Regards et expériences contrastées sur l’euthanasie en Belgique Présenté dans le cadre du CISP-18 janvier 2014 et augmenté de la question de la transgression Bernadette Choteau Marianne Desmedt Luc Sauveur Dominique Jacquemin Introduction • Un atelier « controverse » n’est pas un atelier en termes de « oui/non », « bien/mal ». • Nous efforcer de rendre compte d’un contexte, d’une pratique, de difficultés. • Essayer d’anticiper les difficultés, quelles que soient les évolutions législatives en France. • Trois médecins ayant des pratiques différentes au regard de la loi belge, travaillant dans des institutions différentes. Introduction • Il nous a semblé important de pouvoir partager ce que nous vivons au regard de la loi. • Plusieurs rencontres de préparation, d’échanges vrais entre nous. • Trois temps d’exposé avant la discussion: – Que dit la loi belge? – Comment s’est-elle traduite dans les pratiques? – La loi a-t-elle « tout solutionné »? L’EUTHANASIE DÉPÉNALISÉE EN BELGIQUE LA LOI DU 28 MAI 2002 RAPPEL: LA DÉFINITION LÉGALE • Euthanasie médicale: un acte pratiqué par un médecin qui met intentionnellement fin à la vie d’un patient à sa demande. • À distinguer : - de l’arrêt d’un traitement vital (médicalement justifié ou demandé par le patient) : autorisé par la déontologie médicale et par la loi relative aux droits du patient; - de l’administration d’antalgiques et de sédatifs en fin de vie, même à doses élevées, dans un but thérapeutique. LES OBJECTIFS DE LA LOI • 1 Créer une exception au code pénal pour donner aux patients en situation sans issue et en souffrance qui en font la demande la possibilité effective d’obtenir une euthanasie médicale et aux médecins la possibilité légale de la pratiquer sans crainte de poursuites judiciaires. • 2 Mettre fin aux euthanasies clandestines pratiquées sans contrôle et souvent par des moyens médicaux inadéquats. LES LIMITES DE LA LOI 1 Patient majeur ou mineur émancipé, conscient et lucide ou patient irréversiblement inconscient ayant rédigé une déclaration anticipée dans la forme légale. 2 Respect des conditions et procédures décrites dans la loi. LES TROIS CONDITIONS DE LA DÉPÉNALISATION 1. Affection incurable grave (maladie ou accident). 2. Souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et inapaisables. 3. Demande volontaire et ferme, répétée, sans pression extérieure. Rem. : le caractère insupportable des souffrances est subjectif et dépend des conceptions du patient (décision de la commission).Le patient a toujours le droit de refuser un traitement même palliatif s’il le juge pénible. LES PROCÉDURES A RESPECTER – Informer le patient de son état de santé, des possibilités thérapeutiques ou palliatives. – S’assurer de la volonté ferme et réitérée du patient (demande écrite, entretiens répétés). – Consulter au moins un autre médecin indépendant (si le décès n’est pas prévisible à brève échéance, 2 médecins (le second étant un psychiatre ou un spécialiste de l’affection) et délai d’un mois après la demande écrite). Rem: 1. « Indépendant » = qui n’a avec le patient ou le médecin ni relation familiale ni relation hiérarchique de subordination. 2. Le médecin qui doit être consulté dans tous les cas peut avoir n’importe quelle qualification pour autant qu’il soit compétent pour sa mission. LES PROCÉDURES A RESPECTER – S’entretenir avec l’équipe soignante si elle existe, s’entretenir avec les proches si telle est la volonté du patient. – S’assurer que le patient a pu s’entretenir avec les personnes souhaitées par lui. – Dans les 4 jours suivant le décès, déclarer l’euthanasie pratiquée à la commission de contrôle sur le document légal. LES PROCÉDURES A RESPECTER REMARQUES : • Aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie (dans ce cas, il doit en informer le patient). • L’euthanasie est considérée au point de vue légal comme une mort naturelle (formulaire officiel de déclaration de décès, assurances, etc.). • Aucune personne n’est tenue de participer à une euthanasie. Comment la loi relative à l’euthanasie s’est-elle traduite dans nos pratiques respectives ? Développer la pratique palliative • Découvrir de nouvelles facettes de notre personnalité, de notre profession, de la façon dont nous accompagnons les patients en fin de vie • Interpeller nos compétences, notre expertise, notre travail interdisciplinaire • A condition de ne pas réduire la question de