Syndrome du bébé secoué - chu

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Journal de pédiatrie et de puériculture (2012) 25, 158—164
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
ARTICLE EMC
Syndrome du bébé secoué夽
D. Renier
Service de neurochirurgie-pédiatrique, hôpital Necker-Enfants-malades,
149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France
MOTS CLÉS
Hématome
sous-dural ;
Maltraitance ;
Hémorragies
rétiniennes ;
Crises comitiales ;
Séquelles cognitives
Résumé Le syndrome du bébé secoué associe, chez un nourrisson, un hématome sous-dural et
des hémorragies rétiniennes, sans histoire de traumatisme. Il se manifeste par une apathie, une
irritabilité, des vomissements ou, plus souvent, par une crise convulsive, qui peut se répéter
ou se prolonger. Ces crises comitiales, lorsqu’elles se répètent ou se prolongent, mettent en
jeu le pronostic vital. Le traitement vise à prévenir la récidive des convulsions et à évacuer
l’hématome, par ponction ou dérivation. Le pronostic neurologique est sombre : une majorité
de ces enfants présenteront des séquelles neuropsychologiques. On attribue ce saignement
sous-dural à une déchirure de veines péricérébrales lors de secousses violentes, intentionnelles
(maltraitance) ou liées à un comportement inadapté en réponse, par exemple, à des pleurs
prolongés ou répétés de l’enfant.
© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
Introduction
Le syndrome du bébé secoué (shaken baby syndrome) entre dans le cadre des traumatismes
non accidentels du nourrisson. Autrement dit, des traumatismes infligés, par maltraitance
ou comportement inadapté.
L’association d’un hématome sous-dural et d’hémorragies rétiniennes chez le nourrisson, caractéristique de ce syndrome, a été décrite en 1930 par Sherwood [1], mais ne sera
rapportée à des secousses qu’en 1972 par Caffey, qui crée le terme de « syndrome du bébé
secoué » [2].
夽 Grâce au partenariat mis en place en 2010 entre le Journal de pédiatrie et de puériculture et l’EMC, les articles de cette
rubrique sont issus des traités EMC. Celui-ci porte la mention suivante : Renier D., Syndrome du bébé secoué, Pédiatrie - Maladies
infectieuses, 4-002-G-50, 2010. Nous remercions les auteurs qui ont accepté que leur texte, publié initialement dans les traités EMC,
puisse être repris ici.
Adresse e-mail : [email protected]
0987-7983/$ — see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.jpp.2012.03.005
Syndrome du bébé secoué
Chez le nourrisson, le traumatisme crânien, accidentel
ou non, est (de loin) le plus fréquent des traumatismes.
L’hématome sous-dural est la lésion la plus commune de
ce type de traumatisme. C’est un saignement de veines
situées entre le cerveau et les méninges. Il siège le
plus souvent au niveau de la convexité cérébrale et le
long de la faux du cerveau, bilatéral ou, moins souvent, unilatéral. Il peut également siéger en arrière, sous
l’encéphale, au niveau de la tente du cervelet. Cette
collection sanguine est parfois assez importante pour provoquer une anémie, car la masse sanguine du nourrisson
est petite. La pâleur en est le signe. D’autre part, elle
constitue un volume supplémentaire occupant de l’espace
dans la boîte crânienne, comprimant et irritant le cerveau, pouvant provoquer une hypertension intracrânienne,
des déficits neurologiques ou - plus souvent - des crises
convulsives [3,4].
Manifestations cliniques
Le mode de début le plus fréquent, observé dans trois
quarts des cas, est la crise comitiale. Il s’agit le plus
souvent d’une crise unique, mais elle n’est pas facile à
reconnaître car les clonies des membres ou de la face
manquent souvent. Les témoins de la crise décrivent « un
malaise » de survenue brutale. Lui succèdent des troubles
de la conscience d’intensité variable, allant de la somnolence au coma. À l’examen, on observe une pâleur et
un bombement de la fontanelle. Le périmètre crânien est
au-dessus de la moyenne. On recherche un déficit moteur
hémicorporel.
