Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères 71 Sciences & Nature Vol.6 N°1: 71 - 82 (2009) Article original Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères en Côte d’Ivoire et mise en évidence de leurs effets antagonistes vis-àvis de Phytophthora palmivora, agent de la pourriture brune des cabosses. Ismaël B. KEBE1*, Joseph MPIKA1, Kouamé F. N’GUESSAN1, Prakash K. HEBBAR2, Gary S. SAMUELS2 & Severin AKE3 2 1 CNRA, BP 808 Divo, Côte d’Ivoire. USDA-ARS, Beltsville, MD 20705, USA. 3 Université de Cocody, UFR Biosciences, Côte d’Ivoire *Auteur pour les correspondances (Email : [email protected]) Reçu le 07-02-2008, accepté le 21-04-2009. Résumé En Côte d’Ivoire, avec des pertes de production qui avoisinent 60 % dans certaines régions, la lutte contre la pourriture brune des cabosses du cacaoyer est devenue une priorité. La stratégie préconisée par la recherche est le développement d’une méthode de lutte intégrée, peu onéreuse et compatible avec les préoccupations environnementales. L’une des approches privilégiées de cette stratégie est l’utilisation des antagonistes naturels de Phytophthora sp. Dans cette optique, la biodiversité a été explorée dans l’écosystème de la cacaoyère. Des champignons et des bactéries ont été isolés à partir des sols sous cacaoyères et des cabosses. L’action antagoniste des champignons sur P. palmivora a été évaluée in vitro ainsi que la sensibilité foliaire à P. palmivora sur des disques de feuilles de cacaoyers en présence des bactéries. Les résultats montrent qu’en culture mixte avec P. palmivora, des isolats de Trichoderma sp ont montré un effet fongistatique et fongicide. Une réduction significative des notes de sensibilité selon l’échelle de Blaha a été obtenue avec deux bactéries, appartenant au genre Bacillus. L’étude se poursuit avec l’évaluation de l’efficacité des antagonistes naturels de Phytophthora sp en milieu réel sur le cacaoyer. Mots clés : Cacaoyer ; pourriture brune ; Phytophthora ; Trichoderma ; antagonistes Abstract Isolation and identification of indigenous micro-organisms of cocoa farms in Côte d’Ivoire and assessment of their antagonistic effects on Phytophthora sp, the causal agent of black pod disease. In Côte d’Ivoire, yield losses due to Phytophthora sp. reach of about 60% in some cocoa growing areas; therefore, the control of cocoa black pod disease has become a priority. The management strategy is based on the development of an integrated control method which is cost effective and environmentally sound. The emphasis has been put on the use of natural antagonists of Phytophthora sp. Thus, the microbial biodiversity in the cocoa ecosystem has been explored. Fungi and bacteria have been isolated from pods and soil in cocoa farms. The antagonistic effects of these micro-organisms on Phytophthora sp. have been assessed in vitro. In addition, the leaf susceptibility to P. palmivora was assessed on cocoa leaf disks in the presence of the bacteria. The results showed that in a mix culture with P. palmivora, some isolates of Trichoderma sp. showed fungicidal effects. Two bacteria belonging to the genus Bacillus significantly reduced cocoa leaf susceptibility to P. palmivora. The study will continue to assess the efficacy of the potentially effective micro-organisms in the field for the control of the black pod disease. Key words: Cocoa tree, Black pod disease, Phytophthora, Trichoderma, antagonists. Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) 72 72 KEBE I. Boubacar et al. 1. Introduction La pourriture brune des cabosses due à Phytophthora spp est une maladie très préjudiciable du cacaoyer. Au niveau mondial, elle engendre des pertes de production de l’ordre de 30 % (Lass, 1985). La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, avec plus de 44 % de l’offre (ICCO, 2000), n’échappe pas à cette affection. Plusieurs espèces de Phytophthora peuvent être à l’origine de la maladie. Deux espèces, P. palmivora et P. megakarya, sont les plus importantes en Afrique. La première, la plus cosmopolite, sévit dans tous les pays producteurs de cacao, causant des pertes de l’ordre de 20 à 30 % ; la deuxième, endémique en Afrique