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URGENCES
MEDICO-CHIRURGICALES
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HEMORRAGIES DIGESTIVES :
ORIENTATION DIAGNOSTIQUE ET CONDUITE A TENIR
Jean-Pierre Vinel, Louis Buscail
Toute hémorragie digestive met en jeu le pronostic vital. Le diagnostic est en règle facile.
La conduite à tenir vise en premier lieu à maintenir ou restaurer un état hémodynamique correct par
des mesures générales de réanimation. Dès que l’état du patient le rend possible, une endoscopie
doit être faite : elle permet le plus souvent un diagnostic lésionnel et un traitement d’hémostase.
1) Définitions :
- Hématémèse : rejet par la bouche de sang rouge ou noir, dans des efforts de vomissements
- Méléna : émission de selles noires nauséabondes et caractéristiques correspondant à du sang
digéré. 80 % des hémorragies digestives sont révélées par un méléna.
- Rectorragies (ou hématochésie) : rejet de sang rouge, non digéré, par l’anus. Elles ont en général
pour origine une lésion rectale ; mais en cas de saignement très abondant toute hémorragie
digestive peut s’extérioriser sous forme de rectorragie
- Hémorragie digestive haute : toute hémorragie dont la source se situe en amont de l’angle de
Treitz, si bien qu’elle peut se manifester par une hématémèse
- Hémorragie digestive basse : hémorragie dont la source est située en aval de l’angle de Treitz.
Elle ne peut s’extérioriser que sous forme de méléna ou de rectorragie.
2) Conduite à tenir :
2-1 Affirmer le diagnostic :
Il est habituellement facile même si, parfois, peuvent se discuter une épistaxis déglutie, ou
une hémoptysie, plus rarement un vomissement teinté par des aliments ou des boissons.
Plus que sur l’interrogatoire, il repose sur l’examen des déjections et le toucher rectal. La mise
en place d’une sonde gastrique peut être utile mais la recherche de sang par bandelettes réactives
dans le liquide gastrique est sans valeur du fait d’un nombre très élevé de faux positifs.
2-2 Apprécier la gravité de l’hémorragie :
Le patient et sa famille tendent à surestimer l’abondance du saignement. A l’ inverse, une
partie importante du saignement peut ne pas être extériorisée. La gravité de l’hémorragie doit
donc s’apprécier sur les signes généraux :
- tachycardie et hypotension orthostatique
- pâleur, sueurs, froideur des extrémités, hypotension artérielle
- voire signes de choc avec pression sanguine artérielle inférieure à 80 mmHg.
La diminution de l’hématocrite et du taux d’hémoglobine est plus tardive : ce n’est
qu’après quelques heures que la restauration du volume circulant par appel d’eau et
d’électrolytes des espaces interstitiels abaisse ces paramètres..
2-3 Effectuer les premiers gestes d’urgence :
1- Installation du patient en position latérale de sécurité pour éviter l’inhalation en cas de
vomissements
2- mise en place d’un cathéter veineux de gros calibre
3- rétablissement ou maintien d’un état hémodynamique correct par perfusion de
colloïdes et dès que possible de sang si la déglobulisation le nécessite (Hématocrite 25%)
4- oxygénothérapie par voie nasale
5- surveillance des paramètres vitaux : pouls, tension artérielle, fréquence respiratoire,
diurèse…
6- prélèvement pour groupage sanguin, bilan d’hémostase (TP, TCA, plaquettes), FNS.
Seront aussi demandés : bilan électrolytique sanguin (l’urée sanguine s’élève de façon
isolée en cas d’hémorragie digestive haute) avec créatininémie et tests hépatiques.
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Dans tous les cas les patients doivent être surveiller en phase aiguë dans une
unité de soins intensifs sur les paramètres cliniques (pouls, TA) et biologiques
(hématocrite).
2-4 Rechercher la cause :
Toute lésion de la muqueuse digestive ou des glandes annexes (foie et voies biliaires, pancréas) peut
occasionner une hémorragie digestive. Les causes les plus fréquentes sont présentées dans le
tableau 1.
L’interrogatoire du patient et de son entourage, les antécédents, les données de l’examen
clinique fournissent le plus souvent une orientation.
L’endoscopie est pratiquée dès que l’état du patient le permet (volontiers après injection IV
d’érythromycine pour stimuler la vidange gastrique). C’est l’examen clé : elle permet le plus
souvent de localiser la source de l’hémorragie, de préciser sa nature et, en cas de saignement
actif, d’assurer l’hémostase par un procédé technique adapté : ligature ou sclérose de varices,
sclérose, électro- ou thermo-coagulation d’une lésion ulcérée….
