Les interactions médicamenteuses et la polypharmacie chez les

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Les interactions médicamenteuses et la
polypharmacie chez les patients âgés
À cause de l’arrivée constante de nouveaux médicaments et de l’approbation de nouvelles
indications thérapeutiques pour des médicaments existants, la polypharmacie est un
phénomène de plus en plus fréquent, surtout chez les patients âgés. Bien que les bienfaits
d’un programme de traitement global soient démontrés par des essais comparatifs, le risque
d’interactions médicamenteuses inhérent à chaque ajout d’un médicament au schéma
thérapeutique chez un patient donné doit être évalué très attentivement. Si l’on comprend
bien la pharmacodynamie et la pharmacocinétique, il est possible de prévoir ces interactions,
de les prévenir et de les réduire au minimum pour donner aux patients la chance de
bénéficier de tous les aspects pertinents de leur traitement médical.
par Peter Lin, M.D., CCFP
Les personnes âgées sont fréquemment affligées de plusieurs maladies,
et pour traiter toutes ces affections, il
est souvent nécessaire de recourir à la
polypharmacie. Chaque fois que de
nouvelles lignes directrices sont
publiées, on constate que d’autres
médicaments pourraient aussi offrir
des bienfaits aux patients. Après un
infarctus du myocarde (IM) par exemple, la norme de soins actuelle consiste
à administrer une statine, un inhibiteur
de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), un bêta-bloquant et
un antiplaquettaire. Chaque médicament de cette quadruple thérapie a été
mis à l’épreuve dans des essais cliniques de grande envergure dont les résultats ont démontré qu’ils exercent
des effets bénéfiques importants. C’est
l’essence même de la médecine fondée
sur les preuves scientifiques. Cependant, quels sont les risques d’interactions médicamenteuses avec la polypharmacie?
À mesure qu’augmente le nombre
de médicaments que prend un patient,
Le Dr Lin est directeur médical au
University of Toronto Health and
Wellness Centre, à Scarborough
(Ontario).
le risque d’interactions médicamenteuses s’accentue également. Ce
risque qui est d’environ 6 % chez un
patient qui prend seulement 2 médicaments peut passer à 50 % chez ceux
qui en prennent 5 et à 100 % chez
ceux qui en prennent 101.
De nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être prévenues,
mais, dans le cas des interactions inévitables, on doit apprendre à les
connaître pour la prise en charge appropriée du traitement et pour l’adaptation des doses. En réalité, on doit
posséder d’excellentes connaissances
non seulement au sujet des interactions médicamenteuses, mais aussi
des profils d’innocuité des divers
médicaments que l’on prescrit aux
patients. Les interactions médicamenteuses ne sont qu’un des aspects
de cette problématique complexe.
Par exemple, la pharmacocinétique non linéaire peut sembler non
pertinente aux cliniciens très occupés, mais elle peut avoir des conséquences importantes chez leurs
patients. Lorsqu’on augmente du
double la dose d’un médicament dont
la pharmacocinétique est non linéaire, cela ne se traduit pas seulement
par une augmentation du double de la
10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
concentration sanguine ou par un effet
thérapeutique deux fois plus grand.
Dans le cas de nombreux agents, les
augmentations de la dose produisent
des élévations exponentielles de ces
paramètres. Par conséquent, une légère
modification de la dose risque d’augmenter significativement la concentration du médicament et, ainsi, le risque
d’effets indésirables. C’est un aspect
important dont il faut tenir compte si
on veut prescrire des médicaments en
toute sécurité aux patients.
De même, il importe de connaître
les médicaments dans tous les champs
thérapeutiques, car un médicament
prescrit par un autre médecin ou spécialiste peut influer sur les effets des
médicaments que prend déjà le patient.
Cet article portera donc principalement
sur l’aspect des interactions médicamenteuses de cette problématique, et,
plus précisément, sur le système des
cytochromes. À l’aide d’exemples, on
illustrera les mécanismes des interactions. Il faut néanmoins préciser que
cette liste d’interactions possibles est
loin d’être exhaustive.
Types d’interactions
En pharmacologie, il importe de bien
comprendre deux concepts clés : phar-
macodynamie et pharmacocinétique.
