FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2005
(www.medecine.flammarion.com)
ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE
par
A. CASTAIGNE*
RÉSUMÉ
Les insuffisances cardiaques chroniques induisent une série d’adaptations qui
ont pour buts de maintenir la pression artérielle et de préserver la perfusion des
organes dits nobles (cerveau et myocarde). Ces adaptations sont délétères à long
terme. Parmi ces adaptations, l’élévation chronique des concentrations d’aldosté-
rone est certainement l’une des plus délétères. Elle participe à l’entretien de la
rétention hydrosodée accompagnée d’une perte de potassium et à l’aggravation
progressive de la dysfonction ventriculaire gauche et des anomalies de la vasomo-
tricité. Deux essais thérapeutiques ont montré que des anti-aldostérones peuvent
allonger la vie de patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche. Un essai
est en cours pour étudier la même question chez des patients ayant une insuffisance
cardiaque par trouble de la fonction de remplissage du ventricule gauche. L’intro-
duction systématique des anti-aldostérones dans le traitement de l’insuffisance
ventriculaire gauche sévère se heurte à des problèmes de tolérance liés à la dan-
gerosité potentielle de l’association de deux produits bloquant le système rénine
angiotensine aldostérone. Enfin l’utilité d’un traitement précoce par les anti-aldos-
térones dans les dysfonctions ventriculaires gauches asymptomatiques n’a pas été
évaluée au plan clinique ; il s’agit pourtant d’une voie séduisante dans la mesure
où un produit prévenant la fibrose ventriculaire gauche pourrait prévenir la dys-
fonction diastolique du ventricule gauche.
INTRODUCTION
Les troubles de la fonction ventriculaire gauche peuvent aboutir à une diminu-
tion du débit cardiaque qui induit des adaptations ayant pour buts de maintenir la
pression artérielle la plus proche possible de son niveau habituel et de préserver
* Cardiologie, Hôpital Henri Mondor, Créteil.
192 A. CASTAIGNE
la perfusion de certains organes (cerveau, myocarde, diaphragme) au dépens des
autres (reins, peau, muscles squelettiques). Cette nouvelle répartition du débit car-
diaque est médiée par les catécholamines et leur action sur le récepteur alpha adré-
nergique. C’est Claude Perret de Lausanne qui a eu, le premier, l’intuition de traiter
les patients ayant une insuffisance cardiaque aiguë par la phentolamine un alpha-
bloquant puissant utilisé jusque là pour juguler les crises d’HTA paroxystiques. Il
avait observé que ce traitement permettait à la fois de diminuer les pressions de
remplissage du ventricule gauche et d’augmenter l’index cardiaque sans diminuer
de façon considérable la pression artérielle [1].
Cette observation princeps a eu pour mérite d’attirer l’attention sur le fait que
les adaptations hormonales observées au cours de l’insuffisance cardiaque ne sont
pas obligatoirement bénéfiques et d’ouvrir deux voies thérapeutiques : celle du
traitement de l’insuffisance cardiaque par les vasodilatateurs et celle du traitement
de l’insuffisance cardiaque par les inhibiteurs hormonaux.
ACTIVATIONS HORMONALES
AU COURS DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
Leur connaissance a précédé de longtemps l’utilisation des inhibiteurs hormo-
naux en thérapeutique. Ces activations sont de deux natures : vasoconstrictrice et
antinatriurétique d’une part, vasodilatatrice et natriurétique d’autre part.
L’activation du système nerveux noradrénergique a été particulièrement étu-
diée par Bristow et son équipe. Ils avaient montré à la fois l’importance de cette
activation et son inefficacité liée à une diminution de la densité des bêtarécepteurs
[2]. Nous avons depuis avec Pascal Merlet étudié ce phénomène par des moyens
isotopiques qui montrent la forte relation entre la diminution de la densité des bêta-
récepteurs et le pronostic de l’insuffisance cardiaque [3].
L’activation du système rénine angiotensine aldostérone au cours de l’insuf-
fisance cardiaque a été reconnue dès que les techniques de dosages de ces hormo-
nes ont été disponibles [4]. L’étude systématique de cette activation par l’équipe
de GS Francis a permis la mise en route des études utilisant les médicaments ayant
une action antihormonale [5].
Simultanément a été découvert le rôle de l’arginine vasopressine dans le main-
tien de la pression artérielle et dans la survenue des hyponatrémies observées aux
stades tardifs de l’insuffisance cardiaque [6].
L’activation des systèmes vasodilatateurs natriurétiques a été découverte à la
même période ; l’attention s’est focalisée pendant des années sur le facteur natriu-
rétique d’origine auriculaire (ANF) [7], avant qu’on ne découvre l’importance pre-
mière du Brain Natriuretic Peptide d’origine ventriculaire [8]. La concentration de
ces deux peptides est d’autant plus importante que l’insuffisance cardiaque est plus
évoluée. L’élévation de la concentration de ces peptides a modifié les stratégies dia-
gnostiques en cas de suspicion d’insuffisance cardiaque. L’emploi de ces peptides
comme agents thérapeutiques n’est pas sortie des stades très précoces de l’évaluation.
