La sédation pour détresse en phase terminale
Recommandations de la
Société Française d'Accompagnement et de soins palliatifs
Groupe de travail "Sédation en fin de vie" :
Coordonné par V. Blanchet1.
Participants : R. Aubry2, J-C. Fondras3, M-T. Gatt4, J-M. Lassaunière5, T. Marmet6, M. Nectoux7, P. Papin8,
S. Pourchet9, P. Thominet10, N. Sylvestre11, M-L Viallard12
Version Longue
En novembre 1999, un groupe de travail s’est constitué sur l’initiative du docteur V. Blanchet
sous l’égide de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (S.F.A.P), pour réfléchir
à la pratique de la sédation en fin de vie. Ce groupe est constitué d’infirmières, de médecins et de
psychologues travaillant en unités ou en équipes mobiles de soins palliatifs.
Les participants de ce groupe ont constaté une banalisation de la sédation tant dans les
pratiques en institutions qu'à domicile.
Le terme de sédation vient du latin « sedare : apaiser, calmer ». Il recouvre cependant des
réalités bien différentes car il est employé aussi bien pour désigner un traitement antalgique que
l’induction d’un sommeil. Ce terme est aussi utilisé pour masquer une euthanasie pratiquée à l’insu du
patient qualifiée d’euthanasie clandestine par le Comité Consultatif National d’Ethique dans son avis
rendu en mars 2000. La fréquence de la pratique de la sédation, ses modalités, le service médical
rendu et l’impact sur la morbidité et la mortalité sont insuffisamment évalués.
Enfin, il faut ajouter que les différences de conception autour de ce terme entre les pays anglo-
saxons et les pays latins participent à cette confusion.
Une clarification semblait donc nécessaire.
Le groupe de travail a décidé, dans un premier temps, d’élaborer des recommandations de
bonnes pratiques. Il a défini le champ de son travail selon quatre questions :
- 1. Qu’entend-on par sédation dans la pratique des soins palliatifs ?
- 2. Quels sont les objectifs et les indications de la sédation ?
- 3. Quels sont les produits utilisés, leurs durées d’action, leurs posologies, leurs modalités de
prescription ?
- 4. Quelles sont les modalités pratiques de la sédation et les questions éthiques associées ?
La méthode de travail a consisté en une analyse de la littérature internationale, une enquête
« un jour donné » sur l’état de vigilance des patients hospitalisés en unités de soins palliatifs en
France, et la rédaction de recommandations.
1 Médecin, Equipe mobile douleur soins palliatifs, Hôpital Saint-Antoine et médecine libérale, Paris
2 Médecin, Equipe mobile soins palliatifs, CHU Besançon
3 Médecin, Service douleur soins palliatifs, Bourges
4 Médecin, Equipe mobile douleur soins palliatifs, Hôpital Avicenne, Bobigny
5 Médecin, Centre de soins palliatifs, Hôtel-Dieu, Paris
6 Médecin, centre régional d'accompagnement et de soins palliatifs, Toulouse
7 Infirmière clinicienne, Equipe mobile accompagnement et soins palliatifs, Argenteuil
8 Infirmier, Unité de soins palliatifs, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif
9 Médecin, Unité de soins palliatifs, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif
10 Infirmier, Unité mobile de soins palliatifs, Pitié-Salpétrière, Paris
11 Docteur en psychologie, Unité de soins palliatifs, Institut Mutualiste Montsouris, Paris
12 Médecin, Unité mobile de soins palliatifs, Vannes
1
Question 1
Comment définir la sédation dans la pratique des soins
palliatifs ?
Si la définition de la sédation fait l'objet d'un consensus dans des disciplines médicales telles
que l'anesthésie1 et la réanimation2, il n'en est pas de même dans le domaine des soins
palliatifs.
Après une revue de la littérature nous définirons le champ d'application de la sédation en
soins palliatifs choisi par le groupe de travail3.