« Pharmacodynamie » se dit de l’étude
des effets d’un médicament sur l’organisme. L’acide acétylsalicylique
(AAS), entre autres, inhibe la fonction
des plaquettes, ce qui a pour effet d’allonger le temps de saignement. Le
saignement est donc un effet pharmacodynamique de l’AAS.
Voici un exemple d’une interaction
pharmacodynamique : un patient prend
de l’AAS en vente libre pour soulager
la douleur rhumatismale et du gingko
biloba pour prévenir les troubles de
mémoire. Il subit une crise de fibrillation auriculaire, et son médecin lui
prescrit de la warfarine pour prévenir
un accident vasculaire cérébral (AVC).
Chez ce patient, l’AAS inhibe la
fonction des plaquettes et la warfarine
influe sur les facteurs de coagulation.
Ces deux agents augmentent le risque
d’hémorragie, alors l’interaction possible est donc une hémorragie. À des
doses élevées, le gingko biloba allonge
également le temps de saignement2.
C’est pourquoi l’interaction pharmacodynamique entre ces agents risquent de
causer une hémorragie chez ce patient.
La pharmacocinétique est l’étude
du sort des médicaments dans l’organisme, c’est-à-dire la façon dont il les
absorbe, les distribue, les métabolise
puis les élimine. Tous les facteurs qui
influent sur ces quatre étapes modifient les concentrations des médicaments; et des interactions médicamenteuses peuvent survenir à chacune
de ces étapes. Par exemple, beaucoup
de personnes âgées prennent des bisphosphonates pour traiter l’ostéoporose. Elles prennent aussi des suppléments de calcium. Lorsqu’elles
prennent ces agents de façon concomitante, le calcium se lie au bisphosphonate et, par conséquent, en
réduit l’absorption par l’organisme.
Les bisphosphonates sont caractérisés par un taux d’absorption peu
élevé3. Ainsi, l’interaction risque
d’empêcher presque complètement
l’absorption du bisphosphonate. Le
cas échéant, ces personnes n’obtiennent pas tous les bienfaits prévus,
voire aucun bienfait, de leur traitement
avec un bisphosphonate.
Certaines interactions pharmacocinétiques risquent toutefois d’avoir
des conséquences plus graves. Par
exemple, le cisapride est prescrit pour
traiter la gastroparésie, l’iléus, la
constipation chronique et le reflux
gastro-œsophagien. La dose thérapeutique de ce médicament est de
40 mg par jour. Dans certains cas, une
interaction peut survenir en présence
d’un autre médicament qui bloque la
voie du métabolisme du cisapride; on
observe alors l’accumulation du
cisapride dans l’organisme4. À des
concentrations élevées, le cisapride
prolonge l’intervalle Q-T5, ce qui
peut causer des torsades de pointe.
gamme thérapeutique et à éviter les
doses toxiques.
Malheureusement, tous les médicaments ne sont pas « égaux ». Certains,
comme l’amoxicilline, peuvent être
administrés à des doses allant jusqu’à
2 g sans causer d’effets toxiques, alors
qu’il en va tout autrement avec des
agents comme la warfarine, pour
laquelle un changement de 1 mg peut
avoir des conséquences désastreuses.
Cette situation s’explique par le fait
que chaque médicament présente une
gamme de doses thérapeutiques et une
gamme de doses toxiques. L’écart
entre ces deux gammes de doses est
appelé « indice thérapeutique ». Un
indice thérapeutique étroit signifie que
les deux gammes de doses sont très
De nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être
prévenues, mais, dans le cas des interactions inévitables,
on doit apprendre à les connaître pour la prise en charge
appropriée du traitement et pour l’adaptation des doses.
En réalité, on doit posséder d’excellentes connaissances
non seulement au sujet des interactions médicamenteuses,
mais aussi des profils d’innocuité des divers médicaments
que l’on prescrit aux patients.
