Forum Med Suisse 2009;9(51–52):942 942
HigHligHts
Neuropédiatrie: épilepsie néonatale
Pourquoi son diagnostic est-il difficile et son traitement souvent inefficace, voire nocif?
rg Lütschg
Abteilung für Neuropädiatrie, Universitäts-Kinderspital beider Basel, Basel
La prévalence des premières crises épileptiques est la
plus élevée chez les nouveau-nés et après l’âge de 70 ans.
Les étiologies les plus fréquentes de l’épilepsie néonatale
sont asphyxie, hémorragies cérébrales, accidents vascu-
laires cérébraux, troubles métaboliques et malformations
cérébrales.
Sur la base du tableau clinique, la distinction se fait entre
crises cloniques focales, myocloniques focales ou géné-
ralisées et toniques focales, alors que les crises tonico-
cloniques souvent observées chez les personnes âgées
ne se voient qu’exceptionnellement chez les nouveau-
nés. Il se peut que les crises se produisent avec très peu
de symptômes tels qu’ouverture ou déviations des yeux,
mouvements de succion ou brèves apnées. C’est juste-
ment dans ces petites crises et les myoclonies qu’il peut
être difficile de faire la distinction avec des mouvements
non épileptiques, parfois même normaux, tels que
convulsions du prématuré ou myoclonies du sommeil.
Pour confirmer ou exclure le diagnostic d’épilepsie, un
EEG en général avec polygraphie et vidéo est enregistré,
comme chez l’adulte. Si une crise se produit pendant
l’enregistrement, le diagnostic d’épilepsie est la plupart
du temps posé. Si ce n’est pas le cas, le tracé EEG ne
permet souvent ni de confirmer ni d’exclure le diagnos-
ticd’épilepsie. La chance d’enregistrer un EEG pendant
une crise est augmentée par la méthode avec capteur
d’amplitude intégré sur plusieurs heures ou jours (brain
monitoring), qui permet de visualiser relativement sûre-
ment les crises cloniques et toniques focales surtout.
Pour toutes les autres crises, cette méthode est peu sûre.
Où faut-il rechercher cette incertitude diagnostique plus
grande que chez les plus grands enfants?
Une raison majeure est très probablement le processus
de maturation des synapses. Chez le nouveau-né, la den-
sité des synapses est encore faible, au niveau du cortex
surtout, et en fonction de l’âge gestationnel, c.-à-d. plus
chez les prématurés que chez les enfants nés à terme,
les synapses GABAergiques sont encore excitatrices
avant de devenir inhibitrices (fig. 1 x). Cette trans-
formation se produit d’abord au niveau du tronc céré-
bral et plus tard seulement au niveau du cortex. Un autre
problème est que les crises récidivantes peuvent re-
transformer des synapses GABA matures inhibitrices
en excitatrices et augmenter ainsi la susceptibilité aux
crises. Ce processus produit parfois des réseaux anor-
maux àl’origine d’une future prédisposition àl’épilepsie.
Cette transformation de neurones GABAergiques imma-
tures excitateurs en matures inhibiteurs dans plusieurs
régions du cerveau explique également pourquoi les
crises épileptiques ne sont pas aussi faciles à diagnosti-
quer que chez les patients plus âgés. La faible densité
des synapses, et du même fait la faible synchronisation
des décharges neuronales ne donnent pas toujours un
tracé EEG typique de crise épileptique. Il est donc difficile
de décider quel patient il faut traiter et lequel pas.
Les médicaments utilisés depuis plusieurs dizaines
d’années dans l’épilepsienéonatale, phénobarbital (PB)
et benzodiazépines (BZ), posent également quelques
problèmes, car surtout chez les prématurés ils sont peu
efficaces et peuvent avoir une influence négative sur le
développement cérébral. Le mécanisme d’action du
PB et des BZ consiste en une activation des synapses
GABAergiques. Comme après la période néonatale ils
inhibent la transmission des excitations, les crises épi-
leptiques sont supprimées. Dans les neurones GABA
immatures, ces médicaments provoquent une sortie de
Clen raison de ses concentrations intracellulaires rela-
tivement élevées, et ils sont donc dépolarisants, c.-à-d.
excitateurs. Ilspeuvent ainsi déclencher des crises dans
certaines régions du cerveau.
Pour obtenir une suppression des crises, il faudrait in-
hiber la pompe à ions NKCC1 active dans les neurones
GABAergiques immatures. Ce qui ferait diminuer la
concentration intracellulaire de Clet donnerait après
ouverture du canal du Clune entrée de Clhyperpola-
risante, c.-à-d. supprimant l’excitation (fig. 2 x).
L’ expérimentation animale a pu démontrer que le diu-
rg Lütschg
Figure 1
Maturation des neurones GABAA: dans un neurone immature, la pompe à ions NKCC1
provoque une concentration intracellulaire de Clélee et la stimulation du récepteur
GABAAune sortie de Clpar le canal du Clet une excitation du neurone; à l’inverse, dans
un neurone GABAAmature, la concentration intracellulaire de Clest maintenue basse
et une stimulation provoque une inhibition des excitations du neurone.
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rétique bumétanide (Burinex®) inhibe la pompe NKCC1
et diminue de ce fait la concentration intracellulaire de
Cl. Dans les neurones GABA immatures, le PB et les BZ
peuvent avoir un effet hyperpolarisant et anticonvulsi-
vant sous l’effet d’une entrée de Cl.Des études cliniques
sont prévues dans le but de confirmer ce meilleur effet
anticonvulsivant.
Ces résultats montrent que des médicaments, utilisés en
période néonatale depuis de nombreuses années et anti-
convulsivants efficaces chez l’enfant et l’adulte, peuvent
avoir un effet plutôt épileptogène «paradoxal» dans un
cerveau immature. La recherche de ces dernières années
a pu démontrer la grande importance des neurones
GABAergiques «immatures» dans le développement du
cerveau. Il est donc plausible qu’une hyperactivité de
ces neurones, que ce soit sous l’effet de crises épilep-
tiques ou sous celui d’un traitement par PB ou BZ, puisse
influencer ce développement dans une direction impré-
visible. Il reste à espérer que dans les études cliniques
également cette association bumétanide et PB améliore
l’effet antiépileptique. Ce qui n’empêche que de nom-
breuses questions resteront encore ouvertes, par ex.
quelles sont les répercussions d’une transformation pré-
maturée de neurones immatures en mature sur le déve-
loppement du cerveau et comment être plus sûr que seuls
les nouveau-nés ayant des crises épileptiques doivent
être traités, et pas ceux présentant des convulsions non
épileptiques.
Correspondance:
Prof.J.Lütschg
Abteilung für Neuropädiatrie
Universitäts-Kinderspital beider Basel
Postfach
CH-4005 Basel
Juerg.Luetsc[email protected]
Références complémentaires
1Kilb W, Sinning A , Luhman HJ. Model specific effects of bumetanide
on epileptic activity in the in vitro intact hippocampus of the newborn
mouse. Neuropharmacol. 2007;53:524–33.
2Silverstein FS, Jensen FE. Neonatal seizures. Ann Neurol. 2007;62:
112–20.
3Yehezkel BA, Gairsa JL, Tyzio R, Khazipov R. GABA: a pioneer trans-
mitter that excites immature neurons and generates primitive oscilla-
tions. Physiol Rev. 2007;87:1215–84.
Figure 2
Dans les neurones immatures les médicaments stimulants les récepteurs GABAApeuvent être en plus excitateurs. Seul un blocage de la pompe à ions NKCC1
provoque une inhibition de la transmission de l’excitation par entrée de Clainsi rendue possible.
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