2-5 Traiter la cause de l’hémorragie :
2-5-1 Hypertension portale :
En présence d’une cirrhose connue ou de signes faisant évoquer une hypertension
portale ou une maladie hépatique (circulation collatérale abdominale, splénomégalie,
ascite, ictère, hépatomégalie dure) un traitement par agents vasoactifs (terlipressine ou
somatostatine et dérivés) doit être instauré avant même la confirmation endoscopique : il
diminue les besoins en transfusions et la mortalité.
Après confirmation du diagnostic, les traitements suivants peuvent être utilisés :
- Hémostase endoscopique : sclérose (aetoxysclérol) ou ligature élastique de la varice qui
saigne
- agents vaso-actifs : terlipressine (une injection toutes les 4 heures), somatostatine ou
dérivés en perfusion
- sondes de tamponnement (de Blakemore ou de Linton) : c’est une technique
dangereuse et d’efficacité temporaire. Elles doivent être réservées aux hémorragies
incontrôlables, dans l’attente d’une geste de dérivation
- dérivation porto-systémique chirurgicale ou radiologique (TIPS).
Après que l’hémostase aura été assurée, le risque de récidive est tel qu’un traitement de
prévention sera mis en place :
- ß-bloquants non cardio-sélectifs
- et/ou éradication des varices par ligature endoscopique.
A ces gestes spécifiques, doivent être associées :
- une antibiothérapie à large spectre, dont il est montré qu’elle diminue la mortalité
- la prévention de l’encéphalopathie hépatique, (laxatifs type lactulose ou lactitol per os si
l’état de conscience du patient le permet ou par lavements).
2-5-2 Hémorragie ulcéreuse :
Un traitement antisécrétoire IV doit être instituté (Mopral® ou Eupantol® 40 mg /24
heures) jusqu’à la réalimentation orale où un relai per os est effectué associé à un traitement
éradicateur d’HP. Un contrôle endoscopie à l’issue du traitement médical s’impose. En cas
d’hémorragie active (saignement en jet ou « vaisseau visible » au cours de l’endoscopie
volontiers dans le territoire de l’artère gastro-duodénale ou coronaire stomachique et/ou
nécessité de nombreuses transfusions > 6 culots globulaires) un geste endoscopique
d’hémostase peut être effectué. Ce dernier est le plus souvent une injection de produit
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sclérosant par adrénaline ou mélange aetoxysclérol/ adrénaline et/ou mise en place de clips
homéostatiques. La récidive ou la persistance d’un hémorragie active fera discuter la chirurgie.
2-5-3 Autres lésions :
La lésion doit être trouvée, le plus souvent grâce à l’endoscopie (fiboscopie gastrique,
coloscopie, ou entéroscopie), plus rarement par d’autres techniques d’imagerie :
artériographie, tomodensitométrie, scintigraphie…
Les hémorragies s’arrêtent spontanément dans plus de 80% des cas. Un geste d’hémostase
peut être nécessaire par voie endoscopique, radiologique (embolisation) voire chirurgicale.
Il a également été démontré que les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) à fortes doses
limitait les besoins transfusionnels.
3) Les hémorragies digestives basses et rectorragies.
Elles sont environ dix fois moins fréquentes que les hémorragies digestives hautes et surviennent
principalement chez des personnes âgées.
L’interrogatoire et l’examen clinique permettent de préciser :
Les conditions de survenue (thérapeutique anti-coagulante ou anti-inflammatoire, prise de la
température à l’anus, introduction de corps étranger), les caractères (rectorragie isolée, sans
évacuation fécale, rectorragie accompagnant les selles ou les précédant), la fréquence (hémorragie
survenant à chaque selle, ou épisodiquement en particulier en cas de constipation), l’abondance :
depuis la petite hémorragie à l’essuyage jusqu’à l’évacuation abondante de sang parfois « cailloté ».
Le type de rectorragie peut orienter le diagnostic :
- la présence de sang sur le papier d'essuyage ou en dehors des selles, oriente vers une lésion anale,
- lorsque le sang est mélangé aux selles, on peut soupçonner l’existence d’une tumeur colique
gauche (polype ou cancer )
- lorsque le sang est à l’extérieur des selles une lésion ano-rectale est très souvent responsable.
La diverticulose colique est la première cause d’hémorragie digestive basse.
Si la diverticulose touche surtout le côlon sigmoïde, 50 à 70 % des hémorragies diverticulaires
proviennent du côlon droit et sont souvent provoquées par une érosion artérielle. Ces hémorragies
s’arrêtent le plus souvent spontanément mais récidivent dans 10 à 25 % des cas.
Le problème n’est pas celui de faire le diagnostic de diverticulose mais de trouver le diverticule
responsable de l’hémorragie ou de prouver l'origine diverticulaire de l'hémorragie.
