thyroide,grossesse et foetus

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RAPPORT
de congrès
La thyroïde, la grossesse et le fœtus
La réunion de printemps du «Belgian Thyroid Club» a revêtu un caractère un peu particulier. Ses
organisateurs avaient souhaité rendre hommage au travail accompli par Daniel Glinoer tout au long
de sa carrière.
Ce «thyroid monomaniac», comme l’appellent ses collaborateurs, s’étant intéressé de près à la
fonction thyroïdienne au cours de la grossesse, il était tout naturel que ce thème constitue la pièce
maîtresse d’un programme varié, agrémenté par une évocation surprenante des origines de
l’imagerie thyroïdienne et par la remise du «BTC award».
Editeur responsable : B. Houdmont, rue du Bourdon 100 - 1180 Bruxelles
PH. MAUCLET
Anne-Catherine Gérard (UCL), lauréate de ce «BTC Award 2009»
a commencé par situer le contexte dans lequel s’inscrivent ses
recherches: «La fréquence des nodules thyroïdiens est extrêmement élevée en pratique médicale courante, au point qu’il est
légitime de s’interroger sur leur nature réellement pathologique. Les nodules bénins pourraient ainsi provenir d’une adaptation permanente de la glande à l’apport en iode», a expliqué
AC Gérard.
Et la lauréate de poursuivre: «Les travaux récents de notre
laboratoire ont fait émerger le concept d’unités angio-folliculaires, véritables entités morphologiques et fonctionnelles
concrétisant l’intégration des compartiments épithélial, endothélial et de la matrice extracellulaire dans un processus d’adéquation entre l’apport iodé et la synthèse hormonale». La coordination entre ces différents compartiments tissulaires s’opère
via une régulation autocrine/paracrine qui peut échapper à la
TSH. Par ailleurs, le niveau d’activité de ces unités angio-folliculaires n’est pas nécessairement uniforme: certaines peuvent
être inactives, mais sont susceptibles d’être réactivées en cas
de nécessité sous l’effet de la TSH. Elles représentent une réserve
fonctionnelle potentiellement mobilisable en fonction des
besoins en hormones.
L’indice morphologique le plus précoce de ce recrutement, bien
avant l’hypertrophie ou l’hyperplasie des cellules folliculaires,
est la prolifération des cellules endothéliales, ainsi que l’extension du lit vasculaire qui, in fine, peut couvrir jusqu’à 80% de
la surface des follicules. «Nos travaux ont montré que le stimulus de croissance vasculaire provient des cellules folliculaires confrontées à une brusque carence intracellulaire en iode», précise encore
AC Gérard. On y observe un accroissement immédiat de la
charge oxydative qui contribue à stabiliser HIF-1 (Hypoxia Inducible Factor 1). Ce dernier stimule à son tour la synthèse et la
sécrétion de VEGF qui, en synergie avec des facteurs vaso-actifs
comme l’oxyde nitrique, agit sur les cellules endothéliales immé-
diatement adjacentes en stimulant leur croissance et l’expansion microvasculaire. Le flux vasculaire s’accroît et, ce faisant,
la clairance en iode. En cas de carence modérée et/ou limitée
dans le temps, ce système d’adaptation est probablement suffisant pour sauvegarder l’homéostasie hormonale indépendamment de la TSH. Si la carence en iode perdure ou s’aggrave, l’affaiblissement de la synthèse hormonale stimule la sécrétion de
la TSH.
Chaque unité angio-folliculaire, qui possède un potentiel de
croissance génétiquement préétabli (théorie clonale), se développe jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint. La stabilisation morphologique et fonctionnelle est obtenue, entre autres,
grâce au TGF bêta qui s’oppose à la stimulation induite par la TSH.
Les propriétés pro-fibrotiques du TGF bêta seraient responsables
de la formation des nodules.
Ces découvertes permettent donc de proposer le concept selon
lequel ces nodules sont l’expression de l’hétérogénéité naturelle de la glande thyroïde et le résultat de l’activation et du recrutement périodique des unités angio-folliculaires en fonction
des modifications environnementales des cellules folliculaires
(en particulier l’apport en iode) auxquelles ces dernières doivent
s’adapter en permanence.
