Relations entre les risques de cancer du sein et les hormones

Relations entre les risques du cancer du sein et les hormones sexuelles endogènes
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
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Résumé
Le risque de cancer du sein est accru par une puberté précoce et une ménopause tardive,
suggérant qu’une exposition prolongée du sein à des taux élevés de stéroïdes ovariens chez les
femmes pré-ménopausées accroît les risques de cancer du sein.
Des études prospectives récentes ont montré que les femmes post-ménopausées, qui déve-
loppent un cancer du sein avaient dans la période pré-diagnostique des concentrations sanguines
d’oestradiol et d’autres hormones sexuelles significativement plus élevées que les femmes qui
restent indemnes. La détermination à long terme des concentrations hormonales chez les fem-
mes pré-ménopausées est difficile, et peu d’études prospectives ont été réalisées, mais les données
disponibles sont compatibles avec l’hypothèse que des concentrations relativement élevées d’oes-
tradiol chez les femmes pré-ménopausées constituent des facteurs de risque du cancer du sein.
Dans les populations à faible prévalence de cancer du sein, les femmes ont des faibles concentra-
tions sanguines d’oestradiol, à la fois avant et après la ménopause.
La concentration sanguine d’oestradiol est probablement un facteur majeur de risque de
cancer du sein, mais d’autres données sont nécessaires pour évaluer le rôle possible d’autres
hormones sexuelles.
Cancer du sein / Hormones sexuelles / Oestradiol / Ménopause
Correspondance : Dr Timothy J.A. Key
University of Oxford, Epidemiology Unit, (Cancer Research UK) – Gibson Building – The Radcliffe Infirmary – Oxford OX2,
6HE – United Kingdom
Relations entre les risques de cancer du sein
et les hormones sexuelles endogènes.
Timothy J.A. Key University of Oxford, Epidemiology Unit, (Cancer Research UK)
The Radcliffe Infirmary – Oxford - United Kingdom
LES FACTEURS DE RISQUES
DE CANCER DU SEIN
ðOn sait que le risque de cancer du
sein est accru par une puberté pré-
coce, une ménopause tardive et
l’obésité post-ménopause, facteurs
qui correspondent tous à une forte
exposition hormonale. Une grossesse
tardive avec une faible multiparité
peut aussi être un facteur de risque
par ses effets hormonaux sur la struc-
ture du sein.
Le mieux étudié de ces facteurs est
l’effet de la ménopause. L’étude de
l’incidence nationale du cancer du
sein en Angleterre et au Pays de Gal-
les dans les années 80’, avant l’avène-
ment des thérapies hormonales de
substitution, montre un fort accrois-
sement du risque de cancer du sein
en fonction de l’âge de la ménopause
surtout jusqu’à 50 ans et un ralentis-
sement au-delà. L’explication peut
être donnée par l’effet de deux hor-
mones ovariennes - l’oestradiol et la
progestérone - dont la production
baisse de 90 % à la ménopause. L’ovai-
T.J.A. Key
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 19
re continue à produire un peu de tes-
tostérone, mais à mon avis, le rôle des
androgènes dans les risques de can-
cer du sein à la ménopause est mi-
neur.
HORMONES OESTROGÈNES
ET CANCER DU SEIN
Activité mitotique des oestrogènes
au niveau du sein
ðMon exposé sera consacré surtout
aux effets de l’oestradiol.
Je pense que le rôle de l’oestradiol
peut être expliqué par ses effets sur
la division cellulaire. En effet, les con-
centrations élevées d’oestradiol aug-
mentent l’activité mitotique des cel-
lules du sein ce qui accroît les chan-
ces de mutations et empêche la répa-
ration des cellules détériorées. L’oes-
tradiol peut ensuite favoriser la crois-
sance des petites tumeurs formées
par ces cellules abimées et aboutir à
un cancer clinique (FF
FF
Figurigur
igurigur
igure 1e 1
e 1e 1
e 1). Au
cours des dernières années, des ex-
périences sur animal ont mis en évi-
dence des effets mutagènes de cer-
MecMec
MecMec
Mechanisms fhanisms f
hanisms fhanisms f
hanisms for horor hor
or horor hor
or hormonal efmonal ef
monal efmonal ef
monal efff
ff
fectsects
ectsects
ects
- Stimulation of mitosis
. Increased chance of mutation being replicated
. More cells at risk of mutation
. Stimulation of tumour growth
- Genotoxic metabolites ?
