Pierre Brunet Fiche de niveau 3. Droit public de l’économie / Les services publics / 2007 La notion de service public Le sens de l’expression « service public » est difficile à saisir car contrairement aux apparences la même expression désigne à la fois une justification de la compétence de la juridiction administrative et une théorie de l’État voire une idéologie. 1. Le service public comme théorie prescriptive de l’État L’expression de « service public » est désormais étroitement attachée au nom de Léon Duguit, professeur à Bordeaux qui fut parmi les premiers juristes à s’intéresser à la jurisprudence de cette nouvelle juridiction qu’était à l’époque le Conseil d’État. Par cette expression, Duguit justifiait une sphère d’intervention propre de l’État. Pour lui, l’expression « service public » désigne : « toute activité dont l’accomplissement doit être réglé, assuré et contrôlé par les gouvernants, parce qu’il est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale et qu’il est de telle nature qu’il ne peut être assuré complètement que par l’intervention de la force gouvernante » (L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2, Sirey, 1923, p. 55) ou encore, est considérée comme relevant du service public « l’activité que les gouvernants doivent obligatoirement exercer dans l’intérêt des gouvernés » (L. Duguit, RDP, 1907, p. 417). Même replacée dans le contexte de l’époque, cette définition consiste moins en une description de ce que l’État fait réellement, qu’en une prescription de ce qu’il doit « obligatoirement » faire. Pour autant, cette théorie ne définit pas a priori les activités « indispensables » à la société. C’est ce qui explique l’utilisation à des fins idéologiques qui a pu en être faite à mesure que le développement économique conduisait à s’interroger sur le rôle de l’État (et des autres personnes publiques) dans l’économie. La juridiction administrative a donné un sens plus précis à l’expression et l’a utilisée à d’autres fins. 2. Le service public comme justification de la compétence de la juridiction administrative Employée par les juges, l’expression revêt un sens et des formes qui évoluent selon les époques. On commettrait une grave erreur en croyant que l’expression n’a qu’un sens et que ce dernier est immuable. En revanche, la fonction de l’expression demeure : elle sert à justifier la compétence de la juridiction administrative. Jusque dans les années 1930, le juge administratif tend à employer l’expression au pluriel (« les services publics ») pour désigner des activités dont on présume qu’elles relèvent par nature des personnes publiques qui les exercent dans l’intérêt général. La dimension organique – la présence d’une personne publique – est alors primordiale. En témoigne, par exemple, le commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État du 7 avril 1916, Astruc : « le service public est un procédé juridique par lequel satisfaction est donnée par l’administration à un besoin d’intérêt général ». Cette dimension organique sera fortement atténuée lorsque l’État (ainsi que les autres personnes publiques) délèguera à des personnes privées certaines missions qu’il ne parvient plus à assumer seul mais dont le juge administratif estime qu’elles satisfont l’intérêt général (CE, Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « aide et protection », rec. p. 417 à propos du services des assurances sociales). Dès lors, le juge utilise l’expression au singulier et le « service public » s’entend de toute une gamme d’activités, fort différentes les unes des autres avec, toutefois, une connotation sociale et culturelle. Le juge administratif exige cependant la réunion de plusieurs éléments : la satisfaction de l’intérêt général, un contrôle de l’administration ainsi que l’exercice de prérogatives de puissance publique (CE, sect., 13 janvier 1961, Magnier et CE, sect., 28 juin 1963, Narcy). Le juge administratif a cependant tempéré cette dernière exigence en reconnaissant que « même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission » (CE, Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, N°264541, à propos des centres d’aide par le travail).