1 L`affaire Vincent Lambert, l`arrêt rendu par la Cour Européenne

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L’affaire Vincent Lambert, l’arrêt rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et les
limites aux solutions humaines
Jean VILANOVA Le 10/06/2015
Le 5 juin dernier, réunie en Grande Chambre, c’est-à-dire sous sa forme la plus solennelle, la Cour Européenne
des Droits de l’Homme a rendu son arrêt concernant la douloureuse et insoluble affaire Vincent Lambert. Par-
delà l’opinion que chacun peut avoir sur le sort à réserver à ce patient, penser que la décision des magistrats
suprêmes est définitive a quelque chose de glaçant : la vie mais quelle vie ? ou la mort programmée d’une
personne. Foin d’orientation partisane, le juriste doit écarter de lui toute considération étrangère au droit lui-
même alors que l’arrêt de la Cour Européenne a désormais vocation à faire jurisprudence dans les 47 Etats
membres du Conseil de l’Europe.
1. Le rappel des faitsLes principales étapes
Le 29 septembre 2008, Vincent Lambert, un infirmier de 32 ans est victime, dans la région de Reims, d’un
très grave accident de la circulation. Admis au Centre Hospitalier de Châlons-en-Champagne, il est alors plongé
dans un profond coma dont il n’émergera que pour retrouver un état dit « pauci-relationnel » concrétisé par un
état de conscience minimal. Les médecins font rapidement le constat d’une atrophie cérébrale majeure sans
espoir d’amélioration.
En l’absence de toute directive anticipée laissée par le malheureux patient, sa famille va se déchirer. L’épouse
et les frères sollicitent l’engagement d’un protocole de fin de vie tandis que les parents demandent le maintien
en vie de leur enfant. Certains, parmi leurs contradicteurs évoqueront, sans doute avec quelques arrières-
pensées, la puissante foi religieuse qui les anime.
Le 10 avril 2013, en accord avec l’épouse mais sans en aviser les parents, le docteur K., chef de service de
l’unité des soins palliatifs du CHU de Reims où Vincent Lambert a été transféré engage le processus de fin de
vie en cessant de l’alimenter et en réduisant son hydratation.
A ce stade et en toute objectivité, la décision porte à critique, tant sur le fond que la forme.
- Le fond tout d’abord ; il y a la marque d’une évidente précipitation à l aisser ainsi les parents dans
l’ignorance d’une aussi lourde décision alors même qu’un rendez-vous avait été fixé avec eux au 15
mai afin de prolonger le colloque singulier et poursuivre le dialogue.
- La forme ensuite par une annonce assez tonitruante, assez dérangeante pour l’observateur lambda,
une forme de starisation malvenue devant les caméras de télévision à des heures de grande écoute.
Une affaire aussi complexe, une telle souffrance partagée entre tous (parents, épouse, frères et autres
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proches), voilà qui aurait mérité un peu plus de retenue. La médecine, c’est aussi le verbe économe, le
mot juste et l’humilité de ceux qui la servent.
Le 26 avril 2013, les parents de Vincent Lambert apprennent incidemment par un tiers (!) que leur fils n’est
plus alimenté. Ils déposent un signalement auprès du Procureur de la République pour tentative d’assassinat.
Le 11 mai 2013, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonne à l’hôpital de Reims de rétablir
l’alimentation du patient. Dénutri depuis 31 jours, il se trouvait uniquement sous hydratation réduite. Le
tribunal fustige le comportement du chef de service pour son défaut d‘information vis-à-vis des parents. Sous
le strict angle du droit, c’est bien le moins en effet.
Le 11 janvier 2014, ce même chef de service annonce aux parents qu’il compte de nouveau arrêter la
nutrition et l’hydratation. Ceux-ci saisissent à nouveau le tribunal qui, une fois encore, désavoue la position
adoptée par le médecin au motif que l’obstination déraisonnable évoquée par ce dernier n’est pas avérée. En
outre, selon les juges, le docteur K. « a apprécié de manière erronée la volonté de Vincent Lambert en
estimant qu’il souhaiterait opposer un refus à tout traitement le maintenant en vie. »
Le 6 février 2014, l’affaire est enfin portée devant le Conseil d’Etat qui renvoie à une nouvelle expertise
médicale.
Entre le 7 avril et le 11 avril 2014, trois experts vont examiner le patient. Ils font le constat clinique d’un état
végétatif sans détection de conscience minimale et déplorent de très peu probables chances d’amélioration.
Aucune forme de communication de la part de Vincent Lambert n’est décelée. Ses réponses comportementales
aux différentes stimulations en restent au stade de réflexe. Enfin, rien ne peut être interprété, chez le jeune
homme, comme un vécu conscient de souffrance ou l’expression d’un souhait d’arrêt ou de prolongement du
traitement.
Le 20 juin 2014, eu égard à l’état de dégradation de sa conscience, sans espoir d’amélioration le Conseil
d’Etat* considère que le maintien artificiel en vie de Vincent Lambert relève d’une obstination déraisonnable,
contraire à la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie** (loi Léonetti du 22 avril 2005). Mais, ayant
anticipé la décision du Conseil d’Etat, les parents, toujours formellement opposés à l’arrêt des soins avaient
déjà saisi, par précaution, la Cour Européenne des Droits de l’Homme au titre d’une procédure d’urgence liée à
une situation dite de « risque imminent de dommage irréparable ».
Tout s’avère extraordinaire dans cette affaire dans la mesure où seulement 4 heures plus tard la Cour
Européenne des Droits de l’Homme suspend la décision du Conseil d’Etat et renvoie devant sa Grande Chambre
le rendu d’un arrêt définitif.
