Olivier Messiaen Quatuor pour la fin du Temps (1941) Travail de maturité 2003 Gymnase Auguste Piccard, Lausanne. Jérôme Faller Musique Je veux une musique étrange et reculée, Comme un adieu du jour à l’horizon des nuits, Où la face lunaire en son plein dévoilée Laisse errer son halo comme un brouillard d’ennui. Q’une lueur d’étoile y neige atténuée, Que le silence y dorme ainsi qu’un songe amer, Q’on y distingue pourtant le pas d’une nuée, Qui verse en écumant sa bave dans l’éther. Je veux une musique impalpable et ténue Où des spectres de fleurs à flots éparpillés Tournoieront sur une eau phosphorescente et nue Entre des rayons bleus droits comme des piliers. Cécile Sauvage, mère d’Olivier Messiaen, in Pleine lune ou Croissant. 2 Olivier Messiaen Quatuor pour la fin du Temps Sommaire Introduction Premier chapitre : la vie de Messiaen p. 4 1. Le musicien 2. Le théologien catholique 3. L'ornithologue p. 6 p. 8 p. 9 1. Composition et création 2. Structure de l'œuvre 3. Aspect religieux 4. Le Temps 5. Aspect ornithologique 6. Aspect coloré p. 13 p. 14 p. 15 p. 21 p. 25 p. 26 Deuxième chapitre : le Quatuor pour la fin du Temps Conclusion Bibliographie Annexes p. 28 p. 30 p. 32 3 Introduction J’ai eu envie de mieux faire la connaissance de Messiaen lors d’un concert au Musée International de la Croix Rouge à Genève, où l’ensemble Contrechant interprétait le fameux Quatuor pour la fin du Temps, à l’occasion du vernissage de l’exposition Mémoire des Camps. Cette première écoute, sans doute servie par l’atmosphère émue qui régnait dans la salle, m’avait profondément touché; je découvrais un langage musical et des atmosphères harmoniques encore inconnues à mes oreilles, et dont la capacité d’exprimer l’émotion me fascinait. Quelques jours plus tard, il m’a fallut répondre à la question de ma première idée de sujet pour mon travail de maturité… Messiaen est venu spontanément. Je ne connaissais pas encore l’effarante richesse de mon sujet, ni la multitude de facettes du personnage, ni la profondeur spirituelle que l’auteur a voulu donner à son œuvre… Ce travail de maturité n’est donc qu’un infime reflet de la personnalité musicale de Messiaen, tant le sujet est vaste et dépasse mes connaissances tant musicales que religieuses, ou a fortiori, ornithologiques. Le but n’en était que d’essayer de donner quelques clés d’approche d’une musique pas forcément facile à aborder, par l’explicitation de ses symboles et valeurs. Messiaen a toujours su naviguer habilement entre le besoin d’explications que suscite la musique et la première impression de l’auditeur, qui ressent, sans nécessairement comprendre. Mais faut-il comprendre la musique pour l’apprécier pleinement ? A cette question, Olivier Messiaen aimait à répondre : « Il suffit d'écouter... Pour certaines de mes oeuvres, si l'on n'est pas croyant, pas ornithologue, si l'on aime pas la couleur et que l'on a pas le sens du rythme, il y a des choses qui échappent. Mais il y en a d'autres qu'on entend...1 » 1 in BOURGEOIS (Pierre). – Les leçons d’Olivier Messiaen (film) 4 5 Premier chapitre La vie de Messiaen 1. Le musicien : Olivier Messiaen est né le 10 décembre 1908 à Avignon, fils d’un professeur d’anglais, traducteur réputé de Shakespeare, et de la poétesse Cécile Sauvage, dont le recueil L’Âme en bourgeon, écrit durant sa grossesse, est empli d’intuitions prémonitoires pour l’enfant à naître. Le jeune Messiaen vient donc au monde dans un milieu artistique qui le marquera profondément et lui conférera un sens de l’expression hors du commun. A l’âge de huit ans déjà, il déclame de mémoire de larges extraits des pièces de Shakespeare, auxquelles son père l’a initié, berçant ainsi son enfance des aventures de Macbeth ou du Roi Lear… C’est d’ailleurs de cet univers peuplé de merveilleux que viendra au futur compositeur le besoin de se référer à ce qu’il nomme les « contes de fée […] reposant sur une Réalité lumineuse et immuable2 », à savoir la confession et la foi catholique. Au cours de la première guerre mondiale, alors que son père est mobilisé, Olivier Messiaen part vivre à Grenoble avec sa mère, dont il est très proche et qui crée autour de lui un climat poétique et féerique propice à l’imagination et à l’expression. C’est pour lui l’occasion de découvrir l’univers naturel dans les montagnes du Dauphiné auxquelles il restera fidèle, s’y retirant durant toute sa vie pour y composer. C’est également à cette période qu’il aborde le piano de manière autodidacte et s’essaie à la composition pour la première fois. A l’âge de dix ans, Messiaen reçoit son premier cours d’harmonie par son premier professeur, Jehan de Gibon, qui lui offre la partition de Pelléas et Mélisande de Debussy, audacieuse intuition à l’heure où cet opéra tout récent suscite une vive controverse. Pour le jeune compositeur, c’est une révélation ; l’œuvre le fascine et il la qualifiera plus tard de « l’influence la plus décisive [qu’il ait] reçue…3 » En 1919, la nomination de son père dans un lycée de Paris le propulse au Conservatoire de la capitale où il poursuit l’étude du piano, aborde celle de l’orgue, et entreprend sa formation théorique avec, pour ne citer que les plus réputés, Marcel Dupré pour l’orgue et l’improvisation, Maurice Emmanuel pour l’harmonie, ainsi que Paul Dukas pour l’orchestration. Sa personnalité musicale de compositeur se forge petit à petit, et sa "trinité émotionnelle" – nature, foi et musique – se dessine déjà à l’horizon. En 1922, il s’essaie pour la première fois à 2 3 in HALBREICH (Harry). – Olivier Messiaen. – p.58 in MESSIAEN (Olivier). – Entretien avec Claude Samuel (enregistrement sonore) 6 la notation musicale de chants d’oiseaux, mais de manière incertaine et «sans y comprendre grand chose4 », comme il le dira lui-même plus tard. En 1926, il reçoit le premier prix de contrepoint et fugue, celui d’accompagnement pianistique en 1927, avant d’être lauréat des premiers prix d’orgue, d’improvisation et d’histoire de la musique en 1929. Sa formation au conservatoire s’achève en 1930, couronnée par le prix de composition. Curieusement, celui que l’on nommera plus tard « le plus grand maître actuel de la science harmonique5 » n’aura reçu aucun prix d’harmonie au cours de ses années d’études… A l’âge de 22 ans, Olivier Messiaen devient le plus jeune organiste titulaire de grandes orgues de France, et c’est à la Trinité de Paris qu’il créera la plupart de ses œuvres pour orgue, participant également aux services religieux, jusqu’à la fin de sa vie. Avec la Nativité du Seigneur (1935), première grande œuvre pour orgue, Messiaen applique les systèmes rythmiques et mélodico-harmoniques qu’il a mis au point au cours de ses années de formation, entre autre avec Dupré et Emmanuel, dans le cadre de leur enseignement des modalités exotiques. 