Des systèmes juridiques aux performances économiques : que

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Des systèmes juridiques aux performances économiques : que
mesurent les indicateurs des systèmes juridiques ?1
Thierry Kirat
CNRS-IRISES
Université de Paris Dauphine
Place du maréchal de Lattre de Tassigny
75775 Paris cedex 16
août 06
L’importance économique des institutions ne fait plus l’objet de contestations dans la théorie
économique, depuis les travaux de Douglas North (1990) et diffusion du paradigme de la
Nouvelle économie institutionnelle notamment. La place des droits de propriété, en tant
qu’outils de la sécurisation des transactions, d’allongement de la temporalité des anticipations
des agents et de l’appropriation du rendement des investissements, est considérée comme
centrale dans la dynamique et les performances économiques (Cross, 2002) ; l’essor de
l’activité économique conduite dans la sphère de la légalité et le reflux de l’économie
souterraine deviennent sources d’accumulation du capital et de sortie de la pauvreté dans le
Tiers-Monde (De Soto, 2005). Cependant, l’intérêt pour les institutions juridiques et leurs
effets sur la dynamique économique, après avoir été éminent dans les travaux de John R.
Commons (1924) et d’autres économistes institutionnalistes (John Maurice Clark, 1926), a
connu une longue période d’éclipse avant de revenir sur le devant de la scène depuis la fin des
années quatre-vingt dix. Se développent en effet des analyses approfondies des institutions
juridiques, mais aussi politiques, sous les angles de leurs déterminants et de leurs impacts sur
les performances économiques. Les analyses des déterminants des arrangements
institutionnels tendent désormais à prendre de la distance vis-à-vis des théories de la sélection
naturelle des institutions efficientes, comme cela pu être soutenu dans des perspectives
hayékiennes. Les analyses des conséquences de différentes configurations institutionnelles
relatives aux systèmes juridiques sont souvent placées dans une perspective empirique,
quantitative et comparative. Ainsi, le droit des marchés financiers, le droit des sociétés et la
réglementation bancaire ont pu être, également, analysés comme déterminants dans le
développement des marchés efficients du capital (La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer,
Vishny, 1997 ; Levine, 1999). Mais la littérature a maintenant débordé le champ couvert par
le courant Law and Finance pour entrer dans des domaines nouveaux : l’organisation
judiciaire, la réglementation du licenciement, la séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs
et judiciaires, les institutions politiques, la Constitution et l’Etat de droit... Dans ce cadre, sont
désormais mises au premier plan les familles de droit, c’est-à-dire les systèmes juridiques des
nations, particulièrement les systèmes de droit anglo-américain dits de common law, et les
systèmes qui se situent dans la tradition romano-germanique, dits de droit civil.
Une idée se dégage de la littérature : les systèmes de common law, marqués par une faible
codification du droit et une contribution importante des tribunaux à la production du droit,
auraient une propension à faciliter la croissance plus importante que les systèmes de droit
civil, eux-mêmes caractérisés par une origine législative et réglementaire du droit et une place
ancillaire accordée aux tribunaux. Les pays de droit civil auraient une tendance à l’hyper-
1
à paraître en 2007 in : T. Kirat et S. Montagne (dir.), Les institutions juridiques du capitalisme :
reconsidérations du droit dans la dynamique économique - Editions Bruylant (Bruxelles),
collection Droit et Economie.
1
réglementation, alors que ceux qui appartiennent au monde du droit anglo-américain se
caractérisent par une production modérée de lois et règlements et une plus grande liberté
politique et économique des agents.
La mesure quantitative des institutions juridiques est devenue une question centrale dans
l’analyse économique à orientation macroéconomique, ce qui constitue une innovation
importante par rapport au courant Law and Economics qui détenait jusque là, en quelque
sorte, le monopole de l’analyse économique du droit, par ailleurs essentiellement
microéconomique. La méthode des indicateurs est devenue courante aussi bien dans le milieu
académique que dans celui des institutions multilatérales, en premier lieu de la Banque
mondiale qui a confié à sa filiale la Société financière internationale la responsabilité d’un
programme de mesure et d’évaluation des systèmes juridiques de près de 150 pays : le
programme Doing Business, inspiré par les travaux et la méthode de Djankov, La Porta,
Lopez-de-Silanes et Shleifer. Mais est également concernée l’OCDE, dans le domaine plus
limité de la réglementation du marché du travail, avec l’élaboration d’un indicateur
synthétique dit « Législation de protection de l’emploi » (LPE). Au sein de cet ensemble de
travaux consacrés aux systèmes et institutions juridiques, un examen plus attentif permet d’en
distinguer plusieurs types :
-
d’abord ceux qui s’attachent aux indicateurs de l’Etat de droit, défini en référence à
plusieurs institutions participant à la gouvernance publique, et considèrent la relation
entre Etat de droit et croissance,
-
ensuite ceux qui d’attachent aux familles de droit, celles de la common law et du droit
civil notamment, et en considèrent l’impact sur la croissance, l’investissement ou les
systèmes de financement de l’économie,
-
enfin ceux qui mesurent les performances des systèmes juridiques eux-mêmes, en
allant à un niveau de détail très fin dans l’étude des systèmes judiciaires ou la
réglementation du marché du travail.
Cet article entend soutenir que, tout bien considéré, les analyses économiques comparatives
des systèmes juridiques n’ont à ce jour pas surmonté un « no-bridge » entre le droit et les
performances macroéconomiques surtout lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact économique de
règlementations et d’institutions précisément définies. Cela peut être argumenté en
considérant l’objet des estimations économétriques dominantes, qui portent davantage sur la
question des déterminants des institutions juridiques que sur celle des conséquences sur les
performances économiques. De plus, la nature des données de base et des méthodes de
construction d’indicateurs posent la question de la compréhension de ce qui est mesuré, c’està-dire de la représentation du droit et du fonctionnement des dispositifs juridiques.
1. L’émergence d’une économie comparative des systèmes juridiques
Un certain dynamisme caractérise l’analyse économique qui, depuis fin des années quatrevingt dix, a vu émerger une « Nouvelle économie comparative » (Djankov, La Porta, Lopezde-Silanes, Shleifer, 2004), des approches macro-économiques de la contribution des
institutions politiques (plus particulièrement des institutions démocratiques) et juridiques (à
savoir la « Rule of Law ») à la croissance, ainsi que ce que je suis tenté d’appeler une
« économie comparative des systèmes juridiques ». Il est incontestable que ces approches du
2
droit et des systèmes juridiques constituent une certaine rupture par rapport à la Law and
Economics dont elles se différencient à plusieurs égards :
-
par une perspective macroéconomique qui se substitue à la problématique de Law and
Economics d’évaluation microéconomique de l’efficience des règles juridiques,
par la réalisation systématique d’analyses comparatives,
par la conduite d’études empiriques et pragmatiques qui ne sont pas fondées sur un
modèle théorique (du moins explicite) a priori.
-
Si l’on devait définir la problématique centrale de ces travaux, on pourrait dire qu’ils estiment
que ce n'est pas le contexte politique qui explique les institutions juridiques et leur rapport à la
croissance, au développement ou aux performances macroéconomiques : c’est d’emblée dans
la sphère des institutions juridiques que se jouent ces enjeux. En effet, les traditions juridiques
des nations, c’est-à-dire leur appartenance au monde de la common law ou du droit civil, ne
sont pas neutres du point de vue des performances économiques ou institutionnelles, surtout
pour ce qui touche aux possibilités des pays en développement de sortir de la pauvreté. Les
analyses des institutions juridiques qui se développent désormais semblent, pour les plus
significatives d’entre elles, élargir nettement les perspectives ouvertes initialement dans le
domaine de la finance (Law and Finance). L’une des thèses centrales soutenues est que
l'efficience du système de financement des entreprises peut être rapporté au droit des sociétés
et du marché financier (c’est-à-dire aux dispositifs de protection des actionnaires). La
protection des intérêts des créanciers est un important déterminant du développement de la
finance externe ; le taux de croissance est plus soutenu dans les pays qui ont un marché
financier développé. Or, la protection des actionnaires minoritaires est plus forte dans les pays
de tradition de common law2.
L’objet de cette section est de passer en revue les contributions récentes les plus
significatives, qui reposent sur une base empirique et procèdent à des études quantitatives, et
non pas interprétatives ou discursives, des règles et des systèmes juridiques. On n’évoquera
donc pas les théories des institutions basées sur les coûts de transaction ou les droits de
propriété, dans la mesure où elles ne répondent pas aux deux critères avancés. On mettra
l’accent sur la conception de l’Etat et du politique que révèlent les analyses considérées.
