curriculum Syndrome de détresse respiratoire aiguë David Bergera, Hans Ulrich Rothena, Lukas Branderb a Universitätsklinik für Intensivmedizin, Universitätsspital Bern, Inselspital, Bern b Chirurgische Intensivstation, Luzerner Kantonsspital, Luzern Quintessence P L’acute lung injury (ALI) et le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) définissent différents degrés de gravité d’un syndrome caractérisé par une hypoxémie et des lésions pulmonaires bilatérales suite à une pathologie de base pulmonaire ou extrapulmonaire, mais pas dû principalement à une insuffisance cardiaque gauche. P Malgré des progrès notables dans la compréhension de la physiopathologie obtenus au cours de ces dernières décennies, la morbidité et la mortalité du SDRA restent élevées. P Aucun traitement pharmacologique spécifique du SDRA n’a pu s’établir jusqu’ici. A part celui de la maladie de fond, une ventilation mécanique ménageant le plus possible les poumons et des mesures de médecine intensive pour conserver la fonction des organes extrapulmonaires sont essentielles dans le traitement d’un patient souffrant d’un SDRA. P Les survivants à un SDRA sont souvent limités dans leur qualité de vie par des déficits neuromusculaires et neurocognitifs persistants, de même que par des dépressions et états de stress post-traumatiques. Introduction David Berger Le centre de recherche de DB a été partiellement financé par le grant 3200B0-113478/1 du Fonds national suisse (LB) et le grant 18/2006 de la Fondation pour la recherche en anesthésiologie et médecine intensive, Berne (LB). Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) a été décrit comme entité pour la première fois en 1967 et définit une atteinte pulmonaire aiguë grave avec altérations majeures de la fonction et de la structure des poumons. Il est caractérisé par des infiltrats alvéolaires diffus, souvent bilatéraux, une expansibilité (compliance) pulmonaire et une capacité fonctionnelle résiduelle diminuée, de même que par une hypoxémie réfractaire au traitement [1]. La perméabilité caractéristiquement augmentée de l’endothélium pulmonaire et de l’épithélium alvéolaire est l’issue commune de cascades inflammatoires déclenchées par un processus intra- ou extrapulmonaire, par ex. pneumonie, septicémie ou polytraumatisme [2]. Bien que les manifestations pulmonaires soient les plus visibles, c’est moins l’hypoxémie en soi que l’insuffisance des organes extrapulmonaires qui est la cause la plus fréquente des issues fatales. Les coûts de prise en charge, la morbidité et la mortalité du SDRA sont très élevés [3]. Malgré de grands progrès dans la compréhension de la pathogenèse et les options très prometteuses dans les études précliniques, aucun traitement spécifique n’a pu s’établir jusqu’ici, en raison surtout des caractéristiques imprécises de ce syndrome, de la grande inhomogénéité de ses étiologies et manifestations cliniques et de la difficulté à réaliser des études cliniques chez ces patients souvent instables. Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 244 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch. Nous donnons ci-dessous un bref aperçu des données actuelles sur l’épidémiologie, la physiopathologie et quelques stratégies de traitement du SDRA. Définitions et épidémiologie La Conférence consensus américano-européenne (AECC) de 1994 définit un SDRA comme un grave trouble de l’oxygénation d’apparition subite (ou index d’oxygénation PaO2/FiO2 <200 mm Hg) avec infiltrats pulmonaires bilatéraux sans argument en faveur d’un œdème pulmonaire cardiogène [4]. L’«acute lung injury» (ALI) ne se distingue du SDRA que par un trouble moins marqué de l’oxygénation PaO2/FiO2 <300 mm Hg. Comme le quotient PaO2/FiO2 est influencé par le réglage de la ventilation