La lettre d'information aux patients Septembre 2009 - n° 15 [ Cancer du sein ] A la recherche de traitements préventifs La lettre d'information aux patients Conception-Rédaction : Franck FONTENAY, RCP Communication Comité Editorial : Pr Pascal PUJOL (CHU - Montpellier) Dr Jean GENEVE (FNCLCC) Mme Anne-Laure MARTIN (FNCLCC) Dr Françoise MAY-LEVIN (LNCC) Mme Marie LANTA (LNCC) Mme Nicole ALBET (Comité de patients) Mme Nicole PIERRE (Comité de patients) Mme Viviane GRAEVE (Comité de patients) Impression : IDEM 41 Alors que le cancer du sein est l’un des cancers les plus fréquents aujourd’hui, des recherches sont menées pour identifier des traitements susceptibles de prévenir cette maladie, en particulier chez les femmes présentant des facteurs de risque. Un traitement par une hormonothérapie a montré une efficacité préventive, mais au prix d’effets indésirables parfois sérieux qui ne permettent pas de la proposer largement. Une autre hormonothérapie, mieux tolérée et pouvant présenter une activité préventive plus efficace, est actuellement à l’étude. Trois grands essais, auxquels participe la Fédération Française des Centres de Lutte contre le Cancer (FNCLCC), sont ainsi en cours. [ 50 000 NOUVEAUX CAS PAR AN ] Le cancer du sein est l’un des plus fréquents des cancers. Chaque année, près de 50 000 nouveaux cas sont diagnostiqués en France et il a été observé un quasi doublement du nombre de nouveaux cas annuels au cours des 25 dernières années. Depuis 2000, toutefois, il est constaté une diminution de la mortalité liée à ce cancer, en raison notamment de l’effet conjoint d’une amélioration des traitements et d’un diagnostic plus précoce lié au développement du dépistage. L a prévention des cancers grâce à des traitements n’est pas une utopie, même si nous sommes encore loin de disposer de médicaments qui permettraient d’éviter à coup sûr la survenue de tel ou tel cancer. Ainsi, dans le cas du cancer du sein, des médicaments ont d’ores et déjà montré une certaine efficacité préventive. Le traitement du cancer du sein repose en premier lieu sur la chirurgie (pour enlever la tumeur), puis la radiothérapie et la chimiothérapie (pour détruire les cellules cancéreuses restantes). En complément, il peut être proposé une hormonothérapie, c’est-à-dire la prise d’un médicament qui inhibe l’action des œstrogènes, quand la tumeur exprime des récepteurs à ceux-ci. Ces hormones sont connues pour jouer un rôle important dans les mécanismes de développement du cancer du sein, notamment en stimulant la croissance des cellules cancéreuses lorsque celles-ci sont porteuses des récepteurs aux œstrogènes. Différents essais thérapeutiques ont montré que la prise d’une hormonothérapie contribue à réduire le risque de rechute chez les femmes traitées pour un cancer du sein et dont les cellules cancéreuses sont sensibles aux œstrogènes. Ces mêmes études ont montré également une réduction significative du nombre de cancers de l’autre sein, suggérant que ces traitements pouvaient empêcher la survenue de cancers. Cela a conduit les médecins et les chercheurs à s’intéresser, à partir des années 90, à un éventuel effet préventif de cette approche thérapeutique. Plusieurs essais ont ainsi été réalisés avec le principal médicament d’hormonothérapie utilisé à l’époque, un anti-œstrogènes appelé tamoxifène. Ces essais ont concerné des femmes présentant un risque élevé de cancer du sein qui prenaient soit le tamoxifène, soit un placebo, c’està-dire un médicament ayant la même présentation que le tamoxifène mais ne contenant pas de principe actif. Une analyse des résultats de l’ensemble de ces essais a mis en évidence une diminution significative de 38 % du taux de survenue de cancers du sein parmi les femmes sous tamoxifène par rapport à celles ayant reçu le placebo. Si l’on ne tient compte que des cancers sensibles aux œstrogènes, la survenue de ceux-ci est diminuée de 48 % avec le tamoxifène. D’autres essais, réalisés avec un autre antiœstrogène ayant le même mode d’action que le tamoxifène, appelé