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L’humain programmable
Ce que j’ai compris de Watson et Skinner
John Broadus Watson, un psychologue étasunien, introduisit l’idée d’une science fondée sur l’observation des rapports
entre les stimulations qui affectent un individu et les réactions
fréquentes qu’elles provoquent1. Il affirme que si la psychologie veut être perçue comme une science, elle doit se limiter aux
événements observables et mesurables, en se débarrassant sur le
plan théorique de toutes les interprétations qui font appel à des
concepts vagues comme la conscience, et en condamnant l’usage
de l’introspection, aussi peu utile à la psychologie qu’elle l’est à la
chimie ou la physique. L’apprentissage de comportements mesurables en réponse aux stimuli de l’environnement est l’objet central d’étude de la psychologie béhavioriste.
Les béhavioristes ne nient pas l’existence d’états internes comme la joie, la peur ou la peine, mais la conscience d’être joyeux,
apeuré ou peiné ne constitue pas une explication. Comment mesurer l’intensité d’une joie ou d’une peine sans en calculer la manifestation objective ?
L’influence déterminante de l’environnement
Nous pensons être soumis à diverses tentations auxquelles
nous sommes libres de répondre ou non. Nous concevons l’individu autonome, pourtant c’est notre entourage qui nous motive
1 Dans un article intitulé Psychology as the Behaviorist Views It, publié en 1913. Je tiens à
remercier Michael Daigneault, collègue du département de psychologie, pour les précisions qu'il m'a apportées sur le behaviorisme.
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à agir, remarque Watson. Ainsi, à la question : « pourquoi être
allé au cinéma ? », on répond habituellement : « ça me tentait ».
Comment expliquer cette tentation ? Nous désirons des choses,
certes, mais seulement si l’occasion se présente. Dans l’Antiquité, personne n’était « tenté » de devenir coureur automobile ou
analyste programmeur.
Plusieurs facteurs observables peuvent influencer notre décision, tels que l’habitude d’aller au cinéma, la proximité d’un cinéma, l’influence des amis ou une campagne publicitaire bien
montée. Si vous vivez dans la région de Montréal, il y a de fortes
chances que vous soyez allé voir un film un mardi, jour où les salles proposent des tarifs réduits.
Pour les béhavioristes, l’influence de l’environnement surclasse celle des gènes1. Donnez-moi des jeunes enfants normaux
et en santé, et j’en ferai des spécialistes dans diverses disciplines, pourvu qu’ils jouissent d’une éducation adéquate, affirmait
Skinner. Si les enfants qui proviennent des 5 % des familles très
riches et des 10 % des familles très pauvres ont 10 fois plus de
chance de se retrouver délinquants, c’est que l’éducation est une
imitation, et que, dans ces groupes marginaux, les parents sont
ou absents ou de pauvres modèles.
L’illustration qui suit est tirée d’une entrevue télévisée avec
Wayne Gretzky, l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du hockey
professionnel. Son père avait installé un gicleur dans la cour qui
démarrait à minuit et s'arrêtait vers quatre heures du matin pour
que la glace soit adéquate au lever du soleil. Non seulement lui
fournissait-il un programme d’exercices mais il le filmait durant
les parties, même à ses tout débuts. Ils visionnaient ensemble les
films et le père suggérait des correctifs au fils. Pensez-vous que
1 Le sociobiologiste Osborne Wilson soutient une position radicalement opposée sur
ce sujet.
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Wayne Gretzky serait devenu une étoile du hockey sans cette éducation attentive prodiguée par son père2?
La stimulation par l’environnement
La « science du comportement » qu’introduit Watson vise
l’étude des comportements humains, animaux, et même végétaux
selon les stimulations reçues. Depuis les travaux de l’époque de
Darwin, nous étions habitués à comparer les comportements humains et animaux. Si de telles comparaisons choquent certaines
personnes, elles ont fait leurs preuves. Un exemple.
On a baptisé « Ratopolis » le bassin à espace limité où un groupe de rats était confiné. La règle de Malthus (voir chap. 1 page 23)
s’exerçant, le groupe a souffert à la longue de surpeuplement.
