Télécharger l`article au format PDF

publicité
L’Encéphale (2008) 34, 66—72
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
NEUROPSYCHOLOGIE
Évaluation de la conscience du trouble chez le
schizophrène dans une cohorte de 31 patients
Insight in schizophrenia: Assessment of 31 patients
with different scales
D. Travers ∗, D. Levoyer, B. Millet
Service hospitalo-universitaire de psychiatrie adulte, université de Rennes 1, CHU Pontchaillou, 2, rue Henri-Le-Guilloux,
35033 Rennes cedex 9, France
Reçu le 5 avril 2006 ; accepté le 15 janvier 2007
Disponible sur Internet le 5 septembre 2007
MOTS CLÉS
Insight ;
Conscience ;
Schizophrénie ;
Évaluation
∗
Résumé Les schizophrénies sont marquées par une altération variable de la conscience (ou
insight). Différentes échelles sont, à ce jour, disponibles pour évaluer ce degré d’insight, qu’il
s’agisse de questionnaires à cotation directe (« autoquestionnaires ») ou de questionnaires cotés
par un examinateur à l’issue d’un entretien clinique (« hétéroquestionnaires »). L’étude consistait en l’évaluation de 31 patients schizophrènes à l’aide de deux échelles de langue anglaise
traduites : le Self Appraisal of Illness Questionnary de Marks et al. [Schizophr Res 45 (2000)
203—11] et la Scale for assessment of Unawareness of Mental Disease d’Amador [Amador XF,
Strauss DH. The scale to assess unawareness of mental disorder (SUMD). Columbia University and
New-York State Psychiatric Institute;1990]. Il s’agissait d’analyser le degré de corrélation entre
les scores de ces deux échelles mais aussi de ces scores avec l’intensité de la pathologie schizophrénique. Une corrélation significative (p < 0,001) entre les deux scores globaux des échelles a
été retrouvée ainsi qu’une indépendance des sous-scores entre eux pour chaque échelle utilisée. Aucun lien entre degré de conscience et intensité de la pathologie schizophrénique n’a été
retrouvé dans cette étude. Enfin, une évaluation de l’attribution des symptômes à la maladie
schizophrénique, intégrée à l’échelle d’Amador, a souligné que l’erreur d’attribution des symptômes et leur manque de leur prise de conscience étaient couplés. Les deux modes d’évaluation
apparaissent opérants pour l’évaluation du niveau de conscience du trouble dans les schizophrénies. La corrélation obtenue entre les deux outils utilisés suggère qu’elles mesurent une
même dimension. Cette étude préliminaire sera suivie d’une validation de la traduction du self
appraisal of illness questionnary non encore utilisé en France.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (D. Travers).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.01.001
Évaluation de la conscience du trouble chez le schizophrène
KEYWORDS
Insight;
Consciousness;
Schizophrenia;
Assessment
67
Summary
Introduction. — Insight is more than frequently altered in schizophrenia, rupture of treatment
being one the most known consequences of this impairment. Two different types of scales
can be used to assess consciousness: self-questionnaires directly filled-in by the patient or
questionnaires assessed by a psychiatrist after an interview.
Aim of the studies. — The goal of this study was first to assess insight in schizophrenic patients
with these two different types of scales and then try to find a link between insight impairment and schizophrenic symptoms. The self-questionnaire was the Marks et al. Self Appraisal
of Illness Questionnaire (SAIQ) [Schizophr Res 45 (2000) 203—11], 17 items finally giving four
scores (consciousness of illness, consequences of schizophrenia, need for treatment and worrying about illness) plus a total score of insight. The other questionnaire was the Amador Scale
for assessment of Unawareness of Mental Disease [Amador XF, Strauss DH. The scale to assess
unawareness of mental disorder (SUMD). Columbia University and New-York State Psychiatric
Institute;1990], consisting in an interview with a psychiatrist who finally assesses four dimensions (consciousness of illness, symptoms, need for treatment and consequences of illness)
plus a total score. In addition to these scores, Amador’s scale gives the opportunity to score
attribution a patient gives to illness for his symptoms.
