POLITIQUES INTERNATIONALES L’AFRIQUE ET LE MONDE 07/2016 ROSA LUXEMBURG STIFTUNG AFRIQUE DE L’OUEST LE FRANC CFA ET LA QUESTION DE LA SOUVERAINETE EN AFRIQUE Armin Osmanovic, Représentant Régional ([email protected]) Photo prise par Armin Osmanovic Il existe en réalité deux monnaies dénommées Franc CFA. À l’ouest du continent africain, huit pays ont le franc CFA comme monnaie commune. Il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger du Sénégal et du Togo. Le siège de la Banque Centrale se trouve à Dakar. Ces pays ont une population totale d’environ 110 millions d’habitants avec un Produit intérieur brut (PIB) de 77,6 milliards de dollars américains. Les onze millions de Grecs réalisent un PIB presque quatre fois plus élevé (262 milliards de dollars américains). En Afrique centrale, le franc CFA sert comme moyen de paiement commun dans six pays et le siège de sa Banque Centrale se trouve à Yaoundé. La Guinée Équatoriale, le Gabon, le Cameroun, la République du Congo, le Tchad et la République Centrafricaine appartiennent à cette zone monétaire. Ces six pays comptent environ 50 millions d’habitants et ont au total un PIB de 74,7 milliards de dollars américains. Arrimées d’abord au Franc français, ces deux monnaies, qui existent depuis 1945, le sont maintenant à l’euro avec une parité fixe. Pour un euro on obtient 655,957 francs. La valeur de ces deux monnaies est garantie par le Trésor français à Paris. Les pays s’engagent en retour à déposer 50% de leurs réserves monétaires au Trésor français. Actuellement, un montant d’environ 20 milliards de dollars américains rémunéré par la Banque de France avec un taux d’intérêt d’un peu moins de 0,25% sont déposés à Paris. Cette somme qui dépasse le PIB de bon nombre de pays des deux zones monétaires attise la convoitise de beaucoup d’hommes politiques dans les pays africains concernés où le budget de l’État souffre de la crise actuelle des matières premières et où la croissance démographique est telle que la construction d’écoles, de routes, d´hôpitaux ne parvient pas répondre aux besoins. La critique du Président tchadien Idriss Deby, dont le pays souffre de la chute des cours du pétrole, et par ailleurs en lutte contre Boko Haram, doit être comprise dans ce sens. Ce ne sont pas seulement les réserves monétaires inutilisées qui sont en proie aux critiques mais le taux de change fixe de l’euro constitue également une source de préoccupation. Avec le niveau actuel de la parité avec l’euro, les deux francs CFA seraient surévalués et constitueraient un frein aux exportations et aux investissements dans les deux zones monétaires, déplore l’ancien ministre des Finances de la Côte d’Ivoire Mamadou Koulibaly. Le contre-argument avancé à cet effet est le suivant : le taux de change fixe des deux franc CFA par rapport à l’euro favoriserait la stabilité de la monnaie et des prix et, par conséquent, les investissements et la croissance. Si nous procédons de manière empirique il est difficile de démontrer que les pays membres des deux zones monétaires du franc CFA sont obligés de monnayer leur taux de change fixe avec une faible croissance. Il y a beaucoup de facteurs partant du régime commercial, de l’organisation des douanes, des produits d’exportation jusqu’à l’évolution démographique et bien entendu la stabilité politique qui influent sur la croissance économique. La crise économique, qui sévit en Côte d’Ivoire depuis les années 80, a plusieurs causes. La chute du prix du principal produit d’exportation, à savoir le cacao, y joue également un rôle tout comme la guerre civile (de 2002 à 2007 et de 2010 à 2011) et l’exode de beaucoup d’entreprises durant cette période. Le Ghana, dont la monnaie, le cedi, est librement convertible, doit son meilleur niveau de développement économique, depuis le milieu des années 90, plus à sa plus grande stabilité politique qu’à sa monnaie. GRAPHIQUE : PIB PAR HABITANT EN DOLLARS AMERICAINS CONSTANTS DE 2010 Source : Banque Mondiale 2016 À côté des questions économico-techniques la critique faite au franc CFA a aussi des motifs d’ordre politique. Pour certains, la monnaie commune est une question de souveraineté. Aux yeux des auteurs du livre Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA?, le Franc CFA est un symbole du néocolonialisme et de l’impérialisme français et constitue une forme de souveraineté taillée sur mesure pour les chefs d’État africains. Pour ces auteurs, le franc CFA est, cinquante ans après l’indépendance, formelle vis-à-vis de la France (la Guinée Bissau qui était autrefois une colonie portugaise, est depuis 1997 membre de la zone CFA), un anachronisme historique. Avec la fin du franc CFA ces auteurs espèrent pour les pays membres non seulement plus de croissance économique mais aussi une souveraineté effective. Il est en effet surprenant de constater comment la monnaie franc CFA qui a été créée durant la colonisation a pu survivre à la fin de l’Empire français. Pourquoi les autres pays africains n’ont pas suivi l’exemple de la Guinée, qui, juste après l’accession à l’indépendance en 1960, est sortie de la zone CFA? Pourquoi le Mali l’a réintégrée en 1984 après avoir suivi en 1962 l’exemple