Conflit judiciaire autour de la fin de vie : Que retenir de l

Conflit judiciaire autour de la fin de vie :
Que retenir de l’affaire Vincent LAMBERT ?
Le mouvement tendrait à s’accélérer. Ces dernières années, il est de plus en plus
régulièrement question de la fin de vie dans les médias, et dans la vie publique. Les
propositions de loi déposées par les parlementaires se succèdent, et l'annonce, le 14 janvier
dernier par le président François Hollande d'un projet de loi sur la possibilité d'une
« assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité » alimente le débat.
Si le sujet de l’euthanasie est récurrent, c’est bien la problématique de la fin de vie qui
interroge de nombreux professionnels de santé, notamment ceux exerçant dans les
établissements hospitaliers, publics et privés.
Loi de tout discours moralisateur, polémique, ou, à l’inverse, cynique et distancé, qu’est-il
possible de mettre en place dans les structures de soins pour sécuriser l’intervention des
professionnels et des établissements dans la prise en charge de la fin de vie ? Comment
utiliser au mieux les dispositifs légaux et réglementaires existants ?
La situation de Vincent LAMBERT, hospitalisé au CHU de REIMS, met pour la première fois
sous le feu d’un projecteur judiciaire1, l’interprétation et l’application de la loi LEONETTI2.
Alors, quelles solutions, en ce début d’année, pour les établissements prenant en charge
des patients en fin de vie ?
1. Première résolution : Informer efficacement les citoyens sur les droits des patients
en fin de vie.
Un des constats les mieux partagés sur un sujet aussi débattu est celui de la méconnaissance
par le grand public des dispositions de la loi LEONETTI. Le texte a introduit de nombreuses
innovations de nature juridique destinées à améliorer la qualité des décisions de soins de
patients en fin de vie.
- A travers la mise en place d’un langage commun. Sont désormais écartés les termes
flous et discutables de fin de vie, d’acharnement thérapeutique, au profit de notions
plus claires telles que la situation d’un patient en phase avancée ou terminale d’une
affection grave ou incurable, ou la notion d’obstination déraisonnable ; Clarté des
notions, ou plutôt clair-obscur ? Car ces termes entrent désormais dans la sphère
1 TA de Châlons-en-Champagne, 14 janvier 2014
2 Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie
ARTICLE paru dans la revue Gestions hospitalières, n°530
Janvier 2014, page62 14 janvier 2014
Brigitte de LARD-HUCHET
Juriste, consultante du Centre de droit JuriSanté - CNEH
complexe de l’interprétation judiciaire, comme en témoigne le second volet de l’affaire
LAMBERT. Mais elles ont le mérite de donner à présent un cadre juridique au débat.
- A travers la mise en place des directives anticipées, le renforcement du rôle de la
personne de confiance, la mise en place d’une procédure collégiale de décision de
limitation ou d’arrêt de traitement. Ces dispositifs sont imparfaits. Ils ne sont pas
contraignants pour le médecin, qui reste décisionnaire lorsque le patient est hors
d’état d’exprimer sa volonté. Et pourtant, ils peuvent apporter une réelle valeur
ajoutée à la réflexion médicale sur des décisions d’arrêt de traitement en situation de
fin de vie.
Peut-être le conflit familial qui s’est noué autour de la fin de vie de Vincent LAMBERT
aurait pu trouver une autre issue s’il avait pu être fait valablement état de directives
anticipées ou d’une personne de confiance.
Dès lors, la sensibilisation aux dispositifs de la loi LEONETTI des usagers, c’est-à-dire de tous
les citoyens, est un préalable indispensable à l’évolution des prises en charge.
Les hôpitaux organisent des journées sur l’hygiène des mais, des semaines de la sécurité des
soins…Mais rien sur la loi LEONETTI ! Pourquoi la fin de vie, un sujet qui nous touche d’aussi
près, peut-elle demeurer un aussi grand tabou ? Comment développer l’accès des usagers
du système de santé à ces droits, dans un espace de soins qui peut être également un lieu où
la vie s’achève ?
Le problème ne se situe pas seulement au niveau des patients. Car, si les professionnels de
santé méconnaissent ce cadre juridique, comment les patients eux-mêmes, profanes en la
matière, pourraient-ils en avoir la maîtrise ?
2. Deuxième résolution : Former (enfin !) tous les professionnels de santé aux droits
des patients en fin de vie.
Nous rencontrons encore trop souvent des établissements de santé qui n’engagent des
actions de formation qu’à destination de leurs personnels paramédicaux, essentiellement
soignants. Les médecins restent encore, dans la plupart des cas, éloignés de ces dispositifs de
sensibilisation. « Pas le temps », « sujet non prioritaire », restent les arguments le plus souvent
avancés, autant qu’un certain obstacle statutaire lié au financement des actions de formation à
destination des personnels titulaires de la fonction publique hospitalière. Hostilité à l’égard
d’une approche juridique de la relation entre le patient et le soignant ? Toujours est-il que les
médecins sont à ce jour peu ou pas formés à cette problématique.