centrale et de l’Ouest, est la plus agressive. Ce pathogène peut engendrer dans certains pays, la perte de la totalité de la production de cacao (Flood 2006). En Côte d’Ivoire, depuis l’apparition de P. megakarya dans le secteur Est du verger, vers la fin des années 1990, la pourriture brune des cabosses prend de plus en plus d’ampleur (Koné, 1999 ; Kouamé, 2006). Les pertes de production sont passées d’une moyenne de 10 % à 30-45 % (Kébé et al., 1996). Ainsi, la lutte contre la pourriture brune des cabosses en Côte d’Ivoire devient une priorité. Bien que la lutte chimique soit mise au point par la recherche, la vulgarisation de cette méthode a connu peu de succès en milieu paysan. Le faible niveau d’adoption de cette technologie par les producteurs s’explique aussi bien par le coût élevé des fongicides, que par la pénibilité du travail due à la collecte de l’eau des traitements et l’application des produits. Par ailleurs, les exigences du marché international en termes de qualité du cacao marchand, les préoccupations environnementales, la santé des consommateurs, les différents moratoires en la matière de la part des partenaires commerciaux (Anonyme 2006), sont autant d’éléments qui ne favorisent pas le développement de la lutte chimique. La stratégie adoptée est le développement d’une méthode de lutte intégrée, peu onéreuse et compatible avec les préoccupations environnementales. Cette approche s’articule autour de trois axes : la lutte agronomique, la résistance variétale et la lutte biologique. Le programme de recherche en lutte biologique contre les maladies à Phytophthora sp, a démarré en 2000. Au cours de la présente étude, la biodiversité a été explorée dans des écosystèmes de cacaoculture. Des champignons et des bactéries ont été collectés à partir des sols sous cacaoyères et des cabosses et une collection de microorganismes a été constituée. L’action antagoniste des champignons sur P. palmivora a été évaluée in vitro ainsi que la sensibilité foliaire à P. palmivora sur des disques de feuilles de cacaoyers en présence des bactéries. 2. Matériel et méthodes 2.1. Echantillons et milieux de culture Les microorganismes utilisés au cours de cette étude ont été isolés des écosystèmes de cacaoculture, notamment à partir des sols sous cacaoyers et des cabosses. Les échantillons de sol ont été collectés dans des cacaoyères localisées dans la région d’Abengourou, dans l’Est de la Côte d’Ivoire, et dans la région de Divo dans le Centre - Ouest de la Côte d’Ivoire. Dans chacune des deux localités, les échantillons de sol ont été prélevés dans 8 cacaoyères réparties en deux catégories de parcelles selon l’âge. La première catégorie est constituée de 4 parcelles jeunes (3 à 5 ans), en phase d’installation dont la canopée est encore ouverte avec une litière peu abondante au sol. La seconde catégorie est constituée de 4 parcelles adultes (25 à 30 ans) en pleine production avec une canopée bien fermée et une litière abondante au sol. Dans chaque parcelle, un échantillon composite de 800 g de sol a été constitué à partir de 4 prélèvements effectués au pied de 4 cacaoyers chargés de cabosses saines, choisis de manière aléatoire dans les parties homogènes de la parcelle. Avant chaque prélèvement, la surface du sol a été d’abord débarrassée des feuilles mortes et des débris végétaux. Les prises d’échantillons de sol ont été ensuite effectuées dans les couches superficielles qui du fait du travail du sol et de la fertilisation est colonisée par le chevelu racinaire des cacaoyers. C’est donc dans cet horizon de 30 à 40 cm d’épaisseur que les échantillons sont prélevés (Davet et Rouxel, 1997). Chaque échantillon composite est soigneusement mélangé et divisé en deux parties égales qui sont recueillies dans des boîtes en plastique. Dans l’une des deux boîtes, des pièges constitués de fragments de cortex de cabosses infectées par Phytophthora palmivora, ont été enfouis dans l’échantillon de Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères sol pour servir d’appâts aux antagonistes (Tim et al., 2003). L’autre boîte ne contient pas de piège. Afin d’obtenir une bonne colonisation des pièges, les échantillons sont conservés au laboratoire à la température de 26 °C pendant 30 jours. Les cabosses ayant servi à l’isolement des microorganismes ont été collectées dans les principales zones de production cacaoyère de Côte d’Ivoire. Ainsi 390 cabosses saines ont été prélevées dans les 13 régions productrices de cacao. Dans chaque région, la collecte a été effectuée dans 10 plantations. 