Cas clinique M Réglée mais non soudée

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Cas clinique
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Réglée mais non soudée
J.M. Kuhn*
ademoiselle J.V. est âgée de 18 ans et demi. Huitième et dernière enfant de la famille, elle est née
à terme après une grossesse normale. Sa croissance s’est déroulée normalement jusqu’à l’âge de 6 ans,
date à laquelle la surveillance médicale paraît avoir été
interrompue.
À l’âge de 18 ans et demi, le nouveau médecin traitant qui
la voit pour la première fois est frappé par son aspect et
l’adresse en consultation spécialisée. À cette date, mademoiselle V.J., qui ne suit aucun traitement, fait fonction
d’aide-soignante dans une maison de retraite. Elle a en
effet interrompu des études, suivies laborieusement, à la
fin de la troisième. À cette date, l’examen clinique d’une
jeune fille à idéation et mobilisation ralenties retrouve
une pâleur et une bouffissure du visage. Elle pèse 47 kg
pour 1,38 m, ce qui correspond à un âge statural de 10
ans et demi (figure 2). La peau est sèche et le cheveu fin.
Le rythme cardiaque régulier est à 60 pulsations/mn et
la pression artérielle à 110/70 mmHg. La palpation cervicale ne retrouve aucune anomalie. Le développement
pubertaire est complet et mademoiselle V.J. a des cycles
mensuels spontanés depuis l’âge de 14 ans et demi.
Le taux de TSH plasmatique atteint 690 mU/l (N = 0,1-4,5)
et celui de T4 libre 2,7 pmol/l (N = 10-26). La recherche de
la présence d’anticorps antithyroïdiens s’avère positive.
L’échographie thyroïdienne retrouve un parenchyme
eutopique et atrophique. Le cholestérol plasmatique est
à 12,7 mmol/l, les triglycérides à 1,1 mmol/l.
L’âge osseux, évalué selon la méthode de Greulich et
Pyle, est à 10 ans (figure 1). La GH s’élève de 1 à 7 ng/ml
après stimulation par chlorhydrate d’ornithine. L’IGF-1
plasmatique est à 128 ng/ml, entrant dans la norme des
enfants prépubères.
LH et FSH sont respectivement à 0,5 et 6,2 mU/ml et
l’estradiolémie contemporaine à 89 pg/ml. La prolactine
est à 27 pg/ml et s’inscrit à la limite supérieure de la normale.
Le diagnostic retenu est donc celui d’hypothyroïdie primaire par un processus de thyroïdite auto-immune. La date
d’apparition dans l’enfance (après 6 ans) explique la
normalité de la croissance avant cette date et l’absence
d’altération du quotient intellectuel. Cette hypothyroïdie
s’inscrit dans le cadre étiologique le plus fréquent des
hypothyroïdies acquises de l’enfance : les thyroïdites
lymphocytaires.
M
Le déficit en hormone thyroïdienne n’altère pas la fonction
gonadotrope. Celle-ci se révèle normale chez mademoiselle V.J. alors que dans nombre de situations d’hypothyroïdie de l’enfance, l’inflation du taux de gonadotrophines peut aboutir au développement d’une puberté
précoce. À l’inverse, le déficit en hormone thyroïdienne
est responsable d’un défaut de maturation osseuse, alors
même que l’imprégnation estrogénique est adéquate. La
discordance majeure entre l’âge osseux et l’âge chronologique en fournit une illustration éclatante. Ce défaut de
maturation osseuse intervient dans le retard statural en
association avec un ralentissement de la sécrétion somatotrope. La réponse de la GH à la stimulation pharmacologique par le chlorhydrate d’ornithine est insuffisante, ce
qui est habituellement observé au cours des hypothyroïdies
primaires de l’enfance. Enfin, l’hypercholestérolémie
majeure est une autre conséquence classique du déficit
en hormone thyroïdienne.
* Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen.
Figure 1.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 6, novembre/décembre 2003
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Taille en écarts types s
Poids en centiles
Figure 2.
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Après évaluation complète du statut myocardique, qui ne
révélera strictement aucune anomalie, une double approche
thérapeutique a été décidée :
– substitution par hormone thyroïdienne ;
– blocage transitoire de la fonction gonadotrope par analogue de la GnRH afin d’optimiser au maximum le gain
de croissance susceptible d’être apporté par la correction
de l’hypothyroïdie.
Ce traitement combiné, qui sera poursuivi deux ans, permettra d’obtenir très rapidement une euthyroïdie attestée
par la normalisation du taux de TSH plasmatique et un
gain de croissance de 10 cm.
Mademoiselle V.J., substituée par 175 mg de Lévothyrox®,
par jour a retrouvé des cycles réguliers à l’interruption du
traitement par analogue de la GnRH et à l’âge de 24 ans,
a donné naissance à son premier enfant.
Si le dépistage de l’hypothyroïdie néonatale, aux dramatiques conséquences sur le plan intellectuel lorsqu’elle
n’est pas substituée suffisamment tôt, est désormais
devenue systématique, il faut savoir penser à l’hypothyroïdie primaire à début dans l’enfance devant un
ralentissement de la croissance et ne pas hésiter dans ce
contexte à avoir recours à un dosage de TSH plasmatique.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 6, novembre/décembre 2003
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