Journal de pédiatrie et de puériculture (2012) 25, 158—164 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ARTICLE EMC Syndrome du bébé secoué夽 D. Renier Service de neurochirurgie-pédiatrique, hôpital Necker-Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France MOTS CLÉS Hématome sous-dural ; Maltraitance ; Hémorragies rétiniennes ; Crises comitiales ; Séquelles cognitives Résumé Le syndrome du bébé secoué associe, chez un nourrisson, un hématome sous-dural et des hémorragies rétiniennes, sans histoire de traumatisme. Il se manifeste par une apathie, une irritabilité, des vomissements ou, plus souvent, par une crise convulsive, qui peut se répéter ou se prolonger. Ces crises comitiales, lorsqu’elles se répètent ou se prolongent, mettent en jeu le pronostic vital. Le traitement vise à prévenir la récidive des convulsions et à évacuer l’hématome, par ponction ou dérivation. Le pronostic neurologique est sombre : une majorité de ces enfants présenteront des séquelles neuropsychologiques. On attribue ce saignement sous-dural à une déchirure de veines péricérébrales lors de secousses violentes, intentionnelles (maltraitance) ou liées à un comportement inadapté en réponse, par exemple, à des pleurs prolongés ou répétés de l’enfant. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Introduction Le syndrome du bébé secoué (shaken baby syndrome) entre dans le cadre des traumatismes non accidentels du nourrisson. Autrement dit, des traumatismes infligés, par maltraitance ou comportement inadapté. L’association d’un hématome sous-dural et d’hémorragies rétiniennes chez le nourrisson, caractéristique de ce syndrome, a été décrite en 1930 par Sherwood [1], mais ne sera rapportée à des secousses qu’en 1972 par Caffey, qui crée le terme de « syndrome du bébé secoué » [2]. 夽 Grâce au partenariat mis en place en 2010 entre le Journal de pédiatrie et de puériculture et l’EMC, les articles de cette rubrique sont issus des traités EMC. Celui-ci porte la mention suivante : Renier D., Syndrome du bébé secoué, Pédiatrie - Maladies infectieuses, 4-002-G-50, 2010. Nous remercions les auteurs qui ont accepté que leur texte, publié initialement dans les traités EMC, puisse être repris ici. Adresse e-mail : [email protected] 0987-7983/$ — see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jpp.2012.03.005 Syndrome du bébé secoué Chez le nourrisson, le traumatisme crânien, accidentel ou non, est (de loin) le plus fréquent des traumatismes. L’hématome sous-dural est la lésion la plus commune de ce type de traumatisme. C’est un saignement de veines situées entre le cerveau et les méninges. Il siège le plus souvent au niveau de la convexité cérébrale et le long de la faux du cerveau, bilatéral ou, moins souvent, unilatéral. Il peut également siéger en arrière, sous l’encéphale, au niveau de la tente du cervelet. Cette collection sanguine est parfois assez importante pour provoquer une anémie, car la masse sanguine du nourrisson est petite. La pâleur en est le signe. D’autre part, elle constitue un volume supplémentaire occupant de l’espace dans la boîte crânienne, comprimant et irritant le cerveau, pouvant provoquer une hypertension intracrânienne, des déficits neurologiques ou - plus souvent - des crises convulsives [3,4]. Manifestations cliniques Le mode de début le plus fréquent, observé dans trois quarts des cas, est la crise comitiale. Il s’agit le plus souvent d’une crise unique, mais elle n’est pas facile à reconnaître car les clonies des membres ou de la face manquent souvent. Les témoins de la crise décrivent « un malaise » de survenue brutale. Lui succèdent des troubles de la conscience d’intensité variable, allant de la somnolence au coma. À l’examen, on observe une pâleur et un bombement de la fontanelle. Le périmètre crânien est au-dessus de la moyenne. On recherche un déficit moteur hémicorporel. La survenue d’un trouble aigu de la conscience chez un nourrisson impose son hospitalisation immédiate en soins intensifs, la mise en route d’un solide traitement anticonvulsivant, et la réalisation d’une tomodensitométrie crânienne. Il s’agit de prévenir de nouvelles crises comitiales, et plus encore la survenue d’un état de mal convulsif, événement grave et non exceptionnel