mécanique (par ex. par la pression télé expiratoire positive [PEEP]), comme la présentation clinique et l’étiologie sont hétérogènes, la définition de ce syndrome et du même fait la caractérisation des populations d’études est difficile [5]. C’est pourquoi d’autres définitions comprennent le réglage de la ventilation mécanique dans l’analyse du déficit d’oxygène et d’autres facteurs (par ex. importance des infiltrats et de la compliance pulmonaires) [6]. Les définitions les plus utilisées actuellement sont données dans les tableaux 1 et 2 p. La prévalence de l’ALI et du SDRA dans le monde entier, en fonction de la définition et du collectif, oscille entre 1,5 et 75 pour 100 000, et leur incidence entre 20 et 50 pour 100 000 années-patients [7–9]. Abréviations ALI Acute lung injury Clu Compliance pulmonaire Crs Compliance du système respiratoire Cth Compliance de la cage thoracique Elu Elasticité pulmonaire Ers Elasticité du système respiratoire Eth Elasticité de la cage thoracique FiO2 Concentration d’oxygène inspiratoire Paw Pression dans les voies respiratoires Poes Pression œsophagienne Ppl Pression intrapleurale Ptp Pression transpulmonaire PaO2 Pression partielle d’oxygène dans le sang artériel PaO2/ FiO2 Index d’oxygénation PEEP Positive endexspiratory pressure SDRA Syndrome de détresse respiratoire aiguë TRALI Transfusion-related acute lung injury Vt Volume inspiratoire VILI Ventilator-induced lung injury Forum Med Suisse 2011;11(14):246–252 246 curriculum Etiologies et facteurs de risque Evolution et mortalité Un SDRA survient suite à une pathologie pulmonaire ou extrapulmonaire (tab. 3 p). 50–75% des SDRA résultent d’un problème pulmonaire direct, le plus souvent une pneumonie bactérienne, plus rarement virale, ou d’une pneumonie après aspiration de contenu gastrique. Dans les causes extrapulmonaires, la septicémie est la plus fréquente (env. 20–40% des cas) [7]. La transfusion-related acute lung injury (TRALI) est certes un facteur déclenchant relativement rare mais souvent ignoré d’un SDRA [9]. La mortalité à 28 jours est d’environ 40%, elle n’a pratiquement pas changé ces 20 dernières années [8]. La cause de décès de loin la plus fréquente est une insuffisance d’organes extrapulmonaires. L’insuffisance pulmonaire n’est un facteur limitant que chez un patient sur 5 environ. La gravité et la durée de l’hypoxémie ne sont pas nettement associées à la mortalité [7, 9] mais à des déficits cognitifs à long terme [10]. Les patients polytraumatisés souffrant d’un SDRA ont le meilleur pronostic vital, et ceux en choc septique le plus mauvais [7]. La moitié des décès survient dans les 10 premiers jours. Le traitement du SDRA occupe une proportion excessive des ressources d’un service de soins intensifs. 10% des patients environ doivent être ventilés mécaniquement pendant plus d’un mois [7, 9]. Tableau 1. Définitions du SDRA/ALI. L’AECC (1994) définit un SDRA comme un grave trouble de l’oxygénation d’apparition subite avec infiltrats pulmonaires sans arguments en faveur d’un œdème pulmonaire cardiogène. L’«acute lung injury» (ALI) ne s’en distingue que par un trouble de l’oxygénation plus discret. Critères AECC [4] Début aigu Quotient PaO2/FiO2 <200 mm Hg = SDRA <300 mm Hg = ALI Infiltrats pulmonaires bilatéraux sur la radiographie du thorax Pression artérielle pulmonaire (PAP) bloquée <18 mm Hg ou absence de signes cliniques d’insuffisance cardiaque gauche AECC = Conférence consensus américano-européenne. Tableau 2. Dans le Lung Injury Score (LIS), la somme de tous les points est divisée par le nombre de critères retenus. Un score de >2,5 est celui d’un grave SDRA. A la phase aiguë du SDRA, le LIS ne donne aucun argument pronostique et n’a donc aucun intérêt diagnostique, surtout du fait qu’une