aléatoire de ce travail avec l'événement même d'une guerre (qui aurait pu elle-même
ne pas avoir lieu) qui nous a conduite à voir l'urgence du concept d'Actualité créé
par Michel Foucault : comme si ce concept nouveau faisait de lui-même irruption
dans une première lecture (à un premier niveau) du texte "Nietzsche, la généalogie,
l'histoire", plan de lecture didactique qui bénéficiait de la lumière propre à l'exposi-
tion de Michel Foucault (la clarté de la distinction des deux concepts de
"provenance" et "d'émergence"), introduisant la question de l'Actualité comme un
corps sinon étranger, du moins irréductible au premier plan de lecture déjà constitué,
troublant sa possible transparence par la violence de l'émergence d'une question
appartenant à une autre couche de la temporalité conceptuelle de Foucault, au plan
plus opaque et en quelque sorte plus dur de l'Actualité. Peut-on alors parler d'expé-
rience, de passion de la pensée -- car jamais les articles n'ont eu autant de force dans
les quotidiens (Daney, Virilio dans Libération).
Quoiqu'il en soit, de telles expérimentations d'écriture supposeraient déterminées
les conditions de possibilité de l'extension, de l'amplification (Marie-Claire Ropars-
Wuilleumier)(8) du principe eisensteinien du montage comme Hors cadre,
hieroglyphe, à d'autres modes de pensée que celui du cinéma : l'écriture, la lecture.
Cette dernière, en particulier, relève manifestement d'un mode de pensée analytique,
d'une logique linéaire(9) (au moins pour ce qui est de notre système d'écriture alpha-
bétique), alors que l'espace-temps nouveau qu'ouvre le Hors cadre relève au cinéma,
dans ses avancées les plus audacieuses, -- telle La région centrale de Michael Snow,
l'espace courbe, "riemanien", que cherche à créer Dreyer dès Dies Irae sous le nom
de "gros plan coulant" (et qu'il commence à trouver dans Ordet, Gertrud), tel enfin
le montage sonore du dernier film de Godard Nouvelle vague, de telles avancées
relèvent de la création d'un nouvel espace-temps cinématographique, pluridi-
mensionnel, volumétrique, comme un cosmos en expansion, une spatialité profonde
comme dit Blanchot à propos de Un coup de dés et dont le seul équivalent serait
précisément, en littérature, le dernier poème de Mallarmé (et, pourrions nous ajouter,
l'écriture du dernier Artaud) : "Cette langue nouvelle (...) est une langue stricte,
destinée à élaborer, selon des voies nouvelles, l'espace propre au langage, que nous
autres, dans la prose quotidienne comme dans l'usage littéraire nous réduisons à une
simple surface parcourue par un mouvement uniforme et irréversible. A cet espace,
Mallarmé restitue la profondeur. Une phrase ne se contente pas de se dérouler d'une
manière linéaire; elle s'ouvre; par cette ouverture s'étagent, se dégagent, s'espacent et
se resserrent, à des profondeurs et à des niveaux différents, d'autres mouvements de
phrases, d'autres rythmes de paroles, qui sont en rapport les uns avec les autres selon
8 - Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Le texte divisé, P.U.F. Ecriture, Paris, 1981 - Ecraniques Le
film du texte, Presses Universitaires de Lille, 1990.
9 - "Un coup de dés annonce un livre tout autre que le livre qui est encore le nôtre : il laisse pressentir
que ce que nous appelons livre est la tradition occidentale, où le regard identifie le mouvement de la
compréhension avec un va-et-vient linéaire, n'a de justification que dans la facilité de la
compréhension analytique. Au fond, il faut bien nous en rendre compte : nous avons les livres les
plus pauvres qui pouvaient se concevoir, et nous continuons de lire, après quelques millénaires,
comme si nous ne faisions que commencer à apprendre à lire." Maurice Blanchot, Le livre à venir,
Gallimard, Folio, Paris, 1990, p.319.