Les interactions médicamenteuses et la polypharmacie chez les

10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
Les personnes âgées sont fréquem-
ment affligées de plusieurs maladies,
et pour traiter toutes ces affections, il
est souvent nécessaire de recourir à la
polypharmacie. Chaque fois que de
nouvelles lignes directrices sont
publiées, on constate que d’autres
médicaments pourraient aussi offrir
des bienfaits aux patients. Après un
infarctus du myocarde (IM) par exem-
ple, la norme de soins actuelle consiste
à administrer une statine, un inhibiteur
de l’enzyme de conversion de l’an-
giotensine (ECA), un bêta-bloquant et
un antiplaquettaire. Chaque médica-
ment de cette quadruple thérapie a été
mis à l’épreuve dans des essais clini-
ques de grande envergure dont les ré-
sultats ont démontré qu’ils exercent
des effets bénéfiques importants. C’est
l’essence même de la médecine fondée
sur les preuves scientifiques. Cepen-
dant, quels sont les risques d’interac-
tions médicamenteuses avec la poly-
pharmacie?
À mesure qu’augmente le nombre
de médicaments que prend un patient,
le risque d’interactions médicamen-
teuses s’accentue également. Ce
risque qui est d’environ 6 % chez un
patient qui prend seulement 2 médica-
ments peut passer à 50 % chez ceux
qui en prennent 5 et à 100 % chez
ceux qui en prennent 101.
De nombreuses interactions médi-
camenteuses peuvent être prévenues,
mais, dans le cas des interactions iné-
vitables, on doit apprendre à les
connaître pour la prise en charge ap-
propriée du traitement et pour l’ada-
ptation des doses. En réalité, on doit
posséder d’excellentes connaissances
non seulement au sujet des interac-
tions médicamenteuses, mais aussi
des profils d’innocuité des divers
médicaments que l’on prescrit aux
patients. Les interactions médica-
menteuses ne sont qu’un des aspects
de cette problématique complexe.
Par exemple, la pharmacociné-
tique non linéaire peut sembler non
pertinente aux cliniciens très occu-
pés, mais elle peut avoir des con-
séquences importantes chez leurs
patients. Lorsqu’on augmente du
double la dose d’un médicament dont
la pharmacocinétique est non linéai-
re, cela ne se traduit pas seulement
par une augmentation du double de la
concentration sanguine ou par un effet
thérapeutique deux fois plus grand.
Dans le cas de nombreux agents, les
augmentations de la dose produisent
des élévations exponentielles de ces
paramètres. Par conséquent, une légère
modification de la dose risque d’aug-
menter significativement la concentra-
tion du médicament et, ainsi, le risque
d’effets indésirables. C’est un aspect
important dont il faut tenir compte si
on veut prescrire des médicaments en
toute sécurité aux patients.
De même, il importe de connaître
les médicaments dans tous les champs
thérapeutiques, car un médicament
prescrit par un autre médecin ou spé-
cialiste peut influer sur les effets des
médicaments que prend déjà le patient.
Cet article portera donc principalement
sur l’aspect des interactions médica-
menteuses de cette problématique, et,
plus précisément, sur le système des
cytochromes. À l’aide d’exemples, on
illustrera les mécanismes des interac-
tions. Il faut néanmoins préciser que
cette liste d’interactions possibles est
loin d’être exhaustive.
Types d’interactions
En pharmacologie, il importe de bien
comprendre deux concepts clés : phar-
Les interactions médicamenteuses et la
polypharmacie chez les patients âgés
À cause de l’arrivée constante de nouveaux médicaments et de l’approbation de nouvelles
indications thérapeutiques pour des médicaments existants, la polypharmacie est un
phénomène de plus en plus fréquent, surtout chez les patients âgés. Bien que les bienfaits
d’un programme de traitement global soient démontrés par des essais comparatifs, le risque
d’interactions médicamenteuses inhérent à chaque ajout d’un médicament au schéma
thérapeutique chez un patient donné doit être évalué très attentivement. Si l’on comprend
bien la pharmacodynamie et la pharmacocinétique, il est possible de prévoir ces interactions,
de les prévenir et de les réduire au minimum pour donner aux patients la chance de
bénéficier de tous les aspects pertinents de leur traitement médical.
par Peter Lin, M.D., CCFP
Le DrLin est directeur médical au
University of Toronto Health and
Wellness Centre, à Scarborough
(Ontario).
macodynamie et pharmacocinétique.