1.1. Hayek aurait-il eu raison ?
Une première contribution influente, car souvent citée, est celle Paul G. Mahoney (2001), qui
constitue une tentative de mesure quantitative de la contribution des systèmes juridiques de
common law et de droit civil à la croissance.3
L’analyse proposée par Mahoney se situe dans le prolongement de la problématique de la
Law and Finance, mais elle approfondit la place de l'origine du droit dans la croissance en
considérant que le droit n'est pas seulement un déterminant du développement du marché
financier : il en est une cause. L’essai de Mahoney donne de la substance empirique à une
2
Voir Levine (1999) et La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny (1997).
3
Il faut reconnaître que cet objectif sonne juste, puisque l’efficience de la common law est
démontrée en Law and Economics, mais elle l’est de manière souvent insatisfaisante parce que de
manière discursive et sans analyse quantitative. Pour des exemples : Mackaay (2000) ; Ogus et
Faure (2002).
3
vision hayékienne : un droit judiciaire décentralisé (c’est-à-dire le droit de common law)
s’apparente à un ordre spontané qui assure davantage de liberté individuelle et de limites au
gouvernement que le droit rationaliste et constructiviste typique des constructions juridiques
napoléoniennes. Des « différences structurelles » séparent en effet les systèmes juridiques :
les pays de common law accordent au pouvoir judiciaire une plus grande indépendance que
les pays de droit civil qui, de leur côté, ont ceci de particulier qu’ils permettent à l’Etat
davantage de possibilité d'interférer avec la propriété et les droits contractuels qu’en régime
de common law4. Par conséquent, les pays de common law donnant davantage de liberté aux
citoyens, ils connaîtraient une croissance économique plus vigoureuse.
Les régressions économétriques réalisées par Mahoney à partir des données de croissance du
PIB per capita sur 102 pays couverts par les Penn World Tables5 sur la période 1960-1992. Il
s’agit de mesurer le lien entre une variable explicative (common law ou droit civil) et une
variable à expliquer (le taux de croissance du PIB par tête) avec quelques raffinements
progressivement introduits. Les résultats économétriques de Mahoney sont clairs :
-
les pays de common law ont connu une croissance annuelle en moyenne 0.64 % plus
rapide que ceux de droit civil,
le ratio moyen de détention de monnaie en banque est plus élevé dans les pays de
common law (0.81 contre 0.75).6
-
La conclusion de Mahoney ne souffre pas d’ambiguïtés : la common law est davantage
compatible avec la croissance que le droit civil, pour des raisons qui touchent entre autres aux
garanties accordées aux libertés individuelles et à l’autonomie de la sphère juridique par
rapport à l’Etat et au politique7. En effet, Mahoney soutient que si les pays de droit civil
connaissent davantage d'activités de recherche de rente et de redistribution que les pays de
common law, c’est parce que ce système juridique y est moins étanche aux pressions du
politique et de l’administration que dans les pays de common law. Or, il n’est pas intérêt de
constater que certains travaux importants se situent à la lisière du juridique et du politique, et
4
Cette présentation caricaturale et approximative est probablement imputable au fait que Mahoney
n’utilise que deux sources de droit comparé à l’appui de son étude : John M. Merryman, The Civil
Law Tradition: An Introduction of the Legal Systems of Western Europe and Latin America,
Stanford Univ. Press, 1985 ; Thomas Reynolds et Arturo Flores, Foreign Law: Current Sources of
Codes and Basic Legislation in Jurisdictions of the World, Fred B. Rothman & Co., 1989.
5
Base de données du Center for International Comparisons de l’Université de Pennsylvanie.
6
Mahoney a en effet réalisé une mesure de l'indicateur Contract Intensive Money (élaboré par
Clague, Keefer, Knack et Olson, 1999) défini comme le rapport M2-C/M2 : (C=monnaie hors
banque) les dépôts dans les banque)s reflètent la confiance dans les contrats : avec le
Gouvernement, que les dépôts sont remboursés, que les paiements sont compensés, et avec idée
que l'argent en banque est investissable à long terme porteurs du développement, alors que les
encaisses liquides sont allouées à des investissements de court terme.
7
La Porta, Lopez-de-Silanes, Pop-Eleches et Shleifer (2004) vont dans ce sens au terme d’une
étude économétrique des rapports entre les pouvoirs judiciaires et les libertés individuelles dans 71
pays. Leur idée est que le judiciaire constitue un contrepouvoir à l’Etat dans la mesure où elle est
indépendante du pouvoir exécutif et qu’elle assume un contrôle de constitutionnalité des actes de
l’Etat (« constitutional review »). Or, ces deux attributs sont davantage caractéristiques des
systèmes de common law que ceux de droit civil. Ces auteurs concluent à « des avantages
significatifs du système anglo-américain de gouvernement pour les libertés. »
4
que la question du droit peut être étroitement liée à celle de l’Etat, de l’administration et de la
gouvernance publique.
1.2. L’Etat de droit... entre l’Etat et le droit
Si la relation entre les institutions politiques – notamment celles qui dénotent un régime
démocratique – et la croissance semble avoir été largement étudiée, la question de l’Etat de
droit (« Rule of Law ») commence depuis quelques années à retenir l’attention. La
démocratie, les droits électoraux, la liberté politique, sont au terme des analyses empiriques
disponibles, davantage de produit de la croissance et, pour les PED, de la sortie de la
pauvreté, qu’une condition. L’analyse de Barro (2000) dans le cadre de la fondation Freedom
House montre que à cet égard que la relation entre un indice de droits électoraux – mesurant
le degré de démocratie - et la croissance du PIB n’est pas significative, ni statistiquement ni
factuellement. La forme de la courbe de régression obtenue est en U inversé, même si elle est
assez plate, ce qui laisse à penser que la relation n’est pas linéaire : la croissance augmenterait
au début de la démocratisation, atteindrait un maximum puis déclinerait avec la poursuite de
la démocratisation. Il y aurait donc deux étapes dans un processus-type de démocratisation :
dans un premier temps elle stimulerait la croissance parce qu’elle fait sauter des verrous à
l’initiative privée, à l’investissement, à l’activité économique ; dans un deuxième temps, la
croissance étant amorcée, les gouvernements et les élus mettraient en place des programmes
redistributifs qui contrarient la croissance. Si cette explication doit cependant être nuancée par
la faiblesse de la significativité statistique de la relation, il n’en reste pas moins qu’elle est
cohérente avec les résultats de Glaeser, La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer (2004) qui
procèdent d’une approche « constitutionnelle » des institutions. Cette dernière met l’accent
sur le degré d’indépendance du pouvoir judiciaire, le niveau de contrôle de constitutionnalité,
la représentation proportionnelle et le pluralisme politique. Glaeser et al. soutiennent que les
causes de la croissance sont d’une part la formation du capital humain et, d’autre part, la
qualité des politiques de développement assumées par l’Etat, dont le modèle-type est un
régime autoritaire modernisateur comme celui de la Corée du Sud des années soixante et
soixante-dix. La démocratisation et de changement institutionnel interviennent donc après la
sortie de la pauvreté et l'accumulation de capital humain et de capital physique.
Un autre procédé, plus centré sur la prévalence de la Rule of Law, c’est-à-dire de l’Etat de
droit, peut être utilisé pour analyser la relation institutions juridiques-croissance. C’est l’objet
d’une analyse appliquée de Robert Barro (2000) sur laquelle nous nous attardons.
L’analyse économétrique suppose de disposer d’indices quantifiés mesurant l’Etat de droit.
En la matière, la plupart des indicateurs disponibles sont produits par des firmes de consulting
internationales qui réalisent du « scoring » des différents pays afin de prodiguer les conseils
aux investisseurs qui envisagent de faire des affaires dans tel ou tel pays et d’estimer, ainsi, le
niveau de risque de l’investissement.
La référence usuelle est l’International Country Risk Guide, produit par le Political Risk
Services, qui fait l’objet d’une publication annuelle et porte sur une centaine de pays depuis le
début des années quatre-vingts. Les données sont fournies par des experts locaux, sur des
dimensions telles que la prévalence du droit et de l’ordre, l’efficacité de l’administration, la
probabilité d’expropriation par le Gouvernement, l’étendue de la corruption des
5
fonctionnaires… Il importe de comprendre que l’Etat de droit et les libertés civiles et
politiques, en un mot la démocratie, ne sont pas synonymes : Barro montre à cet égard que les
indicateurs d’Etat de droit et de démocratie ne sont pas corrélés, sauf dans les pays
industrialisés. Quelques exemples sont présentés dans le tableau ci-dessous (tableau 1).
Tableau 1 – Etat de droit et droits électoraux
pays
Bahrein
Cameroun
Chine
Egypte
Hong Kong
Maroc
Syrie
Tunisie
Bolivie*
Grèce*
Honduras*
Afrique du Sud*
Indice Etat de droit (rule of law
index)
0.83
0.50
0.83
0.67
0.83
1.00
1.00
0.83
0.17
0.50
0.17
0.50
Indice de droits électoraux
(electoral rights index)
0.00
0.00
0.00
0.17
0.33
0.33
0.00
0.17
0.83
1.00
0.83
1.00
* données 1982
Source : extrait de Barro (2000, p. 37).