3 cabosses ont été prélevées par parcelle. Les cabosses prélevées sont conservées dans des sachets plastiques renfermant des étiquettes portant les coordonnées des prélèvements et ramenées au laboratoire pour l’isolement des endophytes. De nombreux champignons et bactéries isolés du sol ou des cabosses ont été désignés par plusieurs auteurs comme potentiels agents de lutte contre les maladies des plantes (Evans et al., 2003 ; Krauss and Soberanis, 2001 ; Shari, 2000). Ainsi, pour évaluer la diversité des deux groupes cibles dans les sols sous cacaoyers et dans les cabosses, quatre milieux de culture sélectifs ont été éprouvés. Pour l’isolement des bactéries, le milieu PCAT « P. cepacia Azelaic acid tryptamine», spécifique des Pseudomonas et des Burkhoderia (Burbage, 1982), et le milieu NYD «nutrient yeast dextrose» (Guizzardi et Pratella, 1996), adapté à un spectre plus large de bactéries ont été utilisés. Pour l’isolement des champignons, le milieu TME «Trichoderma medium», spécifique des champignons appartenant aux genres Trichoderma. et Gliocladium (Papavizas et Lumsden, 1982) a été éprouvé. Le milieu PDA «potato dextrose agar», adapté à un spectre plus large de champignons, a été utilisé pour l’isolement des autres champignons. 2.2. Isolement des microorganismes 2.2.1. Endophytes des cabosses La surface des cabosses est préalablement lavée à l’eau du robinet, puis a subi une série de désinfection à l’éthanol à 95 %, pendant 30 secondes, dans l’hypochlorite de sodium à 10 %, pendant 2 minutes puis dans l’éthanol à 75 % pendant 2 minutes, de manière à éliminer 73 les microorganismes présents sur le cortex. Les cabosses sont ensuite rincées trois fois à l’eau distillée stérile pour éliminer les traces de désinfectant (Arnold, 1999 ; Evans, et al., 2003 ; Rubini et al ., 2005). La zone de prélèvement est choisie et les tissus superficiels sont décapés à l’aide d’un scalpel stérile. Dix morceaux de forme cubique de 5 à 7 mm de côté ont été prélevés par cabosse dans les tissus sous corticaux. Les fragments prélevés sont mis en culture sur les milieux sélectifs contenus dans des boites de Pétri. L’incubation est faite à l’obscurité dans une étuve, à 26 °C pendant 2 jours pour les bactéries et 7 jours pour les champignons. 2.2.2. Microorganismes du sol. Les microorganismes ont été obtenus, par isolement direct, à partir du sol selon la méthode décrite par Davet & Rouxel (1997) et à partir des fragments pièges de cortex de cabosses enfouis dans les échantillons de sol. Les échantillons de sol ont été préalablement séchés, broyés et calibrés par tamisage. Les fragments pièges du fait de la consistance gélatineuse du cortex des cabosses en décomposition, sont broyés dans un mortier en porcelaine émaillée pour individualiser chaque propagule vivante. Dans les deux cas, 10 g du broyat sont transférés dans 90 ml d’eau distillée stérile contenue dans un Erlenmeyer. Le mélange est ensuite mis en agitation pendant 30 minutes pour obtenir une bonne dilacération des particules. Pour obtenir une concentration variable de propagules et faciliter le dénombrement des colonies une série de dilution est réalisée à partir de la solution mère dont la concentration est de 10-1 (Rapilly, 1968). Pour obtenir une solution à 10 -2, 1 ml de la solution mère est transféré dans 9 ml d’eau distillée stérile. Ainsi, une série de dilution allant de 10 -2 à 10 -9 est réalisée dans des tubes d’hémolyse. 100 de chaque dilution est étalée sur les milieux de culture contenus dans des boîtes de Pétri. Pour chaque dilution et pour chaque milieu de culture 4 boîtes de pétri sont ensemencées. L’incubation est faite à l’obscurité dans une étuve, à 26 °C pendant 2 jours pour les bactéries et 7 jours pour les champignons. Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) 74 74 KEBE I. Boubacar et al. 2.3. Conservation des microorganismes Les microorganismes isolés sont d’abord purifiés par deux ou trois repiquages successifs monospore ou mono-colonie sur des milieux de culture spécifiques. Une fois purifié, chaque isolat est désigné par un numéro de code. Pour les souches bactériennes, le numéro de code est précédé par la lettre B, suivi d’un numéro d’ordre. La nomenclature des isolats de champignon commence par la ou les premières lettres du nom du genre, suivi d’un numéro d’ordre. La conservation des microorganismes ainsi désignés se fait au congélateur à une température de – 80°C pour les bactéries, et à – 10°C pour les champignons. Dans les deux cas, des disques de gélose prélevés sur le pourtour de la culture purifiée, sont transférés dans des microtubes d’Eppendorf stériles de 1,5 ml, contenant du glycérol à 50 %. 2.4. Evaluation de l’action antagoniste des microorganismes. L’action antagoniste des microorganismes isolés contre P. palmivora a été évaluée par deux tests. Le premier test réalisé in vitro, est un test de confrontation directe entre P palmivora et le microorganisme en culture mixte. Le second test est réalisé in vivo sur des disques de feuilles de cacaoyer. Le test consiste à mesurer la sensibilité foliaire à P. palmivora selon une échelle qui varie de 0 à 5 (Nyasse et al., 1995)., en présence du microorganisme. Le test de confrontation Trichoderma-P. palmivora à été réalisé dans des boîtes de pétri contenant un milieu de culture gélosé à base de bouillon de pomme de terre (milieu PDA). Un fragment mycélien de 6 mm de diamètre est prélevé sur le pourtour des cultures de chacun des deux champignons. Ces fragments sont repiqués face à face dans la même boîte de pétri, à 2 centimètres du centre de la boîte (Benhanou et Chet, 1996). Les témoins sont des monocultures de chacun des 2 champignons éprouvés. Dans ce cas, l’explant est déposé au centre de la boîte de pétri. Six répétitions sont ainsi réalisées pour objet. L’incubation est réalisée à l’obscurité dans une étuve cryptogamique. 24 heures après la mise en culture, la croissance mycélienne de chaque explant est mesurée quotidiennement jusqu’au plein de la boîte. Sept jours après la rencontre des filaments mycéliens des deux champignons, la survie des propagules de P. palmivora a été évaluée par le prélèvement d’explants dans la boîte de culture mixte selon un axe qui passe par le centre de la boîte et les explants d’ensemencement des deux champignons. Deux prélèvements consécutifs sont espacés de 0,5 cm. Neuf explants sont ainsi prélevés dans chaque boîte de culture mixte. Les fragments mycéliens ainsi prélevés, sont placés dans des ouvertures réalisées sur le cortex de cabosses saines de cacaoyers prélevées sur un même clone, indemnes d’attaques de Phytophthora sp. Les cabosses ainsi inoculées sont placées dans des cristallisoirs dans laquelle l’humidité est entretenue par un tampon de coton hydrophile stérile imbibé d’eau distillée stérile. L’incubation est réalisée à la température ambiante du laboratoire. La survie de Phytophthora est évaluée par le dénombrement des taches de pourriture brune initiées à la surface des cabosses inoculées après 15 jours d’observation quotidienne. La présence de Phytophthora dans les taches de pourriture est ensuite confirmée par des observations réalisées au microscope optique. L’évaluation de l’action des bactéries sur P. palmivora été réalisée par le test feuille. Ce test est effectué sur des disques de feuilles de cacaoyer de 15 mm de diamètre. Les disques de feuille sont préalablement trempés dans la suspension bactérienne pendant une minute puis disposés dans des bacs sur une plaque de mousse imbibée d’eau. Chaque disque reçoit alors 10 μl d’une suspension calibrée à 3.105 zoospores/ml. Les témoins ne subissent pas le trempage dans la suspension bactérienne. Ils ne reçoivent que la suspension de zoospores. Les disques de feuilles ont été prélevés sur 3 clones de cacaoyer dont la réaction à Phytophthora sp est connue (Tahi et al., 2000). Ainsi, le clone sensible (IFC5), le clone moyennement résistant (P7), et le clone résistant (SCA6) ont été éprouvés. Pour chaque clone, 40 disques de feuille ont été inoculés et repartis dans 4 bacs constituant chacun une répétition. L’incubation a été réalisée à l’obscurité à 26°C pendant 7 jours. Les résultats ont été notés selon l’échelle de Blaha (Nyassé et al., 1995). 