À côté des questions économico-techniques la critique faite au franc CFA a aussi des motifs d’ordre
politique. Pour certains, la monnaie commune est une question de souveraineté. Aux yeux des auteurs
du livre
Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA
?, le Franc CFA est un
symbole du néocolonialisme et de l’impérialisme français et constitue une forme de souveraineté taillée
sur mesure pour les chefs d’État africains. Pour ces auteurs, le franc CFA est, cinquante ans après
l’indépendance, formelle vis-à-vis de la France (la Guinée Bissau qui était autrefois une colonie
portugaise, est depuis 1997 membre de la zone CFA), un anachronisme historique. Avec la fin du franc
CFA ces auteurs espèrent pour les pays membres non seulement plus de croissance économique mais
aussi une souveraineté effective.
Il est en effet surprenant de constater comment la monnaie franc CFA qui a été créée durant la
colonisation a pu survivre à la fin de l’Empire français. Pourquoi les autres pays africains n’ont pas suivi
l’exemple de la Guinée, qui, juste après l’accession à l’indépendance en 1960, est sortie de la zone
CFA? Pourquoi le Mali l’a réintégrée en 1984 après avoir suivi en 1962 l’exemple de la Guinée ?
Pourquoi la fin du franc CFA n’a pas été proclamée en 1994 lorsque la monnaie fut dévaluée de moitié,
alors que les responsables politiques africains étaient contre la dévaluation que réclamaient la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international dans le but, selon eux, de promouvoir la capacité
d’exportation de ces pays ?
Un regard rétrospectif sur l’histoire de l’Afrique Occidentale Française et sur le chemin emprunté par les
pays d’Afrique de l’ouest pour accéder à l’indépendance nous permet de trouver la réponse à ces
questions.
Pendant longtemps, la France avait à peine investi dans ses colonies. Les investissements de l’État
étaient réduits au minimum, même en ce qui concerne les agents de l’État. Le développement des
infrastructures se concentrait sur l’exportation de produits agricoles : au Sénégal sur l’arachide et en
Côte d’Ivoire sur le cacao. À la fin de la deuxième Guerre Mondiale la pression sur la France monta d’un
cran. Dans les colonies, où les grèves sévissaient, on réclamait de meilleures rémunérations, une vie
meilleure. Sur le plan international, la France subissait également des pressions. Sous sa forme
ancienne, la colonisation n’avait plus d’avenir.
L’Afrique et la France cherchèrent à trouver un nouvel arrangement. Dans les années 50,
l’indépendance totale n’était réclamée que par une minorité. Des hommes politiques africains, comme
Léopold Senghor qui deviendra plus tard président du Sénégal, mettaient même en garde contre une
rupture avec la France. La souveraineté totale, c’est-à-dire l’indépendance, ne résonnait dans leurs
oreilles que comme pauvreté permanente et dépendance à l’aumône, c’est-à-dire à l’aide au
développement.
La France devrait être engagée économiquement et financièrement. Après tout, les salaires avaient
nettement augmenté en Afrique de l’ouest dans les années 50. Ils étaient indexés sur les conditions de
vie en France et beaucoup d’Africains avaient trouvé un emploi dans une fonction publique en pleine
expansion.
Les hommes politiques français voulaient conserver leur empire pour une longue période. Avec une
population totale de 88 millions de personnes, la France aspirait à occuper la première place sur la
scène mondiale et dans une Europe qui tendait alors à l’unification. Mais une union avec l’Afrique de
l’ouest avec à la clé l’obtention de la nationalité française pour les Africains aurait signifié que
l’Assemblée Nationale à Paris serait dominée de plus en plus par des députés de couleur. La plupart des
députés refusèrent une telle « colonisation de la France par les colonies ». S’agripper à l’empire colonial
aurait également signifié une union de transferts. Des millions de francs avaient déjà été injectés dans
les régions pauvres et sous développées d’Afrique. Avec de tels transferts le niveau de vie dans la
métropole pouvait baisser jusqu’à 30% selon les prévisions des dirigeants français.
À la fin des années 50 toutes les tentatives visant à réunir l’Afrique de l’ouest et la France, sous une
forme quelconque, dans une communauté d’États, échouèrent. Le franc CFA a survécu parce qu’il