insuffisance cardiaque gauche ne peut être clairement exclue [6]. Lung Injury Score (LIS) Points Opacités alvéolaires radiologiques Aucune 1 quadrant 2 quadrants 3 quadrants Tous les quadrants 0 1 2 3 4 Quotient PaO2/FiO2 0300 225–299 175–224 100–174 <100 0 1 2 3 4 PEEP 95 mbar 6–8 mbar 9–11 mbar 12–14 mbar 015 mbar 0 1 2 3 4 Compliance effective >80 ml/cm H2O 60–79 ml/cm H2O 40–59 ml/cm H2O 20–39 ml/cm H2O 919 ml/cm H2O 0 1 2 3 4 Pathogenèse et histopathologie La phase exsudative précoce du SDRA (fig. 1 x) est marquée par des lésions diffuses des cellules alvéolaires et endothéliales et déclenchée par une pathologie pulmonaire ou extrapulmonaire. Les macrophages alvéolaires sécrètent des cytokines (par ex. interleukine-1, IL-6, IL-8, TNFa) qui provoquent une invasion de granulocytes neutrophiles et la diffusion d’un liquide riche en protéines dans les alvéoles. Un œdème pulmonaire non hydrostatique se produit avec l’atteinte toujours plus marquée de la membrane alvéolo-capillaire [11]. Le surfactant est inactivé, sa production est inhibée par l’atteinte des cellules alvéolaires de type II. D’importantes atélectasies suivent. Favorisés par un déséquilibre systémique et local entre facteurs pro- et anticoagulants se forment des thrombi microvasculaires dans les capillaires pulmonaires [2, 9]. Chez quelques patients, la phase exsudative évolue vers une phase fibroproliférative. Avec une réaction inflammatoire chronique et la prolifération de myofibroblastes apparaît une fibrose pulmonaire avec néoformation vasculaire. Nul ne sait pourquoi certains Tableau 3. Etiologies et facteurs de risque de manifestation d’ALI/SDRA en fonction de leur fréquence [7]. Pathologie pulmonaire directe 55–75% des cas Pathologie pulmonaire indirecte 25–45% des cas Pneumonie Septicémie Aspiration Polytraumatisme Traumatisme par inhalation Choc de toute étiologie Contusion pulmonaire Pancréatite aiguë Embolie graisseuse Lésion pulmonaire associée à une transfusion (TRALI) Noyade Pathologie de reperfusion Coagulation intravasculaire disséminée Brûlures Traumatisme crâniocérébral Pontage cardio-pulmonaire Intoxications (par ex. héroïne) Forum Med Suisse 2011;11(14):246–252 247 curriculum patients récupèrent à la phase précoce déjà et d’autres passent par une évolution à long terme [9]. Concepts de la prise en charge de patients SDRA Le traitement de la maladie déclenchante et la prévention des lésions pulmonaires et des organes extrapulmonaires secondaires sont au centre de la prise en charge. Nous nous concentrerons ici sur certains points fondamentaux de la ventilation mécanique des patients souffrant d’un SDRA. En règle générale, les patients SDRA en phase précoce sont ventilés selon une stratégie dite contrôlée, c.-à-d. avec un volume inspiratoire (VT) ou une pression respiratoire (Paw) préréglés à fréquence fixe. Les techniques d’assistance de la ventilation spontanée (c.-à-d. le respirateur fonctionne dès que le patient en a déclenché le mécanisme de mise en route) ne sont utilisées qu’après une certaine évolution et pendant le sevrage du respirateur. Mécanique du système respiratoire La mécanique du système respiratoire est à la base de la compréhension de la stratégie de ventilation et de la prévention des lésions pulmonaires induites par le ventilateur (VILI). Les éléments clés sont la pression respiratoire (Paw), la force donnée pour l’expansion des poumons et de la cage thoracique, de même que les forces élastiques de rappel en opposition (élasticité E = Dp/DV = 1/compliance). Les élasticités des poumons et de la cage thoracique sont en série et leur total donne l’élasticité du système respiratoire dans son ensemble (Ers = Eth + Elu = 1/Cth 1/Clu). Les patients SDRA ont d’abord une plus grande élasticité (moins bonne