puisqu’on l’observe dans 20 % des cas. Cette crise prolongée qui réalise l’état de mal peut durer plusieurs heures en l’absence de traitement. Elle peut survenir d’emblée, constituant l’entrée dans la maladie. Il s’agit d’un événement gravissime, qui laisse des séquelles lourdes dans la majorité des cas. À l’opposé, certains modes de présentation sont moins spectaculaires, avec des troubles du comportement (agitation, apathie) associés à des vomissements répétés qui vont égarer vers une pathologie digestive. Là encore, le diagnostic sera redressé sur la constatation d’un périmètre crânien excessif (et qui a subi au cours des dernières semaines une poussée anormale), d’une fontanelle bombée et, parfois, d’une pâleur. Dans tous ces cas, le diagnostic d’hématome sous-dural (aigu ou subaigu) doit être évoqué et la tomosensitométrie crânienne réalisée sans délai. L’examen clinique complet recherche des traces cutanées de traumatisme (hématomes, ecchymoses, griffures, blessures, brûlures), que l’on note soigneusement en mentionnant si elles sont d’âges différents, et que l’on photographie. On trouve ces lésions cutanées dans un quart des cas. 159 Examens complémentaires Tomodensitométrie (Fig. 1) • Le diagnostic d’hématome sous-dural repose sur la tomodensitométrie crânienne. • Elle en précise le siège, le plus souvent frontopariétal et interhémisphérique, le volume et le côté. Le plus souvent, l’hématome est bilatéral. • Elle permet d’évaluer approximativement sa date de survenue, en fonction de sa densité : hyperdensité pour l’hématome récent (quelques jours), hypodensité pour l’hématome plus ancien (environ 1 semaine, et plus). L’hématome récent s’accompagne souvent d’une hémorragie méningée, représentée par des hyperdensités visibles dans les sillons corticaux. • Elle montre aussi les conséquences de cet hématome sur le tissu cérébral. L’effet de masse est apprécié par le refoulement du parenchyme, qui est mesurable. L’existence d’une hypodensité du parenchyme cérébral sous l’hématome est importante à apprécier : elle représente une souffrance cérébrale, et s’observe en particulier après les crises comitiales, surtout si elles se sont prolongées. Elle est de mauvais pronostic. On recherche aussi des lésions extracrâniennes : œdème ou hématome sous-cutané, peu fréquentes en l’absence de traumatisme avéré. Examen du fond d’œil Des hémorragies rétiniennes sont retrouvées dans les deux tiers des cas [5]. Elles signent pratiquement le diagnostic de bébé secoué : ces hémorragies sont en effet exceptionnelles dans les traumatismes avérés (accident de la route, chute d’un lieu élevé, etc.) [6]. L’importance de leur reconnaissance rend l’examen du fond d’œil indispensable ; il est réalisé autant que possible par un ophtalmologiste averti [7]. Elles sont bilatérales le plus souvent. Dans 10 % des cas, on observe des hémorragies rétiniennes d’âges différents. Électroencéphalogramme (EEG) L’amplitude du tracé EEG est asymétrique en cas d’hématome sous-dural unilatéral ou prédominant d’un côté. Il faut surtout rechercher des anomalies comitiales : foyer de pointes ou de pointes ondes, voire état de mal infraclinique, non exceptionnel. Cet examen apporte également des éléments d’appréciation du pronostic fonctionnel. Dans 1 % des cas, l’EEG est inactif (tracé plat). Radiographies du squelette complet Systématiquement, en présence d’un hématome sous-dural chez un nourrisson, il faut réaliser un bilan radiologique complet du squelette. Il s’agit de rechercher des fractures associées, qu’on observe dans un quart des cas. Elles siègent pour moitié des cas au niveau des membres, et pour les autres au niveau des membres et du thorax. 