raloxifène, ont abouti à des résultats similaires. Les études ayant comparé ces deux médicaments n’ont ainsi pas mis en évidence de différences sensibles entre eux en termes d’efficacité et de tolérance. Cependant, l’effet préventif de ces médicaments anti-œstrogènes est contrebalancé par leurs effets indésirables. La prise de ces traitements peut en effet avoir des conséquences néfastes graves, même si celles-ci sont rares. Il a ainsi été constaté la survenue de ce que l’on appelle des événements thromboemboliques, c’est-à-dire la formation de caillots dans une veine ou une artère, provoquant son obstruction, avec des conséquences qui peuvent être sérieuses, voire même entraîner le décès. Par ailleurs, il a été observé un taux plus élevé de cancer de l’utérus parmi les femmes ayant reçu le tamoxifène. En raison de ces effets indésirables, ces deux médicaments ne sont pas autorisés en France pour la prévention du cancer du sein. Les risques ont été jugés trop importants par les autorités de santé au regard du bénéfice potentiel. Cela n’a pas empêché les recherches de se poursuivre et les médecins s’intéressent depuis quelques années à une autre classe de médicaments s’opposant à l’action des œstrogènes : les inhibiteurs de l’aromatase. Ils ont un mode d’action différent du tamoxifène (voir encadré) et ne présentent pas les inconvénients de ce dernier. Les effets indésirables des inhibiteurs de l’aromatase sont le plus souvent modérés. Ils entraînent principalement une perte osseuse (qui peut être compensée par un traitement complémentaire), des douleurs articulaires et des bouffées de chaleur. Les mécanismes d’actions des anti-œstrogènes Les anti-œstrogènes tels que le tamoxifène et le raloxifène sont des médicaments qui se lient aux récepteurs hormonaux présents à la surface des cellules cancéreuses. Ils empêchent ainsi les œstrogènes d’entrer en contact avec les cellules. Les inhibiteurs de l’aromatase de leur côté inhibent les œstrogènes secrétées par les glandes surrénales et qui persistent après la ménopause. Ils n’ont aucune action sur les récepteurs. C’est pourquoi leur utilisation est limitée aux femmes ménopausées. Risque cumulé de cancer du sein au cours de la vie [ MUTATIONS (d'après le Pr Pascal Pujol) 100 BRCA1/2 : LES 80 PRÉVENTIONS POSSIBLES ] 60 40 Mutation BRCA 1 Mutation BRCA 2 Lésion cancéreuse non invasive Densité mammaire (2) THS (1) Alimentation, sédentarité 0 Population générale 20 (1) THS : traitement hormonal substitutif. (2) Densité mammaire : densité des tissus composant le sein. Il a été montré qu'une densité élevée est associée à un risque plus élevé de cancer du sein. Les inhibiteurs de l’aromatase sont aujourd’hui l’hormonothérapie de référence lorsque ce type de traitement est requis chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein. Les essais réalisés ont montré leur efficacité en prévention des rechutes, efficacité qui est supérieure à celle du tamoxifène, avec une meilleure tolérance. De plus, ces essais ont montré que, chez les patientes ayant reçu un inhibiteur de l’aromatase par rapport à celles ayant pris le tamoxifène, le taux de survenue d’un cancer de l’autre sein est réduit d’environ 50 %. Cette observation a conduit à la mise en œuvre de trois grands essais visant à évaluer l’effet des inhibiteurs de l’aromatase pour la prévention du cancer du sein. p Les trois essais en cours Les trois essais réalisés à l’heure actuelle sur la prévention du cancer du sein concernent les trois situations connues de risque élevé pour cette maladie. Ces essais sont conduits en France sous l’égide de la FNCLCC. • L’essai IBIS II - L’objectif : cet essai fait suite à l’essai IBIS I qui fait partie de ceux ayant montré l’efficacité préventive du tamoxifène chez des femmes présentant un risque modéré à élevé de cancer du sein. IBIS II vise à comparer le tamoxifène à un inhibiteur de l’aromatase, l’anastrozole, dans la réduction du risque de récidive et la prévention d’une atteinte de l’autre sein chez des femmes traitées pour une