« Pharmacodynamie » se dit de l’étude
des effets d’un médicament sur l’or-
ganisme. L’acide acétylsalicylique
(AAS), entre autres, inhibe la fonction
des plaquettes, ce qui a pour effet d’al-
longer le temps de saignement. Le
saignement est donc un effet pharma-
codynamique de l’AAS.
Voici un exemple d’une interaction
pharmacodynamique : un patient prend
de l’AAS en vente libre pour soulager
la douleur rhumatismale et du gingko
biloba pour prévenir les troubles de
mémoire. Il subit une crise de fibrilla-
tion auriculaire, et son médecin lui
prescrit de la warfarine pour prévenir
un accident vasculaire cérébral (AVC).
Chez ce patient, l’AAS inhibe la
fonction des plaquettes et la warfarine
influe sur les facteurs de coagulation.
Ces deux agents augmentent le risque
d’hémorragie, alors l’interaction possi-
ble est donc une hémorragie. À des
doses élevées, le gingko biloba allonge
également le temps de saignement2.
C’est pourquoi l’interaction pharmaco-
dynamique entre ces agents risquent de
causer une hémorragie chez ce patient.
La pharmacocinétique est l’étude
du sort des médicaments dans l’orga-
nisme, c’est-à-dire la façon dont il les
absorbe, les distribue, les métabolise
puis les élimine. Tous les facteurs qui
influent sur ces quatre étapes modi-
fient les concentrations des médica-
ments; et des interactions médica-
menteuses peuvent survenir à chacune
de ces étapes. Par exemple, beaucoup
de personnes âgées prennent des bis-
phosphonates pour traiter l’ostéo-
porose. Elles prennent aussi des sup-
pléments de calcium. Lorsqu’elles
prennent ces agents de façon con-
comitante, le calcium se lie au bis-
phosphonate et, par conséquent, en
réduit l’absorption par l’organisme.
Les bisphosphonates sont carac-
térisés par un taux d’absorption peu
élevé3. Ainsi, l’interaction risque
d’empêcher presque complètement
l’absorption du bisphosphonate. Le
cas échéant, ces personnes n’ob-
tiennent pas tous les bienfaits prévus,
voire aucun bienfait, de leur traitement
avec un bisphosphonate.
Certaines interactions pharmaco-
cinétiques risquent toutefois d’avoir
des conséquences plus graves. Par
exemple, le cisapride est prescrit pour
traiter la gastroparésie, l’iléus, la
constipation chronique et le reflux
gastro-œsophagien. La dose théra-
peutique de ce médicament est de
40 mg par jour. Dans certains cas, une
interaction peut survenir en présence
d’un autre médicament qui bloque la
voie du métabolisme du cisapride; on
observe alors l’accumulation du
cisapride dans l’organisme4. À des
concentrations élevées, le cisapride
prolonge l’intervalle Q-T5, ce qui
peut causer des torsades de pointe.
En résumé, les quatre étapes de la
pharmacocinétique déterminent la
quantité de médicament présente
dans l’organisme. Si on influe sur
l’une de ces étapes, la concentration
du médicament risque d’être trop
élevée ou trop faible. Il importe de se
rappeler qu’il existe pour chaque
médicament une gamme de doses
thérapeutiques et une gamme de
doses toxiques. Il en est ainsi de toute
substance chimique qui pénètre dans
l’organisme. Même l’oxygène a des
concentrations thérapeutiques et des
concentrations toxiques (on observe
des effets toxiques lorsqu’un patient
reçoit de l’oxygène pur à 100 % pen-
dant longtemps). Si on veut prescrire
des médicaments aux patients de
manière sécuritaire, on doit alors
veiller à garder les doses dans la
gamme thérapeutique et à éviter les
doses toxiques.
Malheureusement, tous les médica-
ments ne sont pas « égaux ». Certains,
comme l’amoxicilline, peuvent être
administrés à des doses allant jusqu’à
2 g sans causer d’effets toxiques, alors
qu’il en va tout autrement avec des
agents comme la warfarine, pour
laquelle un changement de 1 mg peut
avoir des conséquences désastreuses.
