Concurrence et marchés Cours SEGF - ENPC 2003 Concurrence dynamique et collusion COLLUSION ET CARTELS Jusqu’à présent, modèles statiques de concurrence. En réalité : ¶ les mêmes entreprises interagissent de façon répétée ; ¶ la perspective dynamique explique des comportements plus riches ; ¶ en particulier, elle rend possible une forme de “collusion” : ◇ mise en évidence économétriquement par des études de cas (chemins de fer US, stations service au Canada, auto-écoles dans le Haut-Rhin, pâte à bois au niveau européen) ◇ pour échapper au paradoxe de Bertrand: ententes, cartels. 1. Généralités sur les modèles de collusion 2. Régularités empiriques et exemples de collusion 3. Modèles de concurrence dynamique Généralités sur les modèles de collusion Collusion π “prise de décisions concertées dans le but de fausser le jeu de la concurrence”. En général sur le prix ! ¶ la collusion est avantageuse pour les entreprises dans leur ensemble, ¶ mais chaque entreprise voudrait que les autres collaborent, et ne faire qu’en retirer les bénéfices. Exemple (trop connu ?) : dilemme du prisonnier. agent 1 \ agent 2 Coopérer Ne pas coopérer Coopérer (10,10) (-2,12) Ne pas coopérer (12,-2) (0,0) La collusion doit donc être soutenue par des “menaces” : ¶ Collusion implicite: menace π ne plus collaborer dans le futur; tentation de dévier à court terme / bénéfice de s’entendre à long terme. ¶ Collusion explicite / institutionnelle: menace π contrats, procès, conseil de l’ordre ¶ Collusion par des menaces extra-légales (menaces physiques, racket). On va s’intéresser surtout à la collusion implicite: pas d’institution explicite, difficile à détecter Statut légal ...? Attention : Ici la collusion est mauvaise du point de vue social; mais il existe d’autres situations où elle est bonne (coopération en R&D, collaboration à l’intérieur d’organisations). Dans ces cas aussi, la nature dynamique des jeux est importante. Collusion explicite / institutionnelle Signer un contrat de fixation des prix ! ¶ prix π prix de monopole avec pénalités si déviation / transferts entre firmes si asymétries ¶ Ou prix sur la “courbe des contrats”, si transferts sont illégaux Contrats horizontaux de fixation de prix sont interdits (Sherman Act, Art.85 Traité de Rome) Alternative: institution, publique ou privée, qui contrôle les prix, interdit les discounts, contrôle la production et instaure discipline: radiation, retrait d’autorisation / licences, ¶ contrôle public: prix unique du livre ¶ IATA et tarifs aériens (70s) ¶ Associations profesionnelles, labels, ordres ¶ Contrats verticaux et structures de distribution Collusion implicite Théorie doit expliquer: mécanismes à l’oeuvre, détermination du prix et du partage ? Et retrouver les facteurs facilitant le développement de la collusion implicite, tels que prouvés dans différents cas réels : ¶ lorsqu’il y a peu de firmes, ¶ des protections contre l’entrée ¶ si l’environnement est stable, si il existe des traditions dans le secteur ¶ si la détection des défections est facile, ¶ si les firmes sont semblables (ou sinon, s’il existe un “leader” naturel) ; ¶ si les entreprises sont en contact sur plusieurs marchés. Exemples Cartel de la cigarette: US, 1918: 90% du marché (produit homogène) partagé entre Reynolds (dominante, Camel), American