I. La notion de sédation en soins palliatifs dans la littérature
médicale
Il n’existe pas de consensus sur la définition de la sédation en soins palliatifs comme en
témoigne la littérature :
-“ supprimer la perception de la souffrance intolérable en faisant perdre la conscience ”
(1)
- “ obtenir un effet myorelaxant, en diminuant le tirage musculaire et le rythme respiratoire ”
(2)
-“ passer le cap d’une anxiété majeure ” (2)
- “ diminuer activement la vigilance ” (3)
- “ induire un sommeil artificiel qui permet au patient de perdre la conscience de sa
souffrance ” (1)
1
“ La sédation est l’utilisation de médicaments visant à diminuer la vigilance du patient dans le but de :
- diminuer la perception de la douleur et l’anxiété pendant un acte diagnostic ou thérapeutique
- compléter une anesthésie locale ou loco-régionale.
Il faut distinguer : la sédation légère, malade relaxé et calme, éventuellement coopérant et la sédation lourde,
avec altération de la conscience et des réflexes de protection, notamment de la liberté des voies aériennes, qui
impose une surveillance attentive ”(20).
2
"La sédation peut se définir comme l’utilisation de moyens médicamenteux ou non destinée à assurer le confort
physique et psychique du patient et à faciliter les techniques de soin. Elle est donc étroitement liée à la notion de
qualité de soin.
Les objectifs de la sédation sont :
- améliorer le confort du patient en luttant contre la douleur, l'anxiété et le manque de sommeil ;
- assurer la sécurité du patient agité ainsi que celle du personnel
- faciliter les soins et en garantir l’efficacité ;
- optimiser les bénéfices de la ventilation mécanique en permettant l’adaptation au respirateur ;
- faciliter les actes à visée diagnostique et thérapeutique de courte durée ;
- réduire la réponse neuro-endocrinienne au stress dans les quelques situations où son effet délétère est établi
de façon convaincante. ” (21)
3 La complexité du champ lexical concernant la conscience et la vigilance nous a conduit à donner en annexe
quelques définitions des termes les plus fréquemment utilisés
2
- “ assurer un sommeil pour “ traiter des symptômes réfractaires aux thérapeutiques
n’altérant pas la conscience ” (4). Ces symptômes sont aussi bien physiques que
psychiques (5).
- “ induire un état d’apaisement physique et psychique en respectant la conscience ” (6)
- provoquer un sommeil par l’administration d’une benzodiazépine ou d’un neuroleptique,
par une équipe soignante, en réponse à une demande d’un patient. La durée de ce sommeil
est variable, ponctuelle ou continue, et ce sommeil est toujours associé à d’autres
thérapeutiques symptomatiques. Le but unique de ce sommeil est de soulager un patient en
détresse ” (1)
- induire une perte de la conscience dans des circonstances très particulières de symptômes
non traitables (quand toutes les interventions possibles ont échoué) ou d’angoisse non
accessible aux interventions psychologiques, pharmacologiques ou spirituelles (1 ; 2 ; 6 ;7)
- “ proposer une réponse à une situation de souffrance d’une équipe partagée entre son
devoir d’assistance au patient, ses propres limites et son interrogation sur le bien fondé
d’une telle sédation ” (8 ; 14).
- "La sédation terminale devrait être distinguée de l’état d’altération progressif de la
conscience qui accompagne spontanément l’évolution de la maladie vers la mort. Cette
dernière résulte de l’addition des conditions métaboliques du mourir et des traitements
utilisés. La sédation terminale se distingue également de la sédation survenant
occasionnellement comme effet secondaire non désiré des dérivés morphiniques utilisés à
forte dose dans le cadre du soulagement de douleurs sévères. La sédation terminale
consiste donc en une décision explicite de provoquer l’inconscience chez un patient pour
prévenir ou répondre à une quelconque situation de détresse physique incontrôlable. Le
recours à la sédation terminale est également régulier en soins intensifs pour traiter les
symptômes de suffocation lors de l’arrêt de la ventilation assistée chez les patients en fin de
vie."4 (9)
La sédation terminale est proposée comme alternative au suicide médicalement assisté
chez les patients en fin de vie souffrant de symptômes sévères.5 (10).
