Peut-on calquer le droit de l`animal sur celui de la personne

Le 28 janvier dernier le Parlement a reconnu aux animaux la qualité
d’« êtres vivants doués de sensibilité
1
». Ce fait, à lui seul, ne pose pas de
problème particulier car il n’indique pas de grande révolution immé-

depuis toujours que la vie animale se caractérise par des réactions

responsable lorsqu’un animal blesse une personne ou endommage
les biens d’autrui. Lanimal ne pouvant être responsable, c’est donc
son propriétaire qui le sera. Sous ce rapport l’animal domestique est
ici considéré lui aussi comme un « bien » de son maître.
L’homme, une espèce parmi d’autres ?
Ce n’est donc pas tant la décision du Parlement qui nous intéressera
que la manière souvent problématique dont nos contemporains se
représentent l’animal et vivent leur rapport avec lui. Nombre d’entre
eux sont persuadés qu’en raison de la proxi-
mité entre l’espèce humaine et les autres êtres
vivants, il conviendrait de conférer aux « autres »,
aux grands singes par exemple, des droits qu’il
nous reviendrait de respecter. On peut alors
s’interroger sur ce que cette perspective dévoile
quant aux hésitations de notre culture et sur
ce qu’il pourrait advenir de notre civilisation si
l’homme lui-même ne devait plus être considéré
que comme une espèce parmi d’autres sans que
ses caractéristiques propres lui valent un respect
strict et exclusif. On comprend alors quel est l’en-

qui est ici en cause et, au-delà, l’existence ou non d’un humanisme qui
traditionnellement fonde cette tradition. Jamais dans notre histoire,

    

A vrai dire, si la personne est respectable c’est d’abord parce qu’elle
possède en elle-même le droit d’avoir des droits, c’est-à-dire une
dignité. C’est cette singularité de l’homme qui est, au fond, l’objet
des débats. Nos contemporains ont de plus en plus de mal à perce-
voir l’originalité de la personne et à tirer de cette connaissance les
conséquences éthiques et juridiques qui en dépendent. Les lignes qui
suivent voudraient apporter quelques points de repère pour éclairer
la situation actuelle.

Il est en premier lieu nécessaire de mettre en garde contre une atti-
tude très répandue et presque inévitable consistant à projeter sur
         
créditer son chat ou son chien de pensées ou de représentations qui
existent bien en nous, animaux raisonnables, alors que rien n’indique
objectivement qu’elles se retrouvent comme telles dans la psycholo-
gie de nos animaux familiers. Nos intérêts et notre légitime attache-
ment pour les animaux rendus possibles par nos capacités cognitives
risquent donc - et c’est le premier point - de nous égarer. Observons,
         
qui interrogeons la vie animale et jamais eux, les autres animaux, qui
s’interrogent consciemment sur cet étrange animal qu’est l’homme.
Certes, bien des animaux communiquent entre eux mais aucun ne sait
nommer les choses, ce qui montre qu’ils n’ont pas une connaissance
profonde et surtout abstraite du monde dans lequel ils vivent.
En second lieu, certains éthologues présupposent que le comporte-

comme si la manière dont nous réagissons au danger, par exemple,
était déjà esquissée dans la vie des animaux. Or, une
attention plus précise à l’originalité de la conduite
humaine montre que chacun d’entre nous doit
apprendre à évaluer ses actes en conscience et que
      -
nelle et collective qui n’a pas d’équivalent chez les
autres espèces. La conduite des êtres humains passe
par une adaptation à ce qui se fait autour d’eux mais
elle amène aussi, selon les cas, l’agent moral qu’est
la personne humaine à « ne pas faire comme tout
le monde ». Par son refus d’un décret inique, Anti-
gone demeure jusqu’à aujourd’hui un modèle très
éloquent de ce qui caractérise en propre l’agir humain. Ici l’erreur de
certains éthologues est de ne pas comprendre que si le dressage peut
engendrer des comportements adaptés, l’éducation, elle, va bien au-
delà, et n’a de sens qu’à rejoindre ce qui fait la grandeur de chaque

Certains vont même plus loin dans leur réduction de l’homme à l’ani-
-

vrai fondement de l’agir juste. De cette manière, il y aurait continuité
naturelle entre les réactions des primates et les actions relevant de
la morale.

À cela il faut répondre que la justice regarde d’abord ce qui est dû à

-
pect. D’ailleurs, l’appel au « respect de ce qui est dû » pose plus géné-
1. Cf. Synthèse de presse du 30 janvier 2015 : Les animaux oiciellement «doués de sensibilité» et
Gènéthique vous informe : Les animaux, des êtres vivants doués de sensibilité ?
Autres thèmes
Peut-on calquer le droit de lanimal
sur celui de la personne humaine ?
GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME
Si lon n’y prend pas
garde c’est lorigina-
lité de la personne
humaine qui est mise
de côté.
LETTRE
MENSUELLE
N°174
mars
2015
Si la personne est
respectable cest
d’abord parce
quelle possède en
elle-même le droit
d’avoir des droits,
c’est-à-dire une
dignité.
TRIBUNE

Professeur agrégé, Jean-Marie Meyer, né en 1955, enseigne la
philosophie générale en classes préparatoires et l’éthique à la
Faculté libre de philosophie comparée (IPC). Il est membre du
Conseil pontical pour la famille.
Nest-il pas étonnant de voir l’engouement suscité par
une loi qui traite du « droit des animaux » quand la vie
humaine est menacée dès la conception jusqu’à sa fin ?
C’est pourtant à partir de la spécificité humaine que le droit, qui
codifie nos rapports humains et les liens avec ce qui nous entoure,
a été établi. Jean-Marie Meyer, philosophe, propose des points de
repère pour faire face à ces enjeux.