Cette situation s’explique par le fait
que chaque médicament présente une
gamme de doses thérapeutiques et une
gamme de doses toxiques. L’écart
entre ces deux gammes de doses est
appelé « indice thérapeutique ». Un
indice thérapeutique étroit signifie que
les deux gammes de doses sont très
rapprochées et qu’une faible modifica-
tion des concentrations du médicament
peut faire passer le patient de la gamme
thérapeutique à la gamme toxique. De
son côté, un indice thérapeutique large
signifie que la dose peut être augmen-
tée de façon significative avant que des
effets toxiques soient observés.
L’indice thérapeutique de chaque
médicament est un important facteur
de prédiction du risque d’interactions
médicamenteuses parce que les médi-
caments dont l’indice thérapeutique
est étroit entraînent un risque plus éle-
vé d’interactions. Voilà pourquoi on
doit surveiller attentivement les con-
centrations sanguines pour déterminer
la dose de médicaments comme la
digoxine, la théophylline et la war-
farine. Toutefois, même dans le cas
d’un médicament qui présente un
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 11
De nombreuses interactions médicamenteuses peuvent être
prévenues, mais, dans le cas des interactions inévitables,
on doit apprendre à les connaître pour la prise en charge
appropriée du traitement et pour l’adaptation des doses.
En réalité, on doit posséder d’excellentes connaissances
non seulement au sujet des interactions médicamenteuses,
mais aussi des profils d’innocuité des divers médicaments
que l’on prescrit aux patients.
indice thérapeutique large (le cisapride
notamment), une interaction qui con-
trecarre l’élimination du médicament
risque de faire augmenter la concen-
tration sanguine au point d’atteindre la
dose toxique. Voilà pourquoi l’emploi
d’un médicament, peu importe lequel,
doit être fondé à la fois sur la prudence
et sur la connaissance.
Cytochrome P450
Le cytochrome P450 est constitué d’un
ensemble d’enzymes présentes dans
l’intestin grêle, le foie, les reins, les
poumons et le cerveau. Ces enzymes
traitent diverses substances chimiques
et participent à l’étape « métabolisme »
du profil pharmacocinétique d’un
médicament. Leur fonction est de
transformer des molécules liposolubles
en molécules hydrosolubles pour
qu’elles puissent être éliminées par le
rein. Les molécules qui se lient à ces
enzymes et qui sont métabolisées par
elles sont dites « substrats de l’en-
zyme ». Par exemple, le cisapride est
un substrat de l’enzyme CYP 3A46.
Les substances chimiques peuvent
également influer sur le fonctionne-
ment des systèmes enzymatiques. Cer-
taines substances chimiques inhibent
l’enzyme. Elles pénètrent dans le sys-
tème et se lient de façon permanente à
l’enzyme de telle façon que cette
dernière est incapable de transformer
d’autres substances chimiques ou
médicaments. Ces substances chimi-
ques sont donc appelées « inhibi-
teurs ». L’érythromycine, par exemple,
est un inhibiteur du CYP 3A47, alors
que le cisapride a besoin du CYP 3A4
pour être éliminé de l’organisme.
Lorsque l’érythromycine bloque cette
enzyme, le cisapride ne peut plus quit-
ter l’organisme et la concentration
sanguine augmente, entraînant l’effet
indésirable décrit précédemment (al-
longement des intervalles Q-T).
À l’opposé, les « inducteurs » sont
des substances chimiques qui accélè-
rent la fonction du cytochrome. Ainsi,
on sait que le millepertuis est un in-
ducteur du CYP 3A42, une des voies
métaboliques de certains bloqueurs des
canaux calciques (BCC). La prise de
millepertuis accélère donc le métabo-
lisme de ces BCC, ce qui risque de
nuire à la maîtrise de l’hypertension
par les BCC.
Enfin, une interaction peut survenir
par « compétition ». En effet, si un
trop grand nombre de médicaments
sont dirigés vers la même enzyme, ces
médicaments doivent se faire concur-
rence pour se lier à cette enzyme.
Prenez la warfarine. Tout autre médi-
cament qui est métabolisé par la même
voie « déplacera » la warfarine, et
cette dernière ne pourra être métabo-
lisée (ce qui se traduit par l’augmenta-
tion des concentrations de warfarine et
par les effets indésirables qui en
découlent).
