Le rôle mystique de la musique, nous l’avons dit, se retrouve dans les religions de toutes les
civilisations. Dans les sociétés traditionnelles, une place importante est faite à l’élément
rythmique lié au mouvement du corps. Il est connu que le rythme fait partie intégrante de
l’univers, que ce soit au niveau des vibrations du Noùs, du mouvement des atomes, des
pulsations stellaires, enfin, chez l’être animé, des rythmes respiratoire ou cardiaque... La liste
serait trop longue pour être poursuivie ici. C’est dans cette rythmique permanente de l’univers,
par des cellules répétitives, que le musicien va faire entrer l’assistance, le plus souvent par le jeu
de la danse, introduisant le corps, ainsi que l’âme, dans la communion cosmique.
De la même manière, l’utilisation des sons vocaux, telle qu’elle était pratiquée dans
l’Antiquité et telle qu’on la pratique encore en Orient et dans certains rituels rosicruciens, amène
l’être intérieur à s’harmoniser avec une fragmentation du Verbe, chaque son vocal étant associé à
une note particulière, elle-même en harmonie avec un centre psychique. Le chant grégorien, dans
sa pureté originelle, est une application mélodique des sons vocaux, de même que les psalmodies
des sûtras dans le bouddhisme.
Cette utilisation de la musique amène une harmonisation au sein des centres psychiques,
ainsi qu’un calme intérieur qui favorise l’expérience mystique. Mais cette expérience mystique
est également favorisée par des compositions techniquement plus élaborées, en fait par toute
sorte de musique, y compris le rock. Ce qu’il faut savoir avant toute chose, c’est que la source
profonde de l’inspiration musicale est située dans l’inconscient collectif, cet océan psychique
composé de toutes les expériences de l’humanité depuis l’aube des temps, dans lequel l’être
trouve sa dimension originelle, en même temps que dans l’inconscient personnel du compositeur.
C’est ainsi que l’œuvre musicale véhiculera un contenu subjectif, à la fois individuel et collectif,
auquel s’ajoutera le vécu personnel de l’interprète, et qui, finalement, atteindra l’auditeur au
travers du filtre de sa propre compréhension.
Extrait du chapitre Oiseaux, Couleurs et Musique – La spiritualité d’Olivier Messiaen, par
Mireille GUIGOU
Olivier Messiaen était-il un mystique ? Il s’en défend, car pour lui, le mysticisme étant l’union
de l’homme et de la divinité, il n’y a plus de place, même pour la musique, dans une fusion si
définitive ; tel Pythagore qui se disait « ami de la sagesse ». Philosophe et non point sage, Messiaen se décrit
modestement comme un « théologien des sons ».
Son cheminement spirituel s’exprimera à travers les oiseaux, messagers du ciel, dont il
retranscrira les chants pour piano, pour orchestre, après avoir passé des décennies à les écouter,
les enregistrer, et avoir travaillé avec les ornithologues des pays où il séjournait. Il décrit les
oiseaux comme « ses premiers et ses plus grands maîtres ». « Pas de fausses notes dans la
nature », dit-il, alors que dès l’âge de neuf ans, il passait des vacances à Fuligny, dans l’Aube.
Tandis qu’il gardait les vaches de ses tantes, il entendit les premiers chants de ses amis ailés.
C’est dans ce même lieu qu’il composa en 1928-1929 ses préludes pour piano. Il dit encore :
Ainsi j’ai remarqué, dans le Jura, une grive musicienne spécialement douée dont le chant était
absolument génial quand le coucher de soleil était très beau, avec de magnifiques éclairages rouge et
violet. Lorsque la couleur était moins belle ou que le coucher de soleil était plus bref, cette grive ne
chantait pas ou chantait des thèmes moins intéressants.