2.5. Analyses des données Le logiciel SAS (Statistical Analysis System, SAS Institute, Cary, NC) a été utilisé pour toutes les analyses statistiques. Pour les isolements des microorganismes et le test sur disques de feuille, les analyses de variance (ANOVA) ont porté sur le nombre moyen des colonies de microorganismes dénombrées sur milieu de culture et la note Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères moyenne de sensibilité foliaire à Phytophthora en présence des bactéries. La normalité des résiduels et l’homogénéité des variances ont été vérifiées. Les comparaisons entre les moyennes ont été faites selon le test de Student Newman et Keuls au seuil de 5 %. 3. Résultats 3.1. Microorganismes isolés Pourcentage L’exploration de la biodiversité au sein des microorganismes issus des sols sous cacaoyers et des endophytes des cabosses, a 75 mis en évidence deux catégories de microorganismes : les champignons et les bactéries. Au niveau des cabosses, les champignons représentent 66,31 % des isolements positifs, contre 33,04 % pour les bactéries. Ces deux types de microorganismes se retrouvent en proportions inversées au niveau du sol : 55, 8 % pour les bactéries et 29,8 % pour les champignons. Dans le groupe des champignons, les levures qui représentent 11,6 % de la population au niveau des cabosses ne représentent plus que 3,7 % au niveau du sol. Parmi les bactéries isolées, les actinomycètes qui ne représentent que 0,64 % au niveau des cabosses, passent à 10,5 % au niveau du sol. 80 Endophytes des cabosses 70 Sol sous cacaoyers 60 50 40 30 20 10 0 Champignons Bactéries divers diverses Levures Actimycétes Microorganismes Figure 1: Groupes de microorganismes et leur importance relative dans le sol sous cacaoyers et dans le cortex des cabosses Les résultats des analyses statistiques montrent que le nombre moyen de colonies de microorganismes dénombrées par gramme de sol varie de manière significative (au seuil de 5%), en fonction de la technique d’isolement, avec ou sans pièges. Ce résultat révèle que l’utilisation de fragments de cabosses infectées par Phytophthora comme piège, améliore significativement le rendement des isolements sur les milieux PDA, TME et PCAT (Tableau 1). L’analyse des échantillons prélevés dans la région de Divo et d’Abengourou n’a révélé, au plan statistique, aucune différence significative (au seuil de 5%) du nombre moyen de colonies en fonction de la localité pour les différents milieux de culture éprouvés sauf pour le NYD. Aucune relation directe n’est établie entre la densité des microorganismes isolés et l’âge des cacaoyères sauf pour les bactéries sur le milieu de culture NYD à Abengourou (Tableau 2). Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) 76 76 KEBE I. Boubacar et al. Tableau 1 : Nombre moyen de colonies dénombrées par gramme de sol en fonction de la technique d’isolement et du milieu de culture. Milieux de culture Techniques NYD PDA TME Isolement direct 3,27.1011 a± 2,14.1011 4,72.106 a± 1,42.106 4,64.105 a±1,6.105 5,1.105 a± 2,5.105 PCAT Isolement par piégeage 3,80.1011 a± 2,35.1011 2,43.109 b±1,41.109 6,1.106b±1,6.106 7,64.107 b ± 3,67.107 Les moyennes de la même colonne suivies de la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % selon le test de Student Newman & Keuls Tableau 2 : Nombre moyen de colonies dénombrées par gramme de sol en fonction des localités et de l’âge des cacaoyères. Localités Abengourou Divo Type cacaoyère Jeune Adulte Jeune Adulte NYD 1,9.107a ±1,42.107 1,38.1012b±4,31.1010 5,81.107a ±4,78.107 3,2.1010a ±2,15.1010 Milieux de culture PDA TME 1,75.106a±0 4,67.106a±2,2.106 1,15.107b±1,11.106 5,97.106a±3,22106 2,05.108a±1,42.108 1,42.106a±7,96.105 9 9 3,45.10 a±1,99.10 1.106a ±5,76.105 PCAT 1,2.108 a±6,96.1 2,77.107a±1,52. 5,75.106 a±4.106 5,78.104a±3,77. Les moyennes de la même colonne affectées de la même lettre pour chaque localité ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % selon le test de Student Newman & Keuls. 