Rubrique Matières Premières LES ALDEHYDES EN - all-in-web

Les nouvelles de l’Osmothèque
n°65
Les Aldéhydes en Parfumerie
Rubrique Matières Premières
LES ALDEHYDES EN PARFUMERIE
Sans eux, le parfum Chanel N°5 n’existerait pas. Les
aldéhydes (nom masculin désignant l’alcool déshydrogéné)
ont été découverts en 1835 et doivent leur nom au baron
Von Liebig, chimiste allemand réputé du XIXème siècle. On
peut différencier olfactivement plusieurs structures
d’aldéhydes. Retenons que ceux ayant dans leur radical un
cycle sont appelées les aldéhydes aromatiques et présentent des odeurs de vanille (vanilline),
amande (aldéhyde benzoïque) ou encore cannelle (aldéhyde cinnamique). Il y a également ceux
qui ont une forme linéaire : les aldéhydes aliphatiques. Ce sont eux, avec leur note olfactive si
particulière, qui constituent la famille aldéhydée en parfumerie. Ils ont rarement des noms
évocateurs ou poétiques, on les classe par leur nombre d’atomes de carbone : Aldéhyde C6,
aldéhyde C7…jusqu’à aldéhyde C12, avec des variantes de forme. En 1903, le professeur Darzens
réussit la synthèse de l’aldéhyde C12 MNA et, la même année, le professeur Blaise décrit la
réduction des acides gras en aldéhydes, donnant naissance à la série des aldéhydes aliphatiques.
Les aldéhydes C9 et C11 ont été découverts dans l’huile essentielle de rose et présentent une
odeur cireuse de bougie. Les aldéhydes C8, C10 et C12 existent dans le zeste des agrumes et ont
une odeur plus métallique.
Tous ces aldéhydes sont restés longtemps dans les tiroirs des
parfumeurs tant leur odeur violente, métallique, cire de
bougie, ou même évoquant le fer à repasser chaud, semblait
difficile à doser sans défigurer le parfum. Toutefois, dilués
énormément, ils furent utilisés avant Chanel N°5, mais dans
des proportions avoisinant le ppm ! Il faut évidemment parler
de Quelques Fleurs, crée en 1912 par Robert Bienaimé pour la
maison Houbigant. Outre l’Hydroxycitronellal, molécule de
synthèse à odeur de muguet, était utilisé l’aldéhyde C12, mais
en traces si infimes qu’on ne le sentait pas. Ce parfum eut
beaucoup de succès et sa modernité intrigua de nombreux
parfumeurs. Ernest Beaux en faisait partie.
Quelques Fleurs HOUBIGANT (1912)
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n°65
Les Aldéhydes en Parfumerie
Ernest Beaux (1882-1961), Français ayant grandi en Russie (son père était déjà directeur chez
Rallet, société de parfumerie à Moscou), se retrouve directeur technique de cet établissement. En
1914, il fuit la Russie et est employé par les ateliers Rallet installés à Cannes, nouvellement vendus
à la société grassoise Chiris. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Henri Robert, Henri
Alméras et Vincent Roubert, qui auront tous des carrières riches dans la parfumerie et qui vont
ajouter chacun une pierre différente à l’édifice des parfums aldéhydés.
Ernest Beaux avait déjà créé un parfum avec beaucoup d’aldéhydes qui s’appelait le Bouquet de
Catherine et qui fut vendu ensuite sous le nom de Rallet N°1. Celui-ci semble bien être à l’origine
du Chanel 5. A la question de l’époque il avait créé Chanel 5, Ernest Beaux avait
répondu : « Exactement en 1920. A mon retour de la guerre. J’ai été amené à faire une partie de la
campagne dans une région septentrionale de l’Europe au-delà du Cercle Polaire, à l’époque du soleil
de minuit, où les lacs et les fleuves exhalent un parfum d’une extrême fraîcheur. J’ai gardé cette note
et l’ai réalisée, non sans peine, car les premières aldéhydes que j’ai pu trouver étaient instables et
d’une fabrication peu régulière. » (Constantin Weriguine, Souvenirs et Parfums, Editions Plon,
p.162).