compliance) de leurs poumons mais aussi de leur cage thoracique (par ex. par œdèmes ou épanchements) (fig. 2 x). La Paw donnée est proportionnellement répartie sur une pression pour l’expansion des poumons (Ptp = pression transpulmonaire) et une pour l’expansion de la cage thoracique. Pour l’expansion des poumons et les lésions qui en résultent (VILI), c’est uniquement la Ptp et non la pression respiratoire totale qui est importante [12]. La Ptp correspond à la différence entre la pression dans les Figure 1 Phase aiguë du SDRA: avec la destruction de l’épithélium bronchique et alvéolaire se forment des membranes hyalines riches en protéines sur la membrane basale mise à nu. L’espace alvéolaire est rempli par un œdème riche en protéines. Les granulocytes neutrophiles migrent de l’endothélium lésé dans l’espace alvéolaire, attirés par des cytokines chimiotactiques des macrophages. (Tiré de: Ware M. The Acute Respiratory Distress Syndrome. NEJM. 2000;342:1334–49, avec l’aimable autorisation de la Massachusetts Medical Society. Tous droits réservés.) Forum Med Suisse 2011;11(14):246–252 248 curriculum alvéoles mesurée pendant une manœuvre de blocage («hold») télé inspiratoire et la pression pleurale (Ptp = Paw – Ppl) [13, 14]. Comme substitut de la pression pleurale difficilement mesurable, il est possible de mesurer la pression dans le tiers distal de l’œsophage (Poes) par une sonde à ballonnet (Ptp = Paw – Poes). Si les élasticités des poumons et de la cage thoracique restent uniformément réparties la Ptp est directement proportionnelle au volume inspiratoire [13]. Figure 2 Courbe pression-volume. Le rapport entre la pression donnée et le volume pulmonaire qui en résulte suit une courbe en S caractéristique en 3 phases. Du fait que les alvéoles collabées ne sont recrutées qu’après dépassement d’une pression de réouverture, à l’extrémité inférieure de la courbe, il est nécessaire d’avoir une Paw relativement élevée pour changer le volume. Lorsque pratiquement tout le poumon est ouvert, l’augmentation de la Paw provoque une expansion du tissu pulmonaire avec une variation minime seulement du volume pulmonaire. Dans la partie linéaire de la courbe, la variation de volume est la plus grande pour une augmentation donnée de la Paw. C’est là que la compliance du système respiratoire est la meilleure. Chez les patients SDRA, la courbe pression-volume est aplatie et déplacée vers la droite. Le domaine de la meilleure compliance est nettement plus plat et plus restreint. Figure 3 Tomographie computérisée d’un patient souffrant d’un SDRA. Les infiltrats sont diffusément répartis dans tout le parenchyme pulmonaire. Les régions dorsales sont comprimées par l’œdème sus-jacent et atélectasiées. Modèles de compartiments: baby lung et sponge model Les examens par tomographie computérisée de patients SDRA montrent souvent des zones collabées dans les régions dorsales et des infiltrats plus ou moins importants dans les régions centrales et ventrales (fig. 3 x). La distribution de ces infiltrats reflète les propriétés mécaniques hétérogènes à l’intérieur des poumons. En fonction de la Paw et de la compliance pulmonaire locale, certaines zones peuvent être soit ouvertes (recrutées) soit collabées (atélectasiées). En fonction du recrutement, le volume pulmonaire fonctionnel pour l’échange gazeux peut être plus ou moins diminué (baby lung) [15]. A la phase précoce, les infiltrats pulmonaires sont fonction de la gravitation. Les régions inférieures sont comprimées par le poids du tissu œdémateux sus-jacent et l’air est soustrait aux alvéoles par un lourd parenchyme humide. Le poumon se comporte comme une éponge pleine d’eau (sponge model, fig. 4A x). En décubitus ventral, il se produit une redistribution de la compression pulmonaire