Patients. — Thirty-one patients whose schizophrenia diagnosis had been previously made according to DSM-IV criteria were included. Half were outpatients, half inpatients. Drug prescriptions
were controlled; all of the patients being medicated with an antipsychotic, a benzodiazepine
and a sleep inducer. They were all assessed by the two scales previously mentioned and the
Positive And Negative Syndrome Scale [Kay SR, Opler LA, Fiszbein A. Positive and negative syndrome scale. Traduction de Lepine JL. In: Guelfi JD, éditeur. Évaluation clinique standardisée,
tome II. Castres : Éditions médicales Pierre Fabre;1996].
Results. — Total scores of insight scales were significantly correlated (p < 0.001). For each questionnaire, the four different scores were independent from each other (p < 0.001). There was
no correlation found between insight scales and schizophrenic symptoms intensity.
Conclusion. — Considering symptom attribution, being unconscious of a symptom and being
enable to attribute it to schizophrenia were linked, which could refer to Frith’s theory of schizophrenia [Frith CD. Neuropsychologie de la schizophrénie. Psychiatrie ouverte. Paris: PUF;1996
(208p.)] and attribution impairment as a main dysfunction. The two different types of scales
seem to be effective. The significant correlation between them suggests they assess the same
dimension. This preliminary study will be followed by a validation study of the french translation
of the SAIQ.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Les prises en charges en psychiatrie sont souvent rendues difficiles par le refus des soins et par l’interruption
fréquente des traitements de la part des patients. Les
modes d’hospitalisation sous contraintes et les neuroleptiques retards font partie des usages de la psychiatrie
qui permettent de répondre, mais seulement partiellement, à cette méconnaissance des troubles. Si les cliniciens
s’interrogent depuis longtemps sur le degré de conscience
dans la maladie schizophrénique, ce n’est que depuis peu
que les neurosciences cognitives proposent des modèles
explicatifs ainsi que des instruments de mesure du degré
de conscience du trouble.
L’insight a été envisagé sur différents modes au cours du
temps. Jusqu’alors considérée comme pathognomonique de
la folie, la conscience du trouble est modélisée au xixe siècle
sur un mode binaire et utilisée dans un but principalement
médicolégal : les certificats nécessaires aux hospitalisations
doivent mentionner si les patients sont conscients ou non
de leur état. La nosographie s’enrichit à cette époque de
tableaux cliniques dans lesquels le délire est associé ou non
à une conscience de celui-ci [5]. Au xxe siècle, l’insight
est approché sur un mode dimensionnel, tous les degrés
d’altération étant envisageables entre conscience et nonconscience.
Soulignée par l’Organisation mondiale de la santé dans
un rapport sur la schizophrénie dès 1982, l’évaluation
de l’insight chez le schizophrène revêt une importance
majeure en terme de prise en charge. De nombreuses
études soulignent l’influence de la conscience du trouble sur
l’observance médicamenteuse et par voie de conséquence
sur le fonctionnement psychosocial [6,17]. Droulout et
al. ont ainsi démontré que l’interruption d’un traitement
médicamenteux avant hospitalisation était associée à un
moindre niveau d’insight, ce dernier étant corrélé à une
perception subjective négative des traitements et à une
mauvaise observance médicamenteuse [8].
Différentes hypothèses étiopathogéniques sont évoquées
selon le courant théorique envisagé. Si l’insight dans le
cadre psychanalytique revêt un sens très particulier hors
de propos dans ce travail, le déni, mécanisme de défense
vis-à-vis d’une réalité extérieure jugée par trop difficile,
se pose clairement en hypothèse théorique. Le coping,
mécanisme ou stratégie d’adaptation, est une autre manière
d’envisager l’altération de la conscience des troubles.
68
Mayer-Gross [16] développe dans ce cadre une classification de ses patients schizophrènes selon quatre modes de
défense : déni du futur, création d’une nouvelle vie après la
maladie, déni de l’expérience psychotique et enfin mélange
d’expériences diverses pour se créer un nouveau cadre
de vie. De nombreux travaux évoquent enfin un parallèle
entre déficit de conscience et anosognosie neurologique
[1], notamment sur la constatation d’une incapacité à se
reconnaı̂tre des symptômes que l’on repère pourtant sans
difficulté chez l’autre.