En résumé, les quatre étapes de la
pharmacocinétique déterminent la
quantité de médicament présente
dans l’organisme. Si on influe sur
l’une de ces étapes, la concentration
du médicament risque d’être trop
élevée ou trop faible. Il importe de se
rappeler qu’il existe pour chaque
médicament une gamme de doses
thérapeutiques et une gamme de
doses toxiques. Il en est ainsi de toute
substance chimique qui pénètre dans
l’organisme. Même l’oxygène a des
concentrations thérapeutiques et des
concentrations toxiques (on observe
des effets toxiques lorsqu’un patient
reçoit de l’oxygène pur à 100 % pendant longtemps). Si on veut prescrire
des médicaments aux patients de
manière sécuritaire, on doit alors
veiller à garder les doses dans la
rapprochées et qu’une faible modification des concentrations du médicament
peut faire passer le patient de la gamme
thérapeutique à la gamme toxique. De
son côté, un indice thérapeutique large
signifie que la dose peut être augmentée de façon significative avant que des
effets toxiques soient observés.
L’indice thérapeutique de chaque
médicament est un important facteur
de prédiction du risque d’interactions
médicamenteuses parce que les médicaments dont l’indice thérapeutique
est étroit entraînent un risque plus élevé d’interactions. Voilà pourquoi on
doit surveiller attentivement les concentrations sanguines pour déterminer
la dose de médicaments comme la
digoxine, la théophylline et la warfarine. Toutefois, même dans le cas
d’un médicament qui présente un
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 11
indice thérapeutique large (le cisapride
notamment), une interaction qui contrecarre l’élimination du médicament
risque de faire augmenter la concentration sanguine au point d’atteindre la
dose toxique. Voilà pourquoi l’emploi
d’un médicament, peu importe lequel,
doit être fondé à la fois sur la prudence
et sur la connaissance.
Cytochrome P450
Le cytochrome P450 est constitué d’un
ensemble d’enzymes présentes dans
l’intestin grêle, le foie, les reins, les
poumons et le cerveau. Ces enzymes
traitent diverses substances chimiques
sanguine augmente, entraînant l’effet
indésirable décrit précédemment (allongement des intervalles Q-T).
À l’opposé, les « inducteurs » sont
des substances chimiques qui accélèrent la fonction du cytochrome. Ainsi,
on sait que le millepertuis est un inducteur du CYP 3A42, une des voies
métaboliques de certains bloqueurs des
canaux calciques (BCC). La prise de
millepertuis accélère donc le métabolisme de ces BCC, ce qui risque de
nuire à la maîtrise de l’hypertension
par les BCC.
Enfin, une interaction peut survenir
par « compétition ». En effet, si un
En résumé, les quatre étapes de la pharmacocinétique
déterminent la quantité de médicament présente dans
l’organisme. Si on influe sur l’une de ces étapes, la
concentration du médicament risque d’être trop élevée ou
trop faible.
et participent à l’étape « métabolisme »
du profil pharmacocinétique d’un
médicament. Leur fonction est de
transformer des molécules liposolubles
en molécules hydrosolubles pour
qu’elles puissent être éliminées par le
rein. Les molécules qui se lient à ces
enzymes et qui sont métabolisées par
elles sont dites « substrats de l’enzyme ». Par exemple, le cisapride est
un substrat de l’enzyme CYP 3A46.
Les substances chimiques peuvent
également influer sur le fonctionnement des systèmes enzymatiques. Certaines substances chimiques inhibent
l’enzyme. Elles pénètrent dans le système et se lient de façon permanente à
l’enzyme de telle façon que cette
dernière est incapable de transformer
d’autres substances chimiques ou
médicaments. Ces substances chimiques sont donc appelées « inhibiteurs ». L’érythromycine, par exemple,
est un inhibiteur du CYP 3A47, alors
que le cisapride a besoin du CYP 3A4
pour être éliminé de l’organisme.
Lorsque l’érythromycine bloque cette
enzyme, le cisapride ne peut plus quitter l’organisme et la concentration
trop grand nombre de médicaments
sont dirigés vers la même enzyme, ces
médicaments doivent se faire concurrence pour se lier à cette enzyme.
Prenez la warfarine. Tout autre médicament qui est métabolisé par la même
voie « déplacera » la warfarine, et
cette dernière ne pourra être métabolisée (ce qui se traduit par l’augmentation des concentrations de warfarine et
par les effets indésirables qui en
découlent).
À l’aide de ces quatre mots – inhibiteur, substrat, inducteur et compétition – il est plus facile de décrire les
effets des médicaments sur les cytochromes. Imaginez qu’un nouveau
médicament vient d’être lancé pour
traiter la maladie d’Alzheimer (MA),
mais qu’aucun essai clinique n’a été
mené pour évaluer les interactions
médicamenteuses de ce médicament.