suivant la gravitation (prone position, fig. 4B x). Le baby lung n’est donc pas, à la phase précoce du moins, une structure anatomique fixe et la compliance diminuée d’un poumon SDRA est moins la conséquence des propriétés élastiques altérées du tissu pulmonaire que de la diminution du volume fonctionnel [15]. Les concepts de baby lung et de sponge model donnent les bases physiopathologiques du choix du volume inspiratoire (VT) et de la pression télé expiratoire positive (PEEP), de même que du décubitus ventral intermittent du patient. VT et PEEP pour la ventilation protégeant le poumon Comme le baby lung doit accepter tout le VT un VT faible est capital pour la ventilation ménageant les poumons. La PEEP s’oppose dans les alvéoles au poids du tissu sus-jacent, diminue le collapsus expiratoire cyclique et rouvre des secteurs pulmonaires lors de l’inspiration. Plusieurs études d’expérimentation animale et cliniques ont montré que des VT relativement faibles (env. 6 ml/kg de predicted body weight [PBW]) combinés à une pression plateau (Pplateau) télé inspiratoire inférieure à 30 cm H2O contribuent à diminuer les lésions pulmonaires induites par le ventilateur (VILI), de même que la morbidité et la mortalité, comparativement à des VT plus importants et à une Pplateau plus élevée [16–19]. Des PEEP élevées sont associées dans certaines études à une meilleure oxygénation, mais à un meilleur résultat qu’en cas de grave hypoxémie dans les méta-analyses [20–22]. Bien qu’en pratique, ce soient souvent les formules et algorithmes publiés dans la grande étude ARDSNet qui règlent le VT et la PEEP (tab. 4 p) [16], un tel schéma ne permet pas de tenir compte de la physiologie pulmonaire individuelle. Nous recourons souvent à une alternative présentée dans les figures 5A et B x. Pour chaque patient, nous calculons le VT et la PEEP permettant une ventilation linéaire sur la courbe pression-volume (c.-à-d. dans le domaine de la compliance la plus élevée du système respiratoire) [23]. Le but est de choisir le VT et la PEEP de manière à prévenir un collapsus alvéolaire à répétition en dessous de la zone d’inflexion inférieure de la courbe pression-volume et une expanForum Med Suisse 2011;11(14):246–252 249 curriculum A B Figure 4 Sponge model. A Dans le SDRA, l’œdème est véritablement homogène dans l’ensemble du poumon. Sans gravitation, le poumon aurait une répartition gaz-tissu uniforme de ventral à dorsal (moitié gauche de l’image). La gravitation provoque une compression des segments pulmonaires dépendants par le poids du tissu sus-jacent. Le quotient gaz-tissu diminue (moitié droite). B En décubitus dorsal, les segments pulmonaires dorsaux auparavant comprimés sont recrutés et de nouveau fonctionnels pour l’échange gazeux (modifié d’après [15]). sion des poumons en dessus de zone d’inflexion supérieure. Cette méthode présuppose idéalement une musculature respiratoire totalement inactive. Il faut savoir à ce propos qu’une estimation de la pression transpulmonaire absolue (Ptp) avec le VT et la Paw donnés n’est pas fiable, la Ptp étant déterminante pour les lésions pulmonaires induites par le ventilateur [12, 13]. Il a été démontré que la Ptp est intéressante et peut être utilisée pour le réglage individualisé des paramètres ventilatoires (par ex. PEEP) et pour l’oxygénation [24], mais les conséquences sur les paramètres d’issue les plus importants n’ont pas encore été suffisamment examinées jusqu’ici. Recrutement des poumons Bien que des Paw brièvement hautes puissent ouvrir (recruter) des secteurs collabés et améliorer l’oxygénation, aucun bénéfice à long terme de telles manœuvres de recrutement n’a été démontré [25]. Pour le recrutement soit la PEEP est progressivement augmentée (par ex. manœuvre de Lachmann), soit