La tomodensitométrie est souvent contributive en visualisant les diverticules et une zone de
saignement après injection de produit de contraste. Le diagnostic peut aussi être fait par
l’élimination d’autres lésions mais ceci peut être rendu difficile devant la présence
d’angiodysplasies, lésions fréquentes sur le même terrain. La coloscopie en urgence est rarement
probante mais peut parfois localiser approximativement le niveau de l’hémorragie (côlon droit ou
transverse). L’artériographie coelio-mésentérique peut être contributive en période hémorragique,
en visualisant le saignement et surtout en permettant une embolisation thérapeutique. Le traitement
chirurgical habituel est une colectomie segmentaire.
Les tumeurs malignes représentent la deuxième cause. Les lésions du côlon gauche et du rectum
sont le plus souvent impliquées (25% des cas).
Les angiodysplasies coliques se retrouvent dans 20 % des cas. Ce sont des lésions fréquentes
surtout chez les personnes âgées et leur découverte à l’occasion d’une rectorragie n’implique pas
nécessairement leur responsabilité qui peut être attribuée à une pathologie diverticulaire, l’inverse
étant aussi vrai (voir plus haut) !
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Les varices coliques sont dues à l’hypertension veineuse mésentérique.
Les varices ano-rectales sont des collatérales porto-systémiques entre les veines hémorroïdaires
supérieures (territoire porte) et les veines hémorroïdaires moyennes et inférieures (territoire
systémique).
Les saignements hémorroïdaires sont rarement abondants mais ils représentent une cause de
diagnostic théoriquement facile, impliquée dans 15 à 20 % des rectorragies. La banalité de
l’affection ne doit pas faire surévaluer ce diagnostic et amener la méconnaissance d’une pathologie
tumorale sus-jacente. Il s’agit le plus souvent de rectorragies répétées plus ou moins abondantes
après les selles, pouvant également survenir en dehors de la défécation. Les hémorroïdes qui
saignent sont essentiellement les hémorroïdes internes, les hémorroïdes prolabées ou encore les
thromboses hémorroïdaires externes et internes. Des cas particuliers sont représentés par les
saignements après intervention proctologique.
L’ulcération thermométrique sont rares actuellement.
4) un cas particulier : Hémorragies non diagnostiquées par l’endoscopie conventionnelle.
Hémorragies digestives obscures : à la recherche d’un diagnostic.
La gastroscopie et le coloscopie permettent de poser le diagnostic de la lésion responsable de
l'hémorragie chez plus de 90 % des patients. Toutefois, chez un petit nombre d'entre eux, le
diagnostic n'est pas obtenu par ces examens. On parle alors d'hémorragie obscure c'est-à-dire dont le
diagnostic n'est pas connu.
Parmi les hémorragies digestives obscures, on distingue les hémorragies "ouvertes" si le patient a
présenté un ou plusieurs épisodes hémorragiques cliniques et les hémorragies "occultes" devant un
saignement digestif chronique qui n'est décelé que par la présence d'une anémie ferriprive
chronique ou d'une sidéropénie. Dans tous ces cas, la lésion hémorragique siège fréquemment au
niveau de l'intestin grêle dont l'exploration endoscopique est difficile. Ces hémorragies
correspondent à environ 5% des hémorragies gastro-intestinales.
Pour explorer les causes rares d'hémorragie digestive, et plus particulièrement les hémorragies
d'origine intestinale, plusieurs examens sont utiles. Leur choix se fera en fonction de l'origine
suspectée de l'hémorragie et du contexte clinique ou si un bilan systématique est nécessaire, en
fonction de la fréquence des lésions.
Si l'on suspecte une lésion de l'intestin grêle, on pourra réaliser :
- une tomodensitométrie abdominale ou "entéro-scanner". Moins sensible que les explorations
endoscopiques, elle peut être proposée à la recherche d'une tumeur ou d'une sténose.
- une entéroscopie poussée. Permet l’examen de la partie proximale du jéjunum et par voie
rétrograde à partir du caecum, des 50 derniers cm de l'iléon. L'exploration de l'intestin grêle est donc
incomplète lors de cet examen qui permet toutefois de détecter des lésions ulcérées ou
inflammatoires, des tumeurs ou des malformations vasculaires et surtout de pratiquer un traitement
par plasma d’argon.
- une entéroscopie par vidéocapsule, en dehors de la période hémorragique, permet une exploration
endoscopique complète de l'intestin grêle (voir page XXX). Plusieurs études ont montré le gain
diagnostique de cette méthode par rapport à l'entéroscopie poussée.
- une artériographie sélective du tronc cœliaque ou de la mésentérique supérieure est indiquée en
seconde intention ou en cas de saignements répétés sans étiologie.
- enfin une laparotomie exploratrice associée ou non à une endoscopie peropératoire peut s’imposer
en dernier recours devant une hémorragie persistante ou massive.
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