Figure 1 - Mechanisms for hormonal effectsFigure 1 - Mechanisms for hormonal effects
Figure 1 - Mechanisms for hormonal effectsFigure 1 - Mechanisms for hormonal effects
Figure 1 - Mechanisms for hormonal effects
tains métabolites de l’oestradiol, pou-
vant détériorer l’ADN.
Pour essayer de préciser le rôle res-
pectif de l’oestradiol et de la proges-
térone dans les risques de cancer du
sein à la ménopause, nous avons étu-
dié la relation entre le taux sanguin
de ces hormones et l’activité mitoti-
que des cellules épithéliales du sein
pendant le cycle menstruel. Le taux
d’oestradiol atteint un pic au milieu
du cycle menstruel et un deuxième
pic au milieu de la phase lutéale. La
concentration de progestérone reste
basse pendant les deux premières
semaines puis atteint un pic au mi-
lieu de la phase lutéale. La mesure de
l’activité mitotique dans le sein mon-
tre une nette élévation au cours de la
dernière phase du cycle menstruel,
ce qui est à l’opposé de ce que l’on
observe dans le follicule ovarien où
Based on data from Ferguson & Anderson et al 1981, Williams et al 1991
1 8 15 22
Day of menstrual cycle
0
100
200
300
400
500
600
700 Oestradiol, pmol/l, or progesterone, nmol/l x 10
0.0
0.5
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
Mitotic rate
Oestradiol
Progesterone
Mitotic rate
Figure 2 - Oestradiol, progesterone and mitotic rate of breast epithelial cellsFigure 2 - Oestradiol, progesterone and mitotic rate of breast epithelial cells
Figure 2 - Oestradiol, progesterone and mitotic rate of breast epithelial cellsFigure 2 - Oestradiol, progesterone and mitotic rate of breast epithelial cells
Figure 2 - Oestradiol, progesterone and mitotic rate of breast epithelial cells
la progestérone a des effets anti-mi-
totiques. (Figure 2 Figure 2
Figure 2 Figure 2
Figure 2 )
Au niveau du sein, deux interpréta-
tions sont possibles :
- l’augmentation de l’activité mitoti-
que peut être due à l’effet conjugué
des deux hormones avec un effet
potentialisateur de la progestérone
sur l’oestradiol,
- l’autre hypothèse serait que l’effet
mitotique soit initié par le pic d’oes-
tradiol mais qu’il ne devienne impor-
tant qu’après un délai d’environ une
semaine. Ainsi, le rôle de la progesté-
rone serait mineur mais ce point reste
à préciser.
Imprégnation oestrogénique
au cours de la vie
ðLe taux d’oestradiol est très bas pen-
dant l’enfance, augmente fortement à
la puberté et atteint des valeurs d’envi-
ron 400 pmol/litre au cours de la pré-
ménopause. Malgré de fortes varia-
tions au cours du cycle menstruel et
pendant la grossesse, on peut consi-
dérer cette valeur de 400 pmol/litre
comme une moyenne du taux d’oes-
tradiol chez la jeune femme. Vers l’âge
de 50 ans, l’ovaire diminue sa produc-
tion d’oestradiol et les concentrations
plasmatiques baissent de 90 %.
Pendant longtemps on a considéré
que les concentrations sanguines
d’oestradiol n’avaient pas d’impact
sur le cancer du sein. Ces études com-
paraient les valeurs d’oestradiol chez
des femmes saines et chez des fem-
mes ayant un cancer du sein sans te-
nir compte de l’effet du cancer lui-
même sur les concentrations hormo-
nales.
A notre avis, le facteur de risque le
plus important pour le cancer du sein
est la durée de l’exposition à des con-
centrations élevées d’oestradiol. Ainsi
une puberté précoce et une méno-
pause tardive allongent la période
d’exposition de la femme à des va-
leurs élevées d’oestradiol. Cette hypo-
thèse, très controversée, n’a pu être
étayée que par des études prospecti-
ves dans lesquelles on a analysé l’in-
cidence du cancer du sein chez des
femmes ménopausées dont les con-
centrations plasmatiques d’oestradiol
étaient élevées environ 10 ans avant
la ménopause.
