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L’infarctus du myocarde post-opératoire :
nouveaux critères diagnostiques
et pronostiques
Y. LEMANACH, P. CORIAT
L’enquête SFAR-INSERM, publiée fin 2003, confirme la place de
l’insuffisance coronaire aiguë dans les pathologies responsables de la morbidité
post-opératoire en chirurgie non cardiaque. Les contraintes de la période
opératoire déstabilisent la maladie coronarienne chronique, exposant l’opéré
prédisposé à un syndrome coronarien aigu avec dommage myocardique. Cette
complication recouvre un large spectre d’atteinte allant de la nécrose limitée de
quelques cellules myocardiques à l’infarctus antérieur étendu responsable d’un
choc cardiogénique.
La viabilité des cellules myocardiques est le principal facteur conditionnant
l’espérance de vie du patient coronarien. L’introduction de ce concept de capital
myocardique permet de fixer l’objectif de l’anesthésie du patient coronarien
pour une chirurgie non cardiaque : l’intégrité du capital myocardique préexistant
au décours de la période post-opératoire.
Nouveaux critères du diagnostic biologique
de l’infarctus du myocarde post-opératoire
Le dosage de l’isoforme cardiaque de la troponine (TnIc) dans le plasma,
actuellement réalisé en routine, permet de disposer d’un marqueur hautement
spécifique de la nécrose myocardique aiguë dont le résultat n’est pas affecté par
l’intervention chirurgicale. La TnIc s’élève dans les trois premières heures qui
font suite à une nécrose myocardique aiguë et des taux significativement élevés
persistent pendant les cinq à sept jours suivants. Ceci permet un diagnostic
Correspondance : Département Anesthésie-Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière,
AP-HP, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France, e-mail : [email protected]
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précis de la nécrose myocardique aiguë post-opératoire. Le taux de troponine
TnIc plasmatique noté après l’intervention reflète l’étendue de la nécrose
cellulaire myocardique et conditionne la morbidité et la mortalité à cours et à
moyen terme de cette complication.
La très grande spécificité de troponine en tant que critère diagnostique de
la nécrose myocardique aiguë a conduit à diminuer le seuil de troponine à partir
duquel le diagnostic d’infarctus du myocarde peut être affirmé, à la fois dans le
domaine de la cardiologie médicale et de l’anesthésie-réanimation. Toute valeur
de troponine supérieure au quatre-vingt-dix-neuvième percentile de la
distribution des valeurs normales du laboratoire doit être considérée comme
anormale [1, 2]. Ce nouveau critère, validé par la société américaine de
cardiologie, conduit à considérer toute valeur de troponine au-dessus de ce seuil
comme le témoin d’une nécrose myocardique aiguë dont l’étendue est
proportionnelle au taux de troponine.
De très nombreuses études, réalisées chez des malades souffrant d’un
syndrome coronarien aigu admis en milieu cardiologique, ont confirmé l’intérêt
diagnostique et pronostique du taux de troponine qui se révèle avec constance
d’une grande fiabilité même lorsque la valeur de troponine n’est que
modérément élevée [1-4]. L’importance de prendre en compte des valeurs
anormales de troponine, même lorsque l’élévation n’est que modérée,
largement démontrée en milieu cardiologique, a été confirmée dans le cadre de
la période post-opératoire chez les opérés de chirurgie générale souffrant de
pathologie coronaire. De très nombreuses études confirment que l’espérance de
vie de l’opéré est altérée pour des élévations faibles du taux de troponine après
chirurgie générale [5-7]. Ainsi, en post-opératoire comme en milieu
cardiologique, toute valeur de troponine au-dessus du seuil de normalité défini
par le laboratoire atteste du développement d’une nécrose myocardique qui
impose des mesures thérapeutiques spécifiques.
