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Dans la sphère marketing, dans l’univers de la gestion ou à l’échelle de la société, il
existe une asymétrie d’information grandissante entre les individus et les
organisations : d’un côté, les clients, consommateurs, utilisateurs, citoyens sont de
plus en plus transparents pour les organisations (entreprises, médias, associations,
etc.), ceci d’autant plus qu’ils peuvent être aisément identifiés et « tracés » partout,
tout le temps et sur de nombreux dispositifs (« anytime, anywhere, any device »); d’un
autre côté, les outils, les pratiques et les technologies employées par les organisations
sont généralement invisibles du point de vue des utilisateurs et brillent par leur opacité
(data, algorithmes, retargeting, real-time bidding, etc.). La transformation numérique
modifie ainsi en profondeur la nature et l’équilibre des rapports sociaux. Selon une
étude AACC Customer Marketing et Toluna en 2012
,
72.9% des utilisateurs trouvent
dès lors que les marques ne sont pas transparentes dans leur relation avec les
consommateurs
1
. Des institutions se sont emparées de ce sujet sensible, comme la
CNIL qui s’oppose à des pratiques de relation client « méconnaissant les droits et
intérêts fondamentaux des utilisateurs et portant atteinte au respect de leur vie
privée ». Mais les entreprises, bien que conscientes du problème et de la nécessité de
restaurer un rapport de confiance avec les clients, tardent à s’emparer du sujet et à
mettre en œuvre une politique claire – et transparente - en la matière.
Le point de vue des consommateurs mérite également de plus larges investigations :
l’exigence de transparence est-elle si forte ? Sur quoi désirent-ils plus de
transparence ? Les produits ? Les datas ? Les technologies ? Les tactiques
d’influence ? Les prix ? Sont-ils vraiment des « victimes » ou des « complices » dans
le développement de ces pratiques ? N’existe-t-il pas une forme de tolérance, de
fatalité ou d’indifférence à cette question ? L’objectif de cette recherche est donc de
s’interroger sur la transparence à partir des points de vue des managers et des
consommateurs. Il s’agit d’identifier les pratiques mises en place par les entreprises
en termes de transparence relationnelle sur les canaux digitaux, de découvrir les
pratiques attendues par les utilisateurs, et enfin de savoir comment signaler la
transparence aux différents utilisateurs. Cet enjeu est central car l’opacité de la
relation peut altérer non seulement les usages des technologies (désinstallation de
l’application mobile, installation de bloqueurs de publicités
2
, etc.) mais aussi entraîner
une véritable perte de confiance des clients et une dégradation des relations. Kang et
Hustvedt (2014) montrent notamment que la transparence a un impact sur la qualité
de la relation, sur les intentions d’achat et le bouche-à-oreille. Pour Schultz (2014)
3
, la
transparence est devenue aujourd'hui la nouvelle règle à respecter. Or, la pratique et
la recherche en marketing n’ont pas encore apporté toutes les réponses.
La transparence est une notion ancienne, cruciale dans la compréhension des
rapports humains et a dès lors été largement débattue dans un grand nombre de
disciplines en sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, économie, droit,
sciences politiques, etc.). La littérature en marketing, et plus particulièrement celle en
communication (publicité) et en marketing relationnel, a aussi fréquemment abordé
cette question. Cependant, la recherche marketing n’a souvent retenu de la
transparence qu’une vision globale et unidimensionnelle, voire binaire (transparence
vs. opacité), alors même qu’elle recouvre des réalités nuancées et multiples et
comporte différentes facettes (objectivité, exhaustivité, etc.). En outre, les quelques
études empiriques réalisées sont relativement anciennes et n’ont pas véritablement
1
http://thinktank.aacc.fr/2012/
2
Un internaute sur trois en France installe un bloqueur de publicité (http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/pres-d-un-internaute-sur-
trois-en-france-a-installe-un-bloqueur-de-pub_1772147.html)
3
Schultz D.E. (2014), “Dead or Dying”, Marketing Insights, American Marketing Association.