Des comportements, dits déviants, sont apparus : homosexualité, suicide et meurtre. Ils agissent en régulateurs pour diminuer
le nombre d’individus. Certaines personnes prétendent que nos
centres urbains, telle la Sodome antique, sont des nids de péché
et de corruption. La leçon que propose l’étude de Ratopolis (et
qu’entérinent autant l’éthologue que le béhavioriste) est que des
centres urbains à haute densité de population sont des environnements qui suscitent la prolifération de comportements régulateurs dont l’effet sur la démographie serait inutile ailleurs.
La très grande majorité des stimulations proviennent de l’environnement. D’ailleurs, si avoir faim est d’abord une stimulation
interne, des stimulations externes peuvent provoquer la faim.
Plus généralement, conclut Watson, nous ne cherchons pas à
obtenir du « plaisir » ou à éviter une « douleur », nous recherchons des personnes, des objets ou des situations autour de soi
2 Par contre, fournir une éducation similaire à d’autres enfants n’en feront pas des
Gretzky. L’opposition entre les éthologistes et les béhavioristes est un faux débat. Un
acte instinctif est une séquence de mouvements stéréotypée, identique chez tous les
représentants de l’espèce et imperméable à l’apprentissage. Une fois déclenché, l’acte
instinctif s’exécute en totalité, même si, en cours de mouvement, il perd sa pertinence.
Par contre, la qualité de la « mécanique comportementale » est approximativement la
même et se distribue selon une courbe normale dans la population. Donc, si l’éducation
fournie à un enfant est meilleure, le sujet sera d’autant meilleur selon ses capacités.
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qui sont plaisantes pour nous ; tout comme nous évitons les personnes, les objets et les situations qui provoquent en nous de la
douleur.
La programmation du comportement
Watson voulut reformuler la description des comportements
de manière à mettre en évidence cette action objective de l’environnement. Un exemple. Nous ne fuyons pas parce que nous
avons peur d’un ours ; nous fuyons (réaction externe) et avons
peur (réaction interne) parce que nous sommes en présence d’un
ours (stimulus de l’environnement).
Les relations entre les stimuli et les réactions sont aléatoires,
possibles mais non prévisibles. La fréquence d’un lien entre un
stimulus et une réaction particulière est assurée dans le cas d’un
arc réflexe. Ainsi, si ma main touche du feu, mon bras se rétractera
sous l’effet de la douleur. Par contre, personne ne peut prédire si
un élève qui entre dans un collège en ressortira avec un diplôme
dans le temps minimal requis. Dans un tel environnement, l’ensemble des stimulations à considérer est trop complexe.
C’est le physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov qui mit en
évidence le fait que l’apprentissage se faisait essentiellement par
le conditionnement ou la programmation des réflexes. Une expérience illustre met en scène une cloche, un chien et de la bouffe.
La cloche agit comme stimulus et la salivation est la réaction non
essentielle (aléatoire) à l’écoute de la cloche. Pour lier le son de
la cloche à la bouffe, Pavlov faisait sonner la cloche juste avant de
nourrir le chien. À la longue, le chien s’est mis à saliver à l’écoute
de la cloche, anticipant la bouffe. Le lien entre la cloche et l’action
de saliver a été « renforcé » par la bouffe obtenue1.
1 Il s’agit toutefois d’un cas particulier de conditionnement, dit « classique », car il
existe une relation naturelle entre la réponse, saliver, et le renforcement utilisé, la
nourriture. Ce lien naturel n’existera pas dans le cas du conditionnement opérant.
2 Skinner se démarque du béhaviorisme méthodologique de Watson en acceptant l’idée
que des variables internes à l’individu puissent intervenir dans l’analyse du comportement. Les processus internes, comme les pensées ou les émotions sont des événements
« privés », auxquels peuvent s’appliquer les principes de la psychologie opérante. Bref,
« tout est du comportement », d’où son appellation de « béhaviorisme radical ».