La mise en place du développement professionnel continu (DPC) appelle, dans les
établissements de santé et les établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes (EHPAD), une mise en œuvre collective, à travers des programmes pluri-
professionnels. La thématique de la fin de vie pourrait constituer une thématique
transversale privilégiée de travail pour les équipes médico-soignantes confrontées à de telles
situations
La décision rendue par le Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne le 11 mai 2013
illustrait bien quant à elle, la nécessité pour l’équipe hospitalière de maîtriser le cadre
strictement juridique dans lequel aurait s’inscrire la première décision d’arrêt de
l’alimentation et de diminution de l’hydratation dont Vincent LAMBERT avait fait l’objet3. C’est
d’ailleurs ce que reconnaissait un médecin à l’issue de la première décision du juge
administratif : « L'équipe médicale a porté une attention particulière à l'épouse, qui était tous
les jours, alors que les parents, venant de loin, étaient peu présents. "Très tôt, nous avons vu
que la mère de Vincent ne pourrait accepter une décision d'arrêt de soins, dit le docteur. Mais
nous avons failli dans l'accompagnement d'une famille très compliquée. Nous aurions
contacter les parents." » (Le Monde, 17 mai 2013, Interview Eric Kariger, responsable de l’unité
de médecine palliative du CHU de Reims). Or, le principal motif d’annulation par le juge de la
décision médicale a justement porté sur le défaut de consultation des parents du patient, alors
que ceux-ci aurait dû être associés à la procédure décisionnelle, en application de l’article
L.1111-13 du code de la santé publique.
3. Troisième résolution : Structurer le dispositif juridique de prise en charge des
patients en fin de vie
Ce n’est pas que le cadre juridique s’oppose à la qualité de la décision médicale. Au contraire, la
bonne mise en œuvre des procédures d’arrêt de traitement prescrites par la loi LEONETTI doit
permettre d’aborder une démarche éthique de qualité. Elle doit aussi apporter plus de sérénité à
cette démarche, en réduisant le risque contentieux lié à un défaut d’application de la loi. « Si le
récent jugement du TA de Châlons-en-Champagne interroge l’interprétation des dispositions de
la loi, c’est bien un défaut de respect de la « procédure » Léonetti qui était en cause dans la
décision du 23 mai 2013. Or, ce risque juridique peut être atténué par un encadrement juridique
de la prise en charge
La protocolisation des droits des patients en fin de vie est un passage obligé. La loi LEONETTI
n’a pour but que de poser le cadre sécurisé et transparent dans lequel une décision de soins
ou d’arrêt de soins pourra valablement être prise, en prenant en compte des impératifs tels
que l’information préalable, la recherche de la volonté du malade, la collégialité, la
traçabilité au dossier médical des décisions prises Ces impératifs sont destinés à garantir,
autant que possible, qualité des soins et respect de la dignité du patient.
Cette notion de dignité n’est pas vaine. Elle se traduit de plus en plus, dans les faits, par la
mise en jeu de la responsabilité d’établissements qui n’ont pas su assurer à leurs patients en
fin de vie une prise en charge respectant leur dignité. Les contentieux se développent à cet
égard4, et doivent conduire les établissements à s’interroger sur la gestion d’un risque
nouveau, aux contours parfois délicats à déterminer. De nouvelles organisations sont donc à
réfléchir.
CONCLUSION
Que 2014 soit l’année d’une réflexion partagée sur la dignité dans le soin. La fin de vie n’en
est qu’une dimension parmi d’autres, mais c’est sans doute l’une des plus aigues.
3 Voir notre billet d’humeur du 14 juin 2013 à ce sujet, www.jurisante.fr
4 On citera par exemple la décision de la CAA de LYON, du 17 juin 2008 (Marcel, n°05LY01052), ou celle du TA
d’ORLEANS, en date du 28 septembre 2006 (WEYLAND, n° 0400549)
Le sujet n’est pas clos. Moins d’un an après une première mise en défaut du CHU de REIMS
suite à une décision dicale qui ne respectait pas la procédure LEONETTI, l’établissement
est à nouveau mis en cause par le juge administratif, qui tranche cette fois sur le fond du
dossier : NON, Vincent LAMBERT n’a pas opposé un refus à tout traitement le maintenant en
vie ; NON, les traitements que constituent l’hydratation et de l’alimentation artificielles ne
sont pas constitutifs d’une obstination déraisonnable dans les soins ; OUI, ces soins doivent
par conséquent être maintenus.
A l’heure où cet article est rédigé, le CHU de REIMS envisage de faire appel de cette décision.
Pour tout renseignement :
Nadia HASSANI 01 41 17 15 43
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