D’un point de vue neurocognitif, Huron et Danion [10]
considèrent le déficit en insight comme issu d’un défaut de
conscience autonoétique : l’absence conjointe d’intégration
des épisodes passés, de conscience du moment et de projection dans le futur altèrerait le degré de conscience
de l’état clinique. Dans une approche théorique centrée
sur un déficit de théorie de l’esprit, Frith [9] envisage,
quant à lui, une part des troubles schizophréniques comme
liés à une erreur d’attribution d’états mentaux à autrui
conduisant à la question : comment envisager un point de
vue différent du sien et se voir comme les autres nous
voient ? Marková et Berrios [12] enfin évoquent des processus beaucoup plus généraux d’erreurs d’étiquetage des
expériences, l’altération de l’insight n’étant que l’un de ses
avatars.
En termes de psychométrie, l’évaluation de l’insight peut
s’envisager selon deux modes : questionnaires remplis par
un évaluateur après entretien avec le patient (ou hétéroquestionnaires), questionnaires à cotation directe par le
patient (ou autoquestionnaires). L’ensemble de ces outils
envisage l’insight sur un mode dimensionnel. Parmi les
autoquestionnaires existants, citons le Self Appraisal of Illness Questionnary (SAIQ) élaboré par Marks et al. [15] à
partir d’un questionnaire de reconnaissance de la maladie chez les patients hospitalisés en psychiatrie et adapté
secondairement à l’évaluation des patients schizophrènes.
L’Insight Scale de Marková et Berrios[14] évalue pour sa
part, à partir de 32 affirmations, la conscience qu’a le
patient de l’hospitalisation, de la maladie mentale en général, du fait d’être malade, des changements ressentis en
soi, du contrôle qu’il a sur la situation, de sa perception de
l’environnement et enfin de sa compréhension de la situation actuelle. Pour l’hétéroévaluation, différentes échelles
sont disponibles [4]. L’item G12 (« manque de jugement
et de prise de conscience de la maladie ») de la Positive
And Negative Syndrome Scale [11] permet d’évaluer globalement l’insight du patient. La Schedule for Assessing
the components of Insight de David [7] évalue l’insight
selon trois dimensions : la maladie mentale, la symptomatologie productive (hallucination ou délire) et enfin la
« conformité » aux traitements. Amador et al. [3] proposent la Scale for assessment of Unawareness of Mental
Disease (SUMD) qui envisage les trois dimensions citées
précédemment mais aussi la conscience des conséquences
de la maladie. S’ajoute la possibilité, par cette échelle,
d’évaluer l’attribution que fait le patient des symptômes
dont il est conscient, permettant de distinguer le fait d’avoir
conscience de ses hallucinations et celui de les attribuer à
sa maladie (et non à une source extérieure).
L’objectif global de notre étude a consisté à évaluer
l’insight de patients schizophrènes à l’aide de deux types
d’outils différents, la SUMD comme hétéroquestionnaire
D. Travers et al.
et le SAIQ comme autoquestionnaire, puis de mesurer les
corrélations entre ces deux modes de cotation.
Méthode et procédure expérimentale
Issus de deux secteurs psychiatriques rennais, les patients
étaient recrutés sur une période totale de deux mois,
sur proposition des psychiatres intervenants dans les secteurs concernés. Aucune relation thérapeutique n’existait
avec les patients inclus, cela afin d’éviter toute modification volontaire des réponses (permettant par exemple
d’obtenir une sortie ou une baisse de traitement). Pour
être inclus, les patients devaient répondre au diagnostic de
schizophrénie ou de trouble schizoaffectif selon le DSM-IV
(diagnostic posé par le praticien hospitalier s’occupant du
patient), être suivis en prise en charge hospitalière tempsplein ou ambulatoire, recevoir un traitement contrôlé
(antipsychotique ± benzodiazépine). Une pathologie somatique intercurrente, la présence de conduites addictives
(alcool, toxiques, surconsommation médicamenteuse), un
état clinique « suraigu » grevant les conditions de passation des tests excluaient les patients. Les données
classiques sociodémographiques (âge, sexe, statut professionnel, mesure de protection, lieu de vie, niveau scolaire,
statut familial, aide sociale perçue) et cliniques (durée
d’évolution de la maladie sur la base de la première
année d’hospitalisation, mode actuel de prise en charge)
étaient recueillies auprès du patient, de l’équipe le prenant en charge et à l’aide de son dossier médical. Le degré