Dès l’ouverture des débats le 10 mars, bien que les rapporteurs se
soient défendus d’un texte portant sur l’euthanasie ou le suicide as-
sisté, tous les orateurs ont pris position. De même, si la proposition
-



-

C’est par voie d’amendements que l’aide active à mourir a été discu-
tée. Ses partisans ont estimé que la sédation profonde et continue du
texte donnerait lieu à « une agonie trop longue » et à « une déchéance
du corps du patient » provoquée par l’arrêt de l’hydratation, insup-
portable pour les familles. Ils ont essayé d’appuyer leurs argumen-
taires sur les « 4000 euthanasies clandestines par an en France », une

Alain Claeys, rapporteur de la loi, s’est dit « obligé » de ne pas soutenir

pas « brusquer la société »
active à mourir a été écartée. Pour cette fois.
       

Lors du vote solennel du 17 mars, l’Assemblée nationale a adopté la


sédation profonde et continue associée à l’arrêt de l’alimentation
et de l’hydratation, et rend les directives anticipées contraignantes.
Les 1000 amendements déposés par l’Entente parlementaire
1
ont été
systématiquement rejetés, et n’auront pu améliorer le texte. D’une
manière générale, les rapporteurs Claeys et Leonetti, et la ministre
n’ont accepté que très peu d’amendements pour ne pas dénaturer le
texte et coller au plus près à la commande du gouvernement. Ainsi
-
naissance d’une telle clause aurait traduit la nature de la sédation

On peut cependant compter quelques ajouts comme le droit à la for-
mation aux soins palliatifs pour les professionnels soignants (unique
amendement de l’Entente retenu), l’information d’une prise en charge
à domicile, la mise en place d’un registre pour référencer les sédations
profondes et continues jusqu’au décès ou encore un registre national
automatisé des directives anticipées, une aide à la rédaction des
directives anticipées des personnes non émancipées, ou encore un
rapport annuel sur l’application de la loi et les soins palliatifs.
La proposition de loi doit être discutée au Sénat dans les semaines à
venir.
1. Cf. L’Entente parlementaire regroupe des parlementaires de l’opposition reconnaissant la légi-
timité du droit naturel.
Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
contact@genethique.org - www.genethique.org
Directeur De la publication : Jean-Marie Le Méné - réDacteur en chef : Lucie Pacherie
imprimerie : PRD - N° ISSN 1627.498
Autres thèmes
Fin de vie

semble-t-il, le point principal du débat. Beaucoup de partisans de

conviendrait en fait de parler de protection. Il s’agit de protéger des
espèces alors que le respect s’adresse uniquement à des personnes.
Ici, les mots ont leur importance car si l’on n’y prend pas garde c’est

désir de promouvoir l’intérêt, légitime mais à sa place, pour les autres
« Qui trop embrasse, mal étreint ».
A vouloir appliquer à l’animal ce qui ne doit aller qu’à l’homme -le res-


    
nous garder d’une extension du « droit » qui serait, en fait, l’implosion
de notre dignité.

Une dernière remarque aidera peut-être le lecteur à mieux com-

Jeremy Bentham, salué comme un prédécesseur par les militants de
 « Il viendra un temps où l’humanité étendra
son manteau sur tout ce qui respire. On a commencé par s’attendrir sur
le sort des esclaves : on nira par adoucir celui des animaux qui servent
à nos travaux et à nos besoins. »
-
tient à une « philosophie de l’histoire » d’un nouveau genre dans
laquelle l’émancipation des noirs ne représente qu’une étape dans
un processus qui dépasse l’espèce humaine. Jusqu’à présent c’était
au nom de la dignité de l’homme que devait s’écrire notre histoire.
La lutte pour l’égalité des hommes éclairait donc en profondeur, et

les partisans du droit de l’animal, en revanche, cette originalité de
l’homme soit n’existe pas soit ne vaut par reconnaissance de dignité.
Il n’est donc pas nécessaire de réserver à l’homme des droits. Voilà
pourquoi revendiquer des droits pour l’animal est une sorte de révo-

qui fait l’originalité sans prix de chaque personne humaine.
TRIBUNE
DECRYPTAGE
« Endormir pour faire mourir »
adopté en 1ère lecture à lAssemblée nationale
GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME
Les partisans de
la cause animale
parlent de respect
de l’animal alors
quil conviendrait
en fait de parler de
protection.
Les rapporteurs et
la ministre nont
accepté que très peu
d’amendement de
peur de dénaturer
le texte et pour
coller au plus près
à la commande du
gouvernement.
C’est en moins de vingt heures qu’une poignée de députés
a discuté, les 10 et 11 mars, la proposition de loi Claeys/
Leonetti. Le vote solennel a eu lieu le 17 mars. Ce texte dit
« consensuel » et vu comme « une étape » par le gouvernement, a
été voté par une large majorité.

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Peut-on calquer le droit de l`animal sur celui de la personne

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