L’analyse de Barro, portant sur une centaine de pays sur la période 1960-1995, conclut à une
relation statistiquement significative entre taux de croissance et Etat de droit (figure 1).
Figure 1 – La relation entre Etat de droit et croissance
Considérons maintenant la question inverse de celle de l’impact de l’Etat de droit sur la
croissance, qui revient à déterminer si les institutions juridiques et politiques sont influencées
par l’état de l’économie.8 En la matière, il s’avère que deux variables sont explicatives de
8
En la matière l’hypothèse courante est cette du politologue Seymour M. Lipset, dite “hypothèse
de Aristote-Lipset : la prospérité économique stimule la démocratie. Cf. S. M. Lipset, “Some
6
l’Etat de droit : le PIB/tête et le degré de scolarisation primaire, alors que les inégalités
sociales ont un impact négatif sur l’Etat de droit et que l’histoire coloniale joue un rôle
important, mais négatif, pour l’Etat de droit (tableau 2).
Tableau 2 - Variables explicatives de l’Etat de droit
1. toutes variables considérées
Variable explicative
Effet estimé et significativité statistique
PIB réel/tête
Positif et significatif
Années de scolarisation dans le primaire
Positif et significatif
Ecart dans la scolarisation des garçons et filles
Non significatif
Taux d’urbanisation
Négatif et marginalement significatif
Taille du pays (population)
Non significatif
Forte dépendance vis-à-vis de la production Non significatif
pétrolière
2. variables additionnelles (introduites un à une dans le modèle de base)
Variable explicative
Effet estimé et significativité statistique
Années de scolarisation primaire et secondaire
Non significatif
Augmentation des inégalités de revenus
Négatif et significatif
Indice de droits électoraux
Non significatif
Histoire coloniale (par ex puissance coloniale : La colonisation antérieure est négative et
Angleterre, France, Espagne, Portugal, autres)
significative (l’effet est plus marqué, par ordre
décroissant, pour les anciennes colonies du Portugal,
des autres pays, puis de l’Espagne, de la France, de
l’Angleterre)
Affiliation religieuse (en neuf groupes de Toutes les religions sont non significatives
religions)
1.3. La « Nouvelle économie comparative » : relativisme institutionnel et premier pas
vers l’hypothèse de « legal origins »
Djankov, Glaeser, La Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer (2003) ont récemment défini un
programme d’économie comparative renouvelée par rapport à la pratique antérieure, par
ailleurs rendue atone par la disparition des systèmes d’économie planifiée en Europe centrale
et orientale. Ce renouvellement de l’économie comparative consiste à passer des
problématiques de systèmes économiques comparés (le capitalisme libéral, le capitalisme
administré, le collectivisme, le progressisme autoritaire, le socialisme autogestionnaire…) à la
comparaison des économies capitalistes. Plus précisément, cette dernière doit se baser sur la
reconnaissance d’une double diversité : celle des systèmes institutionnels en vigueur dans les
pays capitalistes et les PECO post-communistes ; celle des performances macroéconomiques
(en termes de croissance, de taux d’emploi, d’investissement, etc.).
L’objectif assigné à la Nouvelle économie comparative est d’expliquer cette double diversité,
sur la base d’un principe simple : les institutions sont des instruments de contrôle social de
l’économie (social control of business) qui reflètent un trade-off entre deux finalités non
compatibles : assurer l’ordre économique et social et prévenir l’apparition de systèmes
dictatoriaux de contrôle social. En d’autres termes, les choix institutionnels d’une nation
doivent composer entre deux contraintes fortes : d’une part prévenir le désordre (qui appelle,
nous le verrons, un gouvernement fort) et d’autre part prévenir la dictature (par l’imposition
de limites à la présence et à l’intervention de l’Etat). L’arbitrage entre ces deux contraintes est
Social Requisites of Democracy : Economic Development and Political Legitimacy”, American
Political Science Review, 1959.
7
censée être réalisable sur une frontière des possibilités institutionnelles, en considération des
coûts sociaux respectifs du désordre et de la dictature (figure 2).
Figure 2 – Les dilemmes des possibilités institutionnelles
Quatre mécanismes institutionnels sont alors distingués :
- la régulation privée (private orderings) : elle renvoie aux mécanismes de marché, qui
préviennent le risque de dérive dictatoriale dans la mesure où elle est exclusive de
l’intervention du gouvernement. Cependant, la discipline du marché n’est pas toujours
vérifiée dans la réalité ; le marché ne prévient pas toujours la formation de monopoles, et dans
certains cas (notamment les PECO) il se prête à l’émergence d’ordres mafieux. En définitive,
la régulation privée de nature marchande prémunit la société de la dictature mais elle ne
prévient pas nécessairement le désordre social.
- des juges indépendants (independant judges) : en usant d’un argument à la Posner – Hayek,
les auteurs considèrent qu’en règle générale la régulation judiciaire est préférable à
l'intervention publique. Cependant, ce jugement global doit aussitôt être nuancé : les juges ne
sont pas naturellement à l’abri de pressions et d’influences économiques ou politiques que
certains agents sont susceptibles d’exercer sur eux. Ils peuvent voir leur manière de rendre la
justice influencée par de l’argent (cas de la corruption) ou des protections politiques ; or, la
prévention de ces risques passe nécessairement par l’encadrement du pouvoir des juges par
l’Etat. L’assurance de la neutralité et de l’impartialité des juges suppose que leur
indépendance soit réduite : par exemple en en faisant des agents publics, soumis à des règles
de recrutement et d’avancement précises, astreints au respect de règles de procédure, etc. dans
8
ces conditions, l’encadrement du pouvoir judiciaire est indispensable pour en garantir
l’impartialité et la neutralité mais il véhicule des risques de "politisation", donc de dictature.
- la régulation étatique (regulatory state) : elle est requise si le risque de désordre ne peut être
prévenu par la régulation privée ou les tribunaux. Elle offre un certain nombre de vertus
relativement aux deux mécanismes précédents : les fonctionnaires et agents de l’Etat ont le
sens du service public et de l’intérêt général et sont généralement des experts des domaines
sur lesquels l’intervention publique s’exerce. En contrepoint, la régulation étatique contient
des risques de dérive dictatoriale (par la protection au plus haut niveau de l’Etat des intérêts
de la classe dirigeante, au détriment des autres classes). Le contrôle du désordre se paie au
prix fort : celui de la dictature.
- la propriété publique (state ownership): indispensable dans certains cas (comme la police ou
l’administration pénitentiaire), elle prévient le désordre mais relève d'un régime dictatorial.
Cette grille d’analyse des systèmes institutionnels appelle deux commentaires :
-
le premier est que la position défendue par les auteurs est relativiste, ce qui signifie
que l’on ne peut pas évaluer les choix institutionnels à l'aune d'un modèle normatif de
référence. Il convient plutôt d’évaluer les choix, ou les réformes institutionnelles d'un
pays donné, au regard de ses propres opportunités institutionnelles. Ainsi, des
interventions publiques (par exemple une régulation étatique) peuvent être efficaces
dans un certain contexte et très inefficaces dans d’autres. Ainsi, dans les pays
développés, des garde-fous contribuent à contrôler l’intervention publique (par le
contrôle parlementaire, la cour des comptes, des règles de transparence des décisions
publiques, etc.), alors que dans les PED de tels garde-fous n’existent pas
nécessairement.
-
le deuxième est que le poids des systèmes juridiques doit être rapporté à l'histoire et,
pour les PED, à l'héritage colonial. Cette affirmation appelle un jugement critique sur
les thèses de l’émergence d’institutions efficientes.
2. Les mesures de la réglementation et du formalisme des procédures
2.1. La mesure du droit
La pratique des indicateurs est désormais chose courante, dans différents domaines, de ceux
qui peuvent être rattachés à une problématique de gouvernance à ceux qui s’attachent à la
mesure de la compétitivité des nations (World Economic Forum). De nombreuses
organisations, privées et publiques, produisent des données institutionnelles et des indicateurs
synthétiques basés sur différents procédés de recueil mais consistant une méthode de notation
des dispositifs ou des situations en vigueur (pour une présentation exhaustive voir Kaufmann
et al. 2003), donnant lieu à la production d’indices de rang.
Le tableau suivant (tableau 3) situe les différentes perspectives existantes dans la littérature au
regard de deux critères : l’origine des données juridiques et la nature des données utilisées.
9
Tableau 3 – Sources et nature des données
Nature des données
Sources
des
données
Opinion subjective
d’experts ou de
praticiens
Consultation d'experts
sur le droit en vigueur
Droit en vigueur
(textes)
Indices
(1)
(type mesure des libertés
politiques, de la corruption ou
risque-pays–Freedom House,
Global Risk Service, BERI...)