de la Guinée ? Pourquoi la fin du franc CFA n’a pas été proclamée en 1994 lorsque la monnaie fut dévaluée de moitié, alors que les responsables politiques africains étaient contre la dévaluation que réclamaient la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans le but, selon eux, de promouvoir la capacité d’exportation de ces pays ? Un regard rétrospectif sur l’histoire de l’Afrique Occidentale Française et sur le chemin emprunté par les pays d’Afrique de l’ouest pour accéder à l’indépendance nous permet de trouver la réponse à ces questions. Pendant longtemps, la France avait à peine investi dans ses colonies. Les investissements de l’État étaient réduits au minimum, même en ce qui concerne les agents de l’État. Le développement des infrastructures se concentrait sur l’exportation de produits agricoles : au Sénégal sur l’arachide et en Côte d’Ivoire sur le cacao. À la fin de la deuxième Guerre Mondiale la pression sur la France monta d’un cran. Dans les colonies, où les grèves sévissaient, on réclamait de meilleures rémunérations, une vie meilleure. Sur le plan international, la France subissait également des pressions. Sous sa forme ancienne, la colonisation n’avait plus d’avenir. L’Afrique et la France cherchèrent à trouver un nouvel arrangement. Dans les années 50, l’indépendance totale n’était réclamée que par une minorité. Des hommes politiques africains, comme Léopold Senghor qui deviendra plus tard président du Sénégal, mettaient même en garde contre une rupture avec la France. La souveraineté totale, c’est-à-dire l’indépendance, ne résonnait dans leurs oreilles que comme pauvreté permanente et dépendance à l’aumône, c’est-à-dire à l’aide au développement. La France devrait être engagée économiquement et financièrement. Après tout, les salaires avaient nettement augmenté en Afrique de l’ouest dans les années 50. Ils étaient indexés sur les conditions de vie en France et beaucoup d’Africains avaient trouvé un emploi dans une fonction publique en pleine expansion. Les hommes politiques français voulaient conserver leur empire pour une longue période. Avec une population totale de 88 millions de personnes, la France aspirait à occuper la première place sur la scène mondiale et dans une Europe qui tendait alors à l’unification. Mais une union avec l’Afrique de l’ouest avec à la clé l’obtention de la nationalité française pour les Africains aurait signifié que l’Assemblée Nationale à Paris serait dominée de plus en plus par des députés de couleur. La plupart des députés refusèrent une telle « colonisation de la France par les colonies ». S’agripper à l’empire colonial aurait également signifié une union de transferts. Des millions de francs avaient déjà été injectés dans les régions pauvres et sous développées d’Afrique. Avec de tels transferts le niveau de vie dans la métropole pouvait baisser jusqu’à 30% selon les prévisions des dirigeants français. À la fin des années 50 toutes les tentatives visant à réunir l’Afrique de l’ouest et la France, sous une forme quelconque, dans une communauté d’États, échouèrent. Le franc CFA a survécu parce qu’il correspondait aux relations économiques tissées pendant des dizaines d’années. Les entrepreneurs français pouvaient continuer de mener leurs activités en Afrique avec « leur » devise et les migrants africains pouvaient s’en remettre au fait que dans leur patrie à Ouagadougou ou à Dakar leurs maisons avaient encore une valeur stable. Bizarrement, ce système a fonctionné pendant longtemps et pouvait aussi se maintenir car une coopération économique dans la région et même au-delà avait à l’époque comme aujourd’hui un sens pour les pays membres, même s’ils comptent encore aujourd’hui parmi les pays les plus pauvres du monde et ceci est tout aussi valable pour les États de la région ayant leur propre monnaie. Le fait que les pays africains puissent créer une union monétaire indépendante de la Banque Centrale Française suscite de nos jours à peine l’enthousiasme. Aujourd’hui la politique africaine de la France ne se focalise que sur la lutte contre le terrorisme et contre l’immigration clandestine. Le franc CFA intéresse encore à peine, le souvenir d’un passé colonial commun s’estompe de plus en plus. L’accent devrait être mis beaucoup plus sur la coopération économique et politique dans la région. Les politiques commerciales solitaires, à l’image de celles pratiquées par la Gambie qui ne fait pas partie de la zone franc CFA, coûtent aux pays de l’union comme à son voisin le Sénégal, des millions de pertes en recettes douanières car le modèle économique gambien est essentiellement axé sur des droits de douanes plus bas et sur la réexportation de marchandises vers le Sénégal. Une discussion autour d’une politique monétaire et économique commune serait une nécessité urgente en Afrique de l’ouest pour notamment gagner en souveraineté. ROSA LUXEMBURG STIFTUNG AFRIQUE DE L‘OUEST Sotrac-Mermoz Villa 43 BP : 25013 | Dakar-Sénégal Téléphone : +221 33 869 75 19 | Fax: +221 33 824 19 95 | site web : www.rosalux.sn ROSA LUXEMBURG STIFTUNG Les points de vue exprimés par l’auteur ne représentent pas nécessairement ceux de la Fondation Rosa Luxemburg.