La conscience du trouble

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L’Encéphale (2009) Supplément 5, S160–S163
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
La conscience du trouble
C. Gay(a), J.-J. Margerie(b)
(a) Clinique du Château, 11 bis rue de la porte jaune 92380 Garches
(b) http://bipotes.leforum.eu
La conscience du trouble ne peut se résumer simplement
par la connaissance de la pathologie ou plutôt la reconnaissance de la pathologie. Elle fait aussi référence à l’identification des symptômes qui caractérisent cette pathologie,
aux causes et conséquences et à l’acceptation d’une prise
en charge. Après avoir abordé ses liens avec l’insight, cette
présentation sera surtout centrée sur les différentes approches qui permettent de faciliter la conscience du trouble
qui constitue les sous-bassements de l’alliance avec le soignant et de l’adhésion à la prise en charge.
Définitions
Ce sujet a fait l’objet d’un congrès qui s’est déroulé l’année
dernière à Dijon sous la présidence des Professeurs J.L. Senon,
J.P. Olié et R. Gil. À cette importante somme d’information
accessible dans son intégralité sur le net vient s’ajouter la
publication récente d’I.S. Markova « L’insight en psychiatrie », traduite par Nematollah Jaafari [13].
L’insight est un terme anglais sans équivalence en français, Ce terme s’est généralisé depuis plusieurs années
dans la littérature anglo-saxonne pour désigner la perception par le patient de sa maladie, sa clairvoyance au sujet
de ses troubles. Il est aussi très utilisé aussi dans le monde
du Marketing (black box) et fait référence à tous ces déterminants imperceptibles qui peuvent, entre autres, conditionner une vente.
Le New Oxford English Dictionary donnera pour l’insight
les équivalents suivants : une vue interne, avec les yeux de
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
l’esprit, vision mentale, perception discernement, fait de
pénétrer avec les yeux dans la compréhension de son caractère interne, nature cachée des choses, voir sous la surface…
La définition du Harrap’s est plus imprécise : « perspicacité, pénétration ».
L’insight apparaît donc comme une notion complexe qui
couvre un spectre large allant de la conscience du trouble
(psychiatrie) à l’anosognosie (neurologie).
Certains considèrent l’insight comme un symptôme de
la psychose alors que d’autres le considèrent comme une
fonction indépendante avec des localisations cérébrales
particulières.
L’insight est un concept multidimensionnel essentiellement utilisé pour les pathologies psychotiques. Le manque
d’insight est considéré par certains cliniciens comme caractéristique de la schizophrénie. Cependant, on constate que
certains patients atteints de schizophrénie peuvent avoir
conscience de la maladie, être capable d’analyser leurs
symptômes et de comprendre la nécessité d’un traitement.
L’insight tient compte de la reconnaissance de la maladie
mentale, de la capacité à reconnaître certains événements
comme pathologiques et de l’adhésion au traitement. De
même, il est possible de distinguer plusieurs niveaux [12] :
• déni complet de la maladie ;
• conscience d’être malade et besoin d’aide mais déni en
même temps ;
• conscience d’être malade mais attribution de la faute aux
autres, aux facteurs extérieurs ou aux médicaments ;
La conscience du trouble
• conscience de la maladie mais pas d’attribution de
cause ;
• insight intellectuel : le patient admet qu’il est malade et
ses symptômes sont dus à un sentiment irrationnel sans
appliquer ce savoir aux expériences futures ;
• insight émotionnel vrai : conscience émotionnelle du
patient et des gens important dans sa vie.
En résumé, l’insight est un phénomène complexe et
multidimensionnel qui fait référence non seulement à la
notion de conscience du trouble, mais aussi la conscience
des phénomènes mentaux et la conscience de soi. Lorsque
l’on aborde la définition de la conscience du trouble, on
fait référence à des données plus précises qui peuvent se
subdiviser en cinq points :
1) la conscience d’être malade ;
2) la conscience des différents symptômes ;
3) la conscience de nécessiter un traitement ;
4) la conscience des conséquences (en particulier psychosociales) ;
5) l’attribution causale.