Les premières études qui ont recherché une corrélation entre le taux de
troponine post-opératoire et la gravité des complications cardiaques post-
opératoires avaient conduit à retenir la valeur seuil de 1,5 ng/ml comme témoin
de la constitution d’une nécrose myocardique ayant un impact significatif sur la
morbidité et la mortalité post-opératoires [6]. Des études plus récentes, évaluant
l’espérance de vie de l’opéré coronarien six mois et deux ans après une
chirurgie générale en fonction du taux de troponine post-opératoire, montrent
que l’espérance de vie des opérés est altérée dès que le taux de troponine post-
opératoire est supérieur à 0,5 ng/ml (Tabl. I). Il apparaît donc que la valeur seuil
de troponine qu’il faut retenir comme critère de nécrose myocardique
retentissant sur l’espérance de vie doit être abaissée à 0,5 ng/ml, généralement
considérée comme anormale par les laboratoires en charge du dosage de la
troponine dans les études de la littérature. Actuellement, le seuil d’anormalité
de la troponine a été abaissé dans la plupart des laboratoires à la valeur de 0,2
ou 0,3 ng/ml qu’il faut prendre comme seuil diagnostic [8].
C’est pourquoi il faut donc porter le diagnostic de nécrose myocardique
aiguë post-opératoire altérant l’espérance de vie à moyen terme devant toute
élévation du taux de troponine supérieure à la norme du laboratoire (0,3-
0,4 ng/ml) [1, 8]. Pour des valeurs comprises entre 1,5 ng/ml et 3 ng/ml, on peut
parler de nécrose myocardique aiguë d’étendue suffisante pour augmenter de
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façon significative la morbidité post-opératoire et la mortalité à moyen terme.
Des valeurs de troponine post-opératoires supérieures à 3 ng/ml révèlent la
constitution d’une nécrose myocardique aiguë suffisamment étendue pour
mettre en jeu le pronostic vital immédiat de l’opéré.
Ce nouveau critère diagnostique de la nécrose myocardique aiguë post-
opératoire qui prend en compte des infarctus du myocarde d’étendue limitée
non détectés par le passé doit nous conduire à redéfinir l’incidence de
l’infarctus du myocarde post-opératoire largement sous-estimée chez les opérés
aux réserves coronaires limitées et chez les opérés de chirurgie vasculaire. Une
étude prospective, portant sur 1 150 opérés de chirurgie aortique, retrouve un
taux de troponine au-dessus de la valeur seuil de 0,2 ng/ml chez 17 % de la
population alors que la troponine post-opératoire ne s’est élevée au-dessus de
1,5 ng/ml que chez 5 % des opérés.
Tableau I
Pourcentage de survie des opérés en fonction du taux de troponine post-opératoire [5].
Plus le taux est élevé, plus l’espérance de vie est diminuée.
Pourcentage de survie
Taux de troponine (ng/ml) 1 an 2 ans 4 ans
< 0,6 96 % 88 % 83 %
0,6-1,5 90 % 80 % 72 %
1,5- 3,1 76 % 64 % 60 %
> 3,1 75 % 60 % 48 %
Physiopathogénie de l’infarctus post-opératoire
L’insuffisance coronaire instable
L’insuffisance coronaire instable est un état à haut risque bien individualisé
en tant que forme clinique de la maladie coronarienne. Dans le passé, le
diagnostic d’insuffisance coronaire instable était porté sur des douleurs
angineuses dont les facteurs déclenchant s’étaient modifiés [9]. Actuellement,
ce sont les marqueurs biologiques du dommage, au premier rang desquels la
troponine,qui mettent en évidence cette phase critique de la maladie
coronarienne généralement associée à une nécrose myocardique. En effet, une
élévation du taux de troponine plasmatique est retrouvée chez un tiers des
malades souffrant d’un angor instable de repos ; elle est présente chez 10 % des
malades dont l’angor instable n’est révélé que par une modification de la
survenue des douleurs angineuses à l’effort [2]. L’observation d’une nécrose
myocardique biologique au cours d’un syndrome coronaire clinique a une
valeur pronostique péjorative.
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Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de l’insuffisance
coronaire instable sont actuellement parfaitement démontrés.
Il s’agit :
- d’une thrombose non occlusive de l’artère coronaire sur une plaque
athéromateuse ;
- d’une obstruction coronaire dynamique ;
- d’un rétrécissement important du diamètre coronaire secondaire à une
sténose progressive ;
- d’un état inflammatoire [4].
Les études angiographiques ont montré que la formation d’une thrombose
au niveau d’une plaque d’athérome coronaire et/ou d’une sténose coronaire
complexe était à l’origine de l’aggravation brutale de la maladie coronaire.