160 Dans 10 % des cas environ, elles sont multiples, et il faut alors noter si elles sont d’âges différents. Ces fractures sont le plus souvent non déplacées. Les radiographies du squelette complet permettent par ailleurs de rechercher une ostéogenèse imparfaite, circonstance très rare dans le cadre des hématomes sous-duraux, mais qu’on ne peut évidemment pas ignorer. Bilan sanguin L’étude de l’hémostase est systématique, mais elle est rarement anormale : thrombopénie et hémophilie ont été observées. En revanche, l’anémie est pratiquement constante, sévère dans la majorité des cas (hémoglobine inférieure à 8 g/dl). Très exceptionnellement, on peut découvrir une maladie métabolique ignorée jusqu’à présent, comme par exemple l’acidurie glutarique de type I. Au moindre doute, une électrophorèse des acides aminés est à demander. D. Renier Diagnostic différentiel Le seul diagnostic différentiel de l’hématome sous-dural du nourrisson est constitué par la collection sous-durale bénigne, appelée parfois « hydrocéphalie externe ». Cette collection, qui est constituée de liquide céphalorachidien, est située autour de l’encéphale, en particulier dans la région frontale. Elle n’a aucune répercussion neuropsychologique. Elle est reconnue sur une tomodensitométrie crânienne demandée à l’occasion d’une poussée excessive de périmètre crânien, habituellement aux alentours de 5 mois. Il s’agit d’une collection hypodense. Elle est deux fois plus fréquente chez les garçons que chez les filles (comme l’hématome sous-dural) et il est possible que cette collection, en mettant sous tension les veines corticodurales qui la traversent, constitue un facteur favorisant la survenue d’hématomes sous-duraux à l’occasion de secousses qui, dans ce cas, n’auraient pas besoin d’être aussi violentes que dans la « vraie » maltraitance, mais ceci reste à démontrer. Figure 1. Syndrome du bébé secoué. Enfant âgé de 6 mois vu aux urgences pour malaise, convulsions et hémiplégie gauche. A à D. Scanner le jour du malaise. Hémorragie de la tente du cervelet (A, B). Hématome sous-dural hémisphérique droit avec effet de masse : effacement des sillons cérébraux et du ventricule latéral droits. Hémorragie interhémisphérique (C). Hémorragies des sillons à droite, au niveau du vertex et de la faux du cerveau, épaisse et irrégulière. Effacement des sillons cérébraux à droite (D). E à G. Imagerie par résonance magnétique 10 jours plus tard, séquences pondérées en T1. Confirmation rétrospective des hémorragies de la tente du cervelet, de l’espace interhémisphérique et de l’hématome hémisphérique sous-dural droit, marquées par des hyperintensités. Syndrome du bébé secoué Figure 1. 161 (Suite ). Traitement Réanimation La découverte d’un hématome sous-dural chez un nourrisson impose une hospitalisation en secteur de soins intensifs sans délai. Il s’agit d’assurer une surveillance de tous les instants, dans la crainte de la survenue d’une crise comitiale ou d’un état de mal épileptique, toujours à craindre et ceci d’autant plus que l’hématome est plus récent, c’est-àdire hyperdense à la tomodensitométrie. Ceci est impératif quelle que soit la taille de l’hématome, même s’il est peu ou pas compressif, et surtout quand il s’accompagne d’hyperdensités sous-arachnoïdiennes le long des sillons corticaux. Dans les cas les plus graves, l’intubation et la ventilation assistée s’imposent. Le traitement antiépileptique est évidemment de mise, en mono- ou en bithérapie. L’utilisation de penthotal est parfois indispensable (état de mal comitial). Traitement chirurgical Ponction transfontanellaire Il s’agit d’un geste simple qui permet l’évacuation de l’hématome. À la suite de cette ponction, la surveillance clinique (tension de la fontanelle) et tomodensitométrique permet de déterminer si ce geste est suffisant, ce qui est le cas le plus fréquent. Dérivation Si la fontanelle redevient bombante et/ou si la tomodensitométrie montre la persistance d’une collection importante, la mise en place d’une dérivation s’impose. En cas d’hématome récent (rouge à la ponction), il s’agit d’une dérivation sous-durale externe. Au bout de quelques jours, lorsque l’épanchement drainé s’éclaircit et devient xanthochromique, la dérivation externe est retirée. Quelquefois, ce drainage est suffisant. Dans les autres cas, une dérivation sous-duropéritonéale doit être mise en place [8]. La surveillance ultérieure, clinique et tomodensitométrique, permet de déterminer la date à laquelle cette dérivation interne peut être retirée, le plus souvent vers le troisième mois postopératoire. Cette ablation est un geste chirurgical simple qui ne nécessite que 48 heures d’hospitalisation. Évolution et pronostic Le pronostic des hématomes sous-duraux chez le nourrisson est sévère, tant sur le plan vital que sur le plan