Vers une définition de la transparence perçue de
relation client sur les canaux digitaux
Audrey Portes*
Montpellier Recherche en Management (MRM)
IAE Montpellier, Université de Montpellier
Anne-Sophie Cases
Montpellier Recherche en Management (MRM)
IAE Montpellier, Université de Montpellier
anne-sophie.case[email protected]
Gilles N’Goala
Montpellier Recherche en Management (MRM)
UFR AES Richter, Université de Montpellier
*Auteur de correspondance : MRM - CC 028 - Place Eugène Bataillon - 34095
Montpellier, 06 43 59 34 92.
Résumé :
Cette recherche propose de définir le concept de transparence perçue des pratiques
relationnelles sur les canaux digitaux. Un état de l'art sur le concept a été mené et
complété par une étude qualitative exploratoire en deux temps afin de mieux
comprendre la transparence transmise et applicable par les entreprises et la
transparence perçue et attendue par les utilisateurs. Des entretiens ont été menés
avec des managers et fondateurs d’entreprises, puis, des entretiens d’utilisateurs ont
été réalisés. L’analyse de contenu a permis de spécifier les sous-dimensions de la
transparence et d’en déduire les pratiques attendues par les utilisateurs et celles
envisagées ou mises en place par les entreprises.
Mots-clef :
Transparence ; divulgation de l’information ; relation client ; digital ; parcours client
Abstract :
This research proposes to define the concept of perceived transparency in a digital
customer relationship context. A literature review was carried out and completed by an
exploratory qualitative study based on managers working in a digital field, and then
based on users. The main goal was to understand better the transparency given by
companies and the transparency expected by users. The content analysis specifies
the sub-dimensions of transparency and helps to conclude on the practices expected
by users and those considered or already implemented by companies.
Keywords:
Transparency ; information disclosure, customer relationship management ; digital ;
customer journey
1
Dans la sphère marketing, dans l’univers de la gestion ou à l’échelle de la société, il
existe une asymétrie d’information grandissante entre les individus et les
organisations : d’un côté, les clients, consommateurs, utilisateurs, citoyens sont de
plus en plus transparents pour les organisations (entreprises, médias, associations,
etc.), ceci d’autant plus qu’ils peuvent être aisément identifiés et « tracés » partout,
tout le temps et sur de nombreux dispositifs anytime, anywhere, any device »); d’un
autre côté, les outils, les pratiques et les technologies employées par les organisations
sont généralement invisibles du point de vue des utilisateurs et brillent par leur opacité
(data, algorithmes, retargeting, real-time bidding, etc.). La transformation numérique
modifie ainsi en profondeur la nature et l’équilibre des rapports sociaux. Selon une
étude AACC Customer Marketing et Toluna en 2012
,
72.9% des utilisateurs trouvent
dès lors que les marques ne sont pas transparentes dans leur relation avec les
consommateurs
1
. Des institutions se sont emparées de ce sujet sensible, comme la
CNIL qui s’oppose à des pratiques de relation client « méconnaissant les droits et
intérêts fondamentaux des utilisateurs et portant atteinte au respect de leur vie
privée ». Mais les entreprises, bien que conscientes du problème et de la nécessité de
restaurer un rapport de confiance avec les clients, tardent à s’emparer du sujet et à
mettre en œuvre une politique claire – et transparente - en la matière.
