68 D. Travers et al.
Mayer-Gross [16] d´
eveloppe dans ce cadre une classifica-
tion de ses patients schizophr`
enes selon quatre modes de
d´
efense : d´
eni du futur, cr´
eation d’une nouvelle vie apr`
es la
maladie, d´
eni de l’exp´
erience psychotique et enfin m´
elange
d’exp´
eriences diverses pour se cr´
eer un nouveau cadre
de vie. De nombreux travaux ´
evoquent enfin un parall`
ele
entre d´
eficit de conscience et anosognosie neurologique
[1], notamment sur la constatation d’une incapacit´
e`
ase
reconnaˆ
ıtre des symptˆ
omes que l’on rep`
ere pourtant sans
difficult´
e chez l’autre.
D’un point de vue neurocognitif, Huron et Danion [10]
consid`
erent le d´
eficit en insight comme issu d’un d´
efaut de
conscience autono´
etique : l’absence conjointe d’int´
egration
des ´
episodes pass´
es, de conscience du moment et de pro-
jection dans le futur alt`
ererait le degr´
e de conscience
de l’´
etat clinique. Dans une approche th´
eorique centr´
ee
sur un d´
eficit de th´
eorie de l’esprit, Frith [9] envisage,
quant `
a lui, une part des troubles schizophr´
eniques comme
li´
es `
a une erreur d’attribution d’´
etats mentaux `
a autrui
conduisant `
a la question : comment envisager un point de
vue diff´
erent du sien et se voir comme les autres nous
voient ? Markov´
a et Berrios [12] enfin ´
evoquent des pro-
cessus beaucoup plus g´
en´
eraux d’erreurs d’´
etiquetage des
exp´
eriences, l’alt´
eration de l’insight n’´
etant que l’un de ses
avatars.
En termes de psychométrie, l’évaluation de l’insight peut
s’envisager selon deux modes : questionnaires remplis par
un évaluateur après entretien avec le patient (ou hétéro-
questionnaires), questionnaires à cotation directe par le
patient (ou autoquestionnaires). L’ensemble de ces outils
envisage l’insight sur un mode dimensionnel. Parmi les
autoquestionnaires existants, citons le Self Appraisal of Ill-
ness Questionnary (SAIQ) élaboré par Marks et al. [15] à
partir d’un questionnaire de reconnaissance de la mala-
die chez les patients hospitalisés en psychiatrie et adapté
secondairement à l’évaluation des patients schizophrènes.
L’Insight Scale de Marková et Berrios[14] évalue pour sa
part, à partir de 32 affirmations, la conscience qu’a le
patient de l’hospitalisation, de la maladie mentale en géné-
ral, du fait d’être malade, des changements ressentis en
soi, du contrôle qu’il a sur la situation, de sa perception de
l’environnement et enfin de sa compréhension de la situa-
tion actuelle. Pour l’hétéroévaluation, différentes échelles
sont disponibles [4]. L’item G12 («manque de jugement
et de prise de conscience de la maladie »)delaPositive
And Negative Syndrome Scale [11] permet d’évaluer glo-
balement l’insight du patient. La Schedule for Assessing
the components of Insight de David [7] évalue l’insight
selon trois dimensions : la maladie mentale, la sympto-
matologie productive (hallucination ou délire) et enfin la
«conformité »aux traitements. Amador et al. [3] pro-
posent la Scale for assessment of Unawareness of Mental
Disease (SUMD) qui envisage les trois dimensions citées
précédemment mais aussi la conscience des conséquences
de la maladie. S’ajoute la possibilité, par cette échelle,
d’évaluer l’attribution que fait le patient des symptômes
dont il est conscient, permettant de distinguer le fait d’avoir
conscience de ses hallucinations et celui de les attribuer à
sa maladie (et non à une source extérieure).
L’objectif global de notre ´
etude a consist´
e`
a´
evaluer
l’insight de patients schizophr`
enes `
a l’aide de deux types
d’outils diff´
erents, la SUMD comme h´
et´
eroquestionnaire
et le SAIQ comme autoquestionnaire, puis de mesurer les
corr´
elations entre ces deux modes de cotation.