(2)
Doing Business
Djankov, La Porta, Lopez-deSilanes, Shleifer
(3)
OCDE
(indicateur LPE)
Données textuelles
(4)
Droit comparé
Les sources de données relatives aux institutions en général, aux dispositifs juridiques en
particulier, peuvent être réparties en trois grandes catégories :
-
des données de nature subjective, qui prennent la forme de jugements évaluatifs
attribués aux objets de l’enquête par des experts individuels ou des groupes d’experts
détenteurs de savoirs empiriques ou professionnels. Nombre de bases de données
internationales produites par des organisations privées, à but lucratif ou non, dans une
perspective d’évaluation du risque pays par les investisseurs ou dans celle de la
promotion de valeurs démocratiques, entrent dans cette catégorie. A titre d’exemple,
les données de la fondation américaine Freedom House sur le niveau de corruption ou
de liberté politique relèvent de cette démarche. Il en va de même avec la base de
données « Global Risk Service » de Global Insight’s DRI/McGraw-Hill ou de la base
Business Environment Risk Intelligence. Ces données répondent à une logique
d’appréhension de la perception qu’ont les répondants de l’état du pays considéré au
regard des questions posées.
-
des données issues de la consultation d’experts à qui incombe la tâche de décrire le
droit en vigueur et sa mise en oeuvre. Cette démarche est qualifiée par Kaufmann,
Kraay et Mastruzzi (2003) comme procédant du recueil de données objectives,
indépendantes des perceptions des répondants. Nous ne souscrivons pas à cette
interprétation, dans la mesure où les répondants décrivent ce qu’ils pensent être la
nature objective des dispositifs juridiques. C’est en l’occurrence la démarche du
programme Doing Business de la Banque mondiale et de Djankov, La Porta, Lopezde-Silanes et Shleifer (ci après DLLS) (2003).
-
La collecte de données juridiques peut être effectuée en consultant directement les
textes en vigueur, sans passer par le truchement d’une enquête ou la consultation de
répondants. C’est là le procédé utilisé par l’OCDE pour construire l’indicateur
synthétique « Législation de protection de l’emploi » (LPE).
La nature des données recueillies ou traitées peut être répartie en deux catégories.
-
des données organisées sous la forme d’indicateurs, selon une méthode qui repose sur
la construction d’indices dont la vertu est d’exprimer, dans un référentiel commun, les
caractéristiques institutionnelles de nombreux pays et de permettre des comparaisons
10
internationales, dans une perspective que certains ont qualifié de « droit comparé
numérique » (Siems, 2005).
-
des données qualitatives, qui prennent la forme de textes (lois et règlements, doctrine,
décisions de justice) et renvoient à la pratique classique du droit comparé.
C’est à partir de la construction d’indice – essentiellement de rang – portant sur les systèmes
juridiques que se développent des travaux empiriques sur lesquels nous nous attardons
maintenant.
2.2. Les systèmes judiciaires comparés : complexité procédurale et qualité de la justice
Djankov, La Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer (désormais DLLS) (2003) se sont attachés à
une étude économétrique de 109 pays sous l'angle de l'efficacité de leur système judiciaire. Le
point de départ de leur étude est que si les économistes (par exemple R. Coase) ont été en
règle générale assez optimistes sur les tribunaux en tant qu'institutions garantissant les droits
de propriété et les contrats, ils ont consacré peu d'attention aux limites des systèmes
judiciaires.
D'après DLLS, grandes thèses sont généralement soutenues quant aux systèmes judiciaires :
- la première est celle de la « théorie du développement » qui prédit que les tribunaux, comme
d'autres institutions, sont plus efficaces dans les pays riches que dans les pays pauvres
(Demsetz, North) : il y a des coûts fixes de création des institutions, qui ne sont socialement
bénéfiques que dès lors que la demande d'institutions est suffisamment forte qu'elle compense
ces coûts fixes ;
- la deuxième thèse est celle de la « théorie des incitations » qui soutient que la qualité de la
justice est fortement influencée par les incitations qui s’exercent sur les participants
(justiciables, juges, avocats) ; les tribunaux dans les pays pauvres seraient inefficaces parce
que s'y exercent de mauvaises incitations : les juges ne se préoccupent pas des délais, les
avocats sont d'autant mieux payés qu'il font durer abusivement les procédures, etc.9
L’analyse de DLLS est véritablement originale dans la mesure où elle constitue la première
entrée des économistes dans la mesure de la procédure civile (depuis Bentham…). Ils opèrent
une mesure du « formalisme procédural » de règlement des disputes (par la construction d’un
indice de formalisme procédural) à partir de plus de 50 variables institutionnelles dont le
tableau suivant (tableau 4) donne quelques exemples.
9
Sur ce point, voir R. Messick (1999).
11
Tableau 4 – Exemples de variables institutionnelles relatives à la justice
Organisation judiciaire
-
Actions et demandes
Traitement du litige
Coûts de justice et aide
juridictionnelle
-
Variables
juge professionnel ou non professionnel
représentation par un avocat obligatoire ou
facultative
notification du jugement par un professionnel
du droit ou non
dépôt de la demande et enrôlement
motivation juridique de la demande exigée
ou non
délais maximum obligatoires ou non
conciliation préalable obligatoire ou non
motivation juridique du jugement ou non
durée du procès
durée d'obtention du jugement
réglementation des montants des honoraires
des avocats ou non
honoraires quota litis ou contingent fees
règle du "perdant paye" ou non
disponibilité de l'aide juridictionnelle
L’indice de formalisme procédural est construit sur la base d’une enquête portant sur les
juridictions de premier degré. Elle a été réalisée dans 109 pays auprès de cabinets d’avocats
membres des associations internationales Lex Mundi et Lex Africa. L’enquête porte sur deux
cas : l’éviction d’un locataire débiteur de loyers et le recouvrement d’une créance (en
l’occurrence d’un chèque impayé). Le recueil de données qualitatives a été complété par
d’autres sources, notamment les données du World Business Environment Survey qui portent
sur la perception de la qualité de la justice par les petites entreprises.
Les indicateurs sont interprétés à partir d’une situation de référence ayant la caractéristique
d’être un cas de formalisme nul et de résolution efficace des litiges : un règlement non
juridictionnel de différends entre voisins (modèle de Coase). Les données et indicateurs
mesurent la déviation (l’écart) à ce modèle (normatif) de référence.
Le principal résultat auquel DLLS parviennent est que le formalisme procédural est bien plus
accentué dans les pays de droit civil que dans ceux de common law ; il est associé, dans les
premiers, à une durée plus longue des procédures judiciaires, à moins de cohérence
(consistency), moins d'honnêteté, moins d'équité (fairness) dans les décisions judiciaires, à
davantage de corruption et à un faible niveau de qualité de la justice.
L’estimation des conséquences macroéconomiques de la structure des procédures judiciaires
n’est pas l’objet de l’analyse de DLLS ; il s’agissait pour eux d’estimer les déterminants de la
du formalisme judiciaire et de ceux de la qualité des tribunaux, sans bouclage
macroéconomique. Mais cette analyse est marquée par des jugements – qui peuvent sembler
caricaturaux – sur les procédures judiciaires à partir d’un a priori : la longueur des procédures
est révélatrice de leur complexité et de durées excessives de traitement des demandes par les
tribunaux, c’est-à-dire de leur caractère inutilement bureaucratique.
2.3. La mesure de la protection juridique de l’emploi : Botero et al.
Une analyse de Botero, Djankov; La Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer a porté sur 85 pays,
en vue de mesurer l’importance de la protection de l’emploi salarié et d’en évaluer certaines
conséquences sur le plan économique. La mesure de la protection a été menée en construisant
12
des indices sur un grand nombre de variables classées en trois catégories d’intervention du
droit sur le marché du travail : le droit du travail, le droit des relations collectives de travail, le
droit de la protection sociale liée à l’emploi salarié (tableau 5).
Tableau 5 – Les variables de la mesure de la protection juridique de l’emploi
Variable
1. Droit du travail (employment law)
Contrats de travail alternatifs
Coût de l’augmentation des heures ouvrées
Coût du licenciement
Procédures de licenciement
Indice de droit du travail (employment law
index)
2. Droit des relations collectives
Pouvoir des syndicats
Conflits collectifs
Indice du droit des relations collectives
(collective relations law index)
3. Droit de la protection sociale
Retraites, handicap, décès
Maladie
Chômage
Indice de droit de la protection sociale
(social security laws index)
4. Variables politiques
Couleur politique de l’exécutif ou du
Parlement (gauche – centre)
Densité syndicale
Autocratie
Représentation proportionnelle
démocratie
Description
Mesure de l’existence et du coût de contrats de travail alternatifs au contrat
standard (CDI)
En référence à la durée maximale annuelle de travail autorisée dans le pays.
L’impossibilité pour les firmes de dépasser le plafond implique le
recrutement de nouveaux salariés
Mesure dans l’hypothèse du licenciement de 20% des effectifs : salaires
versés dans la période de préavis, indemnité de rupture, pénalités en cas de
licenciement de salariés protégés
Conventionnelles ou législatives. Autorisation administrative, consultation
du CE, reclassement…
Mesure de la protection des salariés comme moyenne des 4 sous-indices
A partir des variables muettes : liberté de se syndiquer, droit à la
négociation collective, extension des accords collectifs, etc.