nous effectuons un blocage (hold) télé inspiratoire. Pour obtenir une pression d’ouverture suffisante (souvent >30–35 cm H2O) [26], il faut normalement augmenter passagèrement le VT. Les secteurs pulmonaires nouvellement recrutés peuvent ensuite être gardés ouverts par augmentation de la PEEP. Le succès du recrutement peut se voir par une meilleure oxygénation d’une part, et de l’autre par des pressions inspiratoires plus basses (meilleure compliance pulmonaire) avec les mêmes réglages qu’avant le recrutement. Un examen par TC avant et immédiatement après une manœuvre permet le mieux de savoir si des secteurs pulmonaires peuvent être recrutés [27]. L’intérêt d’une manœuvre de recrutement doit être pesé dans chaque cas contre une éventuelle diminution de la fonction cardiaque, surtout ventriculaire droite, ou contre le risque de barotraumatisme. Autres mesures et traitements Les stéroïdes peuvent influencer dans le bon sens la grave réaction inflammatoire du SDRA. Une méta-analyse récente a pu démontrer un avantage de la corticothérapie sur la mortalité et la diminution des journées de ventilation et d’hospitalisation aux soins intensifs, sans davantage de graves complications. Les stéroïdes doivent être utilisés rapidement (c.-à-d. dans les 2 premières semaines) et à dose modérée (0,5–2,5 mg/kg/ jour d’équivalent de la méthylprednisolone) [28, 29]. La durée du traitement n’est pas parfaitement établie (7–28 jours dans les études poolées). Les infections doivent être recherchées activement. Utilisés à la phase tardive et à hautes doses, les stéroïdes peuvent par contre augmenter la mortalité. Le blocage neuromusculaire dans les 48 premières heures abaisse la mortalité des patients souffrant d’un grave SDRA, ce que montre un tout récent travail [30]. Mais l’emploi généralisé des myorelaxants reste controversé. Plusieurs compléments thérapeutiques entrent en considération chez les patients en hypoxémie réfractaire. En décubitus ventral («prone positioning»), les segments pulmonaires dorso-basaux collabés peuvent souvent être recrutés pour l’échange gazeux (fig. 4B). Les méta-analyses ne montrent des avantages sur la mortalité que pour les patients en très grave hypoxémie (PaO2/FiO2 <100 mm Hg) [31–33]. L’inhalation du puis- Tableau 4. Choix de VT, PEEP et FiO2 dans l’étude ARDSNet [16]. Le poids corporel idéal (PBW) pour le calcul de la VT est obtenu par les formules: pour les hommes PBW = 50,0 + 0,91 (taille en cm–152,4); pour les femmes PBW = 45,5 + 0,91 (taille en cm–152,4). FiO2 0,3 0,4 0,4 0,5 0,5 0,6 0,7 0,7 0,7 0,8 0,9 0,9 0,9 1,0 PEEP 5 5 8 8 10 10 10 12 14 14 14 16 18 18–24 Forum Med Suisse 2011;11(14):246–252 250 curriculum B A Figure 5 Titration du VT et de la PEEP. Graphique (A) et tableau (B) de calcul de la combinaison VT et PEEP donnant la meilleure compliance possible du système respiratoire (Crs). Le but est d’empêcher un collapsus alvéolaire à répétition (domaine de la zone d’inflexion inférieure) et une hyperexpansion cyclique (domaine de la zone d’inflexion supérieure). Avec un volume inspiratoire (VT) de 4 à 8 ml/kg de predicted body weight et une PEEP d’env. 5–15 cm H2O, les pressions alvéolaires télé inspiratoires (Pplateau) et télé expiratoires (PEEPtotal) sont données. Les valves du ventilateur sont fermées à la fin de l’inspiration et de l’expiration par la fonction «hold» jusqu’à ce que la pression dans les alvéoles soit égale à celle dans le respirateur (env. 10–20 sec). La compliance du système respiratoire est calculée par la différence entre pressions inspiratoire et expiratoire et le VT inspiratoire Crs = VT / (Pplateau – PEEPtotal). Ces mesures sont répétées en modifiant progressivement le VT (par ex. de 50 ml) à partir de différents niveaux de PEEP (par ex. augmentation