Les débuts de l’imagerie thyroïdienne datent du
14ème siècle!
Si une telle déclaration paraît à première vue déroutante, la galerie de portraits que nous avons pu parcourir sous la conduite de
Claudine Als (Luxembourg) lève toute équivoque.
Les portraits nous aident, l’auriez-vous cru, à comprendre l’histoire des maladies et leur épidémiologie.
Soucieuse d’en faire la démonstration, Claudine Als a passé en
revue pas moins de 3.615 représentations d’habitants du canton de Berne, région de Suisse où existe depuis plusieurs siè1
cles une carence en iode . Elle a ainsi parcouru une période allant
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RAPPORT
de congrès
ème
de la Renaissance au 20 siècle, en recherchant, par une analyse minutieuse des portraits, d’éventuels signes de maladie. Il
apparaît ainsi que ces signes sont extrêmement fréquents
ème
et du
puisqu’ils sont retrouvés sur 82% des portraits du 17
ème
18 siècle. Les observations les plus courantes sont l’existence
d’un goitre chez les femmes et l’excès de poids chez les hommes.
Si on se limite aux portraits où seule la région du cou est évaluable, on constate que 41% des femmes et 24% des hommes
d’identité connue ont un goitre tandis que les prévalences sont
respectivement de 68% et 63% pour les modèles d’identité inconnue.
D’autres signes potentiellement liés à une dysfonction thyroïdienne ont été recherchés. Leur prévalence était moins élevée:
aspect crétinoïde dans 8% des cas, signe de Hertoghe dans 5%
des cas… La fréquence des autres conditions pathologiques, comme
une atteinte ostéo-articulaire était plus faible encore puisqu’elle
oscillait entre 0 et 1%.
«Si les signes de maladies ne sont pas rares sur les portraits des
habitants du canton de Berne, célèbres et moins célèbres, ces
maladies n’en sont pas moins sous-représentées», commente
C. Als. En effet, la prévalence du goitre chez les Bernois oscillait entre 80% et 90% en 1989. Elle était très probablement du
même ordre au cours des siècles précédents.
Et C. Als d’expliquer: «Il est probable que l’artiste atténue l’expression d’une maladie dans un souci d’idéalisation». Par ailleurs,
les personnages peints sur les tableaux sont probablement
issus d’une population relativement aisée, dont l’état de santé
était meilleur que celui de la population générale.
Enfin, la fréquence élevée de l’excès de poids sur les portraits
masculins pourrait conforter l’hypothèse d’une population sélectionnée: l’excès de poids était considéré comme un signe d’opulence et un facteur prédictif de survie à l’époque des famines.
Elle pourrait également s’expliquer par une interprétation artistique idéalisée.
Plusieurs des études entreprises par D. Glinoer ont porté sur
le goitre gestationnel. Elles ont montré que ce goitre survient
chez environ 10% des femmes enceintes et également chez
10% de leurs bébés à la naissance. De plus, chez la mère, le
goitre d’origine gestationnelle peut persister jusqu’à un an
3-5
après l’accouchement . Enfin, ce goitre résulte d’une stimulation anormale de la glande thyroïde et est donc corrélé aux
indices de la fonction thyroïdienne et à la sévérité de la
carence en iode, ce qui conduit à recommander une augmentation de la consommation en iode pour atteindre 200-300
mcg/jour.
Thyroïde et grossesse
L’hCG stimule la fonction thyroïdienne.
Daniel Glinoer est à l’origine de la première étude de cohorte
prospective sur la régulation de la fonction thyroïdienne chez
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la femme enceinte en bonne santé . Cette étude a été particulièrement instructive dès lors qu’elle a fixé le cadre de toutes
les investigations ultérieures. Ses principaux résultats montrent
que la grossesse est associée à l’aggravation d’un éventuel déficit en iode préexistant, d’une hypothyroxinémie relative, d’une
diminution du taux de la TSH au cours du premier trimestre, d’une
sécrétion préférentielle de T3, d’une augmentation de la thyroglobuline et d’une augmentation du volume de la thyroïde.