neuropsychologique [9—11]. Le taux de mortalité est de 8 %. L’âge 162 est un facteur de mortalité important : les moins de 3 mois ont un risque trois fois plus important que les plus âgés. Un autre facteur de risque vital est la survenue d’un état de mal comitial : dans cette circonstance, la mortalité est dix fois plus élevée, passant de 2,4 % à 24 % en cas d’état de mal. Le pronostic fonctionnel est également sombre. Les séquelles neurologiques sont fréquentes et lourdes : épilepsie (en particulier spasmes en flexion), déficits cognitifs et moteurs, débilité mentale sont malheureusement fréquents. Là encore, l’existence d’un état de mal comitial est un facteur majeur du pronostic : la majorité de ces enfants auront des séquelles sévères [12]. Des séquelles moins lourdes sont observées chez environ la moitié des autres. L’âge est également un facteur de pronostic fonctionnel majeur : parmi les moins de 3 mois, plus d’un enfant sur deux présentera de lourdes séquelles neurologiques. Enfin, il faut noter que la fréquence de ces séquelles, en particulier les retards de développement neuropsychologique, ne se précise bien souvent que tard, à partir de 7 ans, au moment de la scolarité élémentaire [13]. Aspects psychosociaux L’origine des hématomes sous-duraux du nourrisson, sauf exception rarissime, est toujours traumatique. Le problème est que le traumatisme causal n’est dans la grande majorité des cas pas retrouvé à l’interrogatoire des parents : soit il est inavoué, soit il est passé inaperçu. On comprend bien que le responsable puisse cacher sa faute ou sa maladresse. La question est de déterminer autant que possible si - justement - il s’agit d’une maladresse ou d’une agression (intentionnalité). Mais il peut paraître étrange qu’un traumatisme crânien puisse passer inaperçu. C’est que le mécanisme peut ne pas être un traumatisme au sens commun du terme : un choc direct (une chute, l’impact d’un objet tombé ou contondant). Beaucoup plus souvent, il s’agit en effet de simples secousses pouvant, lors des mouvements de va-et-vient de la tête du nourrisson, provoquer une déchirure par cisaillement de certaines veines unissant la surface du cerveau aux méninges. Pour certains auteurs cependant, ces secousses doivent s’accompagner d’un impact pour provoquer un saignement : après avoir été secoué, le nourrisson est brutalement laissé tombé sur le plan du lit [14]. L’espace qui sépare le cerveau des méninges est très petit, sauf chez le nourrisson où, particulièrement autour de l’âge de 6 mois, et plus encore chez les garçons que chez les filles, il s’élargit. Ainsi les veines ont-elles un trajet plus long entre cerveau et méninges, ce qui les fragilise et explique que des mouvements apparemment peu traumatiques puissent les menacer [15,16]. Appelé au chevet d’un nourrisson traumatisé du crâne, le médecin doit pratiquer ses soins, bien sûr, mais il lui faut aussi s’interroger sur ce qui a pu arriver. La question est grave et difficile [17]. Elle est grave parce que, forcément, un tiers est responsable. Elle est difficile parce que l’événement en cause n’est pas toujours, tant s’en faut, intentionnel, mais peut très bien avoir été vécu comme tout à fait anodin. La question est ici tout à fait particulière car cette pathologie neurochirurgicale touche des bébés de quelques mois D. Renier qui ne pourront jamais expliquer les circonstances du traumatisme. Le médecin se trouve donc dans une situation extrêmement délicate : celle d’avoir la responsabilité morale de protéger un bébé - nous en examinerons les différentes modalités (cf. infra). Comment déterminer si la lésion constatée est le produit d’une inconséquence ou d’une brutalité intentionnelle ? Une constellation d’éléments cliniques discrets doit alors être recherchée systématiquement en se fondant sur les données recueillies par les médecins, les psychologues et les assistantes sociales. À cet âge (3 à 8 mois) où la tête est mal maintenue par un cou fragile, point n’est besoin d’un choc violent pour entraîner la rupture de vaisseaux sanguins cérébraux. Un geste qui peut paraître anodin pour certains peut provoquer une lésion grave aux séquelles parfois incurables. Démêler la part de l’accidentel, de l’inconséquence et de