personne, que la dimension religieuse était une composante importante pour
la population soignée. La souffrance spirituelle est bien réelle chez les
malades. Les aumôniers sont là pour l’écouter et trouver un chemin avec le
patient. Il y a également des demandes de rites religieux précis en cas de
maladie et de décès : il faut y répondre. Les aumôniers, dans les
établissements de santé publique, ont la mission de garantir l’exercice de la
liberté publique fondamentale qu’est la liberté religieuse pour ceux qui sont en
un lieu fermé (prison, hôpital, armée), en répondant aux besoins spirituels et
religieux des patients.
Dès mars 2001, des contacts sont pris avec les autorités des différents cultes
inscrits au Ministère de l’Intérieur pour élargir l’aumônerie. Nous sommes, à
ce jour, cinq ministres du culte présents sur le site : un prêtre catholique qui a
travaillé quarante ans dans ce même département de grande précarité ; un
pasteur protestant - moi-même - venant d’une congrégation religieuse,
l’Armée du Salut, dont la spécificité est le travail parmi les plus pauvres ; un
rabbin, également du même département ; un imam musulman malgache, ex
migrant lui-même, habitant la banlieue, et familier du dialogue avec les
chrétiens depuis plus de trente ans, parlant plusieurs langues africaines et
l’arabe ; un jeune aumônier orthodoxe, métis russe et congolais, vivant l’inter
culturalité dans sa famille et préparé à l’accueil des migrants de l’Est de
l’Europe : il parle huit langues slaves et deux langues africaines.
J’avais alors postulé pour un hôpital parisien. J’ai été affectée à l’hôpital
Avicenne parce que personne ne désirait aller à Bobigny. La réputation de la
banlieue n’est guère positive. Les médias y ont leur part de responsabilité. A
l’affût des difficultés liées à l’Islam, ils débarquent parfois dans l’Hôpital. J’ai
même vu des journalistes d’une chaîne nationale de TV repartir sans vouloir
tourner le reportage prévu : « Nous nous sommes déplacés pour rien. S’il n’y
a pas de problèmes, il n’y a rien à dire à la télé ! ».
Les médias sont en recherche du choc des cultures. Je voudrais vous parler,
moi, du choc des ignorances. Si la non éducation est le terreau de la misère,
l’ignorance de l’autre est le terreau de ma propre misère intérieure. L’autre,
qu’il soit blanc ou noir, pauvre ou riche, celui qui est à côté de moi, et que je
ne vois même pas, est mon miroir. Comment va-t-il venir vers moi si moi je ne
vais pas vers lui ? Il peut devenir richesse parce que différence. Mais mon
ignorance conduit à la méfiance. La méfiance engendre la peur. De la peur
naît la violence.
Les événements du 11 septembre 2001 ont secoué l’hôpital à un point
inimaginable. Le soir même, la Chargée de mission du Directeur doit mener
une médiation de plusieurs heures face à un personnel affolé. On veut même
décrocher les portraits d’Avicenne parce qu’il ressemblait trop à Ben Laden !
Le lendemain, je suis interpellée par des cadres infirmiers, couples mixtes,
femmes catholiques mariées à des musulmans. Elles craignent, non pas leur
époux, mais le regard des gens qui amalgament Islam et terrorisme. Le
professeur du service d’Hémato-oncologie supplie les aumôniers de mettre en
place un signe fort et symbolique pour redonner confiance au personnel.