1936 voit le début de sa carrière pédagogique, puisqu'on lui confie le cours de déchiffrage à l’Ecole Normale de Musique, ainsi que celui d’improvisation à l’orgue à la Schola Cantorum. Probablement en réaction à la recherche uniquement esthétique du Groupe des Six, très en vogue à ce moment-là, il fonde avec ses collègues Yves Baudrier, André Jolivet et Daniel Lesur, le Groupe Jeune France, qui prône un nouvel humanisme musical ainsi qu’une écriture religieuse, exprimant le lien entre le divin et l’humain. Le premier concert de Jeune France a lieu le 3 juin 1936, et reçoit un accueil favorable tant de la part du public que de celle de la critique. La fin de cette décennie est essentiellement consacrée à l’orgue et à la composition, pour laquelle Messiaen se retire dans les montagnes dauphinoises. Mobilisé en 1939, le musicien laisse sa femme Claire, qu’il a épousé sept ans plus tôt et son fils Pascal, âgé de deux ans, pour rejoindre son affectation d’infirmier dans l’armée française. Fait prisonnier en mai 1940, Messiaen est déporté au Stalag VIII A de Görlitz, en Silésie, sur l’actuel territoire polonais. La faim et le froid intense provoquent des hallucinations diverses, créant la synesthésie sons-couleurs qu’il conservera toute sa vie. C’est dans ces conditions qu’il composera son Quatuor pour la fin du Temps, créé au Stalag en 1941, quelques mois avant son rapatriement en France, au printemps. Appelé dès son retour au Conservatoire de Paris, le compositeur fait partager sa passion pour les rythmes, les modes et les oiseaux. Son traité Technique de mon langage musical, qui sort de presse en 1942 fait état de ses recherches rythmiques, modales et ornithologiques, et lui permet d’accéder à l’enseignement d’un cours d’analyse, qui sous cette appellation prudente, cachera longtemps un véritable cours de composition. A la fin des années quarante, sa 4 5 in BOURGEOIS (Pierre). – op. cit. HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 29 7 renommée de musicien, rythmicien, ornithologue, pédagogue et compositeur commence à percer à l’étranger, occasionnant la venue d’élèves devenus désormais célèbres, tels que Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen ou encore Yannis Xenakis. Claire Delbos, l’épouse du compositeur décède en 1959, après plusieurs années d’hospitalisation. En 1962, Messiaen se remarie avec Yvonne Loriod, pianiste virtuose dont il a fait la connaissance vingt ans plus tôt, et qui avait créé la majorité de ses œuvres pianistiques. En 1966, Messiaen reçoit enfin la classe de composition au Conservatoire de Paris, avant de devenir membre de l’Institut de France en 1967. Dès lors se succèdent prix, honneurs et distinctions du monde entier, jusqu’à la création de l’opéra Saint-François d’Assise, en 1983, véritable couronnement d’une carrière exceptionnelle, nécessitant la participation de plus de 280 musiciens, sous la direction de Seiji Ozawa. Olivier Messiaen est mort le 22 décembre 1992 à Paris, laissant derrière lui une cinquantaine d’œuvres, après avoir marqué profondément plusieurs générations d’élèves et de mélomanes et bouleversé l’évolution de la musique moderne presque tout au long du XXe siècle. 2. Le théologien catholique : Quand on l’interrogeait sur la nature de sa foi, Messiaen aimait à dire qu’il était « né croyant6 », et qu’il avait toujours été fasciné par les mystères de la foi. C’est donc à témoigner de ses convictions et à célébrer la gloire divine que le compositeur s’emploiera, véritable mission dont il se sent investi dès son plus jeune âge. Il est sans doute possible de faire un parallèle entre sa fascination enfantine pour les vitraux que son père l’emmène voir à Notre-Dame de Paris, et les complexes de sons-couleurs dont toute son œuvre sera imprégnée. Plus tard, sa vocation d’organiste lui permet également une participation active au culte, dans la célébration duquel il se sent à l’aise, prétendant même y jouer mieux qu’ailleurs. Et s’il rechigne à l’appellation de théologien, puisqu’il se refuse à écrire tout traité de théologie, il lui préfère celle de « musicien mystique », dont tous les ouvrages ou presque, sont étayés par des épigraphes bibliques ou des commentaires religieux. Par sa composition, Messiaen souligne la beauté, les oiseaux et la nature, mais uniquement dans le but de « glorifier Dieu dans la splendeur de sa Création.7 » Il était d’ailleurs spécifié dans la charte du Groupe Jeune France, créé en 1936, que celui-ci prônerait une musique vraie et spirituelle, véritable acte de foi, traitant de « tous sujets sans cesser de toucher à Dieu.8 » 6 7 8 in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 27 in BOURGEOIS (Pierre). – op. cit. in MASSIP (Catherine). – Portrait(s) d’Olivier Messiaen. – p. 39 8 Mais de la richesse culturelle du christianisme, le compositeur ne se sent les aptitudes qu’à traiter l’aspect glorieux du Christ, renonçant à illustrer la Passion ou la souffrance. Se sentant de manière générale plus doué pour exprimer la joie que la douleur, Messiaen reste l’un des seuls compositeurs du XXe siècle à n’avoir pas été inspiré par le barbarisme de ce dernier, qui à ses yeux, ne fait figure que d’un instant face à la béatitude éternelle. Sa musique se veut exaltante et réconfortante, à l’image d’un Dieu d’amour, de miséricorde et de pardon. La Bible reste sa principale source d’inspiration spirituelle, notamment l’Evangile et l’Apocalypse de Saint-Jean, particulièrement colorée à ses yeux, Saint-Mathieu pour la Transfiguration de notre Seigneur Jésus-Christ (19651969), ainsi que les Epîtres de Paul et certains Psaumes. Mais il se contente de citer les œuvres ou d’y faire référence, ne mettant que très rarement les textes proprement dits en musique. Messiaen se refuse à toute composition liturgique, à l’exception d’un motet en 1937, considérant que la seule musique liturgique véritable, pour le catholicisme, est le plain-chant et le chant grégorien, dont il s’inspire et auxquels il emprunte de véritables citations, selon la même méthode que pour les chants d’oiseaux. Messiaen disait lui-même qu’il est possible de comprendre sa musique sans sa dimension spirituelle, de même que celle de Bach ou que toute autre musique religieuse. Et même si la foi en est la raison d’être, il est possible d’en apprécier l’esthétique sans en saisir la nécessité. 