Ces observations d’ordre biochimique révèlent en définitive
qu’environ un tiers des femmes enceintes ayant une carence iodée
marginale présente ainsi une stimulation thyroïdienne avec
diminution relative de la T4.
Un tiers des femmes enceintes ayant une carence iodée
marginale présentent une stimulation de la fonction thyroïdienne.
2
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Environ dix pour cent des femmes enceintes – ainsi que leurs
nouveau-nés – en condition de carence iodée développent
un goitre.
L’hCG joue également un rôle dans la régulation de la fonc6
tion thyroïdienne maternelle . Ainsi, l’émoussement transitoire de la TSH observé chez 18% des femmes durant le premier trimestre de la grossesse est corrélé au pic d’hCG. Plus
ce pic d’hCG est élevé, plus la baisse de la TSH est marquée.
Dans 10% des cas, cette diminution de la TSH est associée à
une thyrotoxicose transitoire avec vomissements. La TSH
retrouve progressivement une valeur normale au cours du
deuxième trimestre. L’impact de l’hCG sur la fonction thyroï7
dienne a été confirmé par JP Grün et al. Ces auteurs ont
montré d’une part que l’amplitude et la durée du pic d’hCG
sont plus élevées en cas de grossesse gémellaire, d’autre
part que ces paramètres influencent la survenue d’une thyrotoxicose. Une amplitude élevée et une durée prolongée du
pic d’hCG permettent à la stimulation thyroïdienne anormale
de se manifester.
Dix-huit pour cent des femmes enceintes présentent une diminution transitoire du taux de TSH sérique et 2,4% développent une hyperthyroïdie gestationnelle.
Dix-sept pour cent des femmes enceintes présentent de dis8
crètes anomalies thyroïdiennes préexistantes . L’incidence des
avortements est trois fois plus élevée chez les femmes porteuses d’anticorps anti-thyroïdiens tandis que les femmes
enceintes qui ont des nodules voient ces derniers augmenter
en nombre et en volume. Près de 7% des femmes enceintes
présentent une auto-immunité thyroïdienne et, parmi elles, 16%
9
développent une hypothyroïdie sub-clinique . Ce phénomène
est un peu paradoxal dès lors que le titre des anticorps diminue de 50% au cours de la grossesse. «Quoi qu’il en soit, ces
données épidémiologiques justifient pleinement un dépistage des troubles thyroïdiens chez la femme enceinte», commente D. Glinoer (figure).
L’évaluation de la maturité osseuse par ultrasons permet de déceler plus précocement une dysfonction: un centre d’ossification
ème
fémoral distal visible avant la 31 semaine suggère l’existence
d’une hyperthyroïdie fœtale tandis qu’une apparition retardée
ème
de ce centre, c’est-à-dire au-delà de la 33 semaine, est évocatrice d’une hypothyroïdie. La taille de la glande, calculée
par échographie, demeure un outil diagnostique majeur. L’échodoppler couleur est en cours d’évaluation. Enfin, la cordocentèse
est une méthode de choix permettant d’évaluer directement le
statut thyroïdien du fœtus.
La mesure de la thyroïde fœtale par échographie permet d’évaluer le risque de dysfonction thyroïdienne chez le fœtus.
«Une des difficultés majeures dans le suivi de la fonction thyroïdienne des femmes enceintes est liée à la multiplicité des soignants qui entrent en jeu: obstétriciens, gynécologues, infirmières, accoucheuses, médecins généralistes, endocrinologues… Cette
diversité souligne l’absolue nécessité de prendre connaissance
11
des recommandations en la matière », conclut D. Glinoer.
