monde externe avec une rapi-
dité plus ou moins perceptible11. De la deuxième considération
dépendent le rapport avec le monde externe et la production des arts.
La troisième relève de l’éthique : elle explique une connaissance qui,
universelle mais aussi vague, concerne le comportement de
l’homme; une connaissance qui montre, d’ailleurs, une certaine
coopération entre les deux intellects : c’est grâce au rapport entre
l’intellect pratique et l’intellect spéculatif que naissent les opinions
diffuses et bien acceptées sur la morale comme celle qui affirme que
la mensonge est détestable ou aussi que l’est l’injustice12.
À la triplicité des rapports ou relations (qiya¯s) et des considéra-
tions (i{tiba¯r) de l’intellect pratique qui doit dominer les puissances
animales – c’est là un point sur lequel on devra d’ailleurs insister – ne
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