3. L’ornithologue : « Je suis amoureux, je ne peux vous dire pourquoi... J'aime les chants d'oiseaux...9 » C'est pendant son enfance dans le Dauphiné que Messiaen a découvert ceux qu'il appellera plus tard « ses petits serviteurs de l'immatérielle joie.10 » La diversité de leurs plumages, de leurs vols et déjà de leurs chants, le fascine. C'est à l'âge de 18 ans qu'il s'attelle pour la première fois à la notation musicale de chants d'oiseaux, et selon ses dires, s'y prend alors très mal et n'y comprend rien. Mais il s'agit tout de même là du début d'une véritable vocation, qu'il enrichit, encouragé par Paul Dukas, son professeur d'orchestration à Paris, auprès d'ornithologues de renom. Il apprend à reconnaître le simple appel du chant célébrant la beauté de la lumière, le chant amoureux – le plus beau de tous à son avis – du chant "gratuit", celui que l'oiseau entonne parce qu'il en a simplement envie, et auquel Messiaen porte une affection particulière. Les oiseaux chantaient de longue date avant l'arrivée de l'homme, utilisant ce que celui-ci appellera modes et neumes, et avaient inventé l'improvisation collective et la musique aléatoire bien avant les compositeurs du vingtième siècle. 9 in MASSIP (Catherine). – op. cit. – p. 61 10 MESSIAEN (Olivier). – Technique de mon langage musical. – p. 27 9 Bien que ne se considérant que mauvais ornithologue, le compositeur reconnaît l'avantage certain dont il profite, en regard de ses collègues non musiciens : l'habitude de l'écoute musicale, fort utile quand le chanteur se dérobe aux regards. L’approche de l'ornithologie traditionnelle mêlée à la sienne plus personnalisée amène Messiaen à pouvoir reconnaître, au seul chant, une cinquantaine d'oiseaux d'Europe, une vingtaine d'Amérique du Nord et du Japon et même quelques-uns uns de Nouvelle-Calédonie. Il constate que tout oiseau improvise toujours dans un mode donné, avec des inflexions proches du chant grégorien, et selon des rythmes d'une complexité et d'une variété surhumaine, surpassant même la rythmique hindoue et la métrique de la Grèce antique. Dès lors, la notation exacte devient possible et Messiaen part souvent dans la nature, avec une feuille de papier à musique et un crayon pour tout bagage. Pour les témoins de ses heures de notation, le spectacle est surprenant : inscrivant à une vitesse vertigineuse notes et signes cabalistiques, pour les non initiés, sur des portées de quinze lignes, Messiaen reste immobile des heures entières, parfois dans des positions très inconfortables, totalement absorbé par son travail. Cette immense concentration s'explique par la difficulté de l'opération : la nécessité d'écrire très vite la strophe précédente tout en écoutant et retenant la suivante, le tout dans un registre suraigu. De retour chez lui, Messiaen commence l'étape de transposition. En effet, l'oiseau, en raison d'un rythme cardiaque beaucoup plus rapide que celui de l'homme, chante à des tempi dont la virtuosité nous est inaccessible. De plus, le registre suraigu, comportant des micro-intervalles de l'ordre de deux commas, nécessite une adaptation pour l'oreille humaine: transposition du chant d'une à trois octaves plus bas, augmentation des intervalles tout en gardant une échelle proportionnelle – un huitième de ton devenant un demi-ton. Pour chaque oiseau, ce sont des centaines d'écoutes successives qui permettent l'élaboration d'une partition telle que le Catalogue d'oiseaux (1956-1958), qui ne rassemble pas moins de treize espèces différentes. Mais la plus grande difficulté pour le compositeur est de rendre le timbre propre à chaque oiseau, au moyen des harmoniques que développent les accords – que Messiaen appelle complexes de sons. Chaque note a son timbre distinct et doit par conséquent être portée par un accord spécifique. Pour une pièce comme le Rouge-gorge des Petites Esquisses d'oiseaux, pour piano (1985) ce sont plus de deux mille notes accompagnées d'autant de complexes de sons différents... Et c'est vers le piano que Messiaen se tournera pour cette délicate transposition, car si l'orchestre symphonique offre un grand nombre de sonorités exploitables, l'attaque incisive du piano reste la plus proche de la virtuosité éblouissante des oiseaux. Le travail de compositeur proprement dit commence une fois l'ouvrage scientifique terminé. C'est à partir du chant à l'état brut que le créateur entreprend l'organisation de la pièce musicale. Messiaen adopte alors deux méthodes différentes, en fonction de sa volonté de rendre un chant le plus exact possible du point de vue scientifique (Catalogue d'oiseaux, 1956-1958) ou simplement vraisemblable comme dans le Réveil des oiseaux (1953) qui en met en 10 scène plusieurs à la fois, dans un contrepoint créé de toute pièce par le compositeur, mais néanmoins vraisemblable, puisque les chants qui le composent ont été pris en dictée au même endroit et à la même heure plusieurs jours de suite. Après une première apparition explicite dans le Quatuor pour la fin du Temps (1941), les oiseaux habiteront périodiquement toute l'oeuvre d'Olivier Messiaen, parfois de manière symbolique, comme par exemple le chant du uirapuru du Brésil, qui annonce la mort à celui qui l'entend et que le compositeur reprend dans Et exspecto resurectionem mortuorum (1964). A plusieurs reprises, Messiaen profite de ses voyages aux quatre coins du monde pour noter des chants d'oiseaux, comme en Israël, où il cherche à retrouver les chants entendus par le Christ, ou encore en Nouvelle-Calédonie, pour illustrer, dans Saint François d'Assise (1975-1983), l'appel de Saint François aux oiseaux des îles lointaines. Bien que les oiseaux soient déjà présents dans la musique depuis longtemps, comme chez Rameau et Daquin, Olivier Messiaen est le premier à s'y être intéressé avec autant de persévérance. Ses partitions restent les seules notations musicales scientifiques (transposées pour l’oreille humaine) vraiment exactes, alors que les ornithologues traditionnels continuent à traduire les chants d'oiseaux au moyen d'onomatopées. 11 Cahier de notations de chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen La fauvette à tête noire in MASSIP (Catherine). – op. Cit. – p. 60 12 Chapitre II Le Quatuor pour la fin du Temps 1. Composition et création : Les circonstances dans lesquelles Olivier Messiaen a composé et créé son Quatuor pour la fin du Temps ne sont sans doute pas étrangères au succès par lequel cette œuvre fut, et est toujours accueillie de nos jours. Le service du soldat infirmier Messiaen est de courte durée, puisqu’il est fait prisonnier à Verdun lors de la débâcle de mai 1940, et transféré au Stalag VIII A de Görlitz, en Pologne actuelle. La légende veut que le compositeur défendît à corps et à cris son lot de partitions de poches que l’on voulait lui confisquer à l’entrée du camp. Sa profession de musicien le rendant inoffensif – à juste titre d’ailleurs – aux yeux des nazis, ses geôliers le laissent donc en compagnie des Concertos Brandebourgeois et même de la Suite Lyrique de Berg, pourtant fustigée par les dirigeants nazis. Parmi les prisonniers présents, Messiaen fait la connaissance de quelques musiciens, un violoniste, un