de conscience des troubles était en outre évalué par le
SAIQ, 17 items alternant questions et affirmations avec
quatre réponses possibles. À l’issue de sa passation, quatre
scores étaient obtenus : la reconnaissance de la maladie,
les croyances concernant les conséquences de la maladie, la
reconnaissance de la nécessité d’un traitement psychiatrique et l’importance de l’inquiétude par rapport à la
maladie et ses conséquences. Le score total correspondait
à la somme des quatre scores mentionnés plus haut. Ce
questionnaire présenté aux patients correspondait à une
traduction de la version princeps anglaise (Tableau 1). La
seconde évaluation de l’insight était effectuée à l’aide
de la SUMD d’Amador et al. dans sa version abrégée
de 1994 [2], hétéroquestionnaire de 12 items cotés de
1 (conscient) à 3 (non conscient) à l’issu d’un entretien
clinique. Quatre scores étaient obtenus : conscience de
la maladie, conscience des symptômes, conscience de la
nécessité de traitement, conscience des conséquences de
la maladie. Le score total correspondait à la somme des
quatre précédents. Outre ces scores de conscience, un
score d’attribution à la pathologie que le patient a de ses
symptômes était calculé. La version utilisée de la SUMD avait
elle aussi été traduite à l’occasion de ce travail (Tableau 2).
La symptomatologie schizophrénique était évaluée par la
PANSS à l’issu d’un entretien semi-structuré. L’ensemble
de l’évaluation se déroulait au cours d’un même entretien
sur la base de deux heures par patient. Le traitement des
données a enfin été réalisé par logiciel SPSS avec étude des
corrélations entre les différents scores et analyse en composantes principales afin de tester le poids des caractéristiques
épidémiologiques ou symptomatologiques dans les variations des scores d’insight des sujets.
Évaluation de la conscience du trouble chez le schizophrène
Tableau 1
69
Traduction du self-appraisal of illness questionnary de Marks et al. [15].
1
La première fois que l’on vous a conseillé le traitement que vous prenez actuellement,
qu’avez-vous pensé de cette prescription ?
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
2
En général, êtes-vous susceptible de vous inquiéter ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
Vous inquiétez-vous de votre état ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
Vous inquiétez-vous d’avoir des problèmes à cause de votre état ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
Vous inquiétez-vous de perdre des amis à cause de votre état ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
Vous inquiétez-vous de ne pas pouvoir travailler à cause de votre état ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
Vous inquiétez-vous de ne pas guérir ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
« Je pense que mon état va s’arranger tout seul »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
« Je n’ai aucun doute sur le fait que j’irai mieux un jour »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
Pensez-vous que le traitement actuel est nécessaire ?
Absolument
Probablement
Absolument pas
3
4
5
6
7
8
9
10
Probablement pas
11
Si vous n’aviez pas reçu de traitement, comment pensez-vous que vous iriez actuellement ?
Très mal
Mal
Bien
Très bien
12
« Le traitement peut m’apporter beaucoup »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
« Si j’arrête le traitement aujourd’hui, j’irai bien »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
13
14
15
16
17
Vos pensées et vos émotions vous empêchent-elles de faire des choses ?
Pas du tout
Légèrement
Franchement
Beaucoup
« Je pense que mon état nécessite un traitement psychiatrique »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
« J’ai des signes de maladie mentale »
Totalement d’accord
D’accord
Pas d’accord
Absolument pas d’accord
Pensez-vous être malade ?
Pas du tout malade
Malade
Très malade
Légèrement malade
Résultats
Trente et un des 35 patients contactés ont été inclus dans
l’étude. Deux patients ont refusé la passation des tests,
l’un a souhaité s’arrêter en cours d’évaluation, un patient
a été volontairement retiré de l’étude parce que trop
envahi par ses processus délirants pour mener l’évaluation
à son terme. La cohorte était essentiellement masculine
(24 patients, 77,4 %) d’une moyenne d’âge 35,6 (±10 ans).
Seize patients (51,6 %) étaient titulaires du baccalauréat.
