Revues générales
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giques, des extrapolations des données
validées de la science et ces mêmes don-
nées de la science. Plus encore, l’étude
de la psychologie sociale permet de
comprendre que les mécanismes psy-
chologiques sous-jacents au travail en
groupe peuvent induire des jugements
non adaptés à une situation donnée [10].
Ainsi, par exemple, si les recommanda-
tions des sociétés expertes pour la prise
en charge des dyslipidémies proposent
toutes des cibles de LDL-cholestérol
à atteindre en fonction d’un niveau
de risque coronaire, aucune étude n’a
validé la valeur de ces cibles dans les
situations ciblées dans les recomman-
dations. En effet, par exemple, si l’étude
TNT [11] valide le bénéfice clinique de
l’abaissement du LDL en dessous d’1 g/L
chez des coronariens, elle n’a inclus que
des patients dont le LDL initial était bas.
Aucune étude n’a pris en compte des
coronariens dont le LDL est très élevé
et dont l’objectif aurait été de l’abaisser
en dessous d’1 g/L. L’étude TNT a sim-
plement démontré que lorsque le LDL
est déjà bas, il est bénéfique de l’abais-
ser encore plus avec une statine chez un
coronarien stable. La stratégie proposant
des cibles absolues de LDL-cholestérol
ne repose donc pas sur une démonstra-
tion scientifique mais sur une construc-
tion théorique, un modèle opérationnel
qui n’est qu’une extrapolation à partir
d’une des analyses possibles des don-
nées de la science.
De même, la stratégie proposée (ici celle
d’une cible absolue de LDL) peut ne pas
être adaptée au problème qu’elle est cen-
sée résoudre puisqu’elle comporte une
double limite :
– celle de ne pas traiter un patient qui
serait à risque coronaire élevé, parce
que son LDL est en dessous de la cible
arbitrairement proposée pour ce niveau
de risque [12]. Les données validées
de la science, et notamment une étude
comme JUPITER [13], en démontrant
qu’un abaissement du LDL nettement
en dessous d’1 g/L peut être bénéfique
bas, n’apportent pas de bénéfice cli-
nique (cas du bézafibrate dans l’étude
BIP [4]. Plus encore, il a pu être montré
qu’un traitement qui augmente le HDL-
cholestérol de 72 % augmente aussi
significativement la mortalité totale et la
mortalité cardiovasculaire (cas du torce-
trapib dans l’étude ILLUMINATE, [5] ou
qu’un traitement qui augmente le HDL
de façon significative augmente tout
aussi significativement (et en moyenne
de 32 %) le risque d’accident vasculaire
cérébral (cas du traitement hormonal de
la ménopause [6]. Concernant le torce-
trapib, qu’en aurait-il été s’il avait été
commercialisé en fonction de ses effets
lipidiques et avant d’avoir été évalué
dans un essai thérapeutique contrôlé ?
Aurait-on su qu’il était nocif ? Ce deux-
ième mode de jugement exige donc que
la preuve du bénéfice clinique d’un
traitement soit apportée par un essai
thérapeutique contrôlé suffisamment
puissant et adapté.
[ Les choix du médecin
Pour prendre une décision, le médecin est
donc confronté à trois types d’arguments :
– ceux reposant sur un rationnel logique
mais sans évaluation clinique pertinente,
– ceux issus exclusivement des essais
thérapeutiques contrôlés,
– ceux provenant des recommandations
de pratique clinique.
S’il est admis que les recommandations
des sociétés expertes doivent être les
critères prioritaires pour établir une
démarche thérapeutique, force est de
reconnaître qu’elles peuvent être criti-
quées, notamment lorsqu’elles préten-
dent faire la synthèse des données vali-
dées de la science, et ce par la synthèse
des essais thérapeutiques contrôlés.
Nombre de publications récentes [7-9]
ont démontré que plusieurs recomman-
dations proposent des stratégies qui n’ont
pas un niveau de preuve suffisant et font
donc un amalgame entre des convictions
d’experts, des données physiopatholo-
Avoir reconnu qu’il existe une associa-
tion entre le métabolisme des lipides
et le risque de maladie athérothrom-
botique a fourni des cibles à des théra-
peutiques pouvant modifier ce méta-
bolisme, action parfois reflétée par les
modifications des valeurs mesurables
de paramètres lipidiques. La valeur des
traitements proposés dans les dyslipidé-
mies peut être jugée de deux façons : par
l’effet qu’ils exercent sur les paramètres
lipidiques et par l’effet clinique qu’ils
procurent. Dans ce texte, plutôt que le
terme “hypolipémiant”, nous utiliserons
l’expression “médicaments dont un des
effets s’exerce sur le métabolisme des
lipides”, il est en effet illusoire de penser
qu’un médicament n’est qu’un hypoli-
pémiant et qu’il n’agit pas sur d’autres
cibles que les paramètres lipidiques,
cibles qui pourraient être en cause dans
d’éventuels effets indésirables.
De ces modes d’appréhension sont issus
deux modes extrêmes de raisonnement
et de nombreux raisonnements associent
ces extrêmes à des degrés divers :
– à un extrême, le mode de raisonnement
est surtout physiopathologique : il envi-
sage le lien entre les paramètres lipidiques
et les effets des médicaments sur la nature
de ce lien et tend à proposer des traite-
ments à partir d’un rationnel physiopa-
thologique. Prenons un exemple : le méca-
nisme par lequel le HDL exerce un effet
de prévention de l’athérome, bien qu’ex-
trêmement complexe, est supposé connu,
il existe un lien épidémiologique fort et
inversement proportionnel entre le HDL
et le risque coronaire, et tel traitement per-
met d’augmenter le HDL-cholestérol ; la
conclusion s’impose, il faut donc le pro-
poser aux patients jugés à risque et ayant
un HDL-cholestérol bas [3],
– à l’autre extrême, le jugement postule
qu’un rationnel physiopathologique, s’il
est nécessaire n’est pas suffisant. Ainsi,
il a été maintes fois démontré que des
traitements augmentant significative-
ment le HDL-cholestérol, y compris chez
des patients à haut risque (prévention
secondaire) et ayant un HDL-cholestérol