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La programmation par conditionnement opérant
Dans les années 1940 et 1950, Burrhus Frederick Skinner introduisit la notion de conditionnement opérant2. Les relations
entre les divers stimuli et les réactions possibles sont aléatoires ;
elles ne montrent qu’une certaine fréquence. Si un individu aime
commander de la pizza au restaurant, il ne le fera pas systématiquement.
Il est possible de renforcer la fréquence du lien particulier entre un stimulus et une réaction précise grâce à un conditionnement opérant. La fréquence d'apparition de la probabilité d’une
réaction choisie augmentera en la liant pour un temps à une
conséquence parce que le comportement ciblé deviendra l’espérance d’une « récompense ».. La réaction ciblée deviendra alors
la condition d’obtention de la conséquence souhaitée, soit :
stimulus  réaction précise  événement non nécessaire
associé à la réaction ciblée
(probabilité de)
(renforce ou affaiblit
la probabilité).
Un conditionnement opérant ne nécessite aucune explication quant à l'organisation des mécanismes cognitifs qui le supportent.. Pour Skinner, la pensée humaine est l’équivalent d’une
« boîte noire »1. Elle comporte des mécanismes internes que
nous supposons exister et qui expliqueraient les jeux de stimuliréponses observables chez un individu2. Le béhaviorisme considère l'éducation comme un effort pour contrôler et prédire les
comportements humains. Un exemple.
1 Une boîte noire est un système (objet mécanique, électronique, organisme ou organisation sociale) dont on ignore le fonctionnement interne ; il est déduit selon ses réactions à diverses stimulations ; bref, en jouant avec.
2 Notons que le néobéhaviorisme tient compte des mécanismes nerveux, en particulier
la mécanique de formation des liens synaptiques et l’action des neurotransmetteurs.
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Imaginons l’annonce d’une nouvelle bière, la xxx (prononcez
three exsss... d’une voix sensuelle) qui utilise un conditionnement
opérant. La scène se déroule comme suit. Un individu anodin entre dans un bar où personne ne le remarque. Il s’assoit à un tabouret et commande la nouvelle bière xxx. Après en avoir pris
une gorgée, le voilà plus souriant ; ses vêtements lui font mieux,
ses cheveux sont mieux placés. Une jolie femme s’approche, puis
une autre et bientôt le voilà entouré d’attention. « xxx, toute une
bière ! », clame l’annonceur.
Examinons les trois éléments en jeu dans ce conditionnement
opérant.
Le stimulus qui suscite la consommation d’une bière xxx est
le contexte, un bar. Ce pourrait être un dépanneur, un party ou
le divan devant la télévision ; bref, l'environnement stimulant devient tout endroit où il est envisageable de commander, d'acheter ou de
consommer une bière. Notons qu’un lieu, une personne ou un objet
stimulant ne le sont que pour un groupe de personnes données.
Une exposition de tableaux ou d’affiches n’est pas un endroit stimulant pour un aveugle ; ni un concerto de flûte pour un sourd.
La réponse souhaitée (réaction, comportement) est d’acheter,
de commander, bref de consommer de la bière xxx, mais pas forcément à l’endroit montré dans l’annonce.
Le renforcement associé à la consommation de la bière xxx, et
qui n’a aucun lien concret avec le produit, est la « mise en scène »
de l’annonce. Prendre une bière xxx devient la promesse qu’un
rêve (un manque) se réalisera. Dans notre annonce, c’est l’espoir
de devenir intéressant et d’obtenir des amis, de l’attention, de
l’amour ou du sexe. Le lien renforcé entre consommer une bière
xxx et devenir intéressant demeure effectif dans d’autres lieux,
lors d’une réception ou au restaurant par exemple, même si le
rêve associé à la bière y semble impertinent.
Le conditionnement opérant qu’établit l’annonce publicitaire
crée un lien entre le présent (choisir une marque de bière) et un
futur espéré : le rêve (amis, amour, sexe) pourvu que la personne adopte la réaction souhaitée (la programmation), commander
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