2. Les arguments des parents requérants
Les arguments déployés par les père et mère de Vincent Lambert auprès de la Haute cour sont principalement
de deux ordres :
- En premier lieu, leur fils n’est pas en fin de vie. Il n’est pas, en soi, malade mais lourdement handicapé.
Il ne saurait donc y avoir une obstination déraisonnable à alimenter et hydrater un patient dont le
pronostic vital n’est pas enga sauf à violer l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales*** relatif au droit de toute personne à la vie.
- Les parents pointent aussi ce qu’ils estiment être une violation de l’article 3 de cette même
Convention qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Or, il s’agirait ici d’affamer une
personne jusqu’à la conduire à la mort.
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3. L’arrêt du 5 juin 2015 Grande Chambre de la CEDH****
Par 12 voix contre 5, les 17 juges de la CEDH consacrent l’arrêt rendu le 24 juin 2014 par le Conseil d’Etat
autorisant l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert. Il n’y a pas, pour la Cour, violation
de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
relatif au droit à la vie.
Et les juges d’estimer que la loi française relative aux droits des malades et à la fin de vie offre un cadre
suffisamment clair pour guider de façon précise la décision du médecin. Cette loi, on le sait, écarte
l’euthanasie. Elle s’inscrit dans une optique moins « radicale » et instaure le refus de « l’obstination
déraisonnable », objet de son article 1er :
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles,
disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou
ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de vie… »
Invoquant d’autre part un motif de forme, la Cour refuse de se pencher sur la question relative à la possible
violation de l’article 3. Le Conseil d’Etat ayant établi que le docteur K. n’avait pas fait une interprétation
inexacte des souhaits de Vincent Lambert, la Cour estime que n’apparaît pas établi la convergence d’intérêts
entre ce qu’expriment les requérants et ce qu’aurait voulu le patient.
4. Commentaires
Agé de 32 ans au moment de l’accident, Vincent Lambert n’avait pas rédigé de directives anticipées.
Certes, l’épouse a pu évoquer des discussions avec lui, à des dates précises au cours desquelles il aurait fait
part de son refus de tout acharnement en cas d’accident ou de grave maladie. A-t-il manifesté une forme de
refus de soins ainsi qu’a pu l’interpréter l’équipe soignante ? Ou faut-il croire sa mère lorsqu’elle affirme qu’il
ressent une forme de bien-être lorsqu’elle est présente ?
Personne ne saura jamais ce qu’aurait réellement souhaité Vincent Lambert.
Que peut-il se passer à présent ?
L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a vocation à être exécutoire. Il n’y a plus de recours
possible même si les parents parlent de saisir à nouveau le juge administratif français ; à notre humble avis
avec peu de chances de succès. On imagine mal en effet un tribunal administratif adopter une position
contraire à celle prise par la Cour en audience solennelle.
Ceci dit, l’affaire n’arrive pas nécessairement à son terme. Elle va rebondir dans la mesure où la Cour
n’ordonne pas l’arrêt des soins. Elle se borne à l’autoriser. La décision finale appartient donc au chef de service
de l’unité de soins palliatifs du CHU de Reims qui n’est plus le docteur K. officiant au début de l’affaire.
Elle rebondit déjà, le jour même où ces lignes sont écrites par le biais d’une vidéo largement médiatisée de
Vincent Lambert qui interpelle sur sa dignité ici bafouée.
Dans un tel contexte tourmenté, il faut maintenant attendre la mise en place d’une ultime ( ?) procédure
collégiale, au sens plein du terme, c’est-dire réunissant, cette fois, tous les membres de la famille.
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L’arrêt du 5 juin 2015 conforte la loi française sur la fin de vie, une loi dont il faut saluer l’équilibre. Une loi
qui, sur un sujet aussi sensible que la fin de vie ne satisfait personne, ni les partisans de l’euthanasie, ni ceux de
la vie à tout prix ne peut qu’être une bonne loi. Et son aménagement actuellement en débat devant les
assemblées respecte, il faut s’en féliciter, cet équilibre.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme fait montre de prudence. Elle écarte l’euthanasie ainsi qu’elle l’a
toujours fait. Les juges suprêmes choisissent une autre voie, peut-être plus difficile : celle qui consiste à
élaborer une ligne de consensus, des principes applicables à tous en matière d’encadrement de la fin de vie. Le
socle est là sur lequel pourront s’appuyer les Etats souhaitant légiférer en la matière comme l’a fait la France.
5. Conclusion : un constat d’impuissance
L’affaire Vincent Lambert est une terrible affaire. Elle traduit le permanent et ravageur déni des limites aux
solutions humaines ainsi que nous l’avons déjà exprimé.
Cette affaire nous apprend ou nous confirme que la mort n’est plus un événement mais un processus. A
quel stade de ce processus cesse-t-on de vivre ? La question revêt une dimension d’une complexité
vertigineuse.
En soi, et cela coûte de le penser et de l’écrire, la décision rendue par la CEDH, quelle qu’elle soit ne résout
rien.
Il faudrait, une fois pour toutes, admettre l’impuissance humaine à apporter certaines réponses. Une haute
raison qui devrait induire introspection, humilité et contribuer à jeter à la rivière mais comment est-ce
possible ? déclarations intempestives, jugements définitifs et autres emballements militants et médiatiques.
Quant au débat, il est loin d’être clos. Comment pourrait-il l’être d’ailleurs ?
Dans les seuls hôpitaux français, on dénombre 1 700 patients dans un état clinique semblable à celui de
Vincent Lambert…
* CE, 24 juin 2014, Mme F… I… et autres ; numéros 375081, 375090, 375091
** Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. JORF n° 95 du 23 avril 2205, page 7089 Texte n° 1
*** Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 4 /11 /1950 et protocoles suivants
**** CEDH, 5 juin 2015. Affaire Lambert et autres c. France
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