Vingt-sept patients (87 %) n’avaient aucun statut professionnel au moment de l’étude. La plupart des patients étaient
célibataires (25, 80,6 %). Vingt-six patients (83,9 %) étaient
sans enfant. Vingt patients (64,5 %) vivaient de manière
autonome en appartement, six (19,3 %) chez leurs parents,
les cinq autres (16,2 %) étant dépendants d’institutions.
La moyenne de durée d’évolution de la maladie était à
13,8 (±10,4) ans. Treize patients (41,9 %) étaient hospitalisés à temps-plein, le reste de la cohorte bénéficiant
d’une hospitalisation de jour. Selon les critères diagnostics
DSM-IV, 17 patients (54,8 %) présentaient une schizophrénie
paranoı̈de, trois (9,6 %) une schizophrénie désorganisée,
quatre (12,9 %) une schizophrénie résiduelle, les sept restants (22,6 %) un trouble schizoaffectif. Le score moyen à
la PANSS s’élevait à 85,3 (±20,6), avec une moyenne à
l’échelle positive de 21,6 (±8,2) et à l’échelle négative
de 21,8 (±10,4). Les résultats concernant l’évaluation de
la conscience selon les trois outils utilisés (itemG12 de la
PANSS, SAIQ et SUMD) sont rapportés dans le Tableau 3.
Les sous-scores de la SAIQ ainsi que les sous-scores de
70
D. Travers et al.
Tableau 2
Traduction de la version abrégée de la scale to assess unawareness of mental disorder de Amador et al. [2].
Tableau 3
Résultats de l’évaluation de l’insight selon les différentes échelles.
Mode d’évaluation
Dimension explorée (min—max possibles)
ITEM G12 PANSS
Score total (1—7)
Moyenne
Écart-type
3,97
1,70
Conscience d’un trouble (2—8)
Nécessité de traitement (6—24)
Conscience des conséquences (3—12)
Inquiétude sur maladies et conséquences (6—24)
Score total (17—68)
4,74
17,65
6,94
13,71
43,03
1,77
4,40
2,31
4,93
10,82
Conscience d’un trouble (1—3)
Conscience des symptômes (6—18)
Conscience des conséquences (1—3)
Nécessité de traitement (1—3)
Score total (9—27)
2,26
10,37
2,32
2,29
16,79
0,86
3,88
0,79
0,94
5,44
SAIQ
SUMD
Évaluation de la conscience du trouble chez le schizophrène
Tableau 4
échelles.
Valeurs des corrélations entre scores totaux des
Item G12 PANSS
SAIQ
SUMD
ItemG12 PANSS
SAIQ
SUMD
1,00
−0,25
−0,58*
1,00
0,72**
1, 00
* p < 0,01 ; ** p < 0,001.
la SUMD étaient tous indépendants les uns des autres
(p < 0.001 à chaque comparaison). Les résultats des calculs rapportés dans le Tableau 4 montrent une corrélation
entre le SAIQ et la SUMD mais non avec l’item G12 de
la PANSS qui, rappelons-le, évalue globalement l’insight.
L’analyse en composantes principales n’a pas permis de
mettre à jour une part explicative de la PANSS ou de
l’un de ses sous-scores (positif, négatif, psychopathologie générale) dans les variations de scores d’insight. De
même, aucun facteur sociodémographique n’a expliqué de
manière significative cette variation des scores d’insight
[18].
Discussion
Notre étude montre l’intérêt d’utiliser dans l’évaluation
de la conscience des sujets schizophrènes auto- et
hétéroquestionnaires. La cotation directe par un questionnaire, même si un effet d’apprentissage est à craindre,
permet une évaluation strictement identique de chaque
patient, tout risque d’adaptation des réponses du patient
envers l’interlocuteur étant évité de même que la subjectivité du cotateur externe. L’hétéroévaluation pour sa part
permet de confronter plusieurs avis (fidélité intercotateurs)
et rend, de ce fait, l’évaluation plus précise. Un entretien
est plus riche en informations qu’un simple questionnaire
complété.
Les deux outils semblent cohérents dans leur traduction,
comme l’indépendance des sous-scores entre eux pour une
même échelle et la corrélation des deux scores totaux entre
échelles semblent le montrer. Les deux outils traduits restent cependant à valider sur un échantillon de patients plus
grand, en utilisant des méthodes statistiques adaptées.
