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Fiche n°13
LA COLLUSION DE L’ANONYMAT
La collusion de l’anonymat est un concept formulé par M. Balint qui souligne l'effet
potentiellement délétère de la multiplicité de professionnels de santé autour d'un patient. Il
décrit comment, lorsque de nombreux médecins s’occupent d’un patient en se l'adressant
l’un à l’autre, une décision est finalement prise sans que personne ne s’en sente vraiment
responsable [23].
Ceci est particulièrement vrai dans les situations diagnostiques ressenties comme difficiles
par le médecin : "lorsque le patient offre une énigme à son médecin traitant qui, de son côté,
est soutenu par une foule de spécialistes, certains événements sont pratiquement
inévitables. Et parmi eux, le premier est la "collusion de l’anonymat". Des décisions vitales
sont prises sans que personne ne s’en sente pleinement responsable."
Cette recherche plus ou moins consciente de dilution des responsabilités peut être entraînée
par la peur de passer à côté d’une pathologie grave. Balint parle ici de la peur de négliger
un processus organique face à une "offre" du patient : "la méthode mise en pratique pour
vaincre ce fantôme et avec lui la responsabilité des "réponses" faites, responsabilité qui,
sans être entièrement admise, est néanmoins pleinement ressentie, c’est de diluer les
responsabilités par la collusion."
Le patient est parfois moteur de cette situation, sollicitant de nombreux avis, installant autour
de lui un nombre important d’"experts", et ainsi créant une situation où personne n’est à
même de le prendre correctement en charge. Balint décrit ainsi le cas d’une jeune femme
multipliant les médecins consultés et conclut : "chacun fait tous ses efforts et dépense son
énergie inutilement, mais personne ne peut être tenu responsable de l’organisation (ou de la
désorganisation) de la situation."
Discussion
Ce concept est toujours d’actualité, et il est bon que le médecin généraliste connaisse son
existence. En effet, c’est toujours à lui qu’il revient d’assumer le choix de ses décisions,
même si celles-ci sont l’application de l’avis d’un confrère spécialiste. Ceci est vrai
également dans le cas du renouvellement d’un traitement initié par un autre médecin.
Il est parfois bien difficile de lutter contre cette collusion de l’anonymat tant il peut y avoir de
spécialistes autour d’un patient. Le rôle du médecin généraliste est alors justement
d’orchestrer cette prise en charge à plusieurs, et de vérifier que celle-ci se fait bien dans
l’intérêt du patient, quitte à refuser parfois telle exploration ou tel traitement, proposé par l’un
ou l’autre.
Ce "ballet" important de médecins autour d’un patient crée, en plus de la collusion de
l’anonymat, le risque d’une surmédicalisation de sa santé. Un concept récent, mettant en
garde contre cela, est celui de la prévention quaternaire (voir fiche n°40 : Prévention
quaternaire) [61].
Les sociologues ont, quant à eux, décrit différents types de patients, dont le modèle "patients
du présent" caractérisé par le consumérisme. Ces patients, voulant guérir vite et n’hésitant
pas à critiquer leur médecin, en changent souvent, et sont sujets au nomadisme médical : ce
type sociologique de patients peut induire malgré lui la collusion de l'anonymat [27].
La fuite des responsabilités peut prendre aujourd’hui un autre visage que celui de la
collusion de l’anonymat ou de la "soumission à l’autorité" (voir fiche n°14 : La soumission à
l’autorité). Il s’agit d’un effet collatéral de la Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
patients. Le médecin, respectant son devoir d’information et de liberté du patient à la lettre,
se dédouane de sa responsabilité derrière des études et des chiffres. Un exemple serait le
suivant : "Madame, vous avez un cancer du sein, si on ne fait rien vous avez X % de risque
de mourir, la radiothérapie diminue ce risque mais augmente celui d’insuffisance cardiaque
de Y %, la chimiothérapie diminue encore le premier risque mais augmente celui de
thrombose avec accident vasculaire cérébral de Z %. Je vous donne les dernières études
sur le sujet et vous laisse réfléchir". Ce type de dialogue n'est plus rare et laisse souvent le
patient dans un état de perplexité, pour ne pas dire d’angoisse importante.
Illustration
Un patient, qui a une pathologie psychiatrique lourde, mais également un terrain vasculaire
avec une hypertension artérielle et un antécédent d’accident vasculaire cérébral, consulte
suite à une chute mécanique avec contusion. Il a un suivi très épisodique, rendant difficile sa
prise en charge. En regardant son dossier médical, la dernière prescription de son traitement
de fond remonte à presque un an.
En s'enquérant auprès du patient de son actuel traitement psychiatrique on s'aperçoit que la
dernière ordonnance du psychiatre contient tout le traitement, y compris cardio-vasculaire. Il
semble alors difficile d'intervenir auprès du patient et de lui souligner la nécessité d'une
surveillance correcte, alors qu’un confrère, sans doute pour lui rendre service, prescrit des
médicaments qui n’ont rien à voir avec sa spécialité. Le médecin traitant se sent dépossédé
de la responsabilité de la prise en charge du terrain vasculaire, en même temps que le
psychiatre ne se sent sûrement pas responsable de ce qui ne touche pas à la psychiatrie.
Quelle incidence cela peut-il avoir sur la qualité des soins délivrés au patient ? Quelle
interférence ces prescriptions provoquent-elles au sein de la relation thérapeutique entre le
patient et son psychiatre ? Quels bénéfices et quels risques a-t-on à ne rien changer ?
Pour aller plus loin
Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Paris : Payot, 2009 : 419 p. (p. 80-92 et
p. 305).
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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