violoncelliste et un clarinettiste, pour lesquels il commence par composer un trio sans piano, ne sachant pas encore s’il pourrait en disposer d’un. Cette courte pièce deviendra peu de temps après, l’Intermède (IV) du Quatuor. La première audition, précédée par quelques explications du compositeur, a lieu le 15 janvier 1941 dans la cour du camp, devant quelque cinq mille prisonniers transis : « Le froid était atroce, le stalag enseveli sous la neige », raconte le compositeur. « Les quatre instrumentistes jouaient sur des instruments cassés : le violoncelle d’Etienne Pasquier n’avait que trois cordes, les touches de mon piano droit s’abaissaient et ne se relevaient plus. Nos costumes étaient invraisemblables : on m’avait affublé d’une veste verte complètement déchirée, et je portais des sabots de bois. L’auditoire réunissait toutes les classes de la société : prêtres, médecins, petits bourgeois, militaires de carrière, ouvriers, paysans. […] Jamais je n’ai été écouté avec autant d’attention et de compréhension.11 » Un article du Figaro, signé M.H. rapporte l’atmosphère qui régnait au camp quelques minutes après que les applaudissements, timides au début, ont retentis dans la cour : « Déjà on se disperse, chacun emportant son tabouret sur ses épaules. Délivré de sa musique, rendu à sa timidité, Olivier Messiaen ne sait que répondre à l’ami qui lui dit : « Ce qui est grave avec une telle musique, ce n’est pas de retomber où l’on est, mais à ce qu’on est.12 » 11 12 in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 310 in MASSIP (Catherine). – op. cit. – p.12 13 Peu après le retour de Messiaen en France, la création officielle a lieu à Paris, le 26 juin 1941, avec le fidèle Etienne Pasquier au violoncelle et le compositeur au piano. 2. Structure de l’œuvre : Ecrit pour clarinette en si bémol, violon, violoncelle et piano, le Quatuor pour la fin du Temps s’articule en huit mouvements, aux nomenclatures très connotées religieusement : I. II. Liturgie de Cristal : bien modéré, en poudroiements harmonieux. Vocalise pour l’Ange qui annonce la fin du Temps : tripartite, de caractère modéré, avec un thème central presque lent, impalpable, lointain. III. Abîme des oiseaux : pour clarinette solo, lent, expressif et triste. IV. Intermède : le fameux trio sans piano composé en premier lieu, décidé, modéré, un peu vif. V. Louange à l’Eternité de Jésus : pour violoncelle et piano, infiniment lent et extatique. VI. Danse de la fureur, pour les sept trompettes : tous les instruments à l’unisson, dans un caractère décidé, vigoureux, granitique, un peu vif. VII. Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps : de manière générale rêveur, presque lent, à mon sens le mouvement le plus complexe. VIII. Louange à l’Immortalité de Jésus : ultime duo pour violon et piano, pendant du cinquième mouvement, extrêmement lent et tendre, extatique. Ces huit morceaux contrastent fortement de par leurs effectifs (le quatuor au complet n’apparaît que dans les mouvements I et VI, et par moments dans les numéros II et VII), mais aussi par leurs caractères très différents. Dans la préface du Quatuor, Olivier Messiaen explique la raison de ces huit mouvements : « Sept est le nombre parfait, la création de 6 jours sanctifiée par le sabbat divin ; le 7 de ce repos se prolonge dans l’éternité et devient le 8 de la lumière indéfectible, de l’inaltérable paix.13 » 13 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la Fin du Temps. – p. 1 (Préface) 14 3. Aspect religieux : « Je vis un ange plein de force, descendant du ciel, revêtu d’une nuée, ayant un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer, son pied gauche sur la terre, et, se tenant debout sur la mer et sur la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, disant : Il n’y aura plus de Temps ; mais au jour de la trompette du septième ange, le mystère de Dieu se consommera.14 » C’est par cette citation, tirée de l’Apocalypse de Saint Jean et dont il s’est directement inspiré lors de la composition, que Messiaen introduit son Quatuor pour la fin du Temps. De plus, l’œuvre est consacrée dès la première page de son manuscrit par ces quelques mots : « En hommage à l’Ange de l’Apocalypse, qui lève la main vers le ciel en disant : « Il n’y aura plus de Temps. » La nécessité religieuse de cette œuvre n’est donc pas à prouver, tant les champs lexicaux d’ordre spirituel ou théologique sont fréquents et mis en évidence. On a cependant souvent reproché au compositeur le calme et le dépouillement de sa musique en regard d’une représentation de l’Apocalypse. Il répondait : « [celle-ci] ne contient pas que des monstres et des cataclysmes: on y trouve aussi des silences d’adoration et de merveilleuses visions de paix. De plus, je n’ai jamais eu l’intention de faire une apocalypse : je suis parti d’une figure aimée (celle de l’Ange qui annonce la fin du Temps) et j’ai écrit un quatuor pour les instruments (et les instrumentistes) que j’avais sous la main.15 » De même, la notion de fin du Temps n’est pas synonyme de celle de fin des temps. Pour le théologien, cela n’implique que « la fin des notions de passé et d’avenir, c’est à dire le commencement de l’éternité.16 » Cependant, Messiaen souligne en introduction à son œuvre que « tout ceci [reste] essai et balbutiements, si l’on songe à la grandeur écrasante du sujet.17 » Dans le commentaire de la Liturgie de Cristal (I), dont le titre évoque déjà le service divin, Messiaen explique : « […] un merle ou un rossignol soliste improvise, entouré de poussières sonores, d’un halo de trilles perdus très haut dans les arbres. Transposez cela sur le plan religieux : vous aurez le silence harmonieux du ciel.17 » En effet, dans ce mouvement intitulé « bien modéré, en 14 15 16 17 Apocalypse de Saint Jean, X, 1-7. in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 312 in PERIER (Alain). – Messiaen. – p. 53 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 (Préface) 15 poudroiement harmonieux18 » la source musicale semble lointaine et comme embrumée par le son du piano « très enveloppé de pédale18 » et par le chant du violoncelle tout en harmoniques, sons purs par excellence, mais également plus impalpables et mystérieux. Le deuxième mouvement, Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps, marque un contraste très violent entre le personnage de l’Ange décrit dans les courtes première partie et coda, et « les harmonies impalpables du ciel.19 » L’Ange, dont la puissance est illustrée, à mon avis, par l’omniprésence de fortissimi et de sforzandi au piano, est coiffé d’un arc-en-ciel (grands arpèges à la clarinette) et revêtu d’une nuée (unisson et trilles des violon et violoncelle dans les sept dernières mesures). Dans la longue partie centrale, la « mélopée quasi plain-chantesque des violons et violoncelles19 » célèbre, selon le compositeur, la douceur harmonieuse et la paix céleste. Dans La Louange à l’Eternité de Jésus (V), Messiaen veut exprimer Jésus en tant que Verbe, nous explique-t-il dans sa préface. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.20 » Le caractère « infiniment lent, extatique21 » du mouvement, demandant au violoncelle d’être « majestueux, recueilli, très expressif20 » représente l’éternité de ce Verbe. Je reviendrai sur cette notion d’éternité dans le chapitre consacré au Temps. La Danse de la fureur pour les sept trompettes (VI) fait clairement référence aux six premières trompettes de l’Apocalypse suivies de diverses catastrophes ainsi qu’à celle du septième ange qui annonce la consommation du mystère de Dieu. D’immenses traits irréguliers de doubles-croches, à l’unisson pour les quatre instruments créent un climat haletant, sans repère temporel, exprimant l’aspect monstrueux et chaotique de la fin du monde (immense crescendo allant en s’accélérant jusqu’au paroxysme « terrible et puissant22 » de la lettre O). Pour le compositeur, ce mouvement constitue surtout « une étude de rythme.23 » Le thème utilise les "rythmes à valeurs ajoutées", système mis au point par le compositeur, qui consiste à ajouter une valeur brève dans un rythme quelconque, généralement au moyen d’une liaison ou d’un point. Dans le cas de la Danse de la fureur, ces valeurs courtes s’imbriquent dans de petits groupes de 5, 7, 11 ou 13 18 19 20 21 22 23 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 (Préface) Evangile de Saint Jean, I, 1-2. MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 20 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 34 MESSIAEN (Olivier). – Pochette du disque du Quatuor pour la fin du Temps. – Arion, 1978. 16 doubles-croches, pour chacun d’entre eux des nombres premiers dont l’indivisibilité n’est pas sans rappeler l’Eternité, chère à Messiaen. Dans l’exemple suivant24, les valeurs ajoutées sont indiquées d’une croix et les groupes de doubles-croches par des lettres. A = 3 doubles-croches (valeur ajoutée sous forme de point) ; B = 5 ; C = 7 ; D = 11 et E = 13. [Exemple musical no 1] Vers le milieu du mouvement (lettre F), un passage pianissimo inattendu se compose exclusivement de "rythmes non rétrogradables", autre spécialité du compositeur, et dont l’équivalent littéraire serait le palindrome: qu’on les lise de droite à gauche ou de gauche à droite, l’ordre de leurs valeurs reste le même. Sur les trois motifs rythmiques de chaque mesure, les deux extrêmes sont rétrogradés l’un par rapport à l’autre et la valeur centrale commune est libre: ces rythmes sont donc dits non rétrogradables. Dans l’exemple suivant, les valeurs centrales communes sont marquées d’une croix. [Exemple musical no 2] + + + + + + + 24 + + + + + tiré de MESSIAEN (Olivier). – Technique de mon langage musical. – Vol. 2, p. 2 17 + + Enfin, dès la lettre I, violon et violoncelle répondent aux rythmes augmentés ou diminués de manière inégale des clarinette et piano. Ces ajouts du quart, du tiers, du double ou du quadruple, ou encore retraits du point ou retrait des ¾ de la valeur, participent à la création de ce véritable chaos rythmique, qui nous prive, pour autant que cela soit possible, de l’appui, de la pulsation attendue et d’une forme de régularité. [Exemple musical no 3; cf. Annexe no 1] devenant puis et enfin Que de constructions mathématiques et de structures rythmiques complexes pour exprimer la destruction et la ruine ! Le Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps (VII) est le mouvement le plus fortement relié aux circonstances dans lesquelles le Quatuor fut composé. Messiaen tente d’y transcrire les hallucinations colorées que lui donnaient la faim et le froid glacial de la Silésie. Ce mouvement est dédié à l’Ange, et surtout à l’arc-en-ciel, symbole de paix, de sagesse « et de toute vibration lumineuse et sonore.25 » La structure alterne les variations d’un premier thème « rêveur26 » [Exemple musical no 6, cf. page suivante], séparées par les développements d’un second thème «robuste26 », avant le fouillis lui-même, qui reprend des éléments des autres mouvements. Le piano reprend les "cascades d’accords", ces enchaînements harmoniques descendant qui donnent une impression de chute, déjà fréquents dans le deuxième mouvement ; par exemple : [Exemple musical no 4] 25 26 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 2 (Préface) MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 36-37 18 La clarinette retrouve des mouvements précédents les arpèges de "l’accord sur dominante", qui contient toutes les notes de la gamme et dont l’exemple le plus simple serait, en do majeur27 : et arpégé, en sol bémol majeur : [Exemple musical no 5 ; cf. Annexe no 2] pendant que le violon et le violoncelle font entendre une diminution du premier thème en valeurs égales : le premier thème : [Exemple musical no 6, violoncelle] diminué enharmoniquement : Les arcs-en-ciel me paraissent figurés par les arpèges du piano, qui prennent plusieurs formes au gré des variations. Thème (lettre A) : [Exemple musical no 6, piano] 27 tiré de MESSIAEN (Olivier). – Technique de mon langage musical. – Vol. 2, p. 37 19 devenant (lettre D) : [Exemple musical no 7] et enfin (lettre K) : [Exemple musical no 8] mais aussi par de nombreux "accords sur dominante" à la clarinette, glissandi au violoncelle et arpèges au violon. On constate à nouveau la déroutante complexité de la construction d’une pièce symbolisant le Fouillis. Enfin dans l’ultime et immense Louange (VIII) de violon, répondant à celle du violoncelle dans le cinquième mouvement, Messiaen s’adresse à l’immortalité du « second aspect de Jésus, à Jésus-Homme, au Verbe fait chair, ressuscité immortel pour nous communiquer sa vie.28 » Cette mélodie d’une extrême simplicité, soutenue par l’ostinato rythmique du piano qui rappelle une sonnerie de cloche, semble un ultime moment de recueillement. «Elle est toute amour », nous dit le compositeur dans sa préface. Sa lente montée dans l’extrême aigu du violon, « expressif et paradisiaque29 », représente « l’ascension de l’homme vers son Dieu, de l’enfant de Dieu vers son père, de la créature divinisée vers le Paradis.26 » Pour le laïc, c’est également une manière infiniment tendre et apaisante de clore une œuvre fortement chargée sur le plan émotionnel. 