Le point de vue des consommateurs mérite également de plus larges investigations :
l’exigence de transparence est-elle si forte ? Sur quoi désirent-ils plus de
transparence ? Les produits ? Les datas ? Les technologies ? Les tactiques
d’influence ? Les prix ? Sont-ils vraiment des « victimes » ou des « complices » dans
le développement de ces pratiques ? N’existe-t-il pas une forme de tolérance, de
fatalité ou d’indifférence à cette question ? L’objectif de cette recherche est donc de
s’interroger sur la transparence à partir des points de vue des managers et des
consommateurs. Il s’agit d’identifier les pratiques mises en place par les entreprises
en termes de transparence relationnelle sur les canaux digitaux, de couvrir les
pratiques attendues par les utilisateurs, et enfin de savoir comment signaler la
transparence aux différents utilisateurs. Cet enjeu est central car l’opacité de la
relation peut altérer non seulement les usages des technologies (désinstallation de
l’application mobile, installation de bloqueurs de publicités
2
, etc.) mais aussi entraîner
une véritable perte de confiance des clients et une dégradation des relations. Kang et
Hustvedt (2014) montrent notamment que la transparence a un impact sur la qualité
de la relation, sur les intentions d’achat et le bouche-à-oreille. Pour Schultz (2014)
3
, la
transparence est devenue aujourd'hui la nouvelle règle à respecter. Or, la pratique et
la recherche en marketing n’ont pas encore apporté toutes les réponses.
La transparence est une notion ancienne, cruciale dans la compréhension des
rapports humains et a dès lors été largement débattue dans un grand nombre de
disciplines en sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, économie, droit,
sciences politiques, etc.). La littérature en marketing, et plus particulièrement celle en
communication (publicité) et en marketing relationnel, a aussi fréquemment abordé
cette question. Cependant, la recherche marketing n’a souvent retenu de la
transparence qu’une vision globale et unidimensionnelle, voire binaire (transparence
vs. opacité), alors même qu’elle recouvre des réalités nuancées et multiples et
comporte différentes facettes (objectivité, exhaustivité, etc.). En outre, les quelques
études empiriques réalisées sont relativement anciennes et n’ont pas véritablement
1
http://thinktank.aacc.fr/2012/
2
Un internaute sur trois en France installe un bloqueur de publicité (http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/pres-d-un-internaute-sur-
trois-en-france-a-installe-un-bloqueur-de-pub_1772147.html)
3
Schultz D.E. (2014), “Dead or Dying”, Marketing Insights, American Marketing Association.
2
appréhendé les conséquences de la transformation numérique des relations clients
(big data, réseaux sociaux et communautés peer-to-peer, automatisation du CRM et
reciblage, multiplication des points de contact et relation phygitale, etc).
Dans notre monde connecté, la question de la transparence se pose aujourd’hui de
manière encore plus prégnante, les risques de dérive et de manipulation des clients
étant majeurs (N’Goala, 2015), mais elle se pose aussi de manière différente, tant les
modes d’échange et de communication sont impactés par la volution numérique. La
question de la transparence ne renvoie plus seulement à la divulgation d’information
par l’entreprise au travers d’une campagne de communication (publicité, relations
publiques, etc.) ; dans notre ère numérique et connectée, la communication est
multiforme, multidirectionnelle, instantanée et prend la forme de conversations entre
des consommateurs, des marques et d’autres consommateurs, ce qui cessite de
repenser la place de la transparence dans le management de la relation client.
L’objectif de cet article est donc de s’interroger sur la définition et la place de la
transparence, à la fois du point de vue des consommateurs et des managers
d’entreprises. Suite à une revue de littérature, 16 consommateurs et 12 managers /
fondateurs d’entreprises dans le digital ont été interrogés. La façon dont ils
appréhendent chacun la transparence a été étudiée à l’aide d’une analyse de contenu.
En conclusion, une discussion viendra proposer des pistes de recherche concernant
les effets de la transparence sur la relation client.
1. La transparence pour les acteurs du marché
La transparence est abordée dans un premier temps dans une perspective de
« marché », à l’aide d’une étude de la presse managériale. Puis, dans un second
temps, un état de l’art sur le concept dans différents champs de littérature est proposé.