l’euthanasie à l’acte demandé et de ne pas le considérer comme une façon parmi d’autres de mourir (transgression) Reconnaître la souffrance morale • Désengagement des médecins face aux demandes liées à une souffrance morale – Une souffrance qui sort du champs exclusif de la médecine – Un doute sur le caractère insoutenable d’une détresse morale ou sur l’impossibilité de l’apaiser – Des attentes irréalistes à l’égard de l’équipe de soins palliatifs • Rôle des équipes mobiles de soins palliatifs Questionner la maîtrise • Le pouvoir médical – Le « paradoxe légal » – Un rapport au pouvoir vécu différemment par chaque médecin – Une situation à risque de toute-puissance médicale • Le besoin de contrôle des patients – Un rejet de la demande • Un option palliative réfutée • Une souffrance masquée par le besoin de tout contrôler – Les « bonnes » et les « mauvaises » demandes ? Solliciter l’aide des équipes de soins palliatifs • Rôle clair et incontestable – Rappeler le cadre, explorer les motifs et comprendre les ressorts de la demande, proposer et mettre en place un accompagnement palliatif • Fonction controversée – Demande élaborée et/ou acte quasi programmé – Instrumentalisation ou sollicitation – Partage de compétences spécifiques acquises dans le domaine Allier des temporalités différentes • Différencier le temps légal du temps dont les intervenants ont besoin pour intégrer la complexité de la situation et élaborer un réponse cohérente avec leur identité – Temporalité du patient – Temporalité de l’entourage – Temporalité du médecin et de l’équipe soignante • Allier différentes temporalités sans se décentrer du patient et de son rythme Préserver la relation dans le refus • Une communication renforcée Un dialogue qui a gagné en clarté et en authenticité • Acter un refus en préservant la relation – Incompréhension, reproches, sentiment de culpabilité – Soutien et rôle de l’équipe mobile de soins palliatifs La loi a-t-elle « tout solutionné »? « Ne pas dire oui » • Tenir dans le refus est une épreuve pour le clinicien et pour l’équipe. • « Transférer le patient » constitue une véritable souffrance morale. • On ne peut plus « se cacher » derrière une interdiction: « c’est vraiment moi! ». • Importance d’être soutenu face au « jugement ». Répercussions sur les soins palliatifs • Lorsque les soins palliatifs ne peuvent tenir un idéal, un risque d’augmenter le sentiment d’échec des professionnels. • Comment faire au mieux, avec ce patient, là où je suis? • Comment le respecter en se maintenant dans le « non »? • Une certaine instrumentalisation des soins palliatifs « pour éteindre l’incendie »… (faire taire) Une réponse à donner dans une institution • Le risque des « étiquettes » institutionnelles, quelle que soit la position du clinicien. • Parfois difficilement ressenti, mais repère pour l’accompagnement. • Permet de se positionner comme USP et EMSP en termes de soutien au patient et au professionnel. • Et toujours le cadre de la loi… Enjeux de formation médicale • Comment aider de jeunes médecins à affronter ces questions difficiles et à se positionner comme sujet hors des seules ressources intellectuelles. • Au cœur d’une décision interhumaine, dans une situation singulière… • Ouvrir la question comme un possible pour chacun au cœur d’une médecine « à l’offre démultipliée ». • En restant attentif aux limites portées par le patient. Questions de société • Des pressions économiques de plus en plus réelles, structurantes. • Que signifie: « il est mort avec courage? » Une nouvelle norme? • Serait-ce plus simple avec le suicide assisté? Autre forme de violence? • La mort, quelle qu’elle soit et quelle qu’en soit la modalité, n’est jamais facile. Ajout à la contribution de juin 2013 La question de la transgression D. Jacquemin Qu’entendre par transgression? • Etre mis en situation d’être « en dehors des frontières » qui font habituellement sens. • Si le concept évoque une dimension morale, invitation à le penser comme un concept clinique: où sommes-nous, au cœur de cette demande, dans ce qui fait habituellement sens pour nous? • Nécessité de pouvoir se le dire, oser le mot. Vers une éthique de… • Qu’est-ce qui nous déplace, pourquoi, au regard de quoi? • Quels sens du possible, voire de l’impossible? • Qualifier davantage le chemin qu’un « enfermement » dans le terme de l’action. • Relire a posteriori et en retire des fruits d’expérience.