M´
ethode et proc´
edure exp´
erimentale
Issus de deux secteurs psychiatriques rennais, les patients
´
etaient recrut´
es sur une p´
eriode totale de deux mois,
sur proposition des psychiatres intervenants dans les sec-
teurs concern´
es. Aucune relation th´
erapeutique n’existait
avec les patients inclus, cela afin d’´
eviter toute modifi-
cation volontaire des r´
eponses (permettant par exemple
d’obtenir une sortie ou une baisse de traitement). Pour
ˆ
etre inclus, les patients devaient r´
epondre au diagnostic de
schizophr´
enie ou de trouble schizoaffectif selon le DSM-IV
(diagnostic pos´
e par le praticien hospitalier s’occupant du
patient), ˆ
etre suivis en prise en charge hospitali`
ere temps-
plein ou ambulatoire, recevoir un traitement contrˆ
ol´
e
(antipsychotique ±benzodiaz´
epine). Une pathologie soma-
tique intercurrente, la pr´
esence de conduites addictives
(alcool, toxiques, surconsommation m´
edicamenteuse), un
´
etat clinique «suraigu »grevant les conditions de pas-
sation des tests excluaient les patients. Les donn´
ees
classiques sociod´
emographiques (ˆ
age, sexe, statut profes-
sionnel, mesure de protection, lieu de vie, niveau scolaire,
statut familial, aide sociale perc¸ue) et cliniques (dur´
ee
d’´
evolution de la maladie sur la base de la premi`
ere
ann´
ee d’hospitalisation, mode actuel de prise en charge)
´
etaient recueillies aupr`
es du patient, de l’´
equipe le pre-
nant en charge et `
a l’aide de son dossier m´
edical. Le degr´
e
de conscience des troubles ´
etait en outre ´
evalu´
e par le
SAIQ, 17 items alternant questions et affirmations avec
quatre r´
eponses possibles. `
A l’issue de sa passation, quatre
scores ´
etaient obtenus : la reconnaissance de la maladie,
les croyances concernant les cons´
equences de la maladie, la
reconnaissance de la n´
ecessit´
e d’un traitement psychia-
trique et l’importance de l’inqui´
etude par rapport `
ala
maladie et ses cons´
equences. Le score total correspondait
`
a la somme des quatre scores mentionn´
es plus haut. Ce
questionnaire pr´
esent´
e aux patients correspondait `
a une
traduction de la version princeps anglaise (Tableau 1). La
seconde ´
evaluation de l’insight ´
etait effectu´
ee `
a l’aide
de la SUMD d’Amador et al. dans sa version abr´
eg´
ee
de 1994 [2],h
´
et´
eroquestionnaire de 12 items cot´
es de
1 (conscient) `
a 3 (non conscient) `
a l’issu d’un entretien
clinique. Quatre scores ´
etaient obtenus : conscience de
la maladie, conscience des symptˆ
omes, conscience de la
n´
ecessit´
e de traitement, conscience des cons´
equences de
la maladie. Le score total correspondait `
a la somme des
quatre pr´
ec´
edents. Outre ces scores de conscience, un
score d’attribution `
a la pathologie que le patient a de ses
symptˆ
omes ´
etait calcul´
e. La version utilis´
ee de la SUMD avait
elle aussi ´
et´
e traduite `
a l’occasion de ce travail (Tableau 2).
La symptomatologie schizophr´
enique ´
etait ´
evalu´
ee par la
PANSS `
a l’issu d’un entretien semi-structur´
e. L’ensemble
de l’´
evaluation se d´
eroulait au cours d’un mˆ
eme entretien
sur la base de deux heures par patient. Le traitement des
donn´
ees a enfin ´
et´
er
´
ealis´
e par logiciel SPSS avec ´
etude des
corr´
elations entre les diff´
erents scores et analyse en compo-
santes principales afin de tester le poids des caract´
eristiques
´
epid´
emiologiques ou symptomatologiques dans les varia-
tions des scores d’insight des sujets.