Les dépressions sévères : quels concepts ? quels critères ? S247
structure factorielle [3]. Pour palier à ce décit, des
auteurs comme Bech et Rafaelsen ont développé d’autres
outils, notamment une échelle de mélancolie susceptible
d’évaluer de manière plus spécique la dimension dépres-
sive [4]. Les travaux de validation de cette échelle restent
pourtant insufsants pour conrmer son intérêt par rapport
aux outils classiques.
Des scores-seuils sont proposés comme critères d’inclu-
sion dans les études, pour un syndrome dépressif classique
ou pour une dépression sévère (Tableau 4), mais ils sont en
général peu étayés de manière empirique, et laissent donc
une grande marge de choix aux utilisateurs [15, 17].
Tableau 4 Scores seuils des principales échelles
de dépression (Montgomery & Lecrubier, 1999 ;
Nemeroff, 2007)
Échelles Notes extrêmes Dépressions
légères Dépressions
sévères
MADRS 0 à 60 > 20 > 30 ou 34
HDRS-17 0 à 54 > 17 > 25 à 30
BDI-13 0 à 39 > 7 > 16
BRMS 0 à 44 > 5 > 15
En dehors de ces échelles mesurant la sévérité d’un
état dépressif de manière générale, quelques outils per-
mettent de cibler l’évaluation sur une dimension particu-
lière, reétant des symptômes que l’on peut considérer
comme de plus forte gravité. C’est le cas de l’échelle de
ralentissement dépressif (ERD) de Widlöcher, qui mesure
spéciquement les symptômes du ralentissement psycho-
moteur [26], considéré comme une dimension essentielle
des états dépressifs sévères et comme une cible privilégiée
des traitements antidépresseurs.
Il faut citer également les échelles de Newcastle, déve-
loppées dans l’idée de pouvoir poser des diagnostics étiolo-
giques des états dépressifs (endogènes versus réactionnels),
et d’aboutir à un score prédictif de réponse aux sismothé-
rapies [16]. Malgré quelques résultats empiriques satisfai-
sants, la validité de ce modèle et des outils proposés a été
souvent contestée, beaucoup d’études n’ayant pas conrmé
les hypothèses des auteurs.
Enn, une échelle a été mise au point pour poser un
diagnostic de mélancolie, chez des patients présentant un
EDM, et en évaluer l’intensité : l’échelle CORE de Parker
[19]. Les dimensions évaluées par cette échelle d’hétéro-
évaluation sont l’agitation, le ralentissement et la non-
interactivité. La construction de l’échelle CORE a été basée
sur l’hypothèse que ces signes sont plus spéciques du sous-
type mélancolique de dépression que les symptômes d’en-
dogénicité des classications ou de l’échelle de Newcastle.
Cette échelle de mélancolie a été validée par ses corréla-
tions avec des variables biologiques, thérapeutiques, envi-
ronnementales et psychologiques. Constituée de 18 items
cotés de 0 à 3, son score total varie donc entre 0 et 54, et
un score supérieur ou égal à 5 permet de poser un diagnos-
tic de mélancolie, notamment pour l’inclusion dans des
travaux de recherche. Une comparaison des échelles de
Widlöcher et de Parker est présentée dans le tableau V.
Les outils pré-cités ne sont que des propositions de
représentations de la notion de gravité, parfois très diffé-
rentes les unes des autres. Le caractère spectaculaire d’un
état mélancolique, au plus fort du ralentissement et de la
catatonie, n’a en fait pas de valeur pronostique absolue.
L’évolution peut en effet être très péjorative, notamment
en cas de passage l’acte suicidaire, mais elle peut aussi
être très favorable puisque ces états sont réputés répondre
particulièrement bien aux traitements biologiques.
A contrario, un état dépressif peu intense, sans caractéris-
tique mélancolique, dans un contexte de personnalité
pathologique par exemple, peut être insensible à toute
thérapeutique, se chroniciser et aboutir à un suicide. Les
travaux nosographiques et psychométriques réalisés jusqu’à
présent se heurtent à ces contradictions et à cette polysé-
mie des notions de gravité et de sévérité.
En marge de ces mesures symptomatiques, d’autres éva-
luations dimensionnelles peuvent rendre compte indirecte-
ment de la sévérité d’un trouble, comme les mesures de
retentissement général (Échelle Globale de Fonctionnement
du DSM IV-TR), d’adaptation sociale (échelle de Weissman)
et aussi de qualité de vie. Une étude récente a en effet
conrmé l’existence d’une corrélation forte entre sévérité
de l’état dépressif et altération de la qualité de vie, l’im-
pact des autres facteurs comme le soutien social et la sensa-
tion de stigmatisation s’avérant moins important [6].
Application des critères de sévérité
dans les études
Une rapide mise en perspective des critères de sévérité envi-
sagés ci-dessus montre qu’aucun de ceux-là ne semble suf-
sant et en tout cas valide dans l’absolu. Le choix de la
dénition doit donc se faire en fonction des objectifs xés,
de manière pragmatique, par exemple pour mesurer un
changement sous traitement (score élevé à une échelle d’in-
tensité), ou pour constituer un groupe homogène de malades
en vue d’une étude physiopathologique (critères de dépres-
sion avec symptômes psychotiques, ou avec mélancolie).
La littérature scientique récente illustre assez claire-
ment cette proposition, avec un choix très varié de critères
de dénition de la sévérité, et même souvent deux critères
complémentaires associés, l’un plutôt catégoriel, l’autre
plutôt dimensionnel. Ainsi, en examinant la méthodologie
des articles parus au cours des cinq dernières années com-
portant les termes severe depression dans le titre, on
trouve par exemple comme critères d’inclusion :
1. patients hospitalisés et scores supérieurs à 23 à
l’échelle BDI-21 (étude d’imagerie cérébrale du traitement
émotionnel) [10] ;
2. patients hospitalisés et sous-type mélancolique du
DSM IV (étude sur la mémoire procédurale) [22] ;
3. patients hospitalisés et scores supérieurs à 28 à
l’échelle BDI-21 (étude de stimulation magnétique trans-
crânienne) [7] ;