28 29 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 2 (Préface) MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 50 20 4. Le Temps : « Supposons un seul frappé dans tout l’univers. Un frappé : il y a l’éternité avant, l’éternité après. Un avant, un après, c’est la naissance du Temps. Supposons, presque aussitôt, un second frappé. Comme tout frappé se prolonge dans le silence qui le suit, le second frappé sera plus long que le premier. Autre nombre, autre durée, c’est la naissance du rythme.30 » Le travail du Temps pour un compositeur passe donc immanquablement par celui du rythme. Et quand le sujet de l’œuvre est justement la "fin du Temps", c’est à dire, au sens théologique, le commencement de l’éternité, le but pour le compositeur est d’éloigner au possible tous les repères temporels qui jalonnent habituellement la musique : mesures à x temps, barre de mesure, valeurs courtes, régulières et divisibles. Sans oser supprimer l’aspect temporel – ce sera le privilège de la musique céleste, quand le Temps sera aboli – Messiaen essaie de suspendre notre conscience du temps. « Le rythme est, par essence, changement et division. Etudier le changement et la division, c’est étudier le Temps. Le temps […] se divise de mille manières, dont la plus immédiate pour nous est une perpétuelle conversion de l’avenir en passé. Dans l’éternité ces choses n’existeront plus. Que de problèmes ! Ces problèmes, je les ai posés dans mon Quatuor pour la fin du Temps. Mais à vrai dire, ils ont orienté toutes mes recherches sonores et rythmiques.31 » Le premier moyen que Messiaen a trouvé pour troubler notre perception du temps, est de remplacer les notions de "mesures" et de "temps" (frappé) par le sentiment d’une valeur brève, comme la double-croche, en les enchaînant bout à bout autant de fois que nécessaire. Dans le premier thème de l’Abîme des oiseaux (III), par exemple, la seule valeur qu’il est possible d’employer si l’on veut marquer une pulsation est la double-croche. [Exemple musical no 9] D’autre part, Messiaen est un compositeur essentiellement modal, c’est à dire que sa musique s’inscrit le plus souvent dans l’une de ses inventions: les "modes à transpositions limitées". Il s’agit d’échelles de sons parmi les douze chromatiques tempérés, répartis de manière à ce que l’on ne puisse les transposer qu’un nombre limité de fois. C’est à dire qu’en les transposant demi-ton par demi-ton un certain nombre de fois, l’oreille perçoit les mêmes sons qu’à l’origine. Alors que dans la gamme majeure, douze transpositions sont possibles avant de retrouver la même structure, le premier mode de Messiaen, que l’on 30 31 in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 142 in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 311-312 21 nomme plus couramment gamme par tons, et que Debussy avait déjà employé avant lui, n’est utilisable que deux fois sous des formes différentes: Mode 1 (1ère transposition) Mode 1 (2e transposition) Mode 1 (3e transposition) On remarque que lors de la troisième transposition, les notes sont les mêmes que dans la première. De cette manière, sur les sept modes à transpositions limitées inventés par Messiaen, le premier n’est transposable qu’une fois, le deuxième n’admet que trois transpositions, le troisième que quatre, et les modes 4, 5, 6 et 7, six transpositions chacun. Ces derniers ne seront que peu utilisés par Messiaen, car leurs transpositions, trop nombreuses, atténuent le « charme des impossibilités.32 » De ce fait, la musique modale offre moins de possibilités de modulations que la musique tonale. En effet, là où en musique tonale, la modulation sera sensible à l’oreille, elle ne le sera pas nécessairement en musique modale. Les modulations seront donc moins fréquentes. Limités dans leurs effets par « cette ligne d’horizon immuable33 », les rythmes peuvent alors scander le temps sans risquer de remettre en cause l’intemporalité de ligne mélodique. Dans la Liturgie de Cristal, Messiaen se sert d’une autre de ses spécialités : un ostinato rythmique, qu’il appelle pédale rythmique, conjugué à un ostinato harmonique. La pédale rythmique se compose de trois éléments hindous, appelés "décitâlas", qui mis bout à bout donnent un cycle de 17 durées34, un nombre premier dont l’indivisibilité fascine Messiaen. 32 33 34 MESSIAEN (Olivier). – Technique de mon langage musical. – p. 5 HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 156 in MASSIP (Catherine). – op. cit. – p.109 22 Du côté harmonique, Messiaen enchaîne vingt-neuf accords, à nouveau un nombre premier, créant ainsi deux cycles indépendants l’un de l’autre, perpétuels et infinis. [Exemple musical no 10 ; cf. Annexe no 3] Dans l’Abîme des oiseaux (III), Messiaen oppose le Temps aux oiseaux. « L’abîme, c’est le Temps, avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps ; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises.35 » Le caractère « lent, expressif et triste36 » du mouvement, « désolé36 » de la clarinette, caractérise la présence pesante du Temps, gouffre dont on ne peut sonder le fond et dont le chant d’oiseau « presque vif, gai, capricieux36 » nous retire au moment où l’on y sombrait. En sus de son aspect purement virtuose, l’Abîme des oiseaux est à mon sens l’une des plus belles pièces du répertoire pour clarinette. La phrase s’étend, suspendant le souffle de l’auditeur, dans des nuances et des timbres qui traduisent l’extraordinaire connaissance que le compositeur avait de cet instrument. De manière générale, une des particularités de la musique de Messiaen est l’immuabilité du tempo choisi. Le rubato en est banni, les accelerandi et rallentendi sont rares et ont généralement une fonction symbolique importante. Voilà encore une manifestation du statisme dans l’œuvre du compositeur: il se refuse à manipuler le Temps, valeur immuable par essence. Seule la Danse de la fureur, pour les sept trompettes (VI) comporte d’importantes variations de tempi, soutenues par de terribles crescendi (lettre L) créant un « véritable maelström sonore.37 » Le lien avec les trompettes de l’Apocalypse et ses catastrophes paraît évident. Du point de vue du tempo, celui indiqué pour l’exécution de la Louange à l’Eternité de Jésus (V) est généralement un pensum pour le violoncelliste. En effet, Messiaen indique la double-croche à 44, c’est-à-dire un tempo «infiniment lent35 » en regard de la longueur des phrases musicales et des durées des tenues, à fortiori dans des dynamiques passant du pianississimo au fortissimo et dans des registres souvent très aigus. De plus, le compositeur demande au violoncelle d’être « majestueux, recueilli, très expressif,38 » ce qui confère à cette Louange une difficulté hors du commun. 