La survenue d’un trouble aigu de la conscience chez un
nourrisson impose son hospitalisation immédiate en soins
intensifs, la mise en route d’un solide traitement anticonvulsivant, et la réalisation d’une tomodensitométrie
crânienne. Il s’agit de prévenir de nouvelles crises comitiales, et plus encore la survenue d’un état de mal
convulsif, événement grave et non exceptionnel puisqu’on
l’observe dans 20 % des cas. Cette crise prolongée qui réalise l’état de mal peut durer plusieurs heures en l’absence
de traitement. Elle peut survenir d’emblée, constituant
l’entrée dans la maladie. Il s’agit d’un événement gravissime, qui laisse des séquelles lourdes dans la majorité des
cas.
À l’opposé, certains modes de présentation sont moins
spectaculaires, avec des troubles du comportement (agitation, apathie) associés à des vomissements répétés qui vont
égarer vers une pathologie digestive. Là encore, le diagnostic sera redressé sur la constatation d’un périmètre crânien
excessif (et qui a subi au cours des dernières semaines une
poussée anormale), d’une fontanelle bombée et, parfois,
d’une pâleur.
Dans tous ces cas, le diagnostic d’hématome sous-dural
(aigu ou subaigu) doit être évoqué et la tomosensitométrie
crânienne réalisée sans délai. L’examen clinique complet
recherche des traces cutanées de traumatisme (hématomes,
ecchymoses, griffures, blessures, brûlures), que l’on note
soigneusement en mentionnant si elles sont d’âges différents, et que l’on photographie. On trouve ces lésions
cutanées dans un quart des cas.
159
Examens complémentaires
Tomodensitométrie (Fig. 1)
• Le diagnostic d’hématome sous-dural repose sur la tomodensitométrie crânienne.
• Elle en précise le siège, le plus souvent frontopariétal et
interhémisphérique, le volume et le côté. Le plus souvent,
l’hématome est bilatéral.
• Elle permet d’évaluer approximativement sa date de
survenue, en fonction de sa densité : hyperdensité
pour l’hématome récent (quelques jours), hypodensité
pour l’hématome plus ancien (environ 1 semaine, et
plus). L’hématome récent s’accompagne souvent d’une
hémorragie méningée, représentée par des hyperdensités
visibles dans les sillons corticaux.
• Elle montre aussi les conséquences de cet hématome
sur le tissu cérébral. L’effet de masse est apprécié
par le refoulement du parenchyme, qui est mesurable.
L’existence d’une hypodensité du parenchyme cérébral sous l’hématome est importante à apprécier : elle
représente une souffrance cérébrale, et s’observe en particulier après les crises comitiales, surtout si elles se sont
prolongées. Elle est de mauvais pronostic. On recherche
aussi des lésions extracrâniennes : œdème ou hématome
sous-cutané, peu fréquentes en l’absence de traumatisme
avéré.
Examen du fond d’œil
Des hémorragies rétiniennes sont retrouvées dans les deux
tiers des cas [5].
Elles signent pratiquement le diagnostic de bébé secoué :
ces hémorragies sont en effet exceptionnelles dans les traumatismes avérés (accident de la route, chute d’un lieu
élevé, etc.) [6]. L’importance de leur reconnaissance rend
l’examen du fond d’œil indispensable ; il est réalisé autant
que possible par un ophtalmologiste averti [7]. Elles sont
bilatérales le plus souvent. Dans 10 % des cas, on observe
des hémorragies rétiniennes d’âges différents.
Électroencéphalogramme (EEG)
L’amplitude du tracé EEG est asymétrique en cas
d’hématome sous-dural unilatéral ou prédominant d’un
côté. Il faut surtout rechercher des anomalies comitiales :
foyer de pointes ou de pointes ondes, voire état de mal
infraclinique, non exceptionnel.
Cet examen apporte également des éléments
d’appréciation du pronostic fonctionnel.
Dans 1 % des cas, l’EEG est inactif (tracé plat).
Radiographies du squelette complet
Systématiquement, en présence d’un hématome sous-dural
chez un nourrisson, il faut réaliser un bilan radiologique
complet du squelette. Il s’agit de rechercher des fractures
associées, qu’on observe dans un quart des cas. Elles siègent
pour moitié des cas au niveau des membres, et pour les
autres au niveau des membres et du thorax.
160
Dans 10 % des cas environ, elles sont multiples, et il faut
alors noter si elles sont d’âges différents. Ces fractures sont
le plus souvent non déplacées.
Les radiographies du squelette complet permettent par
ailleurs de rechercher une ostéogenèse imparfaite, circonstance très rare dans le cadre des hématomes sous-duraux,
mais qu’on ne peut évidemment pas ignorer.