Des épreuves de base montrent que le
médicament est un substrat du
CYP 2C9. Cela signifie que tout
médicament qui bloque l’activité du
CYP 2C9 ralentira l’élimination de ce
nouvel agent et, comme on peut le
prévoir, les concentrations de ce
12 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
médicament dans le sang augmenteront. C’est pourquoi un inhibiteur du
CYP 2C9 ne devrait pas être administré en concomitance avec ce nouvel
agent. Plus important encore, si le
patient a besoin d’un traitement d’association, il faudra réduire la dose
pour éviter des effets toxiques. Une
bonne connaissance de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie
permet donc d’utiliser de manière
sécuritaire ce nouveau médicament
hypothétique.
Si on pose l’hypothèse que ce tout
nouveau médicament contre la MA est
un inhibiteur du CYP 3A4, cela veut
dire qu’il bloquera alors le CYP 3A4,
ce qui ralentira le métabolisme de tous
les médicaments qui, dans des conditions normales, sont métabolisés par
cette voie. Par conséquent, toutes les
concentrations sanguines de ces agents
augmenteront. D’un autre côté, si le
nouveau médicament est un inducteur
du CYP 2C19, alors tous les médicaments normalement métabolisés par le
CYP 2C19 le seront beaucoup plus
rapidement. Leurs concentrations sanguines seront donc abaissées. La
phénytoïne est métabolisée par le
CYP 2C19, ce qui signifie que le
nouveau médicament accélérerait le
métabolisme de la phénytoïne et que
les concentrations sanguines de cette
dernière diminueraient; un effet
indésirable de cette combinaison de
médicaments serait la perte de la
maîtrise des crises d’épilepsie.
Bref, lorsqu’on comprend bien ces
termes (substrats, inhibiteurs, inducteurs, compétition), on peut prévoir les
interactions médicamenteuses avant
qu’elles surviennent.
Variations génétiques
On a découvert il y a 40 ans environ
que l’hydrolyse de la succinylcholine,
un myorelaxant, par la butyrylcholinestérase (pseudocholinestérase) était
anormale chez certains patients. En
effet, chez les sujets de race blanche, 1
sur 3 500 présentait une forme atypique de butyrylcholinestérase8, et
cette forme était incapable d’hydrolyser la succinylcholine (ce qui se
traduisait par la prolongation de l’effet
myorelaxant). À la suite de cette découverte, on a élaboré le concept selon
lequel il existe des variations génétiques dans les différentes populations
de patients, et que ces variations se
traduisent par des différences du taux
de métabolisme de certains médicaments. Depuis, des chercheurs ont
décrit les variations liées à plusieurs
cytochromes, dont le CYP 2D6.
Le CYP 2D6 a été l’objet de
recherches très approfondies. Des
scientifiques ont entrepris les premières recherches sur cette voie enzymatique après avoir constaté que
certains médicaments étaient métabolisés rapidement chez certains patients
alors que, chez d’autres, les mêmes
médicaments étaient métabolisés plus
lentement. Les concentrations sanguines des médicaments étaient donc
altérées. Ne pouvant encore expliquer
ce phénomène, les chercheurs ont
classé les patients comme ayant un
métabolisme rapide ou un métabolisme lent. Cette classification n’est
pas vraiment utile parce qu’elle
dépend d’un patient et d’un médicament donné. En d’autres mots, le fait
de savoir qu’un patient métabolise
rapidement le métoprolol n’aide pas à
savoir si d’autres médicaments vont
aussi être métabolisés rapidement.
D’autres recherches ainsi que le
développement de la génétique
moléculaire ont permis de découvrir
qu’il existe différentes copies du gène
qui code pour l’enzyme CYP 2D6.
Certains allèles produisent des
enzymes fonctionnelles, alors que
d’autres variants produisent des
enzymes non fonctionnelles. Chez les
sujets qui métabolisent lentement les
médicaments, on a décelé des copies
non fonctionnelles, alors que chez
ceux qui métabolisent les médicaments rapidement, on a décelé
plusieurs copies du gène fonctionnel.
