
9REVUE DE LA BANQUE DU CANADA •PRINTEMPS 2005
fait que ce système imposait une nouvelle appré-
ciation de la valeur du travail. Les travailleurs très
productifs voyaient la production et le revenu de leur
ferme augmenter, tandis que les moins productifs
étaient encouragés à chercher un emploi dans d’autres
secteurs. Les nouvelles mesures ont donc rehaussé la
productivitédela main-d’œuvredansle secteuragricole.
De surcroît, le redéploiement des travailleurs
relativement peu productifs dans des secteurs où
ils pouvaient obtenir de meilleurs résultats devait
entraîner un relèvement du niveau de productivité
global de l’économie, ou PTF. En théorie, cet enchaîne-
ment est censé engendrer un nivellement de la
productivité marginale de la main-d’œuvre dans tous
les secteurs. D’après Chow (1993), celle-ci se chiffrait
au début des réformes à 63 yuan dans le secteur
agricole, contre 1 027 yuan dans le secteur industriel.
On peut déduire de ces données qu’il y avait place
pour une redistribution considérable de la main-
d’œuvre au sein de l’économie chinoise. De fait,
Brooks et Ran (2003), parmi d’autres, constatent, après
la mise en œuvre des réformes, un déclin marqué de
l’emploi dans le secteur agricole, qui est passé de 70 %
à 50 % de l’emploi total selon des chiffres récents.
Heytens et Zebregs (2003) concluent que la migration
des fermiers au rendement relativement faible vers
d’autres types d’emplois a été décisive pour la croissance
de la PTF (Tableau 2). Woo (1998) et Young (2000)
soulignent aussi l’importance de la réaffectation de la
main-d’œuvre. Enfin, Brooks et Ran (2003) concluent
que le redéploiement est loin d’être terminé, étant
donné que le secteur agricole compte encore environ
150 millions de travailleurs excédentaires (soit environ
20 % du nombre total d’emplois).
Le secteur non agricole et non financier
Le secteur industriel de l’économie chinoise constituait
la destination naturelle des travailleurs abandonnant
l’agriculture. Afin de promouvoir une meilleure
répartition de la main-d’œuvre et du capital, les
autorités ont opéré trois réformes clés axées sur le
marché et destinées à influencer le secteur non
agricole. Premièrement, les entreprises d’État, dont le
coefficient de capital est généralement élevé, se sont
vu octroyer une plus grande autonomie sur plusieurs
plans : production, approvisionnement, marketing,
bénéfices non répartis, expérimentation de nouveaux
produits et investissements en capital (Chow, 2002).
En vertu d’un nouveau régime de responsabilité
contractuelle, les entreprises ont été autorisées
à rémunérer les travailleurs en fonction de leur
rendement. De plus, la structure duale des prix a
été étendue aux biens industriels. Enfin, tout en
conservant la propriété et la maîtrise des principales
industries, le gouvernement central a restreint ses
interventions sur l’économie en convertissant les
entreprises d’État déficitaires en sociétés par actions.
Parce que leur lien avec les ministères qui en étaient
responsables était affaibli, ces entreprises se sont vu
limiter l’accès aux recettes du gouvernement. On
pense généralement que ce resserrement des restrictions
budgétaires exercé à l’endroit des entreprises d’État,
de pair avec la décentralisation du processus décisionnel
en matière d’économie, a entraîné une meilleure
répartition interne des ressources; du coup, la
productivité marginale imputable au capital et à
la main-d’œuvre et la croissance de la PTF se sont
accrues6.
Deuxièmement, les autorités ont réussi à promouvoir
la croissance du secteur non public. Résultat, malgré
les réformes fondamentales dont les entreprises d’État
avaient fait l’objet, le secteur non public, dominé par
les entreprises de villes et de villages, a été le principal
moteur de la tenue exceptionnelle de l’économie
chinoise. Les entreprises de villes et de villages, bien
qu’appartenant techniquement à l’État, sont géné-
ralement associées au secteur non public, car la
capacité des gouvernements locaux et régionaux de
financer les pertes de ces entités est limitée. Elles
fonctionnent donc plutôt comme des entreprises
privées à but lucratif. En particulier, compte tenu des
restrictions budgétaires qui leur sont imposées, leur
demande de main-d’œuvre et de capital se fonde sur
leur productivité marginale. Ainsi, le transfert de
ressources au secteur non public (où le rendement est
vraisemblablement plus élevé) a donné lieu à une
meilleure répartition des ressources au sein de
l’économie dans son ensemble et a favorisé la
croissance de la PTF.
Troisièmement, la réduction des barrières à l’inves-
tissement direct étranger et l’établissement de zones
économiques ouvertes jouissant d’un régime plus
libéral en matière d’investissement et de commerce,
ainsi que d’incitatifs fiscaux spéciaux, ont créé un
débouché pour les produits manufacturés à forte
intensité de main-d’œuvre. En plus d’avoir contribué
aux forces qui attiraient la main-d’œuvre hors du
secteur agricole, ces politiques ont eu une influence
6. Tant que la productivité marginale de la main-d’œuvre et celle du capital
augmentent proportionnellement, les parts qui leur reviennent demeureront
stables, et la hausse de productivité découlant de cette réforme setraduira par
une accélélration de la croissance de la PTF. Chow et Li (1999) constatent que
les réformes n’ont pas modifié la part revenant à chaque facteur en Chine. Ils
appuient ainsi l’argument selon lequel le régime de responsabilité contrac-
tuelle a contribué à l’amélioration de la croissance de la PTF.