Bilan sanguin
L’étude de l’hémostase est systématique, mais elle est
rarement anormale : thrombopénie et hémophilie ont été
observées. En revanche, l’anémie est pratiquement constante, sévère dans la majorité des cas (hémoglobine
inférieure à 8 g/dl).
Très exceptionnellement, on peut découvrir une maladie
métabolique ignorée jusqu’à présent, comme par exemple
l’acidurie glutarique de type I. Au moindre doute, une électrophorèse des acides aminés est à demander.
D. Renier
Diagnostic différentiel
Le seul diagnostic différentiel de l’hématome sous-dural
du nourrisson est constitué par la collection sous-durale
bénigne, appelée parfois « hydrocéphalie externe ». Cette
collection, qui est constituée de liquide céphalorachidien,
est située autour de l’encéphale, en particulier dans la
région frontale. Elle n’a aucune répercussion neuropsychologique. Elle est reconnue sur une tomodensitométrie
crânienne demandée à l’occasion d’une poussée excessive de périmètre crânien, habituellement aux alentours
de 5 mois. Il s’agit d’une collection hypodense. Elle est
deux fois plus fréquente chez les garçons que chez les filles
(comme l’hématome sous-dural) et il est possible que cette
collection, en mettant sous tension les veines corticodurales
qui la traversent, constitue un facteur favorisant la survenue d’hématomes sous-duraux à l’occasion de secousses qui,
dans ce cas, n’auraient pas besoin d’être aussi violentes que
dans la « vraie » maltraitance, mais ceci reste à démontrer.
Figure 1. Syndrome du bébé secoué. Enfant âgé de 6 mois vu aux urgences pour malaise, convulsions et hémiplégie gauche. A à D. Scanner
le jour du malaise. Hémorragie de la tente du cervelet (A, B). Hématome sous-dural hémisphérique droit avec effet de masse : effacement
des sillons cérébraux et du ventricule latéral droits. Hémorragie interhémisphérique (C). Hémorragies des sillons à droite, au niveau du
vertex et de la faux du cerveau, épaisse et irrégulière. Effacement des sillons cérébraux à droite (D). E à G. Imagerie par résonance
magnétique 10 jours plus tard, séquences pondérées en T1. Confirmation rétrospective des hémorragies de la tente du cervelet, de l’espace
interhémisphérique et de l’hématome hémisphérique sous-dural droit, marquées par des hyperintensités.
Syndrome du bébé secoué
Figure 1.
161
(Suite ).
Traitement
Réanimation
La découverte d’un hématome sous-dural chez un nourrisson impose une hospitalisation en secteur de soins intensifs
sans délai. Il s’agit d’assurer une surveillance de tous les
instants, dans la crainte de la survenue d’une crise comitiale ou d’un état de mal épileptique, toujours à craindre et
ceci d’autant plus que l’hématome est plus récent, c’est-àdire hyperdense à la tomodensitométrie. Ceci est impératif
quelle que soit la taille de l’hématome, même s’il est peu ou
pas compressif, et surtout quand il s’accompagne d’hyperdensités sous-arachnoïdiennes le long des sillons corticaux.
Dans les cas les plus graves, l’intubation et la ventilation
assistée s’imposent. Le traitement antiépileptique est évidemment de mise, en mono- ou en bithérapie. L’utilisation
de penthotal est parfois indispensable (état de mal comitial).
Traitement chirurgical
Ponction transfontanellaire
Il s’agit d’un geste simple qui permet l’évacuation de
l’hématome. À la suite de cette ponction, la surveillance
clinique (tension de la fontanelle) et tomodensitométrique
permet de déterminer si ce geste est suffisant, ce qui est le
cas le plus fréquent.
Dérivation
Si la fontanelle redevient bombante et/ou si la tomodensitométrie montre la persistance d’une collection
importante, la mise en place d’une dérivation s’impose. En
cas d’hématome récent (rouge à la ponction), il s’agit d’une
dérivation sous-durale externe. Au bout de quelques jours,
lorsque l’épanchement drainé s’éclaircit et devient xanthochromique, la dérivation externe est retirée. Quelquefois,
ce drainage est suffisant. Dans les autres cas, une dérivation sous-duropéritonéale doit être mise en place [8]. La
surveillance ultérieure, clinique et tomodensitométrique,
permet de déterminer la date à laquelle cette dérivation
interne peut être retirée, le plus souvent vers le troisième
mois postopératoire. Cette ablation est un geste chirurgical
simple qui ne nécessite que 48 heures d’hospitalisation.