Grâce à cette découverte, il est
beaucoup plus facile de prévoir les
interactions. Tout ce dont on a besoin
est une liste de tous les médicaments
métabolisés par le CYP 2D6. Les
patients porteurs de plusieurs copies
du gène codant pour le CYP 2D6
métaboliseraient tous ces médicaments plus rapidement, et ces patients
auraient donc besoin de doses plus
élevées pour maintenir les mêmes
concentrations sanguines. À l’opposé,
dans le cas d’allèle dysfonctionnel,
même une dose faible de médicament
risque de produire des effets toxiques.
De 7 % à 10 % des personnes de
race blanche et 3 % des personnes de
race noire ou asiatique présentent un
déficit en ce qui concerne l’enzyme
CYP 2D69. Voilà un exemple du rôle
important de la génétique pour étudier
le métabolisme des médicaments.
Traitements de la MA
rivastigmine sont les inhibiteurs de la
cholinestérase actuellement commercialisés au Canada et approuvés pour
le traitement de la MA. Pour employer
un médicament de façon judicieuse, il
faut en connaître les caractéristiques et
il faut évaluer tous les aspects du
médicament avant de décider de le
prescrire à un patient donné.
Le donépézil, par exemple, est caractérisé par un taux d’absorption de
100 % et il n’entraîne pas d’interaction
avec les aliments. Sa demi-vie est de
70 heures, ce qui en fait un médicament à dose quotidienne unique. De
plus, en raison de sa longue demi-vie,
il ne devrait pas y avoir d’apparition de
symptômes de sevrage en cas d’arrêt
brusque du traitement10. Tous ces
points sont importants, surtout chez les
patients âgés qui risquent d’omettre
une dose ou d’oublier qu’ils doivent
[...] lorsqu’on comprend bien ces termes (substrats,
inhibiteurs, inducteurs, compétition), on peut prévoir les
interactions médicamenteuses avant qu’elles surviennent.
Parce que la MA touche surtout les
personnes âgées, les questions de
polypharmacie et d’interactions médicamenteuses sont particulièrement
pertinentes dans cette population.
Pourtant, il importe de ne pas écarter
des médicaments efficaces à cause du
risque d’interactions médicamenteuses. Il faut, au contraire, apprendre à
mieux connaître les interactions pour
prendre les mesures appropriées afin
de les maîtriser. Connaître et comprendre les interactions médicamenteuses
revêt une importance primordiale pour
améliorer le traitement des patients.
Lorsqu’une interaction contribue à
augmenter la concentration du médicament, il faut alors réduire la dose. Au
contraire, si l’interaction réduit la concentration, la dose doit être augmentée.
En portant une attention particulière à
ces aspects, on peut prescrire de
manière sécuritaire divers médicaments en traitement d’association.
Le donépézil, la galantamine et la
prendre des médicaments plus d’une
fois par jour. Pour leur part, la galantamine et la rivastigmine ont toutes deux
des demi-vies plus courtes et doivent
donc être prises deux fois par jour11,12.
Le donépézil est métabolisé par le
CYP 3A4 et le CYP 2D6, tout comme
la galantamine9,13. Cela signifie que les
inhibiteurs de ces enzymes pourraient,
en théorie, accroître leurs concentrations sanguines.
Les principaux inhibiteurs des
enzymes CYP 3A4 et CYP 2D6 sont
abordés dans d’autres sources de documentation6. Les médecins qui traitent
des patients prenant des inhibiteurs de
la cholinestérase (ou d’autres médicaments) métabolisés par ces enzymes
doivent bien connaître ces inhibiteurs.
On sait, par exemple, que de nombreuses personnes âgées boivent du
jus de pamplemousse, un inhibiteur du
CYP 3A4. Il importe d’expliquer à ces
patients que le jus de pamplemousse
risque d’augmenter la concentration
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 13
du donépézil ou de la galantamine.
Plus important encore, cette inhibition
de l’enzyme risque de modifier les
concentrations d’un BCC, d’une statine ou de la warfarine. L’interaction
est donc pertinente non seulement
pour les inhibiteurs de la cholinestérase, mais aussi pour le CYP 3A4,
qui influe de diverses façons sur
les médicaments que prend le patient.
Il en est de même pour les macrolides
l’ajout d’un inhibiteur de la cholinestérase devrait se faire à une dose moins
élevée, que l’on augmentera progressivement jusqu’à la dose efficace.