L’activation des prostaglandines vasodilatatrices est également importante ;
elle est d’autant plus nette que les systèmes vasosonctricteurs sont plus activés [9].
Elles ont un rôle de protection de la perfusion rénale. L’inhibition de ces systèmes
par la prescription d’anti-inflammatoires provoque des poussées d’insuffisance
cardiaque.
ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 193
• L’importance de ces activations n’est devenue claire qu’après qu’ait été mise en
évidence la relation entre la concentration de ces différentes hormones et le pronos-
tic de l’insuffisance cardiaque. Jay Cohn a, le premier, attiré l’attention sur la signi-
fication pronostique de l’élévation des catécholamines au cours de l’insuffisance
cardiaque [10]. Mais les données les plus importantes sont issues de deux essais
thérapeutiques majeurs : l’étude CONSENSUS [11] et l’étude SAVE [12]. Dans ces
deux études, il a été montré que, l’adjonction au traitement de base de l’insuffisance
cardiaque d’un IEC, permettait de diminuer la mortalité et le risque d’hospitalisation
pour poussée d’insuffisance cardiaque. Ces deux études ont été complétées par des
études explicatives dans lesquelles l’influence des concentrations hormonales, à
l’inclusion dans l’essai, a été évaluée dans le groupe placebo et dans le groupe
traité. L’étude hormonale de l’essai CONSENSUS a montré que le risque de décès
dans le groupe placebo était significativement plus élevé si la concentration
d’aldostérone, d’angiotensine II, de noradrénaline ou de facteur natriurétique auri-
culaire était au-dessus de la moyenne du groupe par comparaison avec les patients
ayant des concentrations hormonales inférieures à celles de la moyenne du groupe
[13]. Une autre manière d’objectiver le même phénomène était de comparer la
concentration d’aldostérone à l’entrée suivant le destin des patients : vivants ou
morts à 6 mois (fig. 1). De même, l’étude hormonale de l’étude SAVE a montré
Décédés
(n = 51)
Survivants
(n = 68)
p < 0,001
Niveau de base
de la concentration
d’aldostérone
(pmol/l)
1 650
1 050
2 000
1 500
1 000
500
0
Résultats de l’essai CONSENSUS
À six mois
FIG. 1. Les concentrations d’aldostérone à l’inclusion dans le groupe placebo de
l’étude CONSENSUS sont très élevées mais significativement plus chez les sujets qui
décèdent dans les six mois suivant l’inclusion que chez les patients qui survivent
(D’après Swedberg K et al. Hormones regulating cardiovascular function in patients
with severe congestive heart failure and their relation to mortality. Circulation, 1990 ;
82 : 1730-1736).
194 A. CASTAIGNE
que les concentrations de noradrénaline, d’aldostérone, de facteur natriurétique auri-
culaire et de vasopressine étaient significativement associées au risque de décès [14].
Ces constatations biologiques et épidémiologiques ont fait des activations hor-
monales des témoins et des acteurs potentiels de la gravité de l’insuffisance cardia-
que. Pour démontrer la relation de cause à effet entre activations hormonales et
progression de l’insuffisance cardiaque, il fallait qu’on soit à même d’une part de
démontrer que le fait d’inhiber la production ou l’action de ces hormones améliorait
le pronostic de l’insuffisance cardiaque et d’autre part qu’on ait des hypothèses
biologiques permettant d’expliquer le rôle délétère de l’activation hormonale.
Nous limiterons la suite de cet article à l’exemple particulier de l’hyperaldosté-
ronisme secondaire de l’insuffisance cardiaque, de ses conséquences biologiques
et des effets de sa prévention par les médicaments anti-aldostérone.
TOXICITÉ DE L’HYPERALDOSTÉRONISME CHRONIQUE
AU COURS DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
Le fonctionnement correct du rein dépend de la constance du débit sanguin rénal
qui détermine à la fois la filtration glomérulaire et la réabsorption d’eau et de
sodium en fonction du degré d’hydratation de l’organisme et des apports en sodium
et en potassium.
L’aldostérone joue un rôle majeur en régulant la quantité de sodium et d’eau
réabsorbée par le néphron. Les deux stimuli principaux de sa sécrétion sont le
degré d’hydratation et la quantité de potassium absorbée ou produite. Une priva-
tion d’eau et de sel entraîne une élévation des concentrations d’aldostérone. De
même, une augmentation de l’absorption de potassium ou de sa production (au
cours d’un effort musculaire) provoque une élévation de la production d’aldosté-
rone. Dans ces deux situations, l’aldostérone provoque un retour vers l’équilibre.