3.2. Identification des organismes isolés Au niveau des cabosses, 313 isolats de champignons ont été purifiés. Parmi les isolats purifiés, cinquante huit (58) isolats appartenant à 9 genres ont été identifiés. Il s’agit de Trichoderma sp (7), Penicillium sp (6), Fusarium sp (7), Botrytis sp. (2), Pestalotia sp. (24). Le reste des isolats identifiés appartiennent aux genres Nigrospora (2), Physoderma (1), Polynema (1), et Botryodiplodia (8). Les autres isolats (255) appartiennent à des espèces ou genres divers dont l’appartenance n’a pu être encore identifiée. Cent deux (102) colonies bactériennes endophytes des cabosses ont été isolées. Ces bactéries appartiennent à deux groupes selon les réponses aux réactions chimiques colorées : 56 bactéries Gram positif (45 bacilles et 11 coques) et 46 bactéries gram négatif (9 bacilles et 37 coques). Les colonies bactériennes B105 et B116 ont été identifiées comme appartenant au genre Bacillus. Enfin, 55 souches levuriformes et 2 isolats d’actinomycètes ont été identifiés. Au niveau du sol, sur 450 isolats collectés et purifiés, 254 bactéries, 136 champignons, 48 actinomycètes et 17 levures ont été identifiés. Dans le groupe des champignons, 15 isolats appartiennent au genre Trichoderma. Quatre espèces ont été identifiées. Il s’agit de T. virens (6 isolats), T. harzianum (6 isolats), T. hamatum (2) et T. spirale (1 isolats). Trois isolats appartenant au genre Clonostachys ont également été identifiés 3.3. Action des organismes sur Phytophthora palmivora 3.3.1. Action de Trichoderma sur la croissance mycélienne de P. palmivora Les tests de confrontation directe réalisés in vitro, entre les isolats de Trichoderma sp, et de Phytophthora palmivora mettent en évidence une action inhibitrice de Trichoderma sur P. palmivora en culture mixte. Après trois jours de confrontation, l’inhibition de la vitesse devient très forte et la croissance de P. palmivora devient pratiquement nulle (Fig. 3). La capacité de Trichoderma à bloquer la croissance mycélienne de P. palmivora révèle un effet fongistatique avéré. A partir du quatrième jour, on note une disparition progressive du mycélium de P. palmivora. Cette dégradation du mycélium de P. palmivora qui est plus marquée au cinquième jour, avec tous les isolats, révèle une action mycoparasitique de Trichoderma. Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères Après 7 jours de confrontation, en culture mixte, la survie des propagules de P. palmivora a été évaluée. L’influence de Trichoderma sp. a varié selon les isolats. Le pourcentage de survie de Phytophthora varie respectivement de 90 à 50 % avec les isolats Culture pure Phytophthora palmivora 77 Trichoderma 3 et Trichoderma 6. Ce taux passe de 30 à 10 % avec Trichoderma 2 et 4. Enfin, la présence de Trichoderma 1 et 5 en culture mixte, a un effet fongicide très net qui a été observé avec un pourcentage de survie de P. palmivora égal à 0. Culture Mixe P. palmivora / Trichoderma sp. Culture pure Trichoderma sp Trichoderma 1 peu compétitif Trichoderma 2 très compétitif Phytophthora palmivora partiellement envahi Par Trichoderma 1 Phytophthora palmivora entièrement envahi avec destruction du mycélium Par Trichoderma 2 Diamètre de croissance mycélienne (mm) Figure 2 : Boîtes de Pétri montrant des cultures pures et des cultures mixtes de P. palmivora et Trichoderma sp. in vitro. 100 90 PP 80 Tricho 70 P/Tricho1 60 P/Tricho 2 50 P/Tricho 3 40 P/Tricho 4 30 P/Tricho 5 20 P/Tricho 6 10 0 1 2 3 4 5 Temps (jours) Figure 3 : Influence des isolats de Trichoderma sp. sur la croissance mycélienne de P. palmivora Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) 78 78 KEBE I. Boubacar et al. 3.3.2. Influence des bactéries sur la sensibilité foliaire à P. palmivora clone résistant (SCA 6), les notes de sensibilité foliaire varient de 2,75 à 0,37 avec respectivement les souches bactériennes B104 et B105 (Fig. 4). Avec le clone moyennement résistant (P7), la note de sensibilité varie dans les mêmes proportions (Fig. 5). L’action de 37 souches bactériennes sur P. palmivora a été évaluée par le test sur des disques de