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Neuf études de ce type portant sur
un petit nombre de cas ont été pu-
bliées. Afin d’avoir une analyse plus
globale, à l’Université d’Oxford, nous
avons réuni l’ensemble des 663 cas
collectés aux USA, en Grande Breta-
gne, en Italie et au Japon.
Le principal problème a été de com-
parer les valeurs d’oestradiol obte-
nues dans les différents laboratoires.
Aussi, nous avons décidé de ne pas
exprimer les données en valeur ab-
solue mais en valeur relative sur une
échelle séparée en 5 portions ou seu-
lement en 2 secteurs. Les données de
chaque étude ont été analysées
d’abord séparément puis les résultats
ont été rassemblés pour une conclu-
sion d’ensemble. En plus de l’oestra-
diol, quelques laboratoires ont me-
suré d’autres oestrogènes - l’oestra-
diol libre, la fraction d’oestradiol non
liée aux globulines SHBG, la SHBG elle-
même, l’oestrone et l’oestrone sulfate
- et quelques androgènes. Mais
comme ces données ne sont pas dis-
ponibles dans tous les cas, nous
avons surtout porté notre analyse glo-
bale sur l’oestradiol.
Malgré quelques différences entre les
études, tous les graphiques obtenus
montrent que les risques de cancer
du sein sont accrus par l’augmenta-
tion des concentrations d’oestradiol.
D’une façon générale, on peut esti-
mer que l’élévation de 2 fois du taux
d’oestradiol augmente le risque de
cancer d’environ 30 %. De plus, si on
compare le risque de cancer chez les
femmes à faible taux (les 20 % du bas)
à celles ayant les taux les plus forts
(les 20 % du haut), on observe que le
risque de cancer est 2 fois plus élevé
chez les femmes ayant les taux les
plus élevés. (Figure 3Figure 3
Figure 3Figure 3
Figure 3)
Figure 3 – Relative risk (RR) of breast cancer by fifth of hormone concentrationFigure 3 – Relative risk (RR) of breast cancer by fifth of hormone concentration
Figure 3 – Relative risk (RR) of breast cancer by fifth of hormone concentrationFigure 3 – Relative risk (RR) of breast cancer by fifth of hormone concentration
Figure 3 – Relative risk (RR) of breast cancer by fifth of hormone concentration
Des résultats analogues sont obtenus
avec les autres fractions oestrogéni-
ques - l’oestradiol libre, la fraction
d’oestradiol non liée aux globulines
SHBG, l’oestrone et l’oestrone sulfate.
Par contre, le risque de cancer est
d’autant plus faible que la concentra-
tion de SHBG, qui lie l’oestradiol, est
plus élevée. Des concentrations éle-
vées d’androgènes sont aussi asso-
ciées de façon positive avec le risque
de cancer du sein .
A l’état actuel, la conclusion générale
est qu’il existe une corrélation entre
les concentrations hormonales dans
la période pré-ménopause et le ris-
que de cancer du sein après la mé-
nopause. Dans une étude complémen-
taire, nous avons pu montrer que
cette corrélation est indépendante du
délai entre la prise de sang et l’appa-
rition du cancer ou en d’autres ter-
mes qu’elle n’est pas due à la pré-
sence de petites tumeurs non encore
décelées.
Par contre, bien qu’elles n’excluent
pas le rôle possible de l’oestradiol,
les études sur les relations entre can-
cer du sein et concentrations hormo-
nales plasmatiques avant la méno-
pause sont trop fragmentaires pour
en tirer des conclusions nettes.
Responsabilité de chaque hormone
ðLe problème se complique en rai-
son des interrelations entre les diffé-
rentes hormones, dont plusieurs four-
nissent l’oestradiol. En fait, chez les
femmes ménopausées, l’oestradiol
provient de l’androstènedione pro-
duit surtout par les surrénales et en
minorité par les ovaires mais se forme
aussi à partir de la testostérone. Les
concentrations plasmatiques de tou-
tes ces hormones sont corrélées en-
tre elles.
Aussi, il est très difficile d’attribuer
une plus grande responsabilité dans
le risque de cancer du sein à un seul
type d’hormone.