L’item G12 de la PANSS semble insuffisant pour rendre
compte de l’insight : il n’est pas corrélé avec le score global de la SUMD et de la SAIQ alors que celles-ci le sont
entre elles. Cet item ne permet vraisemblablement qu’une
évaluation très globale sans prise en compte des différentes
dimensions évaluées par les autres grilles. Sur le plan de la
procédure expérimentale, il avait été d’ailleurs défini que
l’entretien nécessaire à la cotation de la PANSS se déroule
avant celui pour la cotation de la SUMD afin que la passation de cette échelle ne vienne justement interférer dans la
cotation de l’item G12.
Concernant la mesure de l’attribution que le patient
fait de ses symptômes dans l’échelle d’Amador, il apparaı̂t
que les erreurs d’attribution des symptômes sont superposables au déficit de conscience de ceux-ci : avoir mauvaise
conscience d’un symptôme et mal l’attribuer vont de
pair. Si l’on se réfère à la théorisation de Frith [9] dans
laquelle la défaillance des processus d’attribution pourrait
71
être à l’origine de la symptomatologie délirante (attribution à tort à un agent externe d’actions auto-initiées),
il paraı̂t licite d’envisager l’erreur d’attribution mesurée
comme phénomène principal menant à l’altération de
conscience constatée. Le symptôme, attribué par erreur à
l’extérieur, rendrait inéluctable un défaut de conscience
de celui-ci. Une étude détaillée des items des grilles met
d’ailleurs en évidence que 40 % des patients de la cohorte
estiment ne pouvoir être atteints de pathologie mentale,
alors même qu’ils les reconnaissent possibles pour les
autres.
Certaines limites de notre travail doivent enfin être soulignées : la moyenne des scores globaux reste élevée et
peut s’expliquer par les particularités épidémiologiques de
notre cohorte : le sex-ratio très en faveur des hommes,
la forte prépondérance des schizophrénies paranoı̈des. Il
est possible que la sur-représentation d’une population
présentant une symptomatologie essentiellement productive au détriment de sujets ayant une symptomatologie
négative ait eu un retentissement sur la valeur moyenne
d’insight. L’hypothèse pourrait être faite d’une meilleure
conscience des troubles lorsque la symptomatologie est
essentiellement délirante. Ceci permettrait de rendre
compte de l’absence de lien retrouvé entre niveau d’insight
et intensité de la symptomatologie, le groupe non homogène
ne pouvant mettre à jour ce type de corrélation. Il serait
dès lors intéressant d’étudier, pour valider cette hypothèse,
une population négative versus une population positive.
Une autre interrogation concerne les sous-scores de chaque
échelle car, pour une sous-dimension donnée, les scores
obtenus par auto- ou hétéroévaluation ne sont pas corrélés
soulignant probablement la difficulté à définir clairement
ces sous-dimensions ainsi que le soulignent Marková et Berrios [13].
L’ensemble de ces données couplées à celles de la
littérature souligne une nouvelle fois un problème récurrent
dans l’étude des schizophrénies, à savoir l’hétérogénéité
des groupes et une difficulté à harmoniser les sous-groupes.
L’altération de l’insight, capacité métacognitive, s’intègret-elle dans un déficit cognitif global et peut-elle être en lien
avec un déficit attentionnel, organisationnel, mnésique ou
bien est-elle isolée ? Il semble de ce fait incontournable
d’étudier les liens possibles entre insight et fonctions cognitives.
Conclusion
La mesure de l’insight selon les deux modes
décrits, autoquestionnaire à cotation directe comme
hétéroquestionnaire coté à l’issue d’un entretien clinique,
nous paraı̂t d’un grand intérêt pratique. Le déficit de
conscience des troubles, bien que constant, apparaı̂t
hétérogène dans la cohorte évaluée. Même si la validité
d’une modélisation pluridimensionnelle de l’insight est
acquise, il semble difficile de préciser de manière univoque l’ensemble de ses dimensions. À la lumière des
modélisations théoriques actuelles et de cette étude,
l’hypothèse d’un déficit métacognitif centré sur les attributions au soi par rapport au non-soi paraı̂t la plus séduisante.