Évolution et pronostic
Le pronostic des hématomes sous-duraux chez le nourrisson
est sévère, tant sur le plan vital que sur le plan neuropsychologique [9—11]. Le taux de mortalité est de 8 %. L’âge
162
est un facteur de mortalité important : les moins de 3 mois
ont un risque trois fois plus important que les plus âgés. Un
autre facteur de risque vital est la survenue d’un état de mal
comitial : dans cette circonstance, la mortalité est dix fois
plus élevée, passant de 2,4 % à 24 % en cas d’état de mal.
Le pronostic fonctionnel est également sombre. Les
séquelles neurologiques sont fréquentes et lourdes : épilepsie (en particulier spasmes en flexion), déficits cognitifs
et moteurs, débilité mentale sont malheureusement fréquents. Là encore, l’existence d’un état de mal comitial
est un facteur majeur du pronostic : la majorité de ces
enfants auront des séquelles sévères [12]. Des séquelles
moins lourdes sont observées chez environ la moitié des
autres. L’âge est également un facteur de pronostic fonctionnel majeur : parmi les moins de 3 mois, plus d’un enfant
sur deux présentera de lourdes séquelles neurologiques.
Enfin, il faut noter que la fréquence de ces séquelles,
en particulier les retards de développement neuropsychologique, ne se précise bien souvent que tard, à partir de 7 ans,
au moment de la scolarité élémentaire [13].
Aspects psychosociaux
L’origine des hématomes sous-duraux du nourrisson, sauf
exception rarissime, est toujours traumatique. Le problème
est que le traumatisme causal n’est dans la grande majorité des cas pas retrouvé à l’interrogatoire des parents :
soit il est inavoué, soit il est passé inaperçu. On comprend
bien que le responsable puisse cacher sa faute ou sa maladresse. La question est de déterminer autant que possible
si - justement - il s’agit d’une maladresse ou d’une agression (intentionnalité). Mais il peut paraître étrange qu’un
traumatisme crânien puisse passer inaperçu. C’est que
le mécanisme peut ne pas être un traumatisme au sens
commun du terme : un choc direct (une chute, l’impact
d’un objet tombé ou contondant). Beaucoup plus souvent,
il s’agit en effet de simples secousses pouvant, lors des
mouvements de va-et-vient de la tête du nourrisson, provoquer une déchirure par cisaillement de certaines veines
unissant la surface du cerveau aux méninges. Pour certains
auteurs cependant, ces secousses doivent s’accompagner
d’un impact pour provoquer un saignement : après avoir été
secoué, le nourrisson est brutalement laissé tombé sur le
plan du lit [14]. L’espace qui sépare le cerveau des méninges
est très petit, sauf chez le nourrisson où, particulièrement
autour de l’âge de 6 mois, et plus encore chez les garçons
que chez les filles, il s’élargit. Ainsi les veines ont-elles un
trajet plus long entre cerveau et méninges, ce qui les fragilise et explique que des mouvements apparemment peu
traumatiques puissent les menacer [15,16].
Appelé au chevet d’un nourrisson traumatisé du crâne,
le médecin doit pratiquer ses soins, bien sûr, mais il lui
faut aussi s’interroger sur ce qui a pu arriver. La question
est grave et difficile [17]. Elle est grave parce que, forcément, un tiers est responsable. Elle est difficile parce que
l’événement en cause n’est pas toujours, tant s’en faut,
intentionnel, mais peut très bien avoir été vécu comme tout
à fait anodin.
La question est ici tout à fait particulière car cette pathologie neurochirurgicale touche des bébés de quelques mois
D. Renier
qui ne pourront jamais expliquer les circonstances du traumatisme.
Le médecin se trouve donc dans une situation extrêmement délicate : celle d’avoir la responsabilité morale
de protéger un bébé - nous en examinerons les différentes modalités (cf. infra). Comment déterminer si la lésion
constatée est le produit d’une inconséquence ou d’une
brutalité intentionnelle ? Une constellation d’éléments cliniques discrets doit alors être recherchée systématiquement
en se fondant sur les données recueillies par les médecins,
les psychologues et les assistantes sociales.
