Epidémiologie et bases physiopathologiques
de la maladie coronarienne
Docteur Jean-Philippe COLLET. Institut de cardiologie - Hôpital de la Pitié-Salpêtrière - Paris
L’objectif de cet exposé est de vous donner une vue
générale des syndromes coronariens aigus. Je vous propose
de commencer par un rappel sur la physiopathologie, puis
de vous donner un cadre nosologique et d’aborder ensuite
les stratégies thérapeutiques modernes qui vous seront
détaillées par Emile FERRARI.
Physiopathologie
Les syndromes coronariens aigus sont l’aboutissement d’un
processus qu’on appelle l’athérogénèse, transformation
progressive des stries lipidiques en plaques, qui existent
chez tous les individus, comme l’a révélé une étude
anatomo-pathologique menée sur les jeunes soldats
américains décédés durant la guerre du Vietnam. Ces
plaques sont des excroissances qui, progressivement, vont
réduire la lumière du vaisseau, quelle qu’en soit la
localisation anatomique (carotides, coronaires, membres
inférieurs). Cette transformation est accélérée sous l’effet
de deux facteurs principaux : le premier facteur est lié à
l’hérédité, que l’on est en train de démembrer, et qui se
traduit cliniquement par la survenue d’une maladie
coronaire avant l’âge de 60 ans.
Dans certaines familles, des décès surviennent très
précocement, à partir de l’âge de 30 ans. Aujourd’hui,
nous sommes capables d’identifi er certains gènes
responsables, mais il est extrêmement long et diffi c ile
d’établir un lien de causalité entre l’existence d’un
polymorphisme donné et l’expression clinique de la
maladie athérothrombotique. Les facteurs liés à l’hérédité
interagissent avec le dernier groupe de facteurs de risques
cardiovasculaires, ceux liés à l’environnement. Ces facteurs
de risques sont bien connus : certains sont acquis, comme
le tabagisme, d’autres sont dits mixtes tels l’hypertension
artérielle, les dyslipoprotéinémies (anomalies des lipides)
ou le diabète, ou les anomalies de la coagulation, l’hyper-
homocystéinémie. L’interaction entre ces facteurs va
favoriser le développement des stries lipidiques en plaques
athéroscléreuses, puis la complication de ces plaques en
syndrome coronarien aigu.
Un processus progressif
Les plaques vont progressivement croître et ainsi limiter
le fl ux sanguin dans le vaisseau, réduisant alors l’apport en
oxygène à l’organe qui en dépend. Pour le cœur, lorsque
l’on fait un effort, le débit dans les artères coronaires
augmente. En cas de rétrécissement du calibre de l’artère,
il se crée un phénomène de dette en oxygène, car le débit
ne peut augmenter suffi s amment. On sait maintenant que
lorsque le diamètre de l’artère est rétréci de plus de 60 %
par la plaque, des phénomènes d’angine de poitrine
surviennent. Il s’agit d’un phénomène chronique, comme
peut l’être la claudication intermittente, qui se traduit
par la survenue de crampes après un certain nombre de
mètres de marche, au niveau des membres inférieurs.
Pour croître, les plaques suivent des cycles avec des
phénomènes de rupture (fi gure 1). La rupture de la plaque
intervient de façon aléatoire. Après cette rupture, le
contenu de la plaque, le cœur lipidique, est mis au contact
de la circulation sanguine. Le contact entre le cœur lipidique
et le sang crée un phénomène de coagulation. Dès lors, un
caillot se forme. Ce caillot peut être plus ou moins
obstructif. Lorsqu’il est totalement obstructif, la circulation
sanguine s’arrête. La manifestation de la rupture de plaque
devient alors cliniquement palpable et se manifeste par
un infarctus du myocarde lorsque c’est l’artère coronaire
qui est occluse, par un accident vasculaire cérébral (AVC)
en cas d’occlusion d’une artère à destinée cérébrale ou par
une ischémie critique de membre, lorsque c’est la jambe
qui n’est plus nourrie en sang avec, dans ce cas, un risque
d’évolution vers la gangrène. Lorsque l’accident est grave,
le décès d’origine cardiovasculaire peut survenir.