feuilles. Les résultats montrent que, pour le 3,5 a 3 ab ab ab ab Notes de sensibilité 2,5 ab ab ab ab ab ab 2 ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab b 1,5 b b b b b b bc bc bc bc bc bc bc bc 1 c c 0,5 temoin B104 B132 B108 B84 B127 B4 B122 B132 B85 B92 B103 B130 B54 B14 B108 B4 B141 B13 B121 B135 B106 B99 B140 B86 B124 B113 B110 B88 B129 B20 BB10 B69 B10 B114 B102 B123 B116 B105 0 Souches de bactéries Figure 4 : Effet des souches bactériennes sur la sensibilité foliaire à Phytophthora palmivora d’un clone de cacaoyer résistant (SCA6). Les barres surmontées de la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % selon le test de Student Newman & Keuls. 3,5 3 Notes de sensibilité 2,5 2 1,5 a ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab ab b b b b b b b b b b b b bc bc bc bc c 1 c 0,5 temoin B104 B132 B84 B108 B85 B22 B120 B122 B127 B92 B103 B130 B54 B14 B108 B4 B121 B141 B13 B135 B106 B99 B140 B86 B142 B113 B110 B88 B69 BB10 B20 B129 B10 B102 B123 B114 B116 B105 0 Souches de bactéries Figure 5 : Effet des souches bactériennes sur la sensibilité foliaire à Phytophthora palmivora d’un clone de cacaoyer moyennement résistant (P7). Les barres surmontées de la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % selon le test de Student Newman & Keuls. Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) Isolement et identification de microorganismes indigènes de cacaoyères Dans les deux cas, les analyses de variance révèlent un effet bactérie significatif au seuil de 5% selon le test de Student Newman & Keuls et mettent en évidence l’existence de 5 groupes homogènes de bactéries (a, ab, b, bc, et c). L’effet le plus marqué a été obtenu avec les bactéries BI05 et B116 (groupe c). Avec le clone sensible 79 IFC 5, on note que la réduction des notes de sensibilité foliaire est nettement plus faible. Les notes de sensibilité varient de 3,6 à 2,5. Les analyses statistiques ne révèlent aucune différence significative au seuil de 5% entre les objets traités avec les suspensions bactériennes et le témoin non traité (Fig. 6). 4,5 4 a Notes de sensibilité 3,5 a a a a a a a a a a a aa a a a a a aa a a a a aa 3 2,5 a a a a a a aa a a a a a 2 1,5 1 0,5 B92 temoin B124 B113 B88 B129 B54 B140 B86 B84 B20 B122 B103 B99 B141 B4 B120 B108 B18 B124 B104 B10 B227 B22 B132 B106 B85 B69 B14 B116 B118 B135 B123 B114 B105 BB10 B102 B129 B113 B88 0 Souches bactériennes Figure 6 : Effet des souches bactériennes sur la sensibilité foliaire à Phytophthora palmivora d’un clone de cacaoyer sensible (IFC5). Les barres surmontées de la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % selon le test de Student Newman & Keuls. 4. Discussion Cette étude a permis de mettre en évidence l’existence d’une forte biodiversité au sein de la population de microorganismes dans l’écosystème de la cacaoyère. Au niveau des deux composantes explorées, le sol et les endophytes des cabosses, la biodiversité s’avère variée aux plans qualitatif et quantitatif. Les endophytes sont des microorganismes qui colonisent les tissus des plantes hôtes sans provoquer de symptômes visibles en condition normale (Carroll, 1998). Depuis le début des années 2000, ces organismes sont couramment étudiés dans les plantes tropicales pour leur utilisation en lutte biologique ou pour la production de substances ayant des propriétés pharmacologiques (Azevedo, 2002 ; Peixoto-Neto, 2002). Les isolements réalisés sur les cabosses du cacaoyer ont montré une prédominance des champignons (66,31 %), contre 33,04 % de bactéries. Des résultats similaires ont été obtenus par Evans et al. (2003) et Rubini et al. (2005). Au niveau du sol, les résultats de l’étude ont également montré une forte prolifération des deux catégories de microorganisme avec une plus forte proportion de bactéries. Les sols sous cacaoyers et les cabosses constituent donc des sites de prédilection de microorganismes indigènes, antagonistes potentiels de P palmivora, occupant la même niche écologique. Les résultats montrent que l’utilisation de pièges à microorganismes, constitués de fragments de cabosses de cacaoyers, infectés par P. palmivora, améliore de manière significative le