35 36 37 38 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 (Préface) MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 15 HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 314 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 20 23 J’ai demandé à plusieurs violoncellistes quelle avait été leur approche de cette problématique. Rares sont ceux qui décident de respecter entièrement les volontés de Messiaen, à savoir de tenir le tempo demandé en exécutant aussi les coups d’archet du compositeur. Pour beaucoup, la nécessité du tempo extrêmement lent est primordiale, pour exprimer la notion d’éternité. En suivant les vœux du compositeur, l’exécution reste naturellement possible mais périlleuse, surtout sous l’effet de la nervosité due à la présence d’un public. Pour le violoncelliste espagnol Marçal Cervera, il est indispensable de prendre un tempo plus allant, considérant qu’avec la double-croche à 44, la musique manque de vie. Pour d’autres, cette dernière notion n’entre pas en ligne de compte, puisque de nouveau, il s’agit d’éternité. J’ai écouté avec intérêt les avis des différents violoncellistes interrogés, particulièrement à propos de l’interprétation des volontés de Messiaen. Cela soulève une question, qu’il est possible de généraliser à l’ensemble de la musique : doit-on véritablement respecter à la lettre les indications du compositeur, quand bien même parfois, la propre sensibilité de l’interprète n’est pas en accord avec celles-ci ? Messiaen n’est plus là pour témoigner à ce sujet, mais les enregistrements de ses œuvres peuvent le faire à sa place : dans la version du Quatuor enregistré en novembre 1990 avec Yvonne Loriod, la seconde épouse de Messiaen au piano et en présence du compositeur, le tempo est nettement plus rapide (double-croche à 56). Le débat reste donc ouvert… 24 5. Aspect ornithologique : C’est dans le Quatuor pour la fin du Temps que les chants d’oiseaux sont présents pour la première fois dans une œuvre de Messiaen. Au moment de la composition, celui-ci n’avait pas encore entrepris ses grandes notations exactes de chants d’oiseaux, aussi sont-ils ici retranscrits approximativement. Dans la Liturgie de Cristal (I), violon et clarinette se répondent tout au long du mouvement « comme un oiseau39 » sur des motifs prêtés au merle et au rossignol. [Exemple musical no 11] Ce premier thème ornithologique de la clarinette est repris plusieurs fois au cours des mouvements suivants, à l’instar de la Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps (II), durant laquelle la clarinette reprend plusieurs fois cet appel du merle noir. [Exemple musical no 12] L’Abîme des oiseaux (III) est évidemment le mouvement le plus orienté vers les chants d’oiseaux. Ceux-ci sont mis en opposition avec le caractère pesant et grave du Temps. Messiaen crée un grand contraste en insérant la partie centrale de caractère « presque vif, gai, capricieux40 », consacrée au chant de l’oiseau imaginaire. « Ensoleillé, comme un oiseau, très libre de mouvement37 », il est écrit dans le style fantaisiste du merle noir, satisfaisant notre désir de «lumière, 39 40 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 15 25 d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises41 » ! [Exemple musical no 13 ; cf. Annexe no 4] Dans l’Intermède (VI) composé en premier lieu, la clarinette reprend encore par trois fois le fameux appel du merle noir, entrecoupé d’accords sur dominante. 6. Aspect coloré : Comme cela a été dit précédemment, Olivier Messiaen était atteint de synesthésie ou synopsie, un dérèglement des nerfs optique et auditif, qui permet de voir des couleurs en entendant des sons. Celui-ci peut également être provoqué par la mescaline, une drogue dont Henri Michaux exploita les effets dans ses créations poétiques. Pour Messiaen, la vision de couleurs est exclusivement intérieure et en ce sens, comparable à l’audition intérieure, qui permet à nombre de musiciens d’entendre une partition en la lisant simplement. Ce sont généralement des complexes de sons qui se traduisent par des complexes de couleurs dans l’œil du compositeur. Quand on les transpose d’un ou de plusieurs demi-tons, les accords sons-couleurs changent complètement d’aspect, mais ils s’éclaircissent d’octaves en octaves vers l’aigu. Les modes à transpositions limitées, créés par Messiaen, sont naturellement colorés, et changent d’aspect lors des diverses transpositions. Le mode 3 dans sa première transposition par exemple, est «orangé auréolé de blanc laiteux aux reflets roses, piqueté d’un peu de rouge, comme une opale, avec quelques pigmentations vertes et quelques taches d’or. » Il devient «gris, or et mauve » dans sa deuxième transposition, « bleu et vert » dans sa troisième, et enfin « orangé rayé de rouge, avec un peu de bleu42 » dans sa quatrième transposition. Il est naturellement malaisé pour le commun des mortels non atteints de synopsie de parler des visions colorées de Messiaen, et c’est évidemment un aspect de sa musique qui nous échappe complètement. Mais le Quatuor pour la fin du Temps est la première œuvre du compositeur qui a pour sujet, entre autres, la couleur. Les seules indications dont on dispose à ce propos se trouvent dans la préface du Quatuor, ainsi que dans les commentaires que Messiaen a tenus à son propos à diverses occasions. Tout cela paraît malheureusement très abstrait, pour nous autres mécréants de la couleur !… Dans le commentaire de la Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps (II), le compositeur fait mention des « cascades douces d’accords bleu et mauve, 41 42 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 1 (Préface) in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 139-140 26 or et vert, violet-rouge, bleu-orange, le tout dominé par des gris d’acier43 » qui s’égrainent, comme des « gouttes d’eau en arc-en-ciel44 » durant toute la partie centrale du mouvement. A nous de faire preuve d’imagination à l’écoute! [Exemple musical no 14 ; cf. Annexe no 5] Messiaen explique dans le commentaire du Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps (VII) les hallucinations dont il était victime au Stalag de Görlitz, et qui sont à l’origine de l’inspiration de ce mouvement: « Dans mes rêves, j’entends et je vois accords et mélodies classés, couleurs et formes connues ; puis après ce stade transitoire, je passe dans l’irréel et subis avec extase un tournoiement, une compénétration giratoire de sons et de couleurs surhumains. Ces épées de feu, ces coulées de lave bleu-orange, ces brusques étoiles : voilà le fouillis, voilà les arcs-en-ciel !45 » Malgré l’aspect peu concret de ces notions colorées, il me semblait important de les mentionner, le Quatuor pour la fin du Temps étant une œuvre pionnière dans ce domaine. Depuis les hallucinations de sa captivité, Messiaen conservera sa synesthésie jusqu’à la fin de sa vie, et reste le seul compositeur à avoir étudié ce phénomène dans l’histoire de la musique en général et dans son œuvre en particulier, de manière aussi approfondie, y consacrant, par exemple une bonne partie de son monumental Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie. 43 44 45 in