La rupture de la plaque
Les trois tuniques artérielles sont l’adventice, paroi externe
de l’artère, la média, et à son contact, l’intima ou l’endo -
thélium qui est une couche de cellules qui sépare le sang
du reste de la paroi artérielle. L’endothélium empêche la
formation du caillot sanguin chez un sujet normal. En
revanche, lorsque survient une rupture du chapeau de la
plaque, le sang vient au contact du cœur lipidique et le
caillot se forme.
Plusieurs phénomènes peuvent favoriser la rupture de la
plaque.
Des phénomènes mécaniques
Lorsqu’on regarde les artères coronaires, on constate
qu’elles sont en permanence en mouvement, puisque le
cœur ne cesse de bouger. Si l’on subit un stress, la pression
artérielle augmente, ce qui peut favoriser la rupture de
ces plaques. C’est l’infarctus de stress.
Octobre 2007 / Les maladies coronaires et valvulaires revisitées
Focus
Plaque vulnérable
Tissus fibreux
Matériel athéromateux
(cœur lipidique)
Thrombus
Hémorragie sous plaque
Macrophage
Cellules musculaires lisses
Lumière
Chappe fibreuse
Cœur lipidique
Taille du cœur
Embolisation
distale
Accident coronarien aigu
Déterminants
de la thrombose
- facteurs locaux
- facteurs systémiques
Inflammation / cicatrisation
Epais. chappe
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Figure 1 : Physiopathologie des syndromes coronariens aigus
Octobre 2007 / Les maladies coronaires et valvulaires revisitées
Des phénomènes infl a mmatoires
Il s’agit d’une cascade de phénomènes biologiques qui
aboutissent à la digestion de la chape fi breuse qui sépare
le sang du cœur lipidique. Une fois cette chape digérée, le
sang circulant est mis en contact avec le cœur lipidique,
entraînant la formation de la thrombose (caillot sanguin).
Des phénomènes vasculaires
L’artère est un tissu vivant. Elle est nourrie par de petits
vaisseaux situés dans l’adventice, les vasa-vasorum,
capillaires qui peuvent se boucher. Lorsqu’ils se bouchent,
un hématome se crée au niveau de la plaque qui peut être
à l’origine d’une rupture.
Schématiquement, la plaque peut être représentée sous la
forme d’un volcan. Le cœur lipidique peut être assimilé à
de la lave. Au-dessus se trouve un lac, séparé de la lave par
la chape fi breuse. Lorsque le chapeau se rompt, le volcan
crache sa lave, ce qui peut entraîner des complications.
Ce cœur lipidique est un magma qui contient des cellules,
les monocytes macrophages, et un matériel riche en
graisses estérifi ées et contient notamment le facteur
tissulaire, principal activateur de la coagulation sanguine.
Si le cœur lipidique est mis au contact du sang, celui-ci va
immédiatement prendre masse et le caillot va se former.
La nature fait bien les choses : physiologiquement, ce
phénomène de coagulation sert à cicatriser les éventuelles
blessures vasculaires. Il arrive en effet que l’endothélium
se rompe. Le sang, au contact de l’endothélium rompu
coagule, ce qui permet de combler la brèche vasculaire.
Certaines plaques sont vulnérables parce qu’au niveau de la
plaque fi breuse, elles comportent des cellules infl am -
matoires qui, à un moment donné, vont s’activer et digérer
la matrice qui maintient la cohésion de l’ensemble. La
digestion de ce maillage va mettre en contact le cœur
lipidique et la lumière vasculaire initiant la coagulation.
Un caillot se forme pour combler le vide qui survient
après la rupture de la chape fi breuse. Plus de 99 % des
phéno m è nes de rupture sont cliniquement silencieux en
raison du caractère harmonieux du processus de cicatrisation.
Dans un certain nombre de cas, le processus de cicatrisation
dépasse son objectif aboutissant à l’occlusion totale ou
partielle du vaisseau. C’est l’accident coronarien aigu.
Il s’agit d’un phénomène localisé au niveau du vaisseau.
Mais le caillot se rompt parfois, ce qui entraîne une
embo lisation. Il s’agit de petits fragments de caillot et de
plaque qui sont libérés dans la circulation et qui vont obstruer
les petits capillaires qui sont en distalité du gros vaisseau.
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