Comment le cerveau épileptique fait route vers la crise Par Gilles Huberfeld, Liset Menendez de la Prida, Johan Pallud, Ivan Cohen, Michel Le Van Quyen, Claude Adam, Stéphane Clemenceau, Michel Baulac & Richard Miles Equipe «Cortex & Epilepsie» Centre de Recherche de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, INSERM UMRS 975 - CNRS UMR 7225 - UPMC et Unité d’Epileptologie - APHP CHU Pitié-Salpêtrière & UPMC, Paris. La survenue d'une crise, soudaine et imprévisible, est un des fardeaux majeurs des patients épileptiques, leur maladie s’exprimant principalement par ces paroxysmes. Mettre en évidence une phase de transition vers la crise et en saisir les bases neuronales permettrait de détecter l'imminence d'une crise et d'envisager des stratégies thérapeutiques qui cibleraient les mécanismes spécifiques de cette transition. Nous avons étudié cette transition dans des tissus post-opératoires issus de patients épileptiques, non contrôlés par les médicaments anti-épileptiques et opérés pour supprimer leurs crises. Les crises épileptiques sont réputées émerger en cas de déséquilibre entre systèmes excitateurs (assurés principalement par les neurones principaux dits pyramidaux libérant le neurotransmetteur excitateur glutamate) et inhibiteurs (assurés par les interneurones produisant le neurotransmetteur inhibiteur GABA). Ce concept est cependant remis en cause par des données in vitro récentes qui montrent que les systèmes inhibiteurs GABAergiques peuvent devenir excitateurs dans des tissus épileptiques (comme ils le sont dans le cerveau immature) et contribuer à la genèse des activités épileptiques au lieu de lutter contre. Plus précisément, une décharge intense des cellules inhibitrices, les interneurones, et la signalisation GABAergique semblent pouvoir initier les brèves décharges épileptiques enregistrées à l’état de base entre les crises (nommées interictales) ainsi que les crises dans leur phase précoce. Nos travaux effectués au Centre de Recherche de l'ICM sur le site hospitalier de la PitiéSalpêtrière visent à étudier la dynamique des activités épileptiques au sein du tissu épileptique humain in vitro. Cette approche permet d’accéder au fonctionnement de neurones individuels au sein d’activités de groupes de neurones et de connaître les voies de signalisation utilisées. Elle permet, en outre, de s’affranchir des modèles animaux d’épilepsie qui ne reproduisent que quelques aspects de la maladie. Les crises de certains patients ne peuvent pas, actuellement, être contrôlées par les médicaments et leur prise en charge fait appel à la chirurgie. Nous nous focalisons sur une structure clé, l’hippocampe et sa voie de sortie, le subiculum, qui, maintenu in vitro quelques heures en vie après sa résection chirurgicale, continue à produire spontanément des activités épileptiques de type interictal, similaires à celles enregistrées in vivo. Nos travaux précédents avaient permis de montrer qu’elles étaient paradoxalement déclenchées par les cellules inhibitrices du cerveau, les interneurones, qui avaient des effets excitateurs inattendus. Dans ce travail, nous avons poussé les réseaux épileptiques vers la crise et observé que la phase de transition s’étendait sur plusieurs dizaines de minutes et était marquée par l’émergence progressive d’un nouveau type d’évènement épileptique : les décharges préictales. Nous avons caractérisé les réseaux et les cellules qui les produisent. En comparaison avec les décharges interictales déjà connues et qui expriment plutôt les anomalies de base du tissu épileptique, elles sont plus amples, impliquent plus de neurones, se propagent plus vite et ne sont pas initiées par les interneurones inhibiteurs mais par les cellules excitatrices principales, les cellules pyramidales. La phase de transition répond à un renforcement progressif des réseaux excitateurs, phénomène de plasticité proche de celui qui sous-tend la mémorisation. Il est notable que la signalisation excitatrice glutamatergique assure la transition vers la crise, sans rôle actif des systèmes GABAergiques. Une fois matures, les mêmes décharges préictales s’organisent sur une durée de quelques secondes pour initier la crise en recrutant à la fois les systèmes excitateurs déjà renforcés mais aussi en pervertissant encore un peu plus les systèmes inhibiteurs qui majorent alors leur effet paradoxal excitateur. Ainsi, les anomalies de base au sein du tissu épileptique, l’inhibition GABAergiques lui conférant des effets excitateurs, couplées aux décharges préictales liées à une hyperexcitabilité s’associent pour initier une crise épileptique. La route vers la crise est donc marquée par une dynamique complexe mais relativement longue. Elle peut être identifiée dans des régions spécifiques du cerveau, malheureusement pas toujours aisément enregistrables, ce qui alimentera les outils d’anticipation des crises. Mais elle offre surtout des opportunités thérapeutiques en illustrant une démarche spécifique : plutôt que de tester de très nombreuses molécules sur des modèles animaux d’épilepsie, l’étude des mécanismes intimes de la dynamique cérébrale conduisant à la crise au sein du tissu épileptique humain est la base du développement de thérapies mieux ciblées. Ces travaux ont été publiés le 3 avril 2011 dans : Nature Neuroscience (03 Apr 2011) doi: 10.1038/nn.2790 Contact chercheur : Gilles Huberfeld Equipe 'Cortex & Epilepsie' – Centre de Recherche de l'ICM INSERM UMRS 975 - CNRS UMR 7225 – UPMC, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière, APHP 105 Bd de l'Hôpital - 75013 Paris - France Tel: +33 (0)1 40 77 81 65