l’intentionnel permet de trouver la meilleure solution pour venir en aide à la famille et prévenir les récidives. Il s’agit là d’une véritable enquête qui doit se fonder sur de nombreux éléments (médicaux, psychologiques, sociaux) qui supposent une équipe multidisciplinaire. Véritable enquête : enquête policière ? Puisqu’on évoque la possibilité d’un traumatisme infligé (une « maltraitance »), le problème se pose aussitôt du signalement judiciaire. C’est une des questions importantes. Nous tenterons d’en donner des éléments de réponse (cf. infra). Dans un premier temps, il s’agit de déterminer comment le traumatisme est survenu et qui est responsable. Dans l’esprit du médecin et de l’équipe psychosociale, le but principal est de préserver l’avenir (prévention de la récidive), et non de pénaliser ; la place du judiciaire est à ce stade au second plan - ou plutôt la question en est différée (en fait, nous verrons que sur ce point, médecins, magistrats et policiers ont des analyses différentes). Que se passe-t-il ? Un nourrisson est amené à l’hôpital, envoyé par son pédiatre ou amené par ses parents ou sa nourrice, le plus souvent dans un climat d’urgence. Les premiers soins sont souvent lourds, spectaculaires. On parle de réanimation, de soins intensifs, de chirurgie. Dans ce contexte, le premier contact avec la famille est particulièrement précieux. Que s’est-il passé ? Quand ? Qui ? Ce dialogue est poursuivi dans les jours qui suivent, avec tous les membres de l’équipe. Ce dialogue n’est pas facile, entre des professionnels qui doivent se garder de projections négatives sur les familles (ou à l’inverse d’une identification fallacieuse), éviter la banalisation ou la dramatisation excessives, prendre en compte les différences culturelles, face à des familles qui - quelques précautions qu’on puisse prendre - se sentent tôt ou tard suspectées, voire accusées. Les différences (techniques, psychologiques) de point de vue ne sont donc pas les seuls justificatifs de la nécessité d’une équipe multidisciplinaire : dans ce débat douloureux, émotionnellement fort, les impressions personnelles et les convictions intimes, mais aussi les incertitudes, doivent être discutées et confrontées. Dans la quasi-totalité des cas, la vérité n’est approchée que pas à pas. Il est exceptionnel que le traumatisme causal soit unique et parfaitement déterminable. L’enfant martyr de parents bourreaux, dans cette tranche d’âge, nous ne l’avons jamais rencontré. Tout est plus insidieux, subtil et nuancé. Syndrome du bébé secoué Qu’observons-nous ? Dans la grande majorité des cas, des familles simples, des gens comme vous et nous, souvent fatigués (mais qui ne l’est pas ?), avec les problèmes de tout le monde. Aucun groupe social n’est particulièrement concerné - et aucun n’est indemne. Les critères complaisamment véhiculés par les médias (chômage, famille monoparentale et/ou en difficulté financière, drogues, immigration, quart-monde, maladie mentale. . .) sont inopérants et sont en fait des clichés indigents. L’analyse de nos cas montre que ces critères ne sont jamais repérés comme pertinents. L’expérience du groupe de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris, dont le service de neurochirurgie draine depuis quelques années tous les traumatismes crâniens de l’enfant pour l’Île de France, révèle des profils différents et moins faciles à cerner. Un premier élément spectaculaire est constitué par les données du mode de garde de ces enfants : il ne s’agit jamais d’enfants en crèche collective, mais toujours d’enfants en nourrice ou restés dans leur famille. D’autre part, ces familles sont souvent fragilisées par des éléments extérieurs, en apparence banals : déménagement récent (changement de région, isolement familial), deuil récent, divorce, période néonatale perturbée avec séparation prolongée (hospitalisation par exemple, prématurité. . .). Un troisième élément intéressant est qu’il s’agit de nourrissons majoritairement situés entre 4 et 8 mois. Cette distribution est probablement à mettre en relation d’une part avec l’anatomie particulière des espaces péricérébraux dans cette tranche d’âges (comme nous l’avons vu), d’autre part avec l’évolution psychomotrice du nourrisson : c’est à partir