Les inducteurs de ces enzymes
réduiraient les concentrations sanguines des inhibiteurs de la cholinestérase. Le millepertuis est un inducteur
du CYP 3A4; il accélérerait donc le
métabolisme (c’est-à-dire qu’il réduirait les concentrations) de ces inhibi-
Parce que la MA touche surtout les personnes âgées, les
questions de polypharmacie et d’interactions médicamenteuses sont particulièrement pertinentes dans cette
population. Pourtant, il importe de ne pas écarter des
médicaments efficaces à cause du risque d’interactions
médicamenteuses. Il faut, au contraire, apprendre à mieux
connaître les interactions pour prendre les mesures
appropriées afin de les maîtriser.
(érythromycine, clarithromycine) qui
sont aussi des inhibiteurs du
CYP 3A4.
Beaucoup de patients prennent des
inhibiteurs sélectifs du recaptage de la
sérotonine (ISRS) pour traiter des
troubles de l’humeur, dont la paroxétine et la fluoxétine qui inhibent le
CYP 2D6. Si le patient prend son ISRS
en traitement concomitant avec un inhibiteur de la cholinestérase, la concentration sanguine de ce dernier
risque d’augmenter. Le médecin doit
donc choisir un antidépresseur qui
influe moins sur cette enzyme ou il
doit réduire la dose de l’inhibiteur de la
cholinestérase. Si un patient prend déjà
un ISRS qui inhibe cette enzyme,
Références
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346(9):642.
4. Desta Z et coll. « Interaction of
Cisapride with the Human Cytochrome
P450 System: Metabolism and
teurs de la cholinestérase. Le patient
aurait donc besoin d’une dose plus
élevée pour obtenir le même effet
clinique.
Règle générale, en évitant les
inducteurs et les inhibiteurs de ces
enzymes, on facilite le traitement avec
un inhibiteur de la cholinestérase mais
aussi avec d’autres médicaments métabolisés par ces voies.
La rivastigmine n’utilise pas le système CYP 450, et il est peu probable
qu’elle entraîne des interactions avec
un cytochrome14. Voici une caractéristique très importante. Toutefois, il faut
tenir compte d’autres aspects dans le
cas de ce médicament. De fait, la
rivastigmine a une courte demi-vie et
5.
6.
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Spatzeneger M, Jaeger W. « Hepatic
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14 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
doit être prise deux fois par jour. Le
profil pharmacocinétique de la rivastigmine est également différent : la
pharmacocinétique est linéaire à des
doses allant jusqu’à 3 mg deux fois par
jour, mais elle devient non linéaire à
des doses plus élevées. Cela signifie
que, si on augmente du double la dose
de 3 mg deux fois par jour (soit 6 mg
deux fois par jour), l’aire sous la
courbe (ASC) risque d’augmenter par
un facteur de trois12. À cause de ce
bond, le patient risque de manifester
des effets indésirables, tels que des
nausées et des vomissements.
Conclusions
Avec le recours de plus en plus répandu à la polypharmacie, il n’est pas rare
que des patients prennent 8 à 10 médicaments en même temps. L’enjeu des
interactions médicamenteuses devient
alors évident. Il est donc sage d’apprendre à connaître les interactions
pour être en mesure de les prévenir
efficacement. Des choix judicieux
quant aux associations médicamenteuses peuvent être faits, et les doses
peuvent être modifiées pour maintenir
les patients dans la plage thérapeutique.
Enfin, il faut savoir que les interactions
médicamenteuses ne sont qu’un des
aspects de l’emploi sécuritaire des médicaments. Il importe de tenir compte
des autres aspects : effets indésirables,
observance et profil pharmacocinétique. Ce n’est qu’en comprenant
chacun de ces aspects pour chaque
médicament que les médecins pourront
faire des prescriptions sans danger.
10. Monographie d’Aricept, 2003.
11. Monographie du Reminyl, 2003.
12. Monographie d’Exelon, 2003.
13. Crismon ML. « Pharmacokinetics and
drug interactions of cholinesterase
inhibitors administered in
Alzheimer's disease »,
Pharmacotherapy 1998; 18(2 Pt
2):47-54. (Discussion 79-82).
14. Grossberg GT et coll. « Lack of adverse
pharmacodynamic drug interactions
with rivastigmine and 22 classes of
medications », Int J Geriatr Psychiatry
2000;15(3):242-7.
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