forme localisée de cancer du sein. - L es traitements évalués : le tamoxifène associé à un placebo de l’anastrozole, d’une part, l’anastrozole associé à un placebo du tamoxifène d’autre part. (Suite en page 4) Les mutations génétiques BRCA 1 et BRCA 2 sont associées à un risque élevé de survenue d’un cancer du sein ; de l’ordre de 50 % au cours de la vie pour la mutation BRCA 2 et de plus de 70 % pour la mutation BRCA 1. Ces deux mutations représentent 30 % des formes familiales de cancer du sein. Elles entraînent également une augmentation du risque de cancer des ovaires. A l’heure actuelle, le seul moyen de prévention validée est l’ablation totale des seins (mastectomie). Cette intervention permet de réduire de 90 % à 95 % le risque de survenue de la maladie. De plus en plus de femmes porteuses de ces mutations y ont recours. Parallèlement, l’ablation des ovaires réduit non seulement le risque de cancer des ovaires, mais aussi le risque de cancer du sein (de l’ordre de 50 %). La mastectomie est toutefois un geste très lourd, sur le plan physique et psychologique. C’est pourquoi la recherche d’alternatives, notamment médicamenteuses, comme dans le cas de l’essai Liber, est importante. (Suite de la page 3) Chacune des participantes prend ainsi deux comprimés par jour. La durée prévue du traitement est de cinq ans, avec ensuite cinq ans de suivi. - L es femmes concernées : femmes ménopausées, âgées de 40 à 70 ans, ayant été traitées par chirurgie et radiothérapie pour une forme localisée de cancer du sein, appelée carcinome canalaire in situ, sensibles aux hormones. - L a situation de l’essai : IBIS II est un essai international qui a débuté en 2003. En France, les inclusions ont commencé en 2004. Il est prévu au total la participation de 4 000 femmes, dont 400 en France. En juillet 2009, plus de 2 000 participantes étaient incluses dans l’essai, dont 362 en France. • L’essai LIBER - L ’objectif : l’essai Liber vise à évaluer l’effet préventif d’une hormonothérapie par létrozole sur la survenue d’un cancer du sein chez des femmes porteuses d’une mutation BRCA 1 ou BRCA 2. Ces mutations génétiques sont associées à un risque très élevé de cancer du sein (plus d’une femme sur deux). - L es traitements évalués : le létrozole est un inhibiteur de l’aromatase. Les participantes reçoivent soit ce médicament, soit un placebo, à raison d’un comprimé par jour. La durée du traitement est prévue sur cinq ans, avec ensuite un suivi de cinq ans. - L es femmes concernées : femmes ménopausées, âgées de 40 à 70 ans, chez lesquelles une mutation génétique BRCA 1 ou BRCA 2 a été diagnostiquée, ayant ou pas été déjà atteintes d’un cancer du sein plus de cinq ans auparavant. - L a situation de l’essai : Liber est un essai conduit en France par la Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer. Il a débuté au premier semestre 2008. En juillet 2009, 52 femmes étaient incluses sur les 724 attendues. • L’essai MAP.3 Adresses utiles Ligue Nationale Contre le Cancer 14 rue Corvisart 75 013 Paris www.ligue-cancer.net Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer 101 avenue de Tolbiac 75 013 Paris www.fnclcc.fr - L ’objectif : l’essai MAP.3 cherche à déterminer si une hormonothérapie par exemestane permet de réduire la survenue du cancer du sein chez des femmes à risque élevé de cancer du sein. - L es traitements évalués : l’exemestane est un inhibiteur de l’aromatase. Les participantes reçoivent soit ce médicament, soit un placebo, à raison d’un comprimé par jour. La durée du traitement est prévue sur cinq ans, avec ensuite un suivi de cinq ans. - L es femmes concernées : femmes ménopausées de plus de 35 ans présentant au moins un facteur de risque de cancer du sein, par exemple la présence d’une lésion précancéreuse diagnostiquée. - L a situation de l’essai : MAP.3 est un essai international lancé en 2004 au Canada, aux États-Unis et en Espagne. Il est aujourd’hui ouvert en France. A l’heure actuelle, plus de 4 000 femmes ont été incluses sur les 4 560 participantes attendues.