À cet âge (3 à 8 mois) où la tête est mal maintenue par un cou fragile, point n’est besoin d’un choc
violent pour entraîner la rupture de vaisseaux sanguins
cérébraux. Un geste qui peut paraître anodin pour certains peut provoquer une lésion grave aux séquelles parfois
incurables.
Démêler la part de l’accidentel, de l’inconséquence et
de l’intentionnel permet de trouver la meilleure solution
pour venir en aide à la famille et prévenir les récidives. Il
s’agit là d’une véritable enquête qui doit se fonder sur de
nombreux éléments (médicaux, psychologiques, sociaux) qui
supposent une équipe multidisciplinaire. Véritable enquête :
enquête policière ? Puisqu’on évoque la possibilité d’un traumatisme infligé (une « maltraitance »), le problème se pose
aussitôt du signalement judiciaire. C’est une des questions
importantes. Nous tenterons d’en donner des éléments de
réponse (cf. infra).
Dans un premier temps, il s’agit de déterminer comment
le traumatisme est survenu et qui est responsable. Dans
l’esprit du médecin et de l’équipe psychosociale, le but principal est de préserver l’avenir (prévention de la récidive),
et non de pénaliser ; la place du judiciaire est à ce stade
au second plan - ou plutôt la question en est différée (en
fait, nous verrons que sur ce point, médecins, magistrats et
policiers ont des analyses différentes).
Que se passe-t-il ? Un nourrisson est amené à l’hôpital,
envoyé par son pédiatre ou amené par ses parents ou sa
nourrice, le plus souvent dans un climat d’urgence. Les premiers soins sont souvent lourds, spectaculaires. On parle
de réanimation, de soins intensifs, de chirurgie. Dans ce
contexte, le premier contact avec la famille est particulièrement précieux. Que s’est-il passé ? Quand ? Qui ? Ce
dialogue est poursuivi dans les jours qui suivent, avec tous
les membres de l’équipe. Ce dialogue n’est pas facile, entre
des professionnels qui doivent se garder de projections
négatives sur les familles (ou à l’inverse d’une identification fallacieuse), éviter la banalisation ou la dramatisation
excessives, prendre en compte les différences culturelles,
face à des familles qui - quelques précautions qu’on puisse
prendre - se sentent tôt ou tard suspectées, voire accusées. Les différences (techniques, psychologiques) de point
de vue ne sont donc pas les seuls justificatifs de la nécessité
d’une équipe multidisciplinaire : dans ce débat douloureux,
émotionnellement fort, les impressions personnelles et les
convictions intimes, mais aussi les incertitudes, doivent être
discutées et confrontées. Dans la quasi-totalité des cas, la
vérité n’est approchée que pas à pas. Il est exceptionnel que
le traumatisme causal soit unique et parfaitement déterminable. L’enfant martyr de parents bourreaux, dans cette
tranche d’âge, nous ne l’avons jamais rencontré. Tout est
plus insidieux, subtil et nuancé.
Syndrome du bébé secoué
Qu’observons-nous ? Dans la grande majorité des cas,
des familles simples, des gens comme vous et nous, souvent fatigués (mais qui ne l’est pas ?), avec les problèmes
de tout le monde. Aucun groupe social n’est particulièrement concerné - et aucun n’est indemne. Les critères
complaisamment véhiculés par les médias (chômage, famille
monoparentale et/ou en difficulté financière, drogues,
immigration, quart-monde, maladie mentale. . .) sont inopérants et sont en fait des clichés indigents. L’analyse de nos
cas montre que ces critères ne sont jamais repérés comme
pertinents.
L’expérience du groupe de l’hôpital Necker-Enfants
malades à Paris, dont le service de neurochirurgie draine
depuis quelques années tous les traumatismes crâniens de
l’enfant pour l’Île de France, révèle des profils différents
et moins faciles à cerner. Un premier élément spectaculaire est constitué par les données du mode de garde
de ces enfants : il ne s’agit jamais d’enfants en crèche
collective, mais toujours d’enfants en nourrice ou restés
dans leur famille. D’autre part, ces familles sont souvent fragilisées par des éléments extérieurs, en apparence
banals : déménagement récent (changement de région, isolement familial), deuil récent, divorce, période néonatale
perturbée avec séparation prolongée (hospitalisation par
exemple, prématurité. . .). Un troisième élément intéressant est qu’il s’agit de nourrissons majoritairement situés
entre 4 et 8 mois. Cette distribution est probablement à
mettre en relation d’une part avec l’anatomie particulière des espaces péricérébraux dans cette tranche d’âges
(comme nous l’avons vu), d’autre part avec l’évolution psychomotrice du nourrisson : c’est à partir de 3—4 mois que
sa personnalité va commencer à s’affirmer, qu’une certaine
« autonomie » va poindre, qu’il va manifester ses désirs et
ses plaintes. On imagine dès lors qu’une lassitude, une
fatigue, une colère passagères puissent amener à secouer
cet enfant, et que ces secousses puissent sur ce cerveau
fragile conduire à une catastrophe sans commune mesure
avec ce qui l’a causée.
