Magazine Judaïsme Nord - Judaïsme du Nord Pas-de

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‫ב''ה‬
Magazine Judaïsme