- "La sédation terminale est définie comme l'intention délibérée d'induire et de maintenir un
sommeil profond, sans entraîner volontairement la mort, dans certaines situations très
particulières : 1) afin d'obtenir le soulagement d'un ou de plusieurs symptômes rebelles
lorsque toutes les autres interventions possibles ont échoué et que la mort du patient est
pressentie comme proche, ou 2) afin de soulager une angoisse profonde (y compris
spirituelle) qui n'est pas accessible au soulagement par une assistance spirituelle, un
soutien psychologique ou d'autre type d'intervention et que la mort du patient est pressentie
comme proche. Cette définition n'inclut pas le soulagement de la confusion mentale ni
l'utilisation d'anxiolytique ou de psychotropes pour le traitement d'hallucinations, de délire
paranoïaque, de myoclonies, etc... Elle n'inclue pas davantage la sédation temporaire et
4 [Terminal sedation. should be distinguished from the common occurrence of a dying patient gradually slipping
into an obtuned state as death approaches ; this occurrence is a combination of the metabolic changes in dying
and the results of usual therapy treatments. T.S. is also distinct from the sedation that occasionnely occurs as an
unintended side effect of high dose opioid therapy, which is used to relieve severe terminal pain. In contrast,
terminal sedation involves an explicit decision to render the patient uncounscious to prevent or respond to
otherwise unrelievable physical distress. Terminal sedation is also used regularly in critical care practice to treat
symptoms of suffocation in dying patients who are discontinuing mechanic al ventilation]
5 [T.S. has been proposed as an alternative to P.A.S. for terminally ill patients with severe symptoms.]
3
planifiée réversible."6 (11)
- "La sédation est définie comme la prescription d'agents psychotropes permettant de rendre
un patient inconscient afin de soulager des symptômes physiques ou psychologiques."7 (12)
- La sédation est définie comme une procédure médicale destinée à pallier, chez un patient
donné, les symptômes réfractaires aux traitements standards, en altérant volontairement
leur conscience. Cette sédation peut être classée en :
-sédation primaire : intervention thérapeutique dont le principal but est de diminuer le
niveau de conscience d'un patient ; sédation secondaire : ne pas corriger la somnolence
induite par les traitements palliatifs prescrits pour le soulagement des symptômes sous-
jacents.
-sédation intermittente : permettre des période de vigilance,
-sédation continue : altération de la conscience maintenue jusqu'au moment du décès.
-sédation légère : autorisant une communication entre patient et soignants,
-sédation profonde : c'est un état d'inconscience.8 (13;14) :
- La sédation terminale est l'administration délibérée de médicaments dans le but de
produire une diminution suffisamment profonde et possiblement réversible de la conscience,
chez un patient dont la mort semble proche, avec l'intention de soulager un symptôme
physique et ou psychologique non accessible aux autres traitements, ceci avec le
consentement explicite,
implicite ou par délégation, du patient.9 (15)
On notera enfin que deux articles de références sur le sujet de la sédation ne proposent pas
de véritable définition :
CHERNY/PORTENOY (16) dans leur article sur la sédation pour symptômes réfractaires,
parlent de la sédation induite par "l'utilisation de drogues choisies et administrées dans ce
but"10.
L'objet de l' étude de VENTAFRIDA et coll.(17) "est de préciser combien de temps avant la
mort les patients décrivent une souffrance intolérable dont le soulagement n'est possible que
par le recours à une sédation, ne permettant au patient de répondre qu'aux stimulis
6 [Terminal sédation is defined as the intention of deliberately inducing and maintaining deep sleep, but not
deliberately causing death in very specific circumstances. These are : 1) for the relief of one or more intractable
symptoms when all other possible interventions have failed and the patient is perceived to be close to death, or
2) for the relief of profoubd anguish (possibly spiritual) that is not amenable to spiritual, pasychological or other
interventions, and the patient is perceived to be close to death. This definition does not include the management
of delirium or the use of anxiolytix/psychotropic drugs for the management of symptoms such as hallucinations,
paranoïa, myoclonus, etc. Nor does it include planned temporary sedation that is reversed.]
