Author: Jean-Marie Harribey
Title: Passer d’un mode de développement productiviste à la soutenabilité : La 
transition par le non marchand
Institution: MC Université Bordeaux IV
Country: France
Abstract: 
Lorsque le concept de soutenabilité a fait irruption dans la communauté internationale, 
tant scientifique que politique, il visait à inclure en son sein deux aspects : la soutenabilité 
sociale pour assurer l’équité intra-générationnelle et la soutenabilité écologique pour garantir 
l’équité   inter-générationnelle.   Malheureusement,   le   ver   était   dans   le   fruit,   car   le   rapport 
Brundtland,   à   côté   de   sa   célèbre   définition   du   développement   soutenable,   s’empressait 
d’ajouter   qu’une   « croissance   vigoureuse »   –   sous-entendu   perpétuelle   –   était   nécessaire 
[1987, p. XXIII]. On le sait, aucune croissance économique n’est possible indéfiniment. Une 
stratégie de soutenabilité véritable doit donc s’efforcer de rendre compatible les deux aspects 
de la soutenabilité – l’aspect social et l’aspect écologique – en s’écartant progressivement du 
recours à la croissance économique, dont il est avéré qu’elle ne peut ni réduire les inégalités 
sociales ni résoudre la crise écologique.
La communication proposée ici vise à explorer une voie propre à amorcer la transition 
du mode de développement actuel à la soutenabilité au sein des sociétés marquées d’un bout 
à   l’autre   de   la   planète   par   le   gaspillage   et   la   dégradation   impliqués   par   l’accumulation 
capitaliste,  par  l’assimilation   du  bien-être  à   l’augmentation  des  quantités  de   marchandises 
consommées quelle que soit leur qualité et par l’impossibilité pour les plus pauvres d’accéder 
aux ressources les plus vitales comme la terre, l’eau ou les connaissances.
Puisque  la  dynamique   impulsée   par  le  capitalisme   vise  à   étendre   à  l’ensemble  des 
activités humaines le champ de la marchandise, sous toutes les latitudes, quels que soient par 
ailleurs les régimes politiques – libéraux ou étatiques, voire dictatoriaux –, qu’elle est en passe 
d’atteindre son point  ultime  avec la  mondialisation   de  l’économie,  et que les améliorations 
techniques ne compenseront vraisemblablement pas l’effet rebond, nous formulons l’hypothèse 
suivante :  si   les  activités  non  marchandes  visant  à  répondre  aux   besoins  sociaux   de   type 
qualitatif (santé, éducation, culture notamment) ont une empreinte écologique en moyenne 
inférieure à celle des activités marchandes à la fois industrielles et de services, il est possible 
d’amorcer une transition soutenable par l’augmentation des unes et la diminution des autres. 
Ce que nous appelons « démarchandisation » de la société, relative, puis absolue, est 
susceptible, en tant que nouvelle dynamique, à la fois de faire progresser la justice sociale, ici 
et partout, maintenant et demain, et de diminuer notre empreinte écologique. En effet, si l’on 
ne   concevait   la   réduction   des   inégalités   sociales   comme   ne   pouvant   passer  que  par   la 
croissance   des   revenus   individuels,   il   est   à   craindre   que   l’imaginaire   de   la   consommation 
marchande individuelle, favorisé par le mimétisme ambiant, ne l’emporte et que cela exige de 
faire croître indéfiniment le « gâteau » sans s’interroger sur son contenu ni sur sa répartition. 
Cela signifie que la réduction des inégalités peut passer davantage par l’accès universel aux 
services   non   marchands   que   par   celui   de   l’extension   perpétuelle   de   la   consommation 
marchande.
Dans une optique de soutenabilité redéfinie autour de la démarchandisation, deux types 
de travaux de recherche théorique et pratique sont à accomplir. Premièrement, au « travailler 
plus » nous opposons le « travailler moins » au fur et à mesure que les besoins essentiels sont 
satisfaits. Cela va dans le sens d’une certaine démarchandisation de la vie, à travers laquelle 
peut être posée la question des finalités du travail et, par suite, celle de l’utilité sociale de la 
production.
Deuxièmement,   comme   la   démarchandisation   implique   de   faire   progresser   les 
prélèvements sociaux et écologiques au fur et à mesure de la prise en charge collective des 
besoins essentiels de type qualitatif et du financement de la protection des biens communs de 
l’humanité (eau, air, climat, etc.) ou de leur production (recherche, connaissances), il convient 
d’élaborer une « économie politique » de la soutenabilité. Celle-ci doit être capable de faire 
reculer l’idéologie selon laquelle toute activité non destinée au marché est contre-productive et 
parasitaire. Au contraire, le travail consacré à produire du « bien » collectif, dans des cadres