Les intérêts pratiques à une évaluation de l’insight dans
les schizophrénies à l’aide des questionnaires utilisés dans
72
ce travail sont évidents, de la compliance thérapeutique
(directement en lien avec la conscience d’une nécessité
de traitement) à la qualité de vie (en rapport avec la
conscience des conséquences de la maladie). Une dimension non explorée par ce travail reste la temporalité
et la possibilité, souvent constatée en clinique, d’une
modification du degré de conscience de la pathologie
schizophrénique. L’évaluation répétée de l’insight ouvre
alors de nombreuses perspectives comme, par exemple,
l’impact d’un traitement médicamenteux, d’une prise en
charge psycho-éducative, d’une aide psychothérapeutique.
Pour toutes ces raisons, la validation des échelles d’insight
en version française apparaı̂t donc d’autant plus nécessaire
et fera l’objet de travaux ultérieurs.
Références
[1] Amador XF, David AS. Insight and psychosis: awareness of illness
in schizophrenia and related disorders. 2nd ed. Oxford: Oxford
University Press; 2004, 402 p.
[2] Amador XF, Flaum M, Andreasen NC, et al. Awareness of illness
in schizophrenia and schizoaffective and mood disorders. Arch
Gen Psychiatry 1994;51:826—36.
[3] Amador XF, Strauss DH. The scale to assess unawareness of
mental disorder (SUMD). Columbia University and New-York
State Psychiatric Institute, 1990.
[4] Bourgeois ML. La conscience du trouble en psychiatrie, II.
Travaux empiriques actuels. La mesure de l’Insight. Ann Méd
Psychol 2000;158:209—24.
[5] Bourgeois ML. L’insight (conscience de la maladie mentale), sa
nature et sa mesure. Ann Méd Psychol 2002;160:596—601.
[6] Bourgeois ML, Haustgen T, Geraud M, et al. La conscience du
trouble en psychiatrie, I. Historique : les auteurs classiques.
Ann Méd Psychol 2000;158:134—47.
D. Travers et al.
[7] David AS. Insight and psychosis. Br J Psychiatry 1990;156:
798—808.
[8] Droulout T, Liraud F, Verdoux H. Influence de la conscience
du trouble et de la perception subjective du traitement sur
l’observance médicamenteuse dans les troubles psychotiques.
Encéphale 2003;29:430—7.
[9] Frith CD. Neuropsychologie de la schizophrénie. Psychiatrie
ouverte. Paris : P.U.F.;1996 (208 p.).
[10] Huron C, Danion JM. La schizophrénie, une pathologie des états
subjectifs de conscience ? In: Van Der Linden M, Danion JM,
Agniel A, éditeurs.La psychopathologie : une approche cognitive et neuropsychologique. Marseille : Éditions Solal ; 2000.
[11] Kay SR, Opler LA, Fiszbein A. Positive and negative syndrome scale. Traduction de Lepine JL. In: Guelfi JD, éditeur.
Évaluation clinique standardisée, tome II. Castres : Éditions
médicales Pierre Fabre ;1996.
[12] Marková IS, Berrios GE. Insight in clinical psychiatry, a new
model. J Nerv Ment Dis 1995;183(12):743—51.
[13] Marková IS, Berrios GE. The ‘object’ of insight assessment: relationship to insight ‘structure’. Psychopathology
2001;34:245—52.
[14] Marková IS, Berrios GE. The assessment of insight in clinical
psychiatry: a new scale. Acta Psychiatr Scand 1992;86:159—64.
[15] Marks KA, Fastenau PS, Lysaker PH, et al. Self-Appraisal of
Illness Questionnaire (SAIQ): relationship to researcher-rated
insight and neurophysiological function in schizophrenia. Schizophr Res 2000;45:203—11.
[16] Mayer-Gross W. Uber die Stellungnahme zur abgelaufenen akuten Psychose. Z Neurol Psychiatry 1920;60:160—212.
[17] Misdrahi D, Llorca P-M, Lancon C, et al. L’observance dans
la schizophrénie : facteurs prédictifs, voies de recherche,
implications thérapeutiques. Encéphale, 2002 ; 28 : 262—72,
cahier 1.
[18] Travers D. Évaluation de la conscience du trouble chez le
schizophrène : à propos de 31 patients. Rennes : thèse de
médecine, 2002.
Téléchargement