Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
°163 : M 2014
L’aaire Vincent Lambert
Vincent Lambert, 38 ans, dans un état dit
«pauci relationnel »1 , est pris en charge
au CHU de Reims où il est alimenté et
hydraté de façon artificielle par voie
entérale2.
Comment caractériser l’obstination dérai-
sonnable ? L’alimentation et l’hydratation
articielles sont-elles des traitements
pouvant la provoquer ? Qui décide l’arrêt
des traitements ? La loi Léonetti relative
aux droits des patients en n de vie s’ap-
plique-t-elle aux patients qui ne sont pas
en n de vie? Les réponses à ces questions
soulevées par l’aaire seront lourdes de
conséquences.
Ce que dit la loi Léonetti
•
L’obstination déraisonnable est caracté-
risée lorsque « les actes de préventions,
d’investigations ou de soins […] appa-
raissent inutiles, disproportionnés, ou
n’ayant d’autre eet que le maintien arti-
ciel de la vie »3. Selon G.Le Pomellec4, le
législateur n’a pas précisé expressément
que l’alimentation et l’hydratation arti-
cielles peuvent être qualiées de traite-
ments susceptibles d’être arrêtés pour
obstination déraisonnable. Il considère
que les débats parlementaires « reflétaient
cette intention » mais n’a pas été inscrite
dans la loi, ce qui la priverait, à ses yeux,
«de toute valeur normative ».
•
La décision d’arrêt des traitements,
en France, « est prise par le médecin en
charge du patient »5, et à la suite d’une
procédure collégiale, de la consultation de
la personne de conance, de la famille, des
proches, et des directives anticipées6.
•
Enn, la loi dispose que « Lorsqu’une
personne, en phase avancée ou terminale
d’une aection grave et incurable […] est
hors d’état d’exprimer sa volonté, le méde-
cin peut décider de limiter ou d’arrêter un
traitement7 ». Or les patients pauci-rela-
tionnels ne sont pas en «n de vie», mais
dans une « situation de stabilité clinique »,
et « peuvent, de façon non exceptionnelle
évoluer plus favorablement que prévu […]
parfois jusqu’à la récupération d’un état de
conscience appréciable, leur permettant de
communiquer de façon able » .
Ce qu’a déjà jugé le Conseil d’Etat – contro-
verses.
Cependant le CE a déjà jugé que la loi
Leonetti devait s’appliquer à « Toute per-
sonne9 », ne réservant pas l’obstination
déraisonnable aux personnes en n de
vie. Plus controversé, il a déjà jugé que
«l’alimentation et l’hydratation articielles
[sont] susceptibles d’être arrêtées » pour
obstination déraisonnable, les assimilant
à des traitements.
Pour G.Le Pomellec, « Le CE a pris la res-
ponsabilité d’entériner […] une simple in-
tention du législateur » qui est loin d’être
une évidence pour les praticiens. « En fai-
sant l’impasse sur la dénition du concept
de « traitement » [il] a ouvert une brèche
dans l’édice de la loi Leonetti ». En l’es-
pèce, P-O. Arduin10 rappelle que V. Lambert
« respire spontanément, digère naturelle-
ment les aliments, présente toutes les fonc-
tions métaboliques nécessaires à la vie ».
L’alimentation et l’hydratation articielles
ne cherchent donc pas à traiter une patho-
logie mais répondent à un besoin de base
de l’organisme. Elles sont des «soins » qui
visent à « empêcher le patient de mourir
d’inanition et de déshydratation»11.
Ce que jugera le Conseil d’Etat- inquiétude.
On peut regretter que les experts nommés
pour aider le CE à décider n’aient pas été
saisis de cette question. Ils sont réduits à
décrire l’état clinique actuel de V.Lambert,
se prononcer sur le caractère irréversible
de ses lésions cérébrales et sa capacité
à communiquer, apprécier ses réactions
pendant les soins. On peut craindre que
ces questions entrainent le jugement de
la qualité de la vie de V. Lambert. Comme
le souligne P-O. Arduin « le risque est de
considérer la mort […] comme étant voulue
pour elle-même an de supprimer une per-
sonne dont on juge médiocre la « qualité
de vie » ». L’UNAFTC12 insiste : « l’arrêt de
l’alimentation revient à se prononcer sur
l’utilité de la vie ».
L’avis des spécialistes et proches de pa-
tients pauci-relationnels
La décision du Conseil d’Etat inquiète
l’UNAFTC13. Quelles seront les consé-
quences de la décision du Conseil d’Etat
pour les 1500 patients pauci-relationnels
français ? Pour elle, « Il n’est pas normal
que la question de l’obstination déraison-
nable se pose pendant ces phases de vie où
les fonctions vitales sont en équilibre». Elle
redoute « qu’on en arrive à envisager, pour
des raisons de rationalité économique, de
supprimer les bouches inutiles ».
France Traumatisme crânien14 rappelle que
dans la situation stable des patients pauci-
relationnels, « l’alimentation et l’hydrata-
tion […] font partie des soins de base dus à
tout patient ». Elle alerte sur « le fait qu’une
décision de justice [qui] dicte une conduite
médicale constitue un réel bouleversement
dans la manière de procéder ».
Ce qu’a déjà jugé le Conseil d’Etat est donc
préoccupant. En empiétant sur le rôle du lé-
gislateur et du corps médical, ne risque-t-il
pas de favoriser l’euthanasie passive et de
manquer l’occasion d’éclaircir les notions
essentielles de la loi Leonetti ?
La médiatisation du cas de Vincent Lambert tient en haleine la France entière. Instrumentalisation ou simple coïncidence, tandis que le Conseil
d’Etat (CE) tranchera, d’ici un mois, sur l’euthanasie passive de V.Lambert, le Parlement étudiera le projet de loi sur l’euthanasie, annoncé par
Mme Tourraine pour l’été 2014. L’aaire Lambert constitue-t-elle les prémices du débat ? Analyse de l’aaire.
Aaire Vincent Lambert :
le Conseil d’Etat a-t-il déjà favorisé l’euthanasie ?
1. Atteinte d’une lésion cérébrale grave traumatique, la personne en état pauci-relationnel ou état de conscience minimale présente des réactions comportementales minimales mais précises, lesquelles semblent
témoigner de la conscience que le patient a de lui-même ou de l’environnement. Cet état est à distinguer d’un état végétatif permanent (Coma science groupe) - 2. « L’alimentation, ou nutrition, entérale est […]
[notamment] réalisée à l’aide d’une sonde, généralement nasogastrique (introduite par le nez jusqu’à l’estomac » Larousse Médical - 3. Article L1110-5 du code de la santé publique - 4. Avocat, auteur d’une tribune
« Aaire Vincent Lambert : Le Conseil d’Etat a ouvert une brèche dans la loi Leonetti» Le Figaro 24/02/14 - 5. Article R4127-37 CSP - 6. Article L1111-4 CSP - 7. Article L1111-13 CSP - 8. Position de France Traumatisme
Crânien - Association nationale des professionnels au service des traumatisés crâniens - 9. Article L1110-5 CSP - 10. P-O. Arduin, docteur en philosophie, est directeur de la commission bioéthique du diocèse de
Fréjus-Toulon - 11. Vincent Lambert : euthanasie programmée ? par P-O Arduin – Liberté politique 23/09/2013) - 12. L’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés - 13.
Communiqué de presse de l’UNAFTC 10/02/2014 - 14. L’Association nationale des professionnels au service des traumatisés crâniens.