HALBREICH (Harry). – op. cit. – p. 313 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 9 MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps. – p. 2 (Préface) 27 Conclusion Je reste souvent sceptique à l’écoute d’analystes musicaux péremptoires qui prêtent aux compositeurs des volontés parfois étranges et à mes yeux "capilotractées…" Mais dans la musique de Messiaen, je n’ai été que peu confronté à ce type de sentiment : le doute a souvent cédé sa place à la conviction. Premièrement, une somme extraordinaire de renseignements est à notre disposition, venue soit directement du créateur lui-même, par le biais des commentaires, préfaces et postfaces dont il agrémentait ses œuvres, par celui de ses divers traités écrits au cours de sa vie, ou encore par les souvenirs de ses anciens élèves, parmi lesquels Boulez, Stockhausen ou Xenakis. Quoiqu’il en soit, il s’agit toujours d’informations de "première main." Il est difficile de contester une interprétation des nombreux éléments symboliques qui peuplent la musique de Messiaen, tant les certitudes quant à l’angle de lecture sont nombreuses. C’est aussi pour cette raison qu’analyser la musique de Messiaen est confortant. J’ai tenté de montrer dans les pages précédentes à quel point la construction du Quatuor pour la fin du Temps est extraordinaire. Il est pour ainsi dire toujours possible de "disséquer" un passage en multiples éléments théoriques expliqués par Messiaen, à l’instar de la Liturgie de cristal, qui rassemble chants d’oiseaux, mélodie inspirée du plain-chant, canon de rythmes nonrétrogradables ou encore rythmes hindous et accords colorés… Mais ce qui me fascine, hormis le fait que l’on ne remarque rien à l’écoute, si l’oreille n’en est pas avertie, c’est que "malgré" cette construction, en soi plutôt paralysante, l’élan musical subsiste, l’émotion demeure. A mon sens, quand Messiaen dit, dans le film de Pierre Bourgeois: « Il y a des choses qui échappent. Mais il y en a d’autres qu’on entend…46 », il résume en quelques mots l’approche vrai de la musique. A chacun son plaisir, qu’il soit analytique ou émotionnel, réfléchi ou simplement ressenti. Au fur et à mesure de mes recherches sur la personnalité, le langage musical ou les modes d’expression d’Olivier Messiaen, ma fascination à son égard n’a cessé d’augmenter. En effet, de par l’éclectisme de ses intérêts variés, Messiaen pourrait passer à première vue pour un compositeur compliqué, qui mêle une forme de science exacte à des croyances plus contestables aux yeux de certains, ou qui mélange divers éléments plus ou moins dépareillés. Mais à la réflexion, c’est précisément cela qui en fait un personnage musical intéressant et attachant. Comment Messiaen a-t-il pu, à base de rythmes 46 in BOURGEOIS (Pierre). – Les leçons d’Olivier Messiaen (film) 28 hindous, de métrique grecque, d’éléments moyenâgeux tirés du plain-chant ou du chant grégorien, de chants d’oiseaux et d’une synesthésie étrange, créer un langage musical propre et particulier, au point qu’il soit, avec un minimum de connaissances musicales, reconnaissable dès les premiers instants? Attachant, Messiaen l’est également de par son caractère facétieux et joueur, parfois caustique à l’égard de ses collègues compositeurs, et de par son esprit vif, émerveillé par des choses simples, trop souvent ignorées. Messiaen touche, donc. Par sa timidité durant sa jeunesse, par sa modestie à l’aube de sa renommée, et plus tard par sa gentillesse, ses joies enfantines, sa bienveillance et sa volonté de transmettre un amour de la musique présent depuis toujours. Pour preuve de cette acceptation universelle, les nombreux honneurs dont il a été gratifié de son vivant et à titre posthume, ou encore la majesté du Mont Messiaen, dans l’Utah, aux Etats-Unis. Mais surtout, le fait que dix ans seulement après sa mort, Messiaen soit considéré comme un classique, et non plus comme un contemporain, prouve à mes yeux la dimension extraordinaire du message de l’un des plus grands créateurs du XXe siècle. 29 Bibliographie Ecrits du compositeur : MESSIAEN (Olivier). – Technique de mon langage musical. – 2 vol. – Paris : Alphonse Leduc, 1944. Ibid. – Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie. – 8 vol. – Paris : Alphonse Leduc, 1949-1994. Ibid. – Conférence de Bruxelles. – Paris : Alphonse Leduc, 1960. Ouvrages traitant d’Olivier Messiaen : ARNAULT (Pascal). – Messiaen... les sons impalpables du rêve. – 2e éd. – Lillebonne : Millénaire III Editions, 1999. BERARD (Sabine), CASTEREDE (Jacques), HOLSTEIN (Jean-Paul), LOUVIER (Alain) et ZBAR (Michel). - Musique Langage Vivant 3: analyses d'oeuvres musicales du XXe siècle. – Paris : Zurfluh, 1998. EMERY (Eric). – Temps et Musique. – Lausanne : L’âge d’homme, 1975. HALBREICH (Harry). – Olivier Messiaen. – Paris : Fayard, 1980. GOLEA (Antoine). – Rencontres avec Olivier Messiaen. – Paris : Julliard, 1960. MASSIP (Catherine), IDE (Pascal), LOUVIER (Alain), PENOT (Jacques), LORIOD-MESSIAEN (Yvonne), COUVIGNOU (Lionel). – Portrait(s) d'Olivier Messiaen. – Paris : Bibliothèque nationale de France, 1996. PERIER (Alain). – Messiaen. – Paris: Seuil, 1976. ROY (Jean). – Présences contemporaines, Musique française. – Paris : Nouvelles Editions Debresse, 1962. SAMUEL (Claude). – Permanences d'Olivier Messiaen. – Arles : Actes Sud, 1999. Ibid. – Entretiens avec Olivier Messiaen. – Paris : Pierre Belfond, 1967. 30 Ouvrages généraux : Nouveau Testament. – Paris : Editions du Cerf, 1972. Encyclopedia universalis. – Dictionnaire de la musique : Les Compositeurs. – Paris : Albin Michel, 1998. HONEGGER (Marc). – Science de la Musique. – Paris : Bordas, 1976. Ibid. – Dictionnaire de la Musique. – Paris : Bordas, 1970. Partitions : MESSIAEN (Olivier). – Quatuor pour la fin du Temps (partition complète). – Paris : Durand, 1942. Ibid. – Quatuor pour la fin du Temps (matériel). – Paris : Durand, 1971. Discographie : MESSIAEN (Olivier). – Quartet for the End of Time (Loriod, Poppen, FischerDieskau, Meyer). – EMI records Ltd, 1991. Ibid. – Quatuor pour la fin du Temps (Lavoix, Pasquier, Meunier, Di Donato). – Paris : Arion, 1978. Ibid. – Entretien avec Claude Samuel. – Paris : Erato Disques SA, 1988. Filmographie : BOURGEOIS (Pierre). – Les leçons d’Olivier Messiaen. – Artline Productions, 1987. MILLE (Olivier). – La liturgie de Cristal. – Arte France, 2002. 31 Annexe no 1 Exemple musical no 3 : Danse de la fureur, pour les sept trompettes [I – L] 32 33 34 Annexe no 2 Exemple musical no 5 : Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps [I – K] 35 36 Annexe no 3 Exemple musical no 10 : Liturgie de cristal [A – C] 37 38 Annexe no 4 Exemple musical no 13 : 39 40 Annexe no 5 Exemple musical no 14 : Vocalise pour l’Ange qui annonce la fin du Temps [D – H] 41 42 43 44