Évaluation
Cette étape est fondamentale car elle permet d’évaluer le
niveau de conscience du trouble, de suivre l’évolution de la
conscience du trouble, d’évaluer le pronostic et plus particulièrement la qualité l’observance du traitement et le
degré d’implication du patient dans sa prise en charge. La
majorité des études portent sur la schizophrénie, mais des
études plus récentes ont été effectuées dans les troubles
bipolaires. Cette évaluation pourrait être intégrée aux programmes psycho-éducatifs afin d’étudier le niveau d’intégration des informations par les patients. Divers instruments
de psychopathologie quantitative ont été proposés [13] : La
Scale to assess unawareness of mental disorder (SUMD) de
X.F. Amador et al. (1994), l’échelle de A.S. David (1990),
l’échelle I.S. Markova et G.E. Berrios (1992). Questionnaire
ITAQ par Mc Evoy et al. en 1981…
Marc Louis Bourgeois [6, 7] insiste sur l’importante de
l’évaluation de cette dimension : « La conscience du trouble est une dimension essentielle de la psychopathologie
qu’il convient d’évaluer systématiquement car d’elle
dépendent en grande partie l’alliance thérapeutique, l’observance du traitement, la probabilité de rechute et le
pronostic ». Il propose un instrument (Q8) dont l’utilisation
est à la fois facile et rapide et dont la banalité apparente
des questions offre la possibilité de réaliser plusieurs passations sur une période courte.
Échelle insight Q8
1 – Pourquoi êtes-vous ici ?
2 – Avez-vous l’impression d’être malade ?
3 – De quelle maladie souffrez-vous ?
4 – À quoi cela est dû ?
5 – Souffrez-vous psychiquement ou moralement ?
6 – Est-ce que vous êtes handicapé dans votre vie professionnelle, familiale ou sociale ?
7 – Que peut-on faire pour vous ?
8 – Pensez-vous qu’une guérison est possible ?
S161
Le Score de conscience de trouble, coté de 0 à 8, permet de suivre l’évolution du patient :
Score 0 – 2 non-conscience du trouble
Score 3 – 5 conscience médiocre du trouble
Score 6 – 8 bonne conscience du trouble
Il a évalué cet instrument dans une étude portant sur
des populations de 100 et 121 patients (Schizophrènes,
maniaques, déprimés, bipolaires et unipolaires) et a pu
relever une meilleure conscience du trouble chez les déprimés et chez les patients vivant en couple. Les maniaques et
les schizophrènes avaient des scores similaires et les
patients en HL avaient un meilleur insight que les patients
en HDT.
Conscience du trouble et associations
de patients
Afin de faire la transition auprès d’une enquête effectuée
avec le forum des Bipotes, nous rapportons l’étude de
Banayan M. et al. 2007 [3] qui porte sur 60 sujets bipolaires
euthymiques, et dont l’insight a été évalué avec la MDIS
(Mood Disorder Insight Scale).
Les résultats de cette étude font apparaître que les
patients bipolaires stabilisés depuis plusieurs mois ont un
meilleur insight que les patients en rémission récente d’un
épisode thymique, et que c’est sur l’attribution causale de la
maladie que leur score d’insight était le plus altéré. Les
patients ont une moins bonne conscience du trouble après un
épisode maniaque que dans les suites d’un épisode dépressif.
La présence de symptômes résiduels contribue à la
mauvaise conscience du trouble. L’information importante
qui ressort de cette étude est que le fait de participer à
une association de patients était significativement associé
à un bon score d’insight.
Enquête sur la conscience
du trouble bipolaire
Le Forum des Bipotes se définit comme un forum d’information et de psychoéducation sur le trouble bipolaire.
Un questionnaire limité à quatre questions ouvertes à
été adressé à 1 500 inscrits (Comment avez vous pris
conscience de votre trouble ? Qu’est ce qui a facilité cette
prise de conscience ? (discussion avec des proches, forum,
lecture, film, médecin, groupe, associations, autres…).
Avez-vous conscience des risques de rechute ? Quel conseil
pourriez-vous donner pour accéder plus facilement à cette
conscience du trouble ?).
82 patients atteints de troubles bipolaires ont répondu
à cette enquête dans la semaine qui a suivi l’envoi du questionnaire. 68,75 % ont pris conscience de leur trouble du
fait de l’intervention d’un « tiers » (psychiatre, généraliste, psychologue, entourage). La prise de conscience a
été facilitée par « le fait de mettre des mots sur le trouble ». Les autres patients (31,25 %), ont identifié leur trouble après avoir constaté un dysfonctionnement dans leur
vie. Mais il ne leur a pas été possible de donner immédiatement un nom au trouble.
S162
Concernant la question relative à la facilitation de la
prise de conscience, un peu plus d’un quart des patients
revenaient sur l’aide des soignants en particulier du médecin généraliste. Plus de 20 % rapportaient une démarche
individuelle à l’aide d’outil moderne comme internet.
Les autres rapportaient une démarche individuelle
« classique », « on prend le temps de lire pour s’informer,
d’aller à des conférences et de regarder des émissions
télé ».
La plus grande majorité (90 %) des patients a conscience
des risques de rechute mais avec un vécu différemment
exprimé.