Le rôle de l’inflammation chez les malades souffrant d’un angor instable a
été mis en évidence par des augmentations significatives de la CRP et du
fibrinogène. Il a été montré que l’inflammation n’est pas seulement la
conséquence mais également le facteur déclenchant de l’instabilité de la
maladie coronarienne [9]. Les phénomènes inflammatoires favorisent la
formation d’ischémie myocardique par des effets directs et indirects ; ils
fragilisent la paroi des plaques d’athérome coronaire. En post-opératoire,
l’hypercoagulabitlité, l’augmentation des mécanismes de l’inflammation et,
surtout, l’augmentation de la consommation du myocarde en oxygène sont
autant d’éléments présents qui favorisent la décompensation d’une maladie
coronarienne chronique jusqu’alors équilibré.
La nécrose myocardique post-opératoire
Seules les études épidémiologiques prospectives où la survenue de lésions
ischémiques myocardiques post-opératoires a été spécifiquement recherchée
permettent de déterminer l'incidence exacte de cette complication, sa morbidité
et sa mortalité. L’insuffisance coronaire aiguë post-opératoire n’est pas
accompagnée de douleur thoracique. De plus, la nécrose myocardique aiguë
post-opératoire est rarement transmurale, réduite dans plus de 80 % des cas au
sous-endocarde. Ainsi, sa traduction électrocardiographique est tout au plus
limitée à un sous-décalage du segment ST qui persiste plusieurs jours [10, 11].
Son diagnostic est donc difficile, il repose essentiellement sur les marqueurs
biologiques.
Plusieurs facteurs rendent compte de la morbi-mortalité élevée de la
nécrose myocardique aiguë post-opératoire :
- son diagnostic difficile et souvent retardé ;
- le conservatisme thérapeutique, la nécrose myocardique aiguë post-
opératoire étant fréquemment considérée comme une fatalité ;
- la présence habituelle de pathologies associées à l’origine de
complications croisées, cardiaques, pulmonaires et rénales.
Chronologie de la nécrose myocardique aiguë
Les études réalisées dans les années 1980 où l'infarctus du myocarde post-
opératoire était recherché par un électrocardiogramme réalisé toutes les
douzeheures après l’intervention suggéraient que cette complication survenait
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le deuxième ou le troisième jour post-opératoire. Des études plus récentes où
les nécroses myocardiques post-opératoires ont été détectées par des dosages
répétés de troponine révèlent qu'en fait la survenue de l'infarctus du myocarde
post-opératoire est beaucoup plus précoce, dans les 48 heures après la fin de
l'intervention [6, 7].
Un déséquilibre de la maladie coronaire qui s’installe de façon silencieuse
chez les opérés coronariens au cours de la période post-opératoire est confirmé
par les dosages répétés des marqueurs biologiques du dommage myocardique.
Le dosage répété au cours de la période post-opératoire du taux de troponine Ic
a permis de déterminer trois profils évolutifs différents du dommage
myocardique post-opératoire mettant en évidence les différents mécanismes à
l’origine de la nécrose myocardique post-opératoire de pronostic différent
(Tabl. II).
Les différents types de nécrose myocardique aiguë post-opératoire
Une étude prospective réalisée chez 1 100 opérés de chirurgie aortique
nous a permis de déterminer la fréquence respective de ces différents types
d’infarctus du myocarde post-opératoires et le moment où ils surviennent en
post-opératoire. La figure 1 représente les profils biologiques post-opératoires
du dommage myocardique évalué par le taux de troponine pour les trois types
de nécrose myocardique.
Fig. 1. - Évolution des dosages de troponine dans les trois types de nécrose myocardique post-
opératoire identifiées d’après le profil biologique du dommage myocardique post-opératoire.
0 6 12 18 24 30 36 42 48 54 60 66 72 78 84
0
20
40
60
1
2
4
6
Heures post-opératoires
Troponine (ng/ml)
1 Infarctus inaugural, sans pr odrome biologique
2 Insuffisance coronaire i nstable puis infarctus patent
3 Insuffisance coronaire instable et/ou nécrose sous-endocardique
d’étendue limitée
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