N’oublions pas le fœtus
Michel Polak (Hôpital Necker, Paris, France) a clôturé la réunion
en traitant de l’hypothyroïdie congénitale due, dans 85% des
cas, à une dysgénésie de la glande et, dans 15% des cas, à un
trouble de l’hormonogenèse. Les facteurs génétiques impliqués
dans la pathogénie de ces deux types d’hypothyroïdie congénitale sont de mieux en mieux circonscrits. Certaines mutations
entraînent une altération de la synthèse des hormones thyroïdiennes (mutations des gènes NIS, pendrin, DUOX2…). D’autres
jouent un rôle dans les hypothyroïdies congénitales par ectopie,
athyréose ou hypoplasie (mutations des gènes TTF1, TTF2,
PAX82…). Elles pourraient reposer sur un mécanisme molécu12
laire commun et conduire à la survenue de malformations
associées.
Approche clinique
Plusieurs méthodes permettent d’évaluer la fonction
thyroïdienne du fœtus. La première est la détermination de la
croissance fœtale, altérée en cas d’hypothyroïdie importante. La
mesure de la fréquence cardiaque fœtale peut également s’avérer utile, une tachycardie faisant envisager une hyperthyroïdie.
Ces deux outils ne se révèlent toutefois contributifs que tardivement.
Un prélèvement de sang fœtal est conseillé en cas de risque
d’hypothyroïdie fœtale sévère
Dans le cas d’une hyperthyroïdie fœtale secondaire à une maladie de Basedow chez la mère, M. Polak préconise en première
intention le propylthiouracile. Il justifie ce choix en se basant sur
le risque de malformations fœtales lié à l’usage du carbimazole.
Lorsque la maladie de Basedow entraîne une hypothyroïdie
fœtale, l’attitude préconisée est une augmentation de la dose
de LT4.
Les injections intra-amniotiques de thyroxine diminueraient la
taille de la glande dans les cas d’hypothyroïdie fœtale avec goitre entraînant un hydramnios. L’expérience en la matière est toutefois limitée et un risque d’accouchement prématuré ne peut
13
pas être exclu .
■ Dr Ph. Mauclet
Belgian Thyroid Club , 34th meeting, Diegem, may 2009
Les dias des présentations sont disponibles sur le site du Belgian Thyroid Club
www.thyroidclub.be
RÉFÉRENCES
1. Als C. et al., BMJ 2002; 325: 1499
2. Glinoer D et al., J Clin Endocrinol Metab 1990; 71: 276
3. Glinoer D et al., Thyroid 1992; 2: 65
4. Glinoer D et al., J Clin Endocrinol Metab 1992; 75: 800
5. Glinoer D et al., J Clin Endocrinol Metab 1992; 74: 453
6. Glinoer D. et al., J Clin Endocrinol Metab 1993; 16: 880
7. Grün JP et al., Clin Endocrinol 1997; 46:719
8. Glinoer D. et al., J Clin Endocrinol Metab 1991; 73: 421
9. Glinoer D. et al. J Clin Endocrinol Metab 1994; 79: 197
10. Glinoer D. et al., J Clin Endocrinol Metab 1995; 80: 258
11. J Clin Endocrin Metab 2007 ; vol 92, Issue Supplement 8
12. Castanet M et al., J Clin Endocrinol Metab 2001; 86: 2009
13. Van Vliet G et al., Nat Clin Pract Endocrinol Metab 2008; 4: 675
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PM/LT/09/004/NF
Sur le plan de la prévention, la seule étude randomisée disponible révèle qu’une fortification en iode est bénéfique en cas
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de carence iodée, même discrète . La fortification améliore de
manière marquée le profil des tests de fonction thyroïdienne.
Cet effet ne se manifeste toutefois qu’à l’issue d’un trimestre.
S’il permet en grande partie d’éviter l’apparition d’un goitre, tant
chez la mère que chez le nouveau-né, il est toutefois préférable de corriger une éventuelle carence iodée avant le début de
la grossesse.
En cas de goitre fœtal, il est possible de faire la distinction
entre hypo et hyperthyroïdie en se basant sur une combinaison de critères maternels (taux de TRAK, taux de T4, administration d’antithyroïdiens de synthèse au cours du troisième trimestre) et fœtaux (maturation osseuse, fréquence
cardiaque fœtale…)
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