Pour une minorité (17 %) les risques de rechute sont
vécus comme une peur viscérale, une douleur, « sont
comme tétanisés ! ».
Les autres (60,28 %) adoptent une attitude préventive
en respectant des règles d’hygiène de vie, en identifiant les
situations de stress.
La dernière question se rapportant aux conseils pour
accéder à une meilleure conscience du trouble suscitait de
très nombreux commentaires (141 conseils étaient retenus). La formation et l’information étaient en première
ligne, au même titre que l’alliance avec le médecin, les
bonnes relations avec l’entourage.
Conscience du trouble
et psycho-éducation
Des études récentes soulignent l’intérêt des mesures
psycho-éducatives afin d’améliorer l’insight [5, 11].
Les mesures psycho-éducatives permettent d’améliorer
les différents niveaux de la conscience du trouble :
meilleure connaissance de sa maladie, identification des
signes d’une rechute et des facteurs déclenchants, évaluation des conséquences, meilleure adhésion à la prise en
charge. Plusieurs ouvrages permettent d’accéder à cette
approche individuelle ou en groupe [1, 4, 8].
La reconnaissance du trouble est facilitée par les mises
en situation, les expériences des autres patients, des documents (vidéo, écrits, enregistrement audio).
L’Identification des signes annonciateurs d’une rechute
est facilitée par le recours aux diagrammes d’humeur (diagramme de Post), à un agenda du sommeil, à la reconnaissance d’un signal symptôme, évaluation des rythmes
sociaux, du niveau de stimulation sociale, de la durée des
activités quotidiennes, du calcul du ratio éveil/sommeil.
L’attribution des causes implique l’accès à certaines
informations fondamentales : connaissance du modèle
biopsychosocial, influence de l’environnement en particulier des situations stressantes, impact du surmenage et des
carences de sommeil, effets des toxiques, conséquences
des modifications du traitement
L’évaluation des conséquences prend en compte l’existence de consommation de substances, les perturbations
socio-familiales et professionnelles, les dépenses, les comportements à risque…
L’adhésion à la prise en charge est facilitée par la qualité de l’alliance, la connaissance des objectifs du traite-
C. Gay, J.-J. Margerie
ment, du rapport bénéfice risques, des risques d’un arrêt,
de la signification des effets indésirables, de l’intérêt des
règles d’hygiène de vie.
Une bonne conscience du trouble a un impact positif sur
l’observance. Plusieurs études démontrent cette donnée
[6, 9, 11].
Les acteurs et les moyens
Le médecin reste le meilleur interlocuteur pour accéder à
une conscience du trouble, encore faut-il que le diagnostic
ait été posé correctement et que le patient ait accès aux
soins. La psychoéducation est recommandée mais cette
approche thérapeutique reste encore très limitée. Les
associations de patients contribuent à une meilleure information mais les personnes qui fréquentent ce type de
structures sont déjà sensibilisées au problème de la maladie et ont dans l’ensemble une bonne conscience du trouble. En revanche, ces associations constituent une aide
importante pour l’entourage qui pourra ainsi avoir une attitude plus adaptée, se sentira accompagné et pourra ainsi
contribuer à faciliter une prise de conscience de la maladie. Il est évident que les patients qui fréquentent les
forums de discussion et qui recherchent une information
ont déjà conscience de leur trouble. Néanmoins ce partage
d’information et l’entraide mutuelle peuvent permettre
d’approfondir et consolider cette conscience du trouble.
Conclusions
Comme l’insight qui est un concept plus général et plus
complexe traduit par le terme d’introvision, la conscience
du trouble est un phénomène multidimentionnel qui peut
comporter différents niveaux. La conscience du trouble
peut être partielle, totale ou absente. Elle ne se limite pas
simplement à l’identification d’un trouble mais prend en
compte les causes, les conséquences de la maladie et
l’adhésion au traitement. Une bonne conscience du trouble
ne peut être que de bon pronostic du fait de son impact sur
la qualité de l’observance. La nature du trouble psychiatrique influe aussi sur cette prise de conscience. Les patients
qui présentent des épisodes aigus et psychotiques ont une
moins bonne conscience du trouble, même lorsqu’ils ont
été informés préalablement. Néanmoins les meures psychoéducatives contribuent à améliorer la conscience du
trouble par une meilleure connaissance de la maladie et
surtout la possibilité d’identifier précocement les premières manifestations de la récidive et de limiter les situations
de fragilisation en appliquant des règles d’hygiène de vie et
en ayant des rythmes sociaux réguliers.
Références
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Paris : Retz, 2007.
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schizophrenia and schizoaffective and mood disorders. Arch
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La conscience du trouble
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[14]. Marková IS, Berrios GE. The assessment of insight in clinical
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