Cas clinique Cas clinique 294 Réglée mais non soudée J.M. Kuhn* ademoiselle J.V. est âgée de 18 ans et demi. Huitième et dernière enfant de la famille, elle est née à terme après une grossesse normale. Sa croissance s’est déroulée normalement jusqu’à l’âge de 6 ans, date à laquelle la surveillance médicale paraît avoir été interrompue. À l’âge de 18 ans et demi, le nouveau médecin traitant qui la voit pour la première fois est frappé par son aspect et l’adresse en consultation spécialisée. À cette date, mademoiselle V.J., qui ne suit aucun traitement, fait fonction d’aide-soignante dans une maison de retraite. Elle a en effet interrompu des études, suivies laborieusement, à la fin de la troisième. À cette date, l’examen clinique d’une jeune fille à idéation et mobilisation ralenties retrouve une pâleur et une bouffissure du visage. Elle pèse 47 kg pour 1,38 m, ce qui correspond à un âge statural de 10 ans et demi (figure 2). La peau est sèche et le cheveu fin. Le rythme cardiaque régulier est à 60 pulsations/mn et la pression artérielle à 110/70 mmHg. La palpation cervicale ne retrouve aucune anomalie. Le développement pubertaire est complet et mademoiselle V.J. a des cycles mensuels spontanés depuis l’âge de 14 ans et demi. Le taux de TSH plasmatique atteint 690 mU/l (N = 0,1-4,5) et celui de T4 libre 2,7 pmol/l (N = 10-26). La recherche de la présence d’anticorps antithyroïdiens s’avère positive. L’échographie thyroïdienne retrouve un parenchyme eutopique et atrophique. Le cholestérol plasmatique est à 12,7 mmol/l, les triglycérides à 1,1 mmol/l. L’âge osseux, évalué selon la méthode de Greulich et Pyle, est à 10 ans (figure 1). La GH s’élève de 1 à 7 ng/ml après stimulation par chlorhydrate d’ornithine. L’IGF-1 plasmatique est à 128 ng/ml, entrant dans la norme des enfants prépubères. LH et FSH sont respectivement à 0,5 et 6,2 mU/ml et l’estradiolémie contemporaine à 89 pg/ml. La prolactine est à 27 pg/ml et s’inscrit à la limite supérieure de la normale. Le diagnostic retenu est donc celui d’hypothyroïdie primaire par un processus de thyroïdite auto-immune. La date d’apparition dans l’enfance (après 6 ans) explique la normalité de la croissance avant cette date et l’absence d’altération du quotient intellectuel. Cette hypothyroïdie s’inscrit dans le cadre étiologique le plus fréquent des hypothyroïdies acquises de l’enfance : les thyroïdites lymphocytaires. M Le déficit en hormone thyroïdienne n’altère pas la fonction gonadotrope. Celle-ci se révèle normale chez mademoiselle V.J. alors que dans nombre de situations d’hypothyroïdie de l’enfance, l’inflation du taux de gonadotrophines peut aboutir au développement d’une puberté précoce. À l’inverse, le déficit en hormone thyroïdienne est responsable d’un défaut de maturation osseuse, alors même que l’imprégnation estrogénique est adéquate. La discordance majeure entre l’âge osseux et l’âge chronologique en fournit une illustration éclatante. Ce défaut de maturation osseuse intervient dans le retard statural en association avec un ralentissement de la sécrétion somatotrope. La réponse de la GH à la stimulation pharmacologique par le chlorhydrate d’ornithine est insuffisante, ce qui est habituellement observé au cours des hypothyroïdies primaires de l’enfance. Enfin, l’hypercholestérolémie majeure est une autre conséquence classique du déficit en hormone thyroïdienne. * Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen. Figure 1. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 6, novembre/décembre 2003 Cas clinique Cas clinique Taille en écarts types s Poids en centiles Figure 2. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 6, novembre/décembre 2003 295 Cas clinique Cas clinique 296 Après évaluation complète du statut myocardique, qui ne révélera strictement aucune anomalie, une double approche thérapeutique a été décidée : – substitution par hormone thyroïdienne ; – blocage transitoire de la fonction gonadotrope par analogue de la GnRH afin d’optimiser au maximum le gain de croissance susceptible d’être apporté par la correction de l’hypothyroïdie. Ce traitement combiné, qui sera poursuivi deux ans, permettra d’obtenir très rapidement une euthyroïdie attestée par la normalisation du taux de TSH plasmatique et un gain de croissance de 10 cm. Mademoiselle V.J., substituée par 175 mg de Lévothyrox®, par jour a retrouvé des cycles réguliers à l’interruption du traitement par analogue de la GnRH et à l’âge de 24 ans, a donné naissance à son premier enfant. Si le dépistage de l’hypothyroïdie néonatale, aux dramatiques conséquences sur le plan intellectuel lorsqu’elle n’est pas substituée suffisamment tôt, est désormais devenue systématique, il faut savoir penser à l’hypothyroïdie primaire à début dans l’enfance devant un ralentissement de la croissance et ne pas hésiter dans ce contexte à avoir recours à un dosage de TSH plasmatique. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 6, novembre/décembre 2003