Mesure de la protection des salariés lors de conflits collectifs à partir des
variables muettes : légalité ou illégalité du lock-out patronal, des grèves de
soutien à d’autres salariés en conflit, recours à l’arbitrage, possibilité de
recourir à d’autres salariés pour remplacer les grèvistes…
Mesure de la protection des salariés comme moyenne des 2 sous-indices
Mesure du bénéfice de la retraite, handicap, décès comme moyenne des
variables : différence entre âge de la retraite et espérance de vie dans le
pays ; nombre de mois de cotisation pour une retraite à taux plein ; part des
cotisations sociales des travailleurs dans le salaire ; part de la pension du
retraité par rapport au dernier salaire
Mesure du bénéfice de l’assurance maladie comme moyenne des variables :
nombre de mois de cotisation requis pour l’ouverture des droits ; part des
cotisations dans la salaire ; temps avant ouverture des droits ; part de
l’indemnité par rapport au salaire
Mesure du bénéfice de l’assurance maladie comme moyenne des variables :
nombre de mois de cotisation requis pour l’ouverture des droits ; part des
cotisations dans la salaire ; ; temps avant ouverture des droits ; part de
l’indemnité par rapport au salaire pour une durée de chômage indemnisé
d’un an
Mesure du bénéfice de la protection sociale comme moyenne des 3 sousindices
Entre 1928 et 1995
A la différence des indices de formalisme procédural envisagés précédemment, les indices de
protection juridique de l’emploi ne sont pas strictement formels et procéduraux : ils
fournissent une mesure des coûts économiques de la réglementation. Par exemple, la variable
« coût de l’augmentation des heures ouvrées » ne mesure pas l’importance de la
réglementation des conditions d’accroissement des heures de travail annuelle (par le recours à
des contrats à durée déterminée pour faire face à un surcroît temporaire d’activité ou
l’augmentation de la durée de travail des salariés en place), mais celle des coûts induits pour
les employeurs, du fait de la réglementation, pour y faire face.
13
De manière générale, il apparaît que les pays de droit civil et à gouvernement de gauche ou du
centre se caractérisent par des niveaux de protection supérieurs aux pays de common law
surtout lorsqu’ils sont dirigés par des gouvernement de droite. Ces phénomènes institutionnels
apparaissent comme essentiels. En effet, les déterminants de la réglementation de l’emploi
salarié ne sont pas de nature économique, mais juridiques : le niveau de protection de l’emploi
n’est pas corrélé avec le niveau développement économique (PIB per capita), mais il l’est
avec l’origine du système juridique (common law et droit civil).
A cet égard, deux des trois indices de protection (« droit du travail » et « droit des relations
collectives ») sont nettement plus élevés dans les pays de droit civil (surtout dans les systèmes
de droit français, socialistes et scandinaves) que dans les pays de common law.
Comme dans leur analyse des tribunaux et du formalisme judiciaire, l’étude du droit du travail
est plus marquée par un accent davantage mis sur les déterminants de la protection des
salariés que sur ses conséquences macroéconomiques, même si les auteurs considèrent
quelques unes des conséquences de la réglementation de l’emploi (pp. 1375-1378). L’origine
du système juridique apparaît comme le principal déterminant de la protection juridique de
l’emploi, les pays de droit français, socialiste et scandinave ayant une propension à la
réglementation bien plus forte que ceux de common law. Quant aux conséquences de la
protection de l’emploi, elles sont estimées par le biais de régressions entre les variables
indépendantes mesurant la protection de l’emploi et les variables dépendantes suivantes :
l’importance de l’économie souterraine, l’emploi dans le secteur informel, la participation des
hommes et des femmes à la force de travail, le taux de chômage, le taux de chômage des
hommes et des femmes de moins de 24 ans, le salaire des ouvriers relativement à celui de
employés de bureau.
Les conclusions sur les conséquences de la réglementation de l’emploi sont sans ambiguïté :
elle génère plus de coûts que d’avantages. En effet, trois observations sont avancées :
-
la forte protection des relations collectives est associée à une importance plus grande
de l’économie souterraine dans les PED,
la forte protection du contrat de travail et des relations collectives et un fort indice de
protection sociale conduisent à une plus faible participation des hommes (pas des
femmes) au marché du travail,
une forte protection du contrat de travail conduit à un taux de chômage plus important
des jeunes (moins de 24 ans)
2.4. La mesure de la protection juridique de l’emploi : l’indice « LPE » de l’OCDE
L'OCDE produit un indicateur synthétique de la "Législation de protection de l'emploi"
(LPE), obtenu à partir de 18 indicateurs élémentaires couvrant trois grands domaines :
- Partie A : la protection de l'emploi des travailleurs réguliers contre les licenciements
individuels.
- Partie B : la réglementation des formes temporaires d'emploi.
- Partie C : les conditions applicables aux licenciements collectifs.
A partir de ces indicateurs de base, l'OCDE suit une procédure en plusieurs étapes pour
construire des indicateurs synthétiques cardinaux de la rigueur de la LPE.
14
Les 18 indicateurs sont exprimés au départ :
- soit en unités de temps (délai de préavis, nombre de mois d'indemnisation),
- soit en quantité (nombre maximum de contrats à durée déterminée successifs
autorisés),
- soit en score sur une échelle ordinale (0 à 2, 3, 4 ou "oui/non").
La première étape consiste à établir des scores pour tous les indicateurs de premier niveau, en
unités comparables, ensuite converties en scores cardinaux ajustés sur une échelle de 1 à 6.
Les étapes suivantes consistent à appliquer des pondérations successives de façon à construire
trois séries d'indicateurs :
- la réglementation des contrats permanents (avec une pondération de 5/12),
- la réglementation des contrats temporaires (avec une pondération de 5/12),
- la réglementation des licenciements collectifs (avec une pondération de 2/12).
Pour construire l'indicateur de la rigueur globale, l'OCDE a pris le parti d'attribuer aux
contrats temporaires un poids de 40% et de donner à l'indicateur synthétique "licenciements
collectifs" un plus faible coefficient de pondération (16%). Ce dernier choix est justifié par le
fait que la règlementation des licenciements collectifs représente une protection marginale (au
sens économique du terme) par rapport à celle des licenciements individuels. Le tableau
suivant (tableau 6) présente les indicateurs synthétiques de la LPE à quatre niveaux successifs
d'agrégation ainsi que les pondérations retenues.
S’agissant des interprétations de la LPE et des recommandations qu’elles autorisent,
l’OCDE10 admet qu’elle est économiquement légitime. La législation protectrice de l’emploi
répond en effet à trois types de justification.
- le premier est bâti en référence à la notion d’assurance : les travailleurs ayant de l’aversion
pour le risque et de disposant pas de possibilité de d’assurer – à titre privé – contre les « aléas
du marché du travail », la protection de l’emploi (en l’occurrence l’indemnisation du
licenciement) permet aux salariés de lisser les fluctuations de leurs revenus en cas de
licenciement. En effet, si les entreprises sont neutres au risque et ont librement accès au
marché des capitaux, « il est optimal pour les travailleurs comme pour les employeurs de
prévoir le versement d’indemnités de licenciement dans les contrats de travail. » (OCDE,
2004, p. 99).11
- le deuxième est relatif à un argument en terme de contribution au bien-être social : des
suppressions d’emploi par des licenciements peuvent être socialement inefficaces. La valeur
sociale d’un emploi peut en effet être supérieure à sa valeur privée : la fiscalité et le
financement des prestations de chômage étant assis sur les salaires, un emploi génère des
ressources pour la collectivité même si il devient improductif pour un employeur. L’absence
de protection de l’emploi tendrait dans ces conditions à « générer trop de licenciements par
rapport à ce qui est souhaitable pour la société et l’économie. » (OCDE, 2004, p. 100). A
10
Je me réfère ici au seul chapitre 2 (Réglementation relative à la protection de l’emploi et
performance du marché du travail) du rapport de l’OCDE consacré aux Perspectives de l’emploi
2004.
11
Notons une certaine ambiguïté dans le rapport de l’OCDE sur ce point. Il ne distingue pas
clairement entre l’indemnisation du licenciement (susceptible d’être versée par l’employeur en cas
de licenciement abusif pour motif personnel ou de licenciement économique) et l’indemnisation du
chômage.
15
contrario, « (...) l’objectif essentiel de la LPE est d’inciter les entreprises à internaliser le coût
social de leurs licenciements afin d’accroître l’efficacité économique. » (ibid.).