Chanel 5 ouvre réellement la voie des parfums fleuri-aldéhydés. Ce bouquet floral, où le Jasmin de
Grasse côtoie l’exotique Ylang-ylang, surprend par ses notes de tête. Il faut dire qu’à l’époque, la
palette du parfumeur n’était guère riche de notes de tête et la magnifique et incontournable
essence de bergamote offrait sa fraicheur acidulée au départ de nombreux parfums. Les aldéhydes
ont apporté une touche sensuelle, puissante et artificielle aux
parfums des années 20. On allait au-delà de la nature, on créait
un parfum comme une œuvre d’art. Chanel 5 n’eut pas
immédiatement le succès qu’on lui connaît. Le public n’était
peut-être pas prêt pour un parfum présenté dans un flacon sans
aucune fioriture et dont le nom n’était qu’un numéro. Mais les
parfumeurs ne s’y sont pas trompés et ont eu aussi à cœur de
créer leur parfum fleuri aldéhydé.
Henri Robert (1899-1987) a été formé comme parfumeur chez
Chiris à Grasse il a travaillé avec Ernest Beaux. En 1926, il
intègre la société des parfums d’Orsay pour laquelle il crée Le
Dandy. C’est son premier parfum et c’est un fleuri aldéhydé. En
1952, il intègre la société Bourjois-Chanel et encore il travaille
avec les aldéhydes et crée Glamour (1953) et Evasion (1970) pour
Bourjois.
Le Dandy d’ORSAY (1923)
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Les Aldéhydes en Parfumerie
Vincent Roubert (1889-1972) fit également son apprentissage
de parfumeur chez Chiris et remplaça Ernest Beaux chez
Rallet. Lorsque François Coty achète Rallet à Chiris en 1926, il
propose à Vincent Roubert de travailler avec lui à Suresnes :
Roubert devient chef parfumeur. Il sera ensuite directeur
technique jusqu’à la fin de sa carrière en 1965. C’est lui qui
créa L’Aimant de Coty en 1927, un remarquable fleuri
aldéhydé qui, à l’époque, eut plus de succès que le Chanel N°5.
Lui qui avait acquis une grande maîtrise dans le dosage des
aldéhydes chez Rallet, il s’étonnait que François Coty ne les ait
jamais utilisés dans les parfums qu’il avait lui-même créés.
Peut-être ce grand parfumeur ne les aimait-il pas, mais ce
n’est qu’une supposition…
Parallèlement, dès 1925, l’usage des aldéhydes s’est naturellement étendu à d’autres accords de
la parfumerie. Ces notes de tête si particulières ont rapidement investi la famille des chypres. Le
parfum précurseur fut Crêpe de Chine, créé par Jean Desprez pour la maison Millot en 1925. Ce fut
le parfum de toutes les nouveautés : outre ses aldéhydes sur un fond de chypre, il fut aussi le
premier à illustrer le thème du gardénia avec l’acétate de styrallyle ; enfin, il fut précurseur aussi
dans sa présentation puisque, pour la première fois, le parfum était coloré en vert et conditionné
sous argon. Dans les années 30, il était la cinquième meilleure vente française. Il deviendra une
source d’inspiration pour de nombreux parfums comme Ma Griffe, Miss Dior, Chant d’Arômes,
Calandre
A partir de cette époque, on peut dire que toutes les marques ajoutèrent à leur catalogue des
parfums aux notes de départ aldéhydées. Les citer toutes serait passionnant mais fastidieux. Il faut
se replacer dans cette époque qui voit apparaître les couturiers aux portes de la parfumerie. A
chaque fois, ils ont lancé un premier parfum qui se devait d’être féminin, classique et élégant pour
faire écho à leurs collections de Haute couture. Les plus belles fleurs, les plus riches bois et baumes
étaient travaillés avec cette note sensuelle et féminine que donnaient les aldéhydes. Pour fêter les
30 ans de sa fille adorée, Jeanne Lanvin voulait un parfum qui « surpasserait la nature » par sa
subtilité : André Fraysse et Paul Vacher ont créé Arpège en 1927. Puis il y eut Liu chez Guerlain en
1929, présenté dans un flacon en verre noir réalisé par Baccarat et inspiré des boîtes à thé
chinoises en vogue à cette époque. En 1947, Ma Griffe, premier parfum de Madame Carven, eut un
succès retentissant.