À l’aide de ces quatre mots – inhi-
biteur, substrat, inducteur et compéti-
tion – il est plus facile de décrire les
effets des médicaments sur les cyto-
chromes. Imaginez qu’un nouveau
médicament vient d’être lancé pour
traiter la maladie d’Alzheimer (MA),
mais qu’aucun essai clinique n’a été
mené pour évaluer les interactions
médicamenteuses de ce médicament.
Des épreuves de base montrent que le
médicament est un substrat du
CYP 2C9. Cela signifie que tout
médicament qui bloque l’activité du
CYP 2C9 ralentira l’élimination de ce
nouvel agent et, comme on peut le
prévoir, les concentrations de ce
médicament dans le sang augmen-
teront. C’est pourquoi un inhibiteur du
CYP 2C9 ne devrait pas être admi-
nistré en concomitance avec ce nouvel
agent. Plus important encore, si le
patient a besoin d’un traitement d’as-
sociation, il faudra réduire la dose
pour éviter des effets toxiques. Une
bonne connaissance de la pharma-
cocinétique et de la pharmacodynamie
permet donc d’utiliser de manière
sécuritaire ce nouveau médicament
hypothétique.
Si on pose l’hypothèse que ce tout
nouveau médicament contre la MA est
un inhibiteur du CYP 3A4, cela veut
dire qu’il bloquera alors le CYP 3A4,
ce qui ralentira le métabolisme de tous
les médicaments qui, dans des condi-
tions normales, sont métabolisés par
cette voie. Par conséquent, toutes les
concentrations sanguines de ces agents
augmenteront. D’un autre côté, si le
nouveau médicament est un inducteur
du CYP 2C19, alors tous les médica-
ments normalement métabolisés par le
CYP 2C19 le seront beaucoup plus
rapidement. Leurs concentrations san-
guines seront donc abaissées. La
phénytoïne est métabolisée par le
CYP 2C19, ce qui signifie que le
nouveau médicament accélérerait le
métabolisme de la phénytoïne et que
les concentrations sanguines de cette
dernière diminueraient; un effet
indésirable de cette combinaison de
médicaments serait la perte de la
maîtrise des crises d’épilepsie.
Bref, lorsqu’on comprend bien ces
termes (substrats, inhibiteurs, induc-
teurs, compétition), on peut prévoir les
interactions médicamenteuses avant
qu’elles surviennent.
Variations génétiques
On a découvert il y a 40 ans environ
que l’hydrolyse de la succinylcholine,
un myorelaxant, par la butyrylcholi-
nestérase (pseudocholinestérase) était
anormale chez certains patients. En
effet, chez les sujets de race blanche, 1
sur 3 500 présentait une forme aty-
pique de butyrylcholinestérase8,et
12 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
En résumé, les quatre étapes de la pharmacocinétique
déterminent la quantité de médicament présente dans
l’organisme. Si on influe sur l’une de ces étapes, la
concentration du médicament risque d’être trop élevée ou
trop faible.
cette forme était incapable d’hydro-
lyser la succinylcholine (ce qui se
traduisait par la prolongation de l’effet
myorelaxant). À la suite de cette décou-
verte, on a élaboré le concept selon
lequel il existe des variations géné-
tiques dans les différentes populations
de patients, et que ces variations se
traduisent par des différences du taux
de métabolisme de certains médica-
ments. Depuis, des chercheurs ont
décrit les variations liées à plusieurs
cytochromes, dont le CYP 2D6.
Le CYP 2D6 a été l’objet de
recherches très approfondies. Des
scientifiques ont entrepris les pre-
mières recherches sur cette voie enzy-
matique après avoir constaté que
certains médicaments étaient métabo-
lisés rapidement chez certains patients
alors que, chez d’autres, les mêmes
médicaments étaient métabolisés plus
lentement. Les concentrations san-
guines des médicaments étaient donc
altérées. Ne pouvant encore expliquer
ce phénomène, les chercheurs ont
classé les patients comme ayant un
métabolisme rapide ou un métabo-
lisme lent. Cette classification n’est
pas vraiment utile parce qu’elle
dépend d’un patient et d’un médica-
ment donné. En d’autres mots, le fait
de savoir qu’un patient métabolise
rapidement le métoprolol n’aide pas à
savoir si d’autres médicaments vont
aussi être métabolisés rapidement.
D’autres recherches ainsi que le
développement de la génétique
moléculaire ont permis de découvrir
qu’il existe différentes copies du gène
qui code pour l’enzyme CYP 2D6.
