HigHligHts Neuropédiatrie: épilepsie néonatale Pourquoi son diagnostic est-il difficile et son traitement souvent inefficace, voire nocif? Jürg Lütschg Abteilung für Neuropädiatrie, Universitäts-Kinderspital beider Basel, Basel Jürg Lütschg La prévalence des premières crises épileptiques est la plus élevée chez les nouveau-nés et après l’âge de 70 ans. Les étiologies les plus fréquentes de l’épilepsie néonatale sont asphyxie, hémorragies cérébrales, accidents vasculaires cérébraux, troubles métaboliques et malformations cérébrales. Sur la base du tableau clinique, la distinction se fait entre crises cloniques focales, myocloniques focales ou généralisées et toniques focales, alors que les crises tonicocloniques souvent observées chez les personnes âgées ne se voient qu’exceptionnellement chez les nouveaunés. Il se peut que les crises se produisent avec très peu de symptômes tels qu’ouverture ou déviations des yeux, mouvements de succion ou brèves apnées. C’est justement dans ces petites crises et les myoclonies qu’il peut être difficile de faire la distinction avec des mouvements non épileptiques, parfois même normaux, tels que convulsions du prématuré ou myoclonies du sommeil. Pour confirmer ou exclure le diagnostic d’épilepsie, un EEG en général avec polygraphie et vidéo est enregistré, comme chez l’adulte. Si une crise se produit pendant l’enregistrement, le diagnostic d’épilepsie est la plupart du temps posé. Si ce n’est pas le cas, le tracé EEG ne permet souvent ni de confirmer ni d’exclure le diagnostic d’épilepsie. La chance d’enregistrer un EEG pendant une crise est augmentée par la méthode avec capteur Figure 1 Maturation des neurones GABAA: dans un neurone immature, la pompe à ions NKCC1 provoque une concentration intracellulaire de Cl– élevée et la stimulation du récepteur GABAA une sortie de Cl– par le canal du Cl– et une excitation du neurone; à l’inverse, dans un neurone GABAA mature, la concentration intracellulaire de Cl– est maintenue basse et une stimulation provoque une inhibition des excitations du neurone. d’amplitude intégré sur plusieurs heures ou jours (brain monitoring), qui permet de visualiser relativement sûrement les crises cloniques et toniques focales surtout. Pour toutes les autres crises, cette méthode est peu sûre. Où faut-il rechercher cette incertitude diagnostique plus grande que chez les plus grands enfants? Une raison majeure est très probablement le processus de maturation des synapses. Chez le nouveau-né, la densité des synapses est encore faible, au niveau du cortex surtout, et en fonction de l’âge gestationnel, c.-à-d. plus chez les prématurés que chez les enfants nés à terme, les synapses GABAergiques sont encore excitatrices avant de devenir inhibitrices (fig. 1 x). Cette transformation se produit d’abord au niveau du tronc cérébral et plus tard seulement au niveau du cortex. Un autre problème est que les crises récidivantes peuvent retransformer des synapses GABA matures inhibitrices en excitatrices et augmenter ainsi la susceptibilité aux crises. Ce processus produit parfois des réseaux anormaux à l’origine d’une future prédisposition à l’épilepsie. Cette transformation de neurones GABAergiques immatures excitateurs en matures inhibiteurs dans plusieurs régions du cerveau explique également pourquoi les crises épileptiques ne sont pas aussi faciles à diagnostiquer que chez les patients plus âgés. La faible densité des synapses, et du même fait la faible synchronisation des décharges neuronales ne donnent pas toujours un tracé EEG typique de crise épileptique. Il est donc difficile de décider quel patient il faut traiter et lequel pas. Les médicaments utilisés depuis plusieurs dizaines d’années dans l’épilepsie néonatale, phénobarbital (PB) et benzodiazépines (BZ), posent également quelques problèmes, car surtout chez les prématurés ils sont peu efficaces et peuvent avoir une influence négative sur le développement cérébral. Le mécanisme d’action du PB et des BZ consiste en une activation des synapses GABAergiques. Comme après la période néonatale ils inhibent la transmission des excitations, les crises épileptiques sont supprimées. Dans les neurones GABA immatures, ces médicaments provoquent une sortie de Cl– en raison de ses concentrations intracellulaires relativement élevées, et ils sont donc dépolarisants, c.-à-d. excitateurs. Ils peuvent ainsi déclencher des crises dans certaines régions du cerveau. Pour obtenir une suppression des crises, il faudrait inhiber la pompe à ions NKCC1 active dans les neurones GABAergiques immatures. Ce qui ferait diminuer la concentration intracellulaire de Cl– et donnerait après ouverture du canal du Cl– une entrée de Cl– hyperpolarisante, c.-à-d. supprimant l’excitation (fig. 2 x). L’expérimentation animale a pu démontrer que le diuForum Med Suisse 2009;9(51–52):942 942 HigHligHts Figure 2 Dans les neurones immatures les médicaments stimulants les récepteurs GABAA peuvent être en plus excitateurs. Seul un blocage de la pompe à ions NKCC1 provoque une inhibition de la transmission de l’excitation par entrée de Cl– ainsi rendue possible. rétique bumétanide (Burinex®) inhibe la pompe NKCC1 et diminue de ce fait la concentration intracellulaire de Cl–. Dans les neurones GABA immatures, le PB et les BZ peuvent avoir un effet hyperpolarisant et anticonvulsivant sous l’effet d’une entrée de Cl–. Des études cliniques sont prévues dans le but de confirmer ce meilleur effet anticonvulsivant. Ces résultats montrent que des médicaments, utilisés en période néonatale depuis de nombreuses années et anticonvulsivants efficaces chez l’enfant et l’adulte, peuvent avoir un effet plutôt épileptogène «paradoxal» dans un cerveau immature. La recherche de ces dernières années a pu démontrer la grande importance des neurones GABAergiques «immatures» dans le développement du cerveau. Il est donc plausible qu’une hyperactivité de ces neurones, que ce soit sous l’effet de crises épileptiques ou sous celui d’un traitement par PB ou BZ, puisse influencer ce développement dans une direction imprévisible. Il reste à espérer que dans les études cliniques également cette association bumétanide et PB améliore l’effet antiépileptique. Ce qui n’empêche que de nombreuses questions resteront encore ouvertes, par ex. quelles sont les répercussions d’une transformation pré- maturée de neurones immatures en mature sur le développement du cerveau et comment être plus sûr que seuls les nouveau-nés ayant des crises épileptiques doivent être traités, et pas ceux présentant des convulsions non épileptiques. Correspondance: Prof. J. Lütschg Abteilung für Neuropädiatrie Universitäts-Kinderspital beider Basel Postfach CH-4005 Basel [email protected] Références complémentaires 1 Kilb W, Sinning A , Luhman HJ. Model specific effects of bumetanide on epileptic activity in the in vitro intact hippocampus of the newborn mouse. Neuropharmacol. 2007;53:524–33. 2 Silverstein FS, Jensen FE. Neonatal seizures. Ann Neurol. 2007;62: 112–20. 3 Yehezkel BA, Gairsa JL, Tyzio R, Khazipov R. GABA: a pioneer transmitter that excites immature neurons and generates primitive oscillations. Physiol Rev. 2007;87:1215–84. Forum Med Suisse 2009;9(51–52):943 943