1.1. La transparence sous l’angle technologique et législatif
La définition du concept de transparence est liée à l’étymologie me du terme qui
renvoie au fait de rendre visibles des pratiques tout en gardant cachés les process et
technologies, ceci afin de procurer une expérience fluide aux utilisateurs. Il existe un
dilemme entre transparence/opacité des pratiques et visibilité/invisibilité des
process/technologies. En d’autres termes, pour être transparent, il s’agit de divulguer
des informations et donc d’être visible ; or le progrès technologique implique une
invisibilité des dispositifs. Par exemple, dans le « customer journey » (parcours client),
sont fusionnées des données de navigation mobile et d’achat en magasin mais aussi
des données obtenues sur PC dans l’objectif de toucher précisément l’utilisateur via
des messages ciblés du type « recommandation produit ». Ces dispositifs sont
invisibles et non transparents car le consommateur ne sait pas exactement quand,
comment et dans quel but ses données sont collectées. Il ne choisit pas non plus
quelles vont être les pratiques relationnelles qui seront ensuite mises en place à son
égard.
Au-delà de l’aspect technologique, la définition de la transparence par les acteurs du
marché reste difficile en raison d’une législation qui tarde à instaurer des normes. Du
point de vue du consommateur, la transparence est le « droit d’avoir des informations
permettant de faire des choix avisés » (CI, 2014). C’est un droit humain fondamental :
« le droit de savoir » (Birkinshaw, 2006). Toutefois, sans cadre légal clair auquel se
référer sur la récolte, l’utilisation et la diffusion des données personnelles, la
4
Consumer International (2010), http://www.consumersinternational.org
3
transparence reste un concept flou pour les entreprises et chacune applique ses
propres gles, plus ou moins transparentes. Bien qu’en 2012 un groupe de travail
« Ethique et Big Data »
5
ait conçu « une charte visant à garantir la qualité, la traçabilité
et la pérennité des données, tout en réduisant au maximum les risques juridiques liés
à la diffusion et à leur réutilisation »
6
, cela reste insuffisant (charte auto-administrée).
Récemment, différents acteurs juridiques du marché se sont investis afin de garantir
une certaine transparence. Des efforts sont réalisés par la Commission Européenne
7
via le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles qui
entrera en application en 2018. Il est signifié que « le règlement européen repose
maintenant sur une logique de conformité, dont les acteurs sont responsables, sous le
contrôle et avec l’accompagnement du régulateur et non plus sur une notion de
« formalités préalables » (déclarations, autorisations) ». Cela implique entre autres
« un renforcement de l’obligation d’informer le consommateur de la collecte et de
l’utilisation de ses données », et surtout « l’obligation pour les entreprises d’obtenir
l’accord explicite des utilisateurs pour tout nouvel usage de la donnée ». « La
possibilité de contester la publicité ciblée générée par le recueil et le traitement de ses
données est aussi envisagée » pour 2018. D’autres garants du marché comme l’EBG
(Electronic Business Group), travaillent sur les fondamentaux éthiques de l’utilisation
des données et la gestion du bon ratio « give-to-get ». L’IAB (Interactive Advertising
Bureau) et l’UDA (Union Des Annonceurs) commencent aussi à s’intéresser à ces
problématiques de transparence. Certaines démarches sectorielles sont à mentionner
comme les syndicats du mobile ou de l’affiliation qui se sont emparés du sujet en
tentant d’instaurer des pratiques de transparence homogènes pour leurs adhérents.
Au niveau international, de récentes évolutions règlementaires sont à prendre en
compte comme l’invalidation du « Safe Harbor » et le « Privacy shield »
8
qui
permettaient le transfert des données personnelles de citoyens européens vers les
USA.
1.2. Etat de l’art sur la transparence
Le cadre législatif tarde à mettre en place des normes homogènes pour les différents
acteurs du marché, d’où l’importance de l’instauration d’une certaine proactivité et d’un
consensus dans les pratiques marketing. En réponse à ce besoin de définition, la
transparence est étudiée à travers divers champs de littérature. Dans un premier
temps, sont analysés les différents objets dont il est question lorsque l’on parle de
transparence. Ensuite, les définitions sont recensées et analysées.
1.2.1. Les objets de la transparence
Dans la littérature, de multiples objets de la transparence sont étudiés. Le tableau 1
synthétise ceux sur lesquels une entreprise peut choisir d’être transparente en
fonction du contexte et des besoins des utilisateurs.