Certains allèles produisent des
enzymes fonctionnelles, alors que
d’autres variants produisent des
enzymes non fonctionnelles. Chez les
sujets qui métabolisent lentement les
médicaments, on a décelé des copies
non fonctionnelles, alors que chez
ceux qui métabolisent les médica-
ments rapidement, on a décelé
plusieurs copies du gène fonctionnel.
Grâce à cette découverte, il est
beaucoup plus facile de prévoir les
interactions. Tout ce dont on a besoin
est une liste de tous les médicaments
métabolisés par le CYP 2D6. Les
patients porteurs de plusieurs copies
du gène codant pour le CYP 2D6
métaboliseraient tous ces médica-
ments plus rapidement, et ces patients
auraient donc besoin de doses plus
élevées pour maintenir les mêmes
concentrations sanguines. À l’opposé,
dans le cas d’allèle dysfonctionnel,
même une dose faible de médicament
risque de produire des effets toxiques.
De 7 % à 10 % des personnes de
race blanche et 3 % des personnes de
race noire ou asiatique présentent un
déficit en ce qui concerne l’enzyme
CYP 2D69. Voilà un exemple du rôle
important de la génétique pour étudier
le métabolisme des médicaments.
Traitements de la MA
Parce que la MA touche surtout les
personnes âgées, les questions de
polypharmacie et d’interactions médi-
camenteuses sont particulièrement
pertinentes dans cette population.
Pourtant, il importe de ne pas écarter
des médicaments efficaces à cause du
risque d’interactions médicamenteu-
ses. Il faut, au contraire, apprendre à
mieux connaître les interactions pour
prendre les mesures appropriées afin
de les maîtriser. Connaître et compren-
dre les interactions médicamenteuses
revêt une importance primordiale pour
améliorer le traitement des patients.
Lorsqu’une interaction contribue à
augmenter la concentration du médica-
ment, il faut alors réduire la dose. Au
contraire, si l’interaction réduit la con-
centration, la dose doit être augmentée.
En portant une attention particulière à
ces aspects, on peut prescrire de
manière sécuritaire divers médica-
ments en traitement d’association.
Le donépézil, la galantamine et la
rivastigmine sont les inhibiteurs de la
cholinestérase actuellement commer-
cialisés au Canada et approuvés pour
le traitement de la MA. Pour employer
un médicament de façon judicieuse, il
faut en connaître les caractéristiques et
il faut évaluer tous les aspects du
médicament avant de décider de le
prescrire à un patient donné.
Le donépézil, par exemple, est ca-
ractérisé par un taux d’absorption de
100 % et il n’entraîne pas d’interaction
avec les aliments. Sa demi-vie est de
70 heures, ce qui en fait un médica-
ment à dose quotidienne unique. De
plus, en raison de sa longue demi-vie,
il ne devrait pas y avoir d’apparition de
symptômes de sevrage en cas d’arrêt
brusque du traitement10. Tous ces
points sont importants, surtout chez les
patients âgés qui risquent d’omettre
une dose ou d’oublier qu’ils doivent
prendre des médicaments plus d’une
fois par jour. Pour leur part, la galanta-
mine et la rivastigmine ont toutes deux
des demi-vies plus courtes et doivent
donc être prises deux fois par jour11,12.
Le donépézil est métabolisé par le
CYP 3A4 et le CYP 2D6, tout comme
la galantamine9,13. Cela signifie que les
inhibiteurs de ces enzymes pourraient,
en théorie, accroître leurs concentra-
tions sanguines.
Les principaux inhibiteurs des
enzymes CYP 3A4 et CYP 2D6 sont
abordés dans d’autres sources de do-
cumentation6. Les médecins qui traitent
des patients prenant des inhibiteurs de
la cholinestérase (ou d’autres médica-
ments) métabolisés par ces enzymes
doivent bien connaître ces inhibiteurs.
On sait, par exemple, que de nom-
breuses personnes âgées boivent du
jus de pamplemousse, un inhibiteur du
CYP 3A4. Il importe d’expliquer à ces
patients que le jus de pamplemousse
risque d’augmenter la concentration
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003 • 13
[...] lorsqu’on comprend bien ces termes (substrats,
inhibiteurs, inducteurs, compétition), on peut prévoir les
interactions médicamenteuses avant qu’elles surviennent.
du donépézil ou de la galantamine.