rendement des isolements de micro- Sci. Nat. Vol. 6 N°1 : 71 - 82 (2009) 80 80 KEBE I. Boubacar et al. organismes au niveau du sol. Cette amélioration pourrait s’expliquer par une affinité entre P. palmivora et les microorganismes collectés. L’examen de la liste des microorganismes isolés révèle l’existence de champignons et de bactéries identifiés par de nombreux auteurs comme ayant un effet antagoniste avéré contre des agents pathogènes responsables de maladies des plantes. C’est le cas des genres Trichoderma et Clonostachys, dont plusieurs espèces sont éprouvées dans la lutte contre les maladies du cacaoyer (Sanogo et al., 2002 ; Krauss et Soberanis, 2001 ; Tondje et al., 2007 ; Samuels, 1996). Dans le groupe des bactéries, l’effet antagoniste du genre Bacillus a été mis en évidence par Shari Fuddin, 2000. Les tests de confrontations directes réalisés in vitro entre P. palmivora et les isolats Trichoderma ont mis en évidence un effet allant de l’inhibition de la croissance mycélienne (effet fongistatique), à la dégradation puis la disparition du mycélium de P. palmivora (mycoparasitisme et effet fongicide). Des résultats similaires ont été obtenus avec Trichoderma harzianum sur Fusarium oxysporum (Hibar et al., 2005). En Amérique centrale, des résultats analogues ont été également obtenus avec Trichoderma stromaticum dans la lutte contre la maladie des balais de sorcière du cacaoyer et avec Trichoderma virens contre la pourriture brune des cabosses (Krauss & Soberanis, 2002). Cette étude a donc permis d’isoler et purifier plusieurs antagonistes potentiels de Phytophthora sp, susceptibles d’être utilisés dans la lutte contre la pourriture brune des cabosses du cacaoyer. L’étude de l’action des souches bactériennes sur P. palmivora par le test sur disques de feuilles, a mis en évidence une réduction de la sensibilité foliaire à P. palmivora des clones de cacaoyers résistants (SCA6) ou moyennement résistants (P7). Par contre, cet effet est moins perceptible avec le clone sensible (IFC5). Des résultats analogues ont été obtenus par Maurhofer et al. (1994) sur le tabac, Duijff et al., 1997) sur la tomate et Chen et al (1998) sur le concombre. Ces résultats pourraient révéler un renforcement de la résistance intrinsèque du matériel végétal par les souches bactériennes. Les effets les plus forts ont été enregistrés avec les souches bactériennes B 105 et B 116, ce qui fait de ces deux souches bactériennes des candidats potentiels à la lutte biologique contre P. palmivora. Ces deux bactéries appartiennent au genre Bacillus doté d’une aptitude à sporuler, ce qui pourrait présager une bonne aptitude à la dissémination dans le cadre d’un programme de lutte biologique. 5. Conclusion Les résultats montrent qu’il est possible d’identifier des antagonistes naturels à Phytophthora sp issus de la microflore indigène des cacaoyères. Ainsi, plusieurs isolats de Trichoderma et des souches bactériennes ont révélé un effet antagoniste avéré contre P palmivora en laboratoire. Cette efficacité laisse entrevoir la possibilité d’utiliser ces microorganismes dans la lutte contre les maladies à Phytophthora sp du cacaoyer. Toutefois, cette éventualité ne pourra être envisagée que si l’efficacité observée in vitro, se confirme en milieu réel sur le cacaoyer. La mise en œuvre de cette seconde phase de l’étude nécessite la maîtrise de la technique de production massive de la biomasse des microorganismes éprouvés pour la réalisation des essais. Références citées Anonyme 2006. New EU regulation on maximum residue levels of pesticides in food : minimising the impact on the cocoa sector. In: proceedings of the 15th International Cocoa Research Conference. 9-10 October 2006. San Jose (Costa Rica). pp. 1565-1571. Arnold B.1999. Fungal endophytes of tropical trees: Methods and potential for biological control of fungal pathogens of cocoa. Research methodology in biocontrol of plant diseases with special reference to fungal diseases of cocoa. Worshop manual, CATIE, Turrialba, Costa Rica 28 june – 4 july, 1999. Edited by Ulrike Krauss & Prakash Hebbar. pp 44 -54. Azevodo J.L. 2002. 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