Et la question revient alors : où est la frontière entre maltraitance et inconséquence ? Mais est-ce la bonne question ?
La « bonne » question n’est-elle pas plutôt : comment analyser ce qui s’est passé pour protéger l’avenir de l’enfant ?
Ou encore : quelle prise en charge pour cette famille ?
Quelle stratégie ? Là se situe le problème des relations
entre médecins et magistrats. Devant toute lésion traumatique inexpliquée, la loi incite au signalement judiciaire
dans les plus brefs délais. Magistrats et policiers justifient
cette urgence par la nécessité de découvrir les preuves
matérielles des sévices évoqués avant qu’elles ne soient
cachées ou détruites, et d’éviter que ne se mettent en
place des stratégies de défense. En réalité, ces sévices, s’ils
existent, consistent le plus souvent en des manipulations
intempestives du nourrisson, et nulle « preuve matérielle »
ne peut être retrouvée. Certaines équipes hospitalières
fonctionnent de cette façon systématique. Il y a là un
certain confort moral du médecin, un désir de meilleure
justice. Cette attitude n’est cependant pas sans inconvénients, au premier rang desquels le risque majeur de rupture
du dialogue entre les parents et l’équipe médicopsychologique et sociale, source de difficultés dans la mise en
place d’une prévention et du suivi ultérieur, aussi bien
de la famille que de l’enfant (dont il faut surveiller le
163
traitement et l’évolution neuropsychologique). Mais le problème est complexe. En ne signalant à la justice que tard
(après enquête et réflexion) et pas toujours, le médecin
ne se substitue-t-il pas à la justice ? Et ne l’entravet-il pas ? Les méthodes d’enquêtes policières sont-elles
durablement traumatisantes pour des parents réellement
« innocents » qui pourraient certes être bouleversés par
le fait d’être, un temps, soupçonnés de violence envers
leur bébé ? Ne peut-on pas penser, au contraire, que de
tels parents sont parfaitement capables de comprendre la
nécessité d’une telle procédure, et qu’au demeurant, à ce
stade précoce de l’histoire (l’urgence, l’hospitalisation),
leur principale préoccupation est en fait la santé de leur
enfant ?
Notre expérience nous pousse cependant à penser qu’il
n’est pas possible d’agir de façon automatique. Il ne s’agit
pas de juger à la place des juges, il s’agit de garder le
meilleur contact avec les familles pour améliorer la situation de l’enfant en leur sein. Un dialogue permanent entre
le monde de la médecine et celui de la justice est l’outil
indispensable à la meilleure prise en charge, cas par cas, de
ces situations difficiles et souvent graves.
Conclusion
Le syndrome du bébé secoué associe, chez un nourrisson
(âge moyen 5 mois), un hématome sous-dural et des hémorragies rétiniennes. Il se manifeste le plus souvent par une
crise convulsive, parfois prolongée. Son traitement est chirurgical (ponction ou dérivation). La mortalité et le risque de
séquelles neuropsychologiques restent élevés. Une enquête
psychosociale doit toujours être réalisée, pour dépister les
cas de maltraitance.
POINTS FORTS
• Tout hématome sous-dural du nourrisson sans
traumatisme crânien avéré doit faire suspecter une
maltraitance.
• Devant un hématome sous-dural chez un nourrisson,
la recherche d’hémorragies rétiniennes est impérative. Sa découverte signe pratiquement le syndrome
du bébé secoué.
• Le diagnostic d’hématome sous-dural chez un
nourrisson doit entraîner immédiatement l’hospitalisation en secteur de soins intensifs, afin de mieux
dépister et prévenir la survenue ou la récidive de
manifestations épileptiques.
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