Tableau 6 – Le système de pondération et les indicateurs synthétiques de l’OCDE
Niveau 4
Niveau 3
Niveau 2
Niveau 1
Echelle 0-6
Echelle 0-6
Echelle 0-6
Echelle 0-6
Difficultés procédurales (1/3)
1. Procédures de notification
(1/2)
2. Délai à respecter avant que le
préavis entre en vigueur
(1/2)
3. Durée du préavis après
9 mois (1/7)
Contrats permanents
(version 2 : 5/12)
(version 1 : 1/12)
Préavis et indemnités de licenciement
pour licenciement individuel sans
faute (1/3)
4 ans (1/7)
20 ans (1/7)
4. Indemnité de licenciement après
9 mois (4/21)
4 ans (4/21)
20 ans (4/21)
5. Définition du licenciement abusif
Difficulté de licenciement (1/3)
Indicateur
(1/4)
6. Période probatoire
(1/4)
7. Indemnisation
(1/4)
synthétique
8. Réintégration
(1/4)
global
9. Cas où les CDD sont autorisés
(1/2)
10. Nombre maximum de contrats
successifs
(1/4)
11. Durée cumulée maximum
(1/4)
12. Types de travail pour lesquels
l'intérim est légale
(1/2)
13. Restrictions au nombre de
renouvellements
(1/4)
14. Durée cumulée maximum
(1/4)
15. Définition du licenciement collectif
(1/4)
Licenciements
collectifs
(version 2 : 2/12)
16. Obligations supplémentaires de
notification
(1/4)
17. Délais supplémentaires
(1/4)
(version 1 : 0)
18. Autres coûts spécifiques pour les
employeurs
(1/4)
Contrats temporaires
(version 2 : 5/12)
Contrats de durée déterminée (1/2)
(version 1 : 1/12)
Contrats d'intérim (1/2)
N.B. : les indicateurs des licenciements collectifs n'existent que depuis la fin des années 1990. Pour permettre des
comparaisons sur une durée plus longue (de la fin années 1980 à 2003), l'OCDE a construit un indicateur alternatif (indice
global de remplacement, dit "version 1") qui est la moyenne pondérée des indicateurs synthétiques correspondant aux
contrats permanents et temporaires. Les données de l'OCDE comprenant l'indicateur "licenciement collectif" sont dites
"version 2".
- le troisième est évoqué dans le cours du rapport, sans être placé au même niveau
d’explicitation que les deux précédents : la protection de l’emploi contribue assez bien à la
stabilité de l’emploi qui, encourageant l’effort productif et la coopération des travailleurs,
« peut accroître la productivité en encourageant l’investissement en capital humain... »
(OCDE, 2004, p. 88)
Voila pour le cadre général du rapport de l’OCDE. Ce qui est ensuite en jeu, c’est l’évaluation
des effets de la protection de l’emploi, en particulier en ce qu’elle touche les emplois
permanents et les emplois temporaires. Sur ce plan, la position prise par le rapport de l’OCDE
est relativement paradoxale. En effet, à de nombreuses reprises le rapport reconnaît que « les
travaux théoriques n’apportent pas de réponse tranchée quant aux effets de la protection de
16
l’emploi sur le chômage et l’emploi agrégés » (ibid.) ; ensuite, lorsque le rapport évoque les
travaux empiriques, il admet que « aucun consensus fort n’émerge véritablement. » (p. 89).
Deux types de travaux sont plus particulièrement évoqués :
-
ceux qui prennent en considération les interactions possibles entre la LPE et « d’autres
institutions » (notamment le système de relations professionnelles) et qui tendent à
montrer qu’une protection « restrictive » de l’emploi accroîtrait le taux de chômage
structurel non pas systématiquement, mais dans les pays connaissant un fort taux de
syndicalisation et/ou un niveau intermédiaire de négociation collective. Cependant, le
rapport de l’OCDE cite également l’étude de Baker et al. (2003, 2004) qui fait valoir
« que ces résultats ne résistent pas à de légères modifications dans les données
utilisées, la méthode d’estimation ou la spécification des équations estimées. » (p. 89).
-
Ceux qui analysent les interactions possibles entre la protection de l’emploi et
différents chocs macroéconomiques. Blanchard et Wolfers (2000) sont alors évoqués :
ils soutiennent que les évolutions du chômage dépendraient essentiellement de
l’évolution à long terme de la croissance de la productivité totale des facteurs, de la
demande de travail et du taux d’intérêt réel. Ces facteurs joueraient davantage sur le
chômage dans les pays à cadre institutionnel « rigide » ; autrement dit, les chocs
exogènes auraient un impact sur la persistance du chômage via le cadre institutionnel
du marché du travail.
Le rapport Perspectives sur l’emploi conclue provisoirement en admettant que les estimations
l’impact de la LPE sur le chômage agrégé sont, théoriquement et empiriquement,
« mitigées », il n’en reste pas moins qu’un consensus existe sur les effets de la LPE sur
l’emploi de « divers groupes démographiques ». En la matière, on ne trouve plus de réserves
ou de précautions dans l’exposé des effets suivants :
-
la LPE n’a que « peu ou pas d’effets sur les taux d’emploi des hommes d’âge très
actif »,
mais elle provoque des effets négatifs sur celui des jeunes et des femmes (bien qu’il
soir reconnu quelques lignes plus loin que « les résultats concernant les jeunes ne sont
pas tous significatifs », p. 93).
Le rapport admet cependant que les résultats sont mitigés pour deux catégories de
travailleurs : les travailleurs âgés et les non qualifiés. Pour les premiers, il semble que les
effets nets de la LPE sur les embauches et les licenciements soient relativement neutres, c’està-dire se compensent. Pour les seconds, les effets semblent s’exercer dans deux directions :
d’une part une forte protection des salariés titulaires de contrats permanents qui limite les
licenciements en période de faible croissance et, d’autre part, une surreprésentation des non
qualifiés dans les contrats temporaires. Cela signifie qu’une LPE restrictive sur les emplois
permanents n’est pas incompatible avec l’accès à l’emploi des non qualifiés, il est vrai dans
des contrats temporaires offrant peu de perspectives en termes de parcours professionnels
futurs.
Le rapport de l’OCDE précise, et c’est un point important, que la LPE « remplit l’objectif
pour lequel elle a été conçue, à savoir protéger les emplois existants » (p. 98). Cependant, elle
n’est pas exempte d’effets pervers, le plus notable d’entre eux étant de réduire les taux de
sortie du chômage, donc de rendre « plus difficile l’accès ou le retour à l’emploi. » (ibid.). Par
conséquent, le diagnostic de l’OCDE et les propositions d’action formulées sont basées sur
17
une perspective d’équilibre, de politique optimale : la LPE présentant des avantages et des
inconvénients, ses inconvénients doivent faire l’objet de mesures de compensation par le biais
soit de politiques actives de l’emploi soit de services efficaces de réemploi :
« ... une politique optimale devrait s’appuyer, à la fois, sur un certain de degré de protection
de l’emploi, des services de réemploi efficaces et des politiques actives du marché du travail
devant contrecarrer les effets négatifs que la LPE pourrait avoir sur les décisions d’embauche
des entreprises. » (OCDE, 2004, p. 68).
2.5. L’indice « facilité à faire des affaires » de la Banque mondiale
Le programme Doing Business confié à la Société Financière Internationale publie un rapport
annuel et met en ligne, sur son site internet, les données relatives à 155 pays. Ces données
concernent plusieurs domaines de la réglementation et de la facilité à faire des affaires dans
chacun. Un indice global est obtenu à partir de sous-indicateurs portant, depuis 2006, sur dix
domaines (tableau 7).
L’indice global « ease of doing business » est construit en trois étapes
- les variables sont transformées en variables de rang,
- pour chacun des domaines, la Banque mondiale calcule des moyennes simples de ces
variables de rang,
- les rangs pour chacun des domaines sont eux même moyennés.
En définitive, la Banque mondiale établit les possibilités de classements des pays au regard de
la capacité de leurs institutions, dans ces dix domaines, à « faciliter les affaires ». Ainsi, par
exemple, la France se situe entre la Jamaïque et Kiribati (Du Marais, 2006), ce qui ne suscite,
dans le rapport Doing Business, qu’un commentaire figurant dans une annexe qui précise que
l’indicateur « ease of doing business » ne prend en compte ni la proximité d’un pays aux
grands marchés, ni la qualité des infrastructures, ni les conditions macroéconomiques, ni la
criminalité, etc. Par conséquent, le fait que l’indicateur pour la Jamaïque soit de 43 et celui
pour la France de 44 « ne signifie pas de toute évidence que l’activité économique soit plus
facile en Jamaïque qu’en France. » (Doing Business 2006, p. 91). Cette réserve sur
l’interprétation des classements n’empêche pas que le corps des rapports Doing Business soit
consacré à la comparaison des pays au regard des sous-indicateurs, en posant par exemple
qu’il est plus facile de licencier un salarié au Costa Rica qu’au Népal. Ces comparaisons ne
sont dénuées de contenu normatif, qui découlent de l’idée que plus les procédures formelles
sont longues ou coûteuses pour créer une entreprise, licencier un salarié ou obtenir un crédit
bancaire, plus la conduite de l’activité économique est entachée de difficultés bureaucratiques
et procédurales.