Ces effets sont médiés par une action sur la cellule tubulaire distale du néphron ;
à ce niveau l’aldostérone provoque une augmentation de l’absorption du sodium
et de l’excrétion du potassium.
Ce rôle physiologique a longtemps été le seul connu.
Dès 1942, il avait été montré que le rein produisait une substance provoquant
une rétention de sodium au cours de l’insuffisance cardiaque [15]. Cette substance
a été ensuite identifiée comme étant l’aldostérone.
Au cours de l’insuffisance cardiaque, la production d’aldostérone est augmentée
et sa destruction est diminuée. La principale cause de l’augmentation de la pro-
duction est l’activation du système rénine angiotensine. L’angiotensine II est, en
effet, un puissant stimulant de la production d’aldostérone. L’aldostérone est méta-
bolisée par le foie. Chez le sujet normal, la métabolisation hépatique est complète
et les concentrations d’aldostérone sont très faibles dans les veines sus-hépatiques.
Chez l’insuffisant cardiaque, la métabolisation hépatique est diminuée. On peut
ainsi obtenir des concentrations d’aldostérone plasmatique fortement supérieure
aux valeurs normales (plus de dix fois dans les insuffisances cardiaques évoluées).
La conjonction d’une élévation forte des concentrations d’angiotensine II et
d’aldostérone est à l’origine d’un état de rétention chronique d’eau et de sel et d’une
déplétion de potassium. Ces deux phénomènes sont à l’origine de certains des prin-
cipaux symptômes de l’insuffisance cardiaque : les œdèmes et les hypokaliémies.
ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 195
Les œdèmes sont localisés dans les zones soumises à une élévation des pressions
capillaires : œdèmes pulmonaires en cas d’élévation de la pression capillaire pul-
monaire, œdèmes périphériques en cas d’élévation des pressions capillaires systé-
miques. Les hypokaliémies sont responsables de troubles du rythme ventriculaires
et jouent un rôle probablement important dans la genèse des morts subites de
l’insuffisance cardiaque.
L’attention a longtemps été focalisée sur l’action de l’aldostérone sur le tubule
rénal. Trois découvertes biologiques pratiquement simultanées ont puissamment
contribué à faire évoluer notre compréhension de l’action de l’aldostérone sur le
cœur et les vaisseaux.
La première de ces découvertes est le caractère très diffus du récepteur à l’aldos-
térone. Cette découverte de l’équipe de M. Lombes et J.P. Bonvalet a ouvert un
champ d’interrogations sur les rôles multiples de l’imprégnation chronique en
aldostérone [16]. Cette équipe a démontré que le récepteur au minéralo-corticoïde
comme l’aldostérone est très diffus et il est protégé de l’action des glucocorticoï-
des. La présence de récepteur à l’aldostérone au niveau des vaisseaux et du myo-
carde a fait naître des interrogations quant à leur rôle et quant aux conséquences
de leur activation chronique en cas d’hyperaldostéronisme.
Simultanément, les travaux de K. Weber et Ch. Brilla ont montré qu’une hyper-
tension avec hyperaldostéronisme et alimentation riche en sel provoque l’appari-
tion de fibrose dans le myocarde ventriculaire droit et gauche. Cette fibrose n’est
pas observée au cours des hypertensions sans élévation des concentrations d’aldos-
térone (banding infra-aortique par exemple). La fibrose peut être prévenue par
l’administration de spironolactone même à des doses qui ne préviennent pas
l’hypertension artérielle [17].
Enfin, il a été montré que le cœur et les vaisseaux possèdent l’équipement enzy-
matique nécessaire pour produire de l’aldostérone. Cette production locale est for-
tement augmentée chez les rats spontanément hypertendus avant même que
l’hypertension n’apparaisse. Ce phénomène pourrait avoir une importance consi-
dérable dans l’apparition de la fibrose vasculaire et myocardique observée chez
ces animaux [18, 19].
L’aldostérone apparaît donc comme un hormone plus complexe que ce qui avait
été envisagé initialement. Outre son rôle dans l’équilibre hydro-électrolytique, elle
joue un rôle dans les processus de réparation et dans la genèse de fibrose. Ce rôle
est joué par la mobilisation des cellules de l’inflammation : cette mobilisation peut
être purement locale grâce aux systèmes rénines locaux.
EFFET DES MÉDICAMENTS ANTI-ALDOSTÉRONES
SUR LE PRONOSTIC DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
L’exploration de ces médicaments a été rendue difficile par la chronologie des
découvertes thérapeutiques. En effet, la découverte de la spironolactone est bien
antérieure à celle des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, mais l’époque n’était
pas aux essais randomisés permettant d’évaluer l’effet des médicaments sur le pro-
nostic des maladies. Ainsi, la spironolactone a obtenu en France une indication
dans le traitement de l’hypertension artérielle et dans le traitement des œdèmes,
en particulier ceux de l’insuffisance cardiaque, sans que ce produit soit évalué dans
un essai de morbi-mortalité.
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