Plus important encore, cette inhibition
de l’enzyme risque de modifier les
concentrations d’un BCC, d’une sta-
tine ou de la warfarine. L’interaction
est donc pertinente non seulement
pour les inhibiteurs de la cholines-
térase, mais aussi pour le CYP 3A4,
qui influe de diverses façons sur
les médicaments que prend le patient.
Il en est de même pour les macrolides
(érythromycine, clarithromycine) qui
sont aussi des inhibiteurs du
CYP 3A4.
Beaucoup de patients prennent des
inhibiteurs sélectifs du recaptage de la
sérotonine (ISRS) pour traiter des
troubles de l’humeur, dont la paroxé-
tine et la fluoxétine qui inhibent le
CYP 2D6. Si le patient prend son ISRS
en traitement concomitant avec un in-
hibiteur de la cholinestérase, la con-
centration sanguine de ce dernier
risque d’augmenter. Le médecin doit
donc choisir un antidépresseur qui
influe moins sur cette enzyme ou il
doit réduire la dose de l’inhibiteur de la
cholinestérase. Si un patient prend déjà
un ISRS qui inhibe cette enzyme,
l’ajout d’un inhibiteur de la cholinesté-
rase devrait se faire à une dose moins
élevée, que l’on augmentera progres-
sivement jusqu’à la dose efficace.
Les inducteurs de ces enzymes
réduiraient les concentrations sangui-
nes des inhibiteurs de la cholinesté-
rase. Le millepertuis est un inducteur
du CYP 3A4; il accélérerait donc le
métabolisme (c’est-à-dire qu’il rédui-
rait les concentrations) de ces inhibi-
teurs de la cholinestérase. Le patient
aurait donc besoin d’une dose plus
élevée pour obtenir le même effet
clinique.
Règle générale, en évitant les
inducteurs et les inhibiteurs de ces
enzymes, on facilite le traitement avec
un inhibiteur de la cholinestérase mais
aussi avec d’autres médicaments mé-
tabolisés par ces voies.
La rivastigmine n’utilise pas le sys-
tème CYP 450, et il est peu probable
qu’elle entraîne des interactions avec
un cytochrome14. Voici une caractéris-
tique très importante. Toutefois, il faut
tenir compte d’autres aspects dans le
cas de ce médicament. De fait, la
rivastigmine a une courte demi-vie et
doit être prise deux fois par jour. Le
profil pharmacocinétique de la rivas-
tigmine est également différent : la
pharmacocinétique est linéaire à des
doses allant jusqu’à 3 mg deux fois par
jour, mais elle devient non linéaire à
des doses plus élevées. Cela signifie
que, si on augmente du double la dose
de 3 mg deux fois par jour (soit 6 mg
deux fois par jour), l’aire sous la
courbe (ASC) risque d’augmenter par
un facteur de trois12. À cause de ce
bond, le patient risque de manifester
des effets indésirables, tels que des
nausées et des vomissements.
Conclusions
Avec le recours de plus en plus répan-
du à la polypharmacie, il n’est pas rare
que des patients prennent 8 à 10 médi-
caments en même temps. L’enjeu des
interactions médicamenteuses devient
alors évident. Il est donc sage d’ap-
prendre à connaître les interactions
pour être en mesure de les prévenir
efficacement. Des choix judicieux
quant aux associations médicamen-
teuses peuvent être faits, et les doses
peuvent être modifiées pour maintenir
les patients dans la plage thérapeutique.
Enfin, il faut savoir que les interactions
médicamenteuses ne sont qu’un des
aspects de l’emploi sécuritaire des mé-
dicaments. Il importe de tenir compte
des autres aspects : effets indésirables,
observance et profil pharmacociné-
tique. Ce n’est qu’en comprenant
chacun de ces aspects pour chaque
médicament que les médecins pourront
faire des prescriptions sans danger.
14 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Septembre 2003
Parce que la MA touche surtout les personnes âgées, les
questions de polypharmacie et d’interactions médica-
menteuses sont particulièrement pertinentes dans cette
population. Pourtant, il importe de ne pas écarter des
médicaments efficaces à cause du risque d’interactions
médicamenteuses. Il faut, au contraire, apprendre à mieux
connaître les interactions pour prendre les mesures
appropriées afin de les maîtriser.
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