T.J.A. Key
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 21
INFLUENCES THÉRAPEUTIQUES
ðQuatre études ont montré que chez
les femmes ayant des concentrations
hormonales élevées la prise de Tamo-
xifène diminue de 30 % le risque de
cancer du sein. Une étude très ré-
cente (Figure 4Figure 4
Figure 4Figure 4
Figure 4), utilisant le Raloxi-
fène a démontré le puissant effet pro-
tecteur de cet anti-œstrogène.
Ces études confirment le rôle impor-
tant de l’oestradiol dans la genèse du
cancer du sein.
Figure 4 - Oestradiol, raloxifène and breast cancer riskFigure 4 - Oestradiol, raloxifène and breast cancer risk
Figure 4 - Oestradiol, raloxifène and breast cancer riskFigure 4 - Oestradiol, raloxifène and breast cancer risk
Figure 4 - Oestradiol, raloxifène and breast cancer risk
Thérapie hormonale de substitution
et obésité
ðL’étude Nurse Health a suggéré que,
à la différence de ce qui est observé
chez les femmes non traitées, chez
les femmes ayant pris des thérapies
hormonales de substitution, il n’y a
pas de relation entre le taux d’oestra-
diol et le risque de cancer du sein.
Une autre étude a été consacrée aux
effets de l’obésité et à ses relations
avec les concentrations d’oestradiol.
En effet, le risque de cancer du sein
augmente de 40 à 50 % chez les fem-
mes devenant obèses après la méno-
pause. Dans la période de la pré-mé-
nopause, les taux d’oestradiol libre
ne sont pas corrélés à l’Index de Mas-
se Corporelle. Par contre, après la mé-
nopause, on trouve des concentra-
tions plasmatiques d’oestradiol jus-
qu’à 2 fois plus élevées chez les fem-
mes obèses que chez les femmes min-
ces, ce qui s’explique par la produc-
tion d’oestradiol à partir des graisses.
INCIDENCE DU CANCER DU SEIN
AU NIVEAU INTERNATIONAL
ðIl est clair que l’incidence du can-
cer du sein est très variable selon les
pays. On peut évoquer les différen-
ces d’âge à la puberté, l’âge de mater-
nité, le nombre d’enfants, l’âge à la
ménopause. Ainsi, l’âge moyen de la
puberté est de 13 ans en Grande Bre-
tagne, 17 ans en Chine ; la ménopause
survient à 50 ans en Grande Bretagne,
à 48 ans en Chine. Ceci indique une
moindre durée d’exposition hormo-
nale des femmes chinoises compa-
rées aux britanniques. De plus, il sem-
ble aussi que l’allaitement diminue
les risques de cancer.
CONCLUSION
ðL’ensemble des études montre une
corrélation positive entre les concen-
trations hormonales dans la période
pré-ménopause et le risque de can-
cer du sein après la ménopause. Des
résultats analogues ont été obtenus
avec les oestrogènes et les androgè-
nes mais à mon avis les oestrogènes
jouent un rôle majeur.
Pour la période pré-ménopause, les
données sont encore insuffisantes
pour conclure.
Il reste encore à définir le rôle de la
progestérone, des récepteurs aux
oestrogènes et des facteurs environ-
nementaux tels que l’alcoolisme.
Relations between breast cancer risk and endogenous sex hormones
(oestrogen, androgens, progesterone).
Breast cancer risk is increased by an early menarche and by late menopause, suggesting that a
prolonged exposure of the breast to high levels of ovarian steroids in pre-menopausal women increases breast
cancer risk.
Recent prospective studies have shown that post-menopausal women, who develop a breast cancer
had during the pre-diagnostic time, oestradiol and other sex hormones blood concentrations significantly
higher than the women who remain cancer free. The long-term determination of the hormonal concentra-
tions in pre-menopausal women is difficult, and few prospective studies have been carried out, but the
available data agree with the hypothesis that relatively high oestradiol concentrations among pre-menopausal
women are associated to an increase in breast cancer risk. In populations with weak prevalence of breast
cancer, the women have low blood oestradiol concentrations, both before and after the menopause. Blood
oestradiol concentration is probably a major determinant of breast cancer risk, but more data are needed to
evaluate the possible roles of other sex hormones.
Breast cancer / Sexual hormones / Oestradiol / Menopause
74 cases in MORE trial: Cummings et al, JAMA 2002; 287: 216-20
0<55-10+
Serum oestradiol, pmol/l
0.0
0.5
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
3.5 Breast cancer rate, %
Placebo Raloxifene
1 / 4 100%
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