ou diminution par étapes de 2 à 5 cm H2O). Est utilisée pour la ventilation la combinaison VT et PEEP donnant la Crs la plus haute. Avec une même Crs pour différentes combinaisons VT-PEEP, la préférence est donnée à des VT plus bas et/ou à des Pplateau télé inspiratoires plus basses. Une Pplateau d’env. 30–32 cm H2O ne devrait si possible pas être dépassée. Pendant les mesures, les effets sur la fonction cardiaque doivent être soigneusement observés et pris en compte dans le choix de la combinaison VT-PEEP. Les conditions pour ces mesures sont un ballonnet étanche du tube trachéal et l’absence d’activité inspiratoire et expiratoire du patient. sant vasodilatateur qu’est le monoxyde d’azote (iNO) peut élargir le lit vasculaire pulmonaire. Les secteurs ventilés sont mieux perfusés, l’oxygénation augmente et la postcharge du ventricule droit diminue [34]. L’iNO est intéressant surtout chez les patients présentant une dysfonction cardiaque droite. Avec une hypercapnie marquée et/ou un grave trouble de l’oxygénation, il est possible d’envisager des techniques extracorporelles d’élimination du CO2 (par ex. pumpless extraxcorporal lung assist [pECLA, Nova Lung®]) avec ou sans oxygénation membranaire (ECMO) [35]. Les données sur les bénéfices et risques de toutes ces techniques sont toutefois controversées. Leur indication doit être posée sur le mode restrictif et elles doivent être réservées à des centres expérimentés [36] et leurs effets souhaités doivent être étroitement contrôlés et réévalués. Les résultats souvent prometteurs dans les études précliniques des traitements par plusieurs substances modulatrices de l’immunité ou de la coagulation, de même que par le surfactant, n’ont pas pu être reproduits jusqu’ici dans les études cliniques. Frank et al. en donnent un aperçu complet [37]. Effets secondaires de la ventilation mécanique Les quelque 20 000–30 000 cycles respiratoires par jour peuvent endommager le poumon par hyperexpansion cyclique (volutraumatisme) et par collapsus et réouverture à répétition (atélectraumatisme) (VILI). Le stimulus mécanique des cellules déclenche par mécanotransduction la sécrétion de cytokines (biotraumatisme) pouvant être à l’origine d’une réaction inflammatoire systémique et d’une éventuelle atteinte secondaire d’organes extrapulmonaires («spill over») [38]. La diminution des cycles respiratoires et du VT peut d’une part minimiser un VILI mais aussi provoquer une hypercapnie non négligeable et une acidose respiratoire. Une acidose respiratoire modérée (pH >7,2) est souvent tolérée longtemps sans conséquence négative (hypercapnie permissive). Mais une certaine prudence est de rigueur chez les patients ayant une hypertension intracrânienne, une hypertension artérielle pulmonaire, une insuffisance cardiaque droite et une insuffisance rénale sévère. Le système cardiovasculaire et le bilan liquidien jouent un rôle déterminant dans le management des patients SDRA [39]. Des pressions intrathoraciques élevées sous l’effet de la ventilation peuvent amputer la fonction du ventricule droit en diminuant la pré- et augmentant la postcharge [40]. Du fait notamment qu’une insuffisance cardiaque droite péjore énormément le pronostic, une surveillance soigneuse et l’expérience dans le traitement d’une dysfonction cardiaque sont des points déterminants dans la prise en charge des patients SDRA. Une évaluation continue et l’intégration de toutes les interventions thérapeutiques dans un processus itératif sont également capitales. Pronostic à long terme et guérison De nombreux survivants à un SDRA peuvent récupérer totalement en 6–12 mois. La moitié gardera un trouble ventilatoire restrictif avec diminution de la capacité de diffusion, qui ne posera que rarement un problème dans les activités courantes ou rendra dépendant de Forum Med Suisse 2011;11(14):246–252 251 curriculum l’oxygène. Les séquelles fréquentes sont celles du système neuromusculaire. Environ 70% des survivants à un SDRA feront aux soins intensifs une polyneuropathie de critical illness [41]. 