18
Tableau 7 – Domaines et variables du programme Doing Business
Domaine
1. Création d’entreprise (starting a business)
2. Autorisation de l’activité (dealing with licenses)
3. Embauche et licenciement (hiring and firing
workers)
4. Enregistrement de la propriété (registering
property)
5. Obtention de crédit (getting credit)
6. Protection des investisseurs (protecting investors)
7. Paiement des impôts (paying taxes)
8. Commercer à l’étranger (trading across borders)
9. Exécution des contrats (enforcing contracts)
10. Fermeture d’une entreprise (closing a business)
Variables élémentaires
- nombre de procédures
- délais (en jours)
- coût (% du revenu par tête)
- capital minimum (% du revenu par tête)
- nombre de procédures
- délais (en jours)
- coût (% du revenu par tête)
- indice des difficultés à recruter
- indice de rigidité de la durée du travail
- indice des difficultés à licencier
- indice de rigidité de l’emploi
- coûts de recrutement (% du salaire)
- coûts de licenciement (semaine de salaires)
- Nombre de procédures
- délais (en jours)
- coût (% de la valeur de la propriété)
- indice de droits légaux des emprunteurs et prêteurs
- indice de profondeur de l’information sur les crédits
- couverture des emprunteurs par un répertoire public (%
de la population adulte)
- couverture des emprunteurs par un bureau privé (% de
la population adulte)
- indice d’obligation d’informer
- indice de responsabilité du directeur
- indice de facilité des recours en justice par les
actionnaires
- indice de protection des investisseurs
- nombre de paiements
- temps requis (heures annuelles)
- Montant total des impôts (% du profit brut)
- nombre de documents requis pour exporter
- nombre de signatures requises pour exporter
- délais pour exporter (en jours)
- nombre de documents requis pour importer
- nombre de signatures requises pour importer
- délais pour importer (en jours)
- nombre de procédures
- délais (jours)
- coût (% de la valeur de la créance)
- délais (jours)
- coût (% de la valeur de l’entreprise)
- taux de recouvrement par les créanciers
19
3. Le droit comme objet de mesure
3.1. Le droit positif ou la régulation juridique en pratique ?
Les dispositifs juridiques et, partant, les familles de droit, font donc désormais l’objet de
mesures qui présentent deux qualités : d’une part, elles autorisent des classements ordinaux
des nations en termes de rigueur de la réglementation et, d’autre part, elles constituent des
données utilisables dans des analyses économétriques combinant données institutionnelles et
données macroéconomiques.
L’objet de la mesure peut alors être questionné : s’agît-il de procéder à une notation sous
forme d’indices des normes décrites dans les règles positives, ou de saisir l’effet des normes
en pratique, c’est-à-dire leur mise en oeuvre ? une autre question complète la précédente : si
l’objet de la mesure est le droit positif écrit, n’y a-t-il pas un risque de biais en défaveur des
systèmes de droit civil, où les normes sont codifiées donc écrites, alors que les systèmes de
common law ont une faible tendance à la codification compte tenu de l’importance qu’y prend
la régulation jurisprudentielle ? A cet égard, la position de Botero et al. est clairement
exposée, à propos du droit du travail : ils procèdent à une mesure des « règles juridiques
formelles », c’est-à-dire du droit contenu dans les livres (« law in the books »). L’éventualité
d’un biais en faveur des systèmes de common law est, toujours en matière de droit du travail,
rejetée au nom de l’argument suivant :
« En premier lieu, presque tout le droit du travail est statutaire, même dans les pays de
common law, ce qui fait que ce qui est écrit est à l’évidence supposé être ce qui est mis en
oeuvre. En deuxième lieu, et de manière plus importante, nous avons construit plusieurs de
nos indices, tels que le coût d’augmenter les heures de travail et le coût du licenciement d’un
salarié, afin de refléter les coûts économiques réels et pas seulement le langage statutaire.
Pour ces variables, la distinction entre ce qui est écrit et ce que ça coûte réellement n’existe
pas. » (Botero et al., 2004, p. 137).
Résumons ces arguments : d’abord, ensuite, quand bien même il y aurait un tel écart,
l’estimation des coûts de la mise en oeuvre des règles permet de surmonter le problème. Or,
les coûts économiques sont eux-mêmes déduits des dispositions législatives et réglementaires,
c'est-à-dire du « statutory language »…qu'ils sont censés dépasser, ce qui constitue un
procédé tautologique.
Le problème de savoir si les indicateurs mesurent le droit formel ou les situations empiriques
sur le terrain ne semble pas avoir suscité de solution convaincante. A cet égard, Botero et al.
(2004) font preuve d'une ambiguïté quasi artistique. Ils précisent que leur approche consiste à
"mesurer les règles formelles" (Botero et al., 2004,p. 1346), avant de répondre l'objection qui
leur a été adressée à propos de travaux antérieurs, à savoir que « la qualité de l'enforcement
des règles varie fortement selon les pays, et que par conséquent les règles formelles ne
donnent que peu d'informations sur ce qu'il advient 'sur le terrain' » (Botero et al., 2004, p.
1347). Botero et al répondent à cela que la qualité de l'enforcement peut être contrôlée
économétriquement, mais surtout que, fondamentalement, « les règles formelles importent
énormément » (ibid.). Il n’y aurait donc pas d’écart entre l’énoncé des normes écrites et leur
mise en oeuvre, ce qui est une hypothèse que l’on peut qualifier d’héroïque. Cette hypothèse
revient à considérer les normes juridiques comme performatives, faisant advenir dans les faits
la situation qu’elles décrivent : or, cette qualité est contestable, comme cela apparaît dans
20
plusieurs courants de la théorie et de la sociologie du droit qui, bien qu’offrant des
explications irréductibles, n’en sont pas moins convergentes dans la critique :
-
-
pour certains, la mise en oeuvre des normes n’est pas un travail d’application
univoque et mécanique, mais relève d’un processus complexes mêlant les normes
juridiques aux normes sociales (Deakin et Ahlering, 2005), voire même voit ces
dernières suppléer des normes étatiques ineffectives (Bernstein, 1992 ; Ellickson,
1991). Ahlering et Deakin (2005) donnent un exemple significatif des erreurs
d'interprétation véhiculées par une référence étroite aux seules règles indépendamment
de leur mise en œuvre : selon eux, antérieurement à la promulgation de la loi sur les
licenciements injustifiés (unfair dismissal law), le droit anglais n'imposait pas de
préavis de licenciements. En pratique, dans les années 50-60, les licenciements étaient
très coûteux pour les employeurs, dans un contexte de rapports de force favorables aux
syndicats dans la régulation des relations de travail. La loi sur les licenciements dans
les années 70-80 a introduit en apparence davantage de contraintes formelles sur les
employeurs. Mais, en, pratique, elle a facilité le licenciement par rapport à la situation
antérieure, dans un nouveau contexte de déclin du pouvoir syndical et de la
réprobation morale des licenciements. Ahlering et Deakin estiment à juste titre que cet
exemple « illustre l'énorme complexité de l'élaboration d'un indicateur de droit du
travail » et insistent sur le fait que « la connaissance des situations nationales devrait
permettre de nuancer les scores attribués à des variables particulières concernant ce
pays » (Ahlering et Deakin, 2005, p. 18).
pour d’autres, le processus de mise en oeuvre des normes met en jeu des normes de
fond et des règles de procédure, que Hart qualifiait de règles primaires et de règles
secondaires, ainsi que des activités de mobilisation et d’interprétation des normes par
les acteurs, juges et justiciables, productrices du sens pratique des normes.
La saisie des régulations effectives plutôt que des énoncés normatifs renvoie à une autre
possibilité méthodologie : celle qui consiste à s’attacher, non pas au droit des livres, mais à la
perception que les acteurs en ont. C’est là la démarche défendue par certains, comme
Kaufmann et al. qui, en formulant des observations critiques à l’encontre des méthodes de
saisie des règle de jure, défendent l’idée « les perceptions subjectives de la gouvernance
importent souvent autant que la réalité juridique » (Kaufmann et al., 2003, p. 20).
3.2. Une mesure du droit ou de sa perception par des « experts » ?
Les protocoles de recueil de données institutionnelles par les chercheurs ou les institutions
multilatérales méritent examen. Nous avons plus haut que l’ambition de la Banque mondiale
et de DLLS est de capturer des données objectives, descriptives des procédures et des
réglementations en vigueur dans tel ou tel pays. C’est également l’ambition de l’OCDE pour
l’élaboration de l’indice synthétique LPE. Pourtant, différents procédés, de qualité inégale,
sont mis en oeuvre.