Publicité : L’Aimant COTY (1927)
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n°65
Les Aldéhydes en Parfumerie
Au cours des années 50, la parfumerie évolue vers plus
de fraîcheur, de légèreté, de jeunesse même, mais les
aldéhydes gardent une place importante dans la palette
du parfumeur. En 1957, L’Interdit de Givenchy fut le
premier parfum associé à une star. Audrey Hepburn
ouvre la voie aux égéries qui sont désormais associées à
la plupart des nouveaux parfums. Guy Robert signe, en
1960, Madame Rochas et, en 1961, Calèche, chez Hermès.
Chez Lancôme, le premier parfum de la marque (une fois
passée dans le giron de l’Oréal) est Climat (1967),
également un fleuri aldhéydé.
Après 1968, la parfumerie traditionnelle, comme la Haute
couture, se libère peu à peu de son emprise bourgeoise :
c’est le début du prêt-à-porter et ces jeunes marques se lancent aussi dans la parfumerie et elles
n’oublient pas les adéhydes. En 1969, Paco Rabanne, le couturier métallurgiste comme le nommait
Coco Chanel, choisit pour son premier parfum Calandre, un parfum fleuri de rose et de mousse de
synthèse où les aldéhydes tiennent une place primordiale dans les notes de tête. Caron, en 1970,
pour son premier parfum développé en-dehors de ses laboratoires, opta pour un parfum de
tubéreuse et jonquille rehaussées par ces fameux aldéhydes. On l’appela L’Infini car l’époque était
sous l’émotion de la conquête du Cosmos. Yves Saint Laurent célébra la création de sa ligne de
prêt-à-porter Rive Gauche en lançant un parfum éponyme, toujours fleuri-aldéhydé. En 1976,
pour le premier parfum de joailliers, Van Cleef & Arpels voulait créer un parfum, classique, simple,
mais moderne. Jean-Claude Ellena s’inspira de Chanel N°5, en fit une écriture plus moderne et First
est né.
Dans les années 80, l’engouement pour les notes florales diminue,
on entre dans une époque de démesure et cela se sent dans les
parfums. Les aldéhydes résistent lorsqu’ils sont utilisés sur des
bases chypres, c’est l’époque de Diva d’Ungaro (1983), Paloma
Picasso (1985) ou encore Knowing d’Estée Lauder (1988). En 1988,
la société Phenix, filiale d’Avon, lance aux Etats-Unis, puis en France,
le parfum Deneuve, très beau Chypre fleuri aldéhydé. Mais, selon
l’avis même de la star, le public français n’était pas prêt à accepter
un parfum de célébrité sans une marque connue pour le présenter.
Publicité : l’Interdit GIVENCHY (1927)
Publicité : Deneuve AVON (1986)
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n°65
Les Aldéhydes en Parfumerie
Quand on étudie la classification des
parfums de la SFP, on constate qu’il n’y a
pas eu de lancement de parfum aldéhydé
depuis le milieu des années 90, excepté
Chanel 5 Eau Première ! Il y a encore
(heureusement) quelques fidèles
consommatrices de Rive gauche, First ou
White Linen, mais il faut bien admettre ce
désintérêt…
Les aldéhydes ont parallèlement été
largement utilisés en cosmétique,
savonnerie et produits capillaires, en
raison de leur puissance de couverture incomparable. Peut-être y trouve-t-on une raison de ce
« désamour »?
Et pourtant, en 2014, une marque lance un parfum, masculin de surcroît, et cite les aldéhydes dans
la description olfactive destinée à la presse. Terre d’Hermès Eau très fraîche, créé par Jean-Claude
Ellena, se tourne vers l’élément eau : «un accord d’aldéhydes qui sent le froid, la banquise même…».
On croirait entendre Ernest Beaux…
Est-ce le signe d’un retour en grâce des aldéhydes ? On peut imaginer que ces molécules si
particulières n’ont sans doute pas encore dit leur dernier mot…
Emmanuelle Giron
Terre d’Hermès Eau très fraîche HERMES (2014)
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