25–50% souffrent d’un état de stress post-traumatique et de dépressions, et pratiquement tous de séquelles neurocognitives (troubles de la mémoire, de la concentration et de l’attention) qui s’amélioreront au cours de la première année il est vrai, mais ne disparaîtront pas entièrement [10–42]. Leur qualité de vie est amputée surtout pendant la première année après leur passage aux soins intensifs. Ces patients restent souvent en incapacité de travail partielle [41]. Leur survie à long terme n’est pas touchée. Conclusion Bien que le SDRA fasse partie des maladies rares selon les critères de l’OMS, ces patients consomment une part disproportionnée des ressources du système de la santé publique. La morbidité et la mortalité de ce syndrome restent pratiquement toujours aussi élevées malgré les très importants progrès dans la compréhension de sa physiopathologie au cours de ces dernières décennies et aucun traitement pharmacologique spécifique n’a pu s’établir. Une stratégie de ventilation pneumoprotectrice pour minimiser les lésions pulmonaires secondaires comprend de faibles volumes inspiratoires (VT) impliquant une PaCO2 élevée (hypercapnie permissive). Sur la base de considérations physiologiques, les patients ayant des secteurs pulmonaires recrutables peuvent être traités par des PEEP plus élevées. Des méta-analyses récemment publiées ont montré que chez les patients souffrant d’un grave SDRA hypoxique (contrairement à ceux sans SDRA) des PEEP plus élevées sont avantageuses au stade initial et peuvent abaisser la mortalité. Bien que le décubitus ventral intermittent n’ait pas montré d’avantages dans les grandes études cliniques, il permet souvent d’améliorer l’oxygénation et de gagner du temps. Deux nouvelles méta-analyses ont montré que les patients le plus gravement atteints (PaO2/FiO2 <100 mm Hg) profitent le plus d’un décubitus ventral intermittent. Cette technique doit être vérifiée soigneusement dans chaque cas. Les techniques extracorporelles d’élimination du CO2 ou d’oxygénation sont réservées à des cas sélectionnés et à des centres expérimentés. Remerciements Nous remercions cordialement le Dr Reto Orfei d’Olten d’avoir bien voulu lire le manuscrit avec l’esprit critique d’un interniste et médecin de famille. Nous remercions également le Prof. Peter Vock, directeur de l’institut universitaire de radiologie diagnostique, interventionnelle et pédiatrique de l’Inselspital, d’avoir mis à notre disposition les clichés de tomographie computérisée. Correspondance: Dr Lukas Brander Universitätsklinik für Intensivmedizin Universitätsspital Bern, Inselspital CH-3010 Bern [email protected] Références recommandées – Wilcox ME, Herridge MS. Long-term outcomes in patients surviving acute respiratory distress syndrome. Semin Respir Crit Care Med. 2010;31:55–65. – Frank AJ, Taylor Thompson B. Pharmacological treatments for acute respiratory distress syndrome. Curr Opin Crit Care. 2010;16:62–8. – Gattinoni L, Carlesso E, Cressoni M. Assessing gas exchange in acute lung injury/acute respiratory distress syndrome: diagnostic techniques and prognostic relevance. Curr Opin Crit Care. 2011;17: 18–23. – Fan E, Needham DM, Stewart TE. Ventilatory management of acute lung injury and acute respiratory distress syndrome. JAMA. 2005; 294:2889–96. – Gattinoni L, Caironi P, Cressoni M, Chiumello D, Ranieri M, Quintel M, et al. Lung recruitment in patients with the acute respiratory distress syndrome. 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