7 [Sedation has been defined as the prescription of psychotropic agents to control physical and psychological
symptoms by making the patient unconscious.]
8 [sedation was defined as a « medical procedure to palliate patient’s symptoms refractory to standard treatment
by intentionally dimming their counsciousness », which was classified into primary-secondary, intermittent-
continuous, and mild-deep categories.. […]primary sedation was a therapeutic intervention, the primary goal of
which was to lower patient’s counsciousness, while secondary sedation was to allow somnolence produced by
palliative treatment for underlying disconfort.
Intermittent sedation was intended to achieve periods of alertness in patients, while continuous sedation was to
alter patient’s counsciousness until death. Mild sedation was intended to maintain counsiousness in patients so
that they could communicate with caregivers, while deep sedation led to uncounsciousness.]
9 [se entiende por sedacion terminal la administracion deliberada de farmacos para producir una disminucion
suficientemente profunda y previsiblemente irreversible de la conciencia en un paciente cuya muerte se preve
proxima, con la intencion de aliviar un sufrimiento fisico y/o psicologico inalcanzable con otras medidas y con el
consentimiento explicito, implicito o delegado del paciente.]
10 [Induced sedation, using drugs selected and administered for this purpose]
4
extérieurs provoqués"11.
II Comment le groupe de travail définit-il la sédation dans la
pratique des soins palliatifs ?
Parmi toutes les notions trouvées dans la littérature, le groupe de travail a fait le choix de se
limiter et de ne parler que de la sédation en phase terminale.
On parle de phase terminale dans l'évolution naturelle d'une maladie quand le décès est
imminent et inévitable. C'est une bascule dans l'évolution de la maladie annoncée par la
défaillance des grandes fonctions vitales parfois provoquée par un épisode aigu (occlusion
intestinale, infection, embolie pulmonaire ... ). Schématiquement, on peut distinguer deux
moment bien différents dans la phase terminale : " la phase pré-agonique" et " phase
agonique".
La phase pré-agonique. est provoquée par la défaillance d'une ou plusieurs des principales
fonctions vitales (18).
On peut donc décrire les signes neurologiques, respiratoires et cardio-vasculaires.
Autrement dit, il s'agit d'un état de choc qui, sans réanimation, évolue le plus souvent vers la
phase agonique et le décès. Cette phase peut être parfois réversible et relève des stratégies
thérapeutiques palliative correspondantes.
La phase agonique est le moment même du "mourir" marqué par l'apparition des premiers
signes de décérébration (dont la disparition du réflexe cornéen) et l'altération inéluctable des
fonctions régulatrices neurovégétatives. Cette phase est irréversible et aboutit à la mort (19).
1. Ce que ce n'est pas :
Parmi les différents champs d’application possibles de la sédation, nous ne retenons pas le
terme de sédation pour :
-l’anxiolyse,
-l’analgésie,
-l'utilisation comme somnifère.
L’analgésie, comme l’anxiolyse, peuvent et doivent être obtenues par une prise en
charge thérapeutique spécifique et adaptée après une évaluation de l’ensemble des
phénomènes douloureux ou anxiogènes dont souffre le patient. L'insomnie est traitée par un
somnifère adapté.
Pour ne pas engendrer de confusion entre des notions différentes, ni induire des
risques de mauvaises interprétations du texte, le groupe n’a pas retenu ni utilisé, de façon
intentionnelle les termes suivants (qui sont présentés par ordre alphabétique) :
-contention pharmacologique,
-déconnexion,
-endormissement,
-lyse,
-narcose,
-sommeil artificiel,
-sommeil induit,
11 [To document how long before death symptoms appear that patients term unendurable and that are
controlable only with sedation induced sleep, allowing the patient to respond to external stimuli only if provoked.]
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