de 3—4 mois que sa personnalité va commencer à s’affirmer, qu’une certaine « autonomie » va poindre, qu’il va manifester ses désirs et ses plaintes. On imagine dès lors qu’une lassitude, une fatigue, une colère passagères puissent amener à secouer cet enfant, et que ces secousses puissent sur ce cerveau fragile conduire à une catastrophe sans commune mesure avec ce qui l’a causée. Et la question revient alors : où est la frontière entre maltraitance et inconséquence ? Mais est-ce la bonne question ? La « bonne » question n’est-elle pas plutôt : comment analyser ce qui s’est passé pour protéger l’avenir de l’enfant ? Ou encore : quelle prise en charge pour cette famille ? Quelle stratégie ? Là se situe le problème des relations entre médecins et magistrats. Devant toute lésion traumatique inexpliquée, la loi incite au signalement judiciaire dans les plus brefs délais. Magistrats et policiers justifient cette urgence par la nécessité de découvrir les preuves matérielles des sévices évoqués avant qu’elles ne soient cachées ou détruites, et d’éviter que ne se mettent en place des stratégies de défense. En réalité, ces sévices, s’ils existent, consistent le plus souvent en des manipulations intempestives du nourrisson, et nulle « preuve matérielle » ne peut être retrouvée. Certaines équipes hospitalières fonctionnent de cette façon systématique. Il y a là un certain confort moral du médecin, un désir de meilleure justice. Cette attitude n’est cependant pas sans inconvénients, au premier rang desquels le risque majeur de rupture du dialogue entre les parents et l’équipe médicopsychologique et sociale, source de difficultés dans la mise en place d’une prévention et du suivi ultérieur, aussi bien de la famille que de l’enfant (dont il faut surveiller le 163 traitement et l’évolution neuropsychologique). Mais le problème est complexe. En ne signalant à la justice que tard (après enquête et réflexion) et pas toujours, le médecin ne se substitue-t-il pas à la justice ? Et ne l’entravet-il pas ? Les méthodes d’enquêtes policières sont-elles durablement traumatisantes pour des parents réellement « innocents » qui pourraient certes être bouleversés par le fait d’être, un temps, soupçonnés de violence envers leur bébé ? Ne peut-on pas penser, au contraire, que de tels parents sont parfaitement capables de comprendre la nécessité d’une telle procédure, et qu’au demeurant, à ce stade précoce de l’histoire (l’urgence, l’hospitalisation), leur principale préoccupation est en fait la santé de leur enfant ? Notre expérience nous pousse cependant à penser qu’il n’est pas possible d’agir de façon automatique. Il ne s’agit pas de juger à la place des juges, il s’agit de garder le meilleur contact avec les familles pour améliorer la situation de l’enfant en leur sein. Un dialogue permanent entre le monde de la médecine et celui de la justice est l’outil indispensable à la meilleure prise en charge, cas par cas, de ces situations difficiles et souvent graves. Conclusion Le syndrome du bébé secoué associe, chez un nourrisson (âge moyen 5 mois), un hématome sous-dural et des hémorragies rétiniennes. Il se manifeste le plus souvent par une crise convulsive, parfois prolongée. Son traitement est chirurgical (ponction ou dérivation). La mortalité et le risque de séquelles neuropsychologiques restent élevés. Une enquête psychosociale doit toujours être réalisée, pour dépister les cas de maltraitance. POINTS FORTS • Tout hématome sous-dural du nourrisson sans traumatisme crânien avéré doit faire suspecter une maltraitance. • Devant un hématome sous-dural chez un nourrisson, la recherche d’hémorragies rétiniennes est impérative. Sa découverte signe pratiquement le syndrome du bébé secoué. • Le diagnostic d’hématome sous-dural chez un nourrisson doit entraîner immédiatement l’hospitalisation en secteur de soins intensifs, afin de mieux dépister et prévenir la survenue ou la récidive de manifestations épileptiques. Références [1] Sherwood D. Chronic subdural hematoma in infants. Am J Dis Child 1930;39:980—1021. [2] Caffey J. On the theory and practice of shaking infants. Its potential residual effects of permanent brain damage and mental retardation. 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