La méthode de DLLS et de la Banque mondiale est de procéder au recueil des données par
voie de questionnaires que des experts nationaux (en règle générale des avocats) sont invités à
renseigner. Or, le recours à des experts chargés d'informer l'organisme enquêteur sur les
données juridiques objectives ne permet d'obtenir, au mieux, que les perceptions qu’ils ont,
dans leurs pratiques professionnelles, du droit positif en vigueur. Ainsi, sur certaines variables
quantitatives, la pertinence du recours à des estimations formulées par des experts peut être
mise en doute. C'est particulièrement le cas des durées effectives des procédures, pour
21
lesquelles les estimations faites par un praticien ne peuvent qu'être fondées sur une expérience
locale dont rien n'assure a priori la qualité de représentativité des situations globales.
La méthode de l’OCDE est toute autre : elle ne consiste pas à recourir à la consultation de
praticiens mais à décrire les règles telles que la législation et la réglementation en vigueur les
énoncent. Il s’agit donc de recourir aux textes en vigueur, ce qui a la vertu de prévenir les
risques de biais subjectifs de quelques experts-praticiens. Cependant, elle ne saisit pas, alors,
la mise en oeuvre des règles, notamment par les tribunaux. Le rapport de l’OCDE
Perspectives de l’emploi 2004 reconnaît explicitement que la jurisprudence constitue une
limite de l’indicateur LPE :
« En ce qui concerne les contrats réguliers, les réglementations en matière de protection de
l’emploi fixent les conditions dans lesquelles un salarié peut être licencié et les sanctions
applicables à l’employeur en cas de non-respect de ces conditions. Cela étant, ces dispositions
font l’objet d’interprétations de la part des tribunaux, ce qui peut constituer une source
importante (mais difficile à cerner) de variation de la rigueur de la LPE, à la fois entre
certains pays et dans le temps. » (OCDE, Perspectives de l’emploi 2004, p. 71 – je souligne).
A cet égard, l’effet du contentieux ou de la jurisprudence peut aller dans deux sens : soit dans
celui du « durcissement » de la réglementation (lorsque les recours des salariés devant les
tribunaux conduisent à accroître les coûts du licenciement par rapport à ce que prévoit le droit
commun du licenciement, par exemple par l’obtention du salarié de dommages et intérêts
civils réparateurs d’un licenciement sans cause), soit dans celui de son « allégement »
(lorsque les tribunaux n’usent pas de l’obligation de réintégration alors que la possibilité en
est offerte par la législation). En tout état de cause, à défaut de compréhension appropriée de
l’activité des tribunaux en tant qu’ils mettent en œuvre les dispositifs législatifs et
réglementaires, rien ne peut être dit de l’effet du contentieux et de la jurisprudence sur la
rigueur de la réglementation.
3.3. La qualité des études économétriques
La cause est entendue : les indices portant sur les dispositifs juridiques constituent des
données de base sur lesquelles des estimations économétriques, en général des régressions du
type MCO, sont réalisées avec d’autres variables macroéconomiques. Les analyses
économétriques sont de deux types :
- l’étude des déterminants des dispositifs juridiques : les variables à expliquer sont de
nature institutionnelle et les variables indépendantes sont économiques, sociopolitiques ou historiques,
- l’étude de l’impact des dispositifs juridiques sur les performances, notamment
macroéconomiques. Les variables indépendantes sont cette fois juridiques, les
variables à expliquer sont des indicateurs macroéconomiques (taux de croissance, PIB
per capita, investissements étrangers, taux de chômage).
De manière générale, le recours à des indices sont la base de recueil de données est subjective
et la réalisation d’analyses économétriques conjuguant données qualitatives obtenues par
simple agrégation des réponses, sans contrôle économétrique, et données quantitatives
subissant une transformation affine pour les ramener à une échelle identique à celle des
premières, appellent de la part de spécialistes de nombreuses réserves (Grégoir et Maurel,
2003 ; Blanchet, 2005). Le classement des nations à partir d’indicateurs, comme ceux du
World Economic Forum (Global Competitiveness Index et Current Competitiveness Index) et
22
l’indice global de la Banque mondiale (« ease of doing business ») pose trois séries de
questions :
- la qualité de l’information de base,
- la pertinence de la procédure d’agrégation des informations de base, ainsi que la
justification d’éventuelles pondérations,
- la pertinence des indices et de l’information qu’ils contiennent au regard de variables
d’intérêt comme le niveau de vie ou la performance économique (Blanchet, 2005).
L’analyse attentive de l’indice global de la Banque mondiale – ou plutôt d’une version
reconstituée de l’indice équipondéré de la Banque mondiale – par l’INSEE mérite attention. Il
s’agissait de déterminer le pouvoir explicatif de l’indice global « ease of doing business » visà-vis de quatre variables d’intérêt : le taux de croissance du PIB par tête en 1999 et 2003
(∆PIB/tête), le taux d’investissements directs étrangers en % du PIB (IDE), le taux
d’investissement en % du PIB (FBCF), et l’indice de développement humain (IDH). Le
tableau suivant présente les résultats des tests de régression de ces quatre variables sur
l’indice global de la Banque mondiale (I_GLOBEQ) (tableau 8).
Tableau 8 – Régressions de la croissance du PIB/tête, du taux d’IDE, de la FBCF et
d’IDH sur le niveau du PIB/tête et l’indicateur global de facilité à faire des affaires
Variables
explicatives
PIB/tête
Variables expliquées
IDE
FBCF
∆PIB/tête
-0,000962
0,0000998
-0,0001327
(-3,21)
(1,58)
(-1,73)
I_GLOBEQ
-0,0315936
-0,009475
-0,04367
(-4,24)
(-0,60)
(-2,29)
Constante
4,82913
4,113988
25,59038
(7,05)
(2,85)
(14,67)
R2
0,1229
0,0555
0,0398
statistiques de Student entre parenthèses – Contrôle limité au PIB/tête
Source : Blanchet, 2005, p. 6.
IDH
0,0000069
(4,77)
-0,002371
(-6,61)
0,8121173
(24,60)
0,5897
N.B. : l’indice I_GLOBEQ étant une variable de rang (croissante avec les difficultés à faire des affaires), il est logique de
s’attendre à ce qu’il ait un effet négatif sur les variables considérées ici.
La variable « facilité à faire des affaires » a un effet négatif sur les trois premières variables
macroéconomiques. Il est significatif pour la croissance du PIB par tête, mais son pouvoir
explicatif est faible ; il est non significatif et sans pouvoir explicatif pour l’investissement
étranger, et faiblement significatif et à pouvoir explicatif limité pour le taux d’investissement.
L’indice de développement humain obtient les meilleurs résultats, ce qui laisse à penser à une
relation croissante entre cet indice et la facilité à faire des affaires, mais cette interprétation
causale loin d’être acquise compte tenu que « cette relation ne fait que refléter la dépendance
simultanée de l’IDH et de l’indice de facilité à faire des affaires par rapport au niveau de vie
global. » (Blanchet, 2005, p. 7).
Conclusion
En définitive, les analyses économiques des institutions juridiques sont confrontées à un
trade-off entre la mesure des conséquences macroéconomiques et la finesse d’analyse des
dispositifs juridiques. En effet, les études détaillées des dispositifs juridiques, dans les
différents domaines envisagés précédemment, sont essentiellement associées à l’analyse
économétrique des déterminants de la réglementation ; les conséquences macroéconomiques,
quand elles sont évoquées ne le sont que de manière discursive. A l’inverse, et à l’instar de
23
Barro (2000), les régressions économétriques visant à expliquer la croissance par des
variables institutionnelles à composante juridique se basent sur des indicateurs très agrégés
qui ne rendent pas compte en détail des spécificités des systèmes juridiques. A cet égard, les
indicateurs de l’Etat de droit se basent sur des caractéristiques génériques des systèmes
institutionnels et ne permettent pas de différencier entre les familles juridiques.
La méthode des indicateurs de systèmes juridiques, comme ceux de Doing Business et de La
Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer, appelle de nombreuses réserves, à la fois sur leur objet et
leur construction. Il est difficile de déterminer avec précision si ces indicateurs mesurent le
droit formel tel que les textes en vigueur le définissent, ou le droit formel tel qu’un petit
nombre d’experts locaux se le représentent, ou la perception par ces experts de la manière
dont le droit est mis en oeuvre, ou encore les coûts du respect de la réglementation par les
acteurs économiques. De plus, on peut s’interroger si l’objet de la mesure est le droit ou la
réglementation (Frison-Roche, 2005), ou encore les règles substantielles, leur administration
ou le niveau de la bureaucratie...
Si l’on ajoute à cela que la technique des indicateurs consistant essentiellement à produire des
indices de rang, on ne peut que souscrire à l’analyse de Ménard et du Marais (2006) lorsqu’ils
affirment, à propos des indicateurs Doing Business, que « What they actually do is ranking
countries according to a set of indexes in which the real properties and specificities of legal
systems are almost never captured » (Ménard, du Marais, 2006, p. 26).
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