Tableau 1 - Objets de la transparence en sciences de gestion
Objets de la transparence Définition des objets de la transparence
Auteur (Date)
Transparence sociale Collaborateurs, RSE, éthique, engagements
responsables
Vaccaro and Madsen
(2007, 2009)
5
Groupe de travail constitué de l’Association francophone de la communication parlée (AFCP), l’Association des
professionnels pour l’économie numérique (Aproged), l’Association pour le traitement automatique des langues (ATALA) et
Cap Digital, en collaboration avec le CNRS
6
https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-01026105/document
7
https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-sur-la-protection-des-donnees-ce-qui-change-pour-les-professionnels
8
http://www.iabfrance.com/presse/communiques-de-presse/liab-france-propose-un-dialogue-dans-la-duree-avec-la-cnil-
pour
4
Transparence financière Chiffre d’affaires, investissements, fiscalité
Nielsen et Madsen
(2009)
Transparence produit Origine, conception, composition, supply chain,
traçabilité et suivi, qualité, stocks
Hofstede (2003), Van
Dijk, Duysters et
Beulens (2003)
Transparence de
l’entreprise Siège social, historique, évolution, management
Dapko (2012),
Christensen (2002),
Murphy et al (2007),
Pirson et Maholtra
(2007, 2008),
Granados et al. (2005)
Transparence du prix
Marges, fixation du prix, marges des
intermédiaires, coûts de production et de
distribution
Natter et Spann (2009),
Zhu (2004)
Transparence des data Récolte, utilisation et diffusion des données,
protection et sécurisation des données
Vaccaro (2006), Awad
et Krishnan (2006)
Transparence de la
relation client
Livraison, prises de contact, service client,
parcours client, bénéfices obtenus, programme
de fidélité
Tapscott et Ticoll
(2003), Eggert et Helm
(2003),
Thompson (2007),
Vaccaro et Madsen
(2009)
Sept grands objets de la transparence sont identifiés. Il est question de transparence
de l’entreprise, de ses produits et de sa politique de prix, mais aussi de transparence
sociale et de transparence des datas ou de relation client. L’intérêt pour les objets de
la transparence a évolué. La transparence concernant l’entreprise et sa politique de
vente n’est plus l’objet central en comparaison à l’importance de la transparence
sociale suite à l’ampleur de scandales éthiques comme par exemple celui du Rana
Plaza, usine de travailleurs exploités des magasins H&M. Avec l’évolution des
technologies et des process devenus invisibles, la transparence liée aux datas est un
objet de recherche de plus en plus fréquent, souvent traité dans le domaine de la
Privacy. Enfin, même si la transparence de la relation client est abordée par quelques
auteurs, elle reste peu étudiée en ce qui concerne les pratiques relationnelles sur les
canaux digitaux, or c’est une notion revendiquée par les utilisateurs qui souhaitent
reprendre le contrôle de la relation.
Nous proposons dans un premier temps de répertorier les définitions de la
transparence données dans les différents champs de littérature en sciences de
gestion, de discuter du bien-fondé de ces dernières et de comprendre les facettes
identifiées par les auteurs.
1.2.2. Définitions de la transparence en sciences de gestion
Bien que tous les champs de littérature étudiés apportent des précisions
considérables à la définition de la transparence, c’est l’angle psychologique qui permet
de mieux comprendre l’origine de la transparence. En effet, le besoin de transparence
est déterminé par la propension à accepter une relative utilisation de ses données
personnelles en fonction des bénéfices obtenus. Cette évaluation est très subjective et
dépend des individus. Divers travaux sur la Privacy (vie privée) étudient la propension
à accepter une utilisation de ses données privées en contrepartie d’avantages. En ce
sens, rault et Belvaux (2014) se demandent si certains bénéfices (utilitaires ou
hédoniques) peuvent compenser l’absence de contrôle des utilisateurs sur leurs
informations personnelles dans le cadre de la géolocalisation mobile.
Une revue de littérature approfondie a été réalisée afin d’identifier les facettes de la
transparence abordées dans les différents domaines (cf. le tableau 2).
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