Tobacco (LuckyStrike) et Liggett & Myers (Chesterfield). - leadership de R: coordonner le cartel, fixer le prix ¶ 1918: p AT augmente, non suivie par R, annulation par AT ¶ 1921: p AT diminue, p R diminue encore plus, suivi par tous ¶ 1923-31, 6 τp cartel initiés par R et suivis en 24h, 2 par AT dont 1 à la hausse non suivi. - fragilité à l’entrée de concurrents ¶ 1931: tabac bon marché, crise éco, et pourtant p cartel π 15c/p ¶ 31-32: petites marques à 10c/p passent de 1% à 23% du marché ¶ 32-33: cartel s’écroule, prix chutent, petites marques reviennent à 6% ¶ rétablissement du cartel avec prix modérés. ¶ Fin du cartel: entrée de Philipp Moris (Marlboro) DeBeers et les diamants: De Beers Consldt Mines Ltd contrôle le marché du diamant, pas par la production (conc. russe, afrique centrale,...) mais par sa Central Selling Organization (CSO). CSO π intermédiaire (tri, classification, et regulation de l’offre par les stocks) entre mines et diamantaires pour 80% du marché. - Discipline de cartel: leadership et punition ¶ 1981: Mobutu annonce que Zaïre (1er producteur) courcircuitera CSO et noue des contrats avec diamantaires grossistes ¶ 2 mois plus tard: 1 million de carats de diamant industriels envahissent le marché: p s’effondre de $3/ca à $1.8/ca. Origine ? ¶ 1983: Zaïre demande renouvellement contrats (moins bons termes!) Tetracycline: marché π appels d’offre publics - Coordination par business tradition, culture, coutume (long terme) ¶ VetAdm enchère sous pli scellé: 5 réponses, toutes à $19,1884 l’unité ! ¶ p détail π $60 - 15% (marge détaillant) - 40% (marge droguistes) - 20% -20% (marges d’intermédiaires) -2% rabais standard π $19,1884 ! - Fragilité aux aléas de la demande ¶ plusieurs enchères, même prix, pour lots comparables (5000 unités) ¶ 1 enchère exceptionnelle (ArmedServ) pour 95000 unités: ¶ rupture du cartel: 2 offres à $19,1884, 1 à $18,97, et 1 à $11 ! ¶ ($11 / unité est profitable !) ¶ par la suite, guerre de prix plus agressive Multi-contacts sur le marché de la nourriture pour chiens: marché de 3 milliards de $ aux US ! 5 segments dont: nour. sèche (dry) dominée par Ralston Purina (49%), nour. hydratée (moist) dominée par QuakerOats (28%). Discipline / punition facilitée par les contacts multi-marchés: ¶ 1986: Quaker acquiert Anderson Clayton, convoitée par Ralston. ¶ Quaker réorganise et obtient 81% sur marché ”moist”, et 20% sur marché ”dry” ¶ Ralston acquiert Benco Pet Food, rival de Quaker sur le marché moist ¶ Stratégie: je te tiens, tu me tiens par la barbichette...! π tentative d’avertissement d’éviter la concurrence sur le marché dry ¶ Finalement, n’a pas marché: attaques croisées sur les 2 marchés Modèles de collusion et concurrence dynamique Les modèles statiques de collusion sont ad hoc (modèle de demande coudée) introduction explicite du temps. L’intuition est : coopération possible car les gains de court terme, dus à l’agressivité ⊢ les pertes de long terme dues à l’effondrement de la coopération ¶ Avantages: ◇ “propres” ; ◇ permettent de tester directement les régularités empiriques ; ¶ Désavantages: ◇ peuvent devenir très complexes ; ◇ ont souvent trop d’équilibres. Modèles à horizon fini Modèle de Bertrand dans un duopole non-différencié : ¶ chaque firme a un coût marginal constant, égal à c ; ¶ la demande est DÝpÞ, ¶ facteur d’escompte: ϱ (poids de la période t γ 1 vu de la période t) Version statique (1 période), prix d’équilibre π c, profits sont nuls. Version à 2 périodes, les entreprises interagissent à 2 reprises, l’entreprise i choisissant un prix p ti à la période t: ψ 1 π q 11 Ýp 11 ∯ cÞ γ ϱq 21 Ýp 21 ∯ cÞ et ψ 2 π q 12 Ýp 12 ∯ cÞ γ ϱq 22 Ýp 22 ∯ cÞ. A la période 2: prix π c, quelles que soient les actions en période 1. ì prix π c aussi en première période. Nombre quelconque mais fini de périodes. Modèles à horizon infini Considérons encore un duopole de Bertrand où les entreprises interagissent de manière répétée et indéfiniment. p m est le prix de monopole, engendrant un profit de monopole ψ m . Supposons que les deux entreprises utilisent la stratégie suivante : ¶ A la période 1, tarifer le prix p m ; ¶ A chaque période t ρ 1 : ◇ si pour tout ℎ ] t, on a p ℎ1 π p ℎ2 π p m , alors tarifer le prix p m (phase de coopération); ◇ Dans les autres cas, tarifer le prix c (phase de punition). Ces stratégies forment un équilibre (parfait) du jeu de tarification répétée entre les entreprises, si elles sont assez patientes. Chemin d’équilibre: p m indéfiniment, et chacune gagne ψm 2 . - En phase de punition, les entreprises n’ont pas intérêt à dévier! - Ont-elles intérêt à le faire dans la phase de coopération ? ¶ Continuer à coopérer rapporte un profit de ψm , ψ m Ý1 γ ϱ γ↑ γϱ t γ↑ Þ π 2 2Ý1 ∯ ϱÞ ¶ Rompre la coopération mène à un profit de ψ m ∯ ‖ γ 0 Ýϱ γ↑ Þ ≠ ψ m , puisque, tant qu’à rompre la coopération, il vaut mieux choisir p m ∯ ‡. L’entreprise préfère continuer à coopérer si: ψm ⊣ ψm é ϱ ⊣ 1 . 2 2Ý1 ∯ ϱÞ Si le futur a assez de poids, cela vaut la peine de coopérer. Remarques ¶ Il y a beaucoup d’équilibres : ◇ des équilibres non collusifs : tarifer c toujours est un équilibre ; ◇ théorème général : il y a énormément d’équilibres lorsque ϱ est proche de 1 ; ◇ on se concentre sur l’équilibre à profit maximal pour les entreprises. ¶ ϱ peut être interprété comme une probabilité de la fin du jeu ; ¶ Difficulté conceptuelle : une fois entrées dans une phase de punition, les entreprises auraient tendance à renégocier (explicitement ou implicitement) pour sortir du mauvais équilibre. Ceci accroît les incitations à ne pas coopérer. ¶ Les entreprises conditionnent leur choix sur le passé, bien qu’il n’ait aucun impact direct sur leurs profits, seulement impact par le choix de l’autre entreprise Applications La théorie permet-elle de retrouver les facteurs qui favorisent / défavorisent la coopération, les ententes ? Nombre d’entreprises Soit n le nombre d’entreprises. La condition d’équilibre pour une stratégie similaire devient: ψm ⊣ ψ m é ϱ ⊣ 1 ∯ 1n . nÝ1 ∯ ϱÞ Plus les firmes sont nombreuses, plus la collusion est difficile ! Intuition: les bénéfices de la collusion sont moindres, alors que les gains à dévier sont inchangés Délais de réaction, délais d’observation ϱ π facteur d’escompte d’une “période” à la suivante période π le temps de réaction des firmes pour modifier leurs prix. Quand le temps de réaction s’accroît (les prix ne peuvent être changés rapidement), ϱ diminue et la collusion devient plus difficile. La détection devient en effet plus difficile, ce qui augmente la tentation de tricher. Exemple: si la détection se fait 2 périodes (réelles) plus tard: ψm ⊣ ψ m Ý1 γ ϱÞ é ϱ ⊣ 1 ρ 1 . 2 2Ý1 ∯ ϱÞ 2 Les gains de déviation peuvent être encaissés pendant 2 périodes ! Fluctuations de la demande ¶ Il y a deux états de la demande, haute ou basse, équiprobables; ¶ ψ ml et ψ mh , les profits de monopole dans les deux états. ¶ Entreprises apprennent la demande à t, avant de choisir les prix p it . - Stratégies: coopérer jusqu’à ce qu’une firme triche, prix π c, après. - Coopèrer quand la demande est haute rapporte: ψ mh 2 γ ψ ml ψ mh 1. γ 1. 2 2 2 2 tπγ∻ Ýψ mh Ý2 ∯ ϱÞ γ ψ ml ϱ Þ . ∮ϱ π 4Ý1 ∯ ϱÞ tπ1 t L’entreprise coopère bien si: m ψ Ýψ mh Ý2 ∯ ϱÞ γ ψ ml ϱ Þ h ⊣ ψ mh é ϱ ⊣ 2 m m . 3ψ γ ψ 4Ý1 ∯ ϱÞ h l - Elle ne triche pas en demande basse si: ψ ml ϱ⊣2 3ψ ml γ ψ mh Il y a donc collusion sur ce marché quand: ψ ml ψ mh et ϱ⊣2 . ϱ⊣2 3ψ mh γ ψ ml 3ψ ml γ ψ mh La coopération est plus fragile quand la demande est élevée: m ψ ψ mh 1 ⊣2 l 2 m m ⊣ m 2 3ψ h γ ψ l 3ψ l γ ψ mh Incitations à “tricher” sont plus fortes quand la demande est forte. Périodes de boom sont difficiles pour les cartels et peuvent imposer un cartel imparfait: sur la base d’un prix p h ] p mh tel que Ýψ h Ýp h ÞÝ2 ∯ ϱÞ γ ψ ml ϱ Þ ψ h Ýp h Þ ⊣ ψ h Ýp h Þ é ϱ ⊣ 2 m . 4Ý1 ∯ ϱÞ 3ψ h Ýp h Þ γ ψ l Fluctuation de demande entrave la collusion / demande moyenne Déviations et prix secrets Modèle (duopole) où les entreprises ne connaissent pas l’état de la demande, et n’apprennent donc pas si les autres ont triché ! ¶ ¶ ¶ ¶ Dans chaque période, la demande est 0 avec probabilité ϖ ] 1/2 ; avec probabilité 1 ∯ ϖ, demande positive déterminée par DÝpÞ ; les demandes dans les différentes périodes sont indépendantes ; les entreprises n’observent jamais directement l’état de la demande. On recherche un équilibre avec des stratégies telles que: ¶ ¶ ¶ ¶ 2 types de phases : coopération et punition (guerre de prix) En phase de coopération, les deux entreprises tarifent le prix p m ; En phase de punition, elles tarifent un prix égal à c pendant T périodes. Phase de coopération initiale dure jusqu’à la première période où une entreprise n’a pas de ventes (les deux entreprises le savent). V c : revenu actualisé au début d’une période de coopération, V p : revenu actualisé en 1ère période d’une phase de punition. m ψ γ ϱV c Þ γ ϖÝϱV p Þ V c π Ý1 ∯ ϖÞÝ 2 Vp π ϱTVc On obtient donc: Ý1 ∯ ϖÞψ m /2 Vc π 1 ∯ ϱ γ ϖϱ ∯ ϖϱ Tγ1 et Vp π ϱTVc. - En phase de punition, les entreprises n’ont pas intérêt à dévier ! - En phase de coopération, elles ne dévient pas si V c ⊣ Ý1 ∯ ϖÞÝψ m γ ϱV p Þ γ ϖÝϱV p Þ. Donc si: V c ∯ V p ⊣ ψ m /2. Ceci est équivalent à: ϱÝ1 ∯ 2ϖÞÝ1 ∯ ϱ T Þ ⊣ 1 ∯ ϱ. ¶ Il ne peut pas y avoir coopération si ϖ ρ 1/2 ; ¶ Il peut y avoir coopération si ϖ ⊢ 1/2. Le mieux que les entreprises peuvent faire, c’est se coordonner sur le plus petit T qui donne des incitations à la coopération. Un T fini existe si l’inégalité stricte est vraie pour T γ∻, c.a.d. si: 2Ý1 ∯ ϖÞϱ ∯ 1 ρ 0 é ϖ ] 2ϱ ∯ 1 π 1 ∯ 1 2ϱ 2ϱ Il y a alors des guerres de prix en équilibre ! Si les entreprises ne réagissent pas à l’absence de vente, il n’existe pas de phase de punition pas d’incitations à ne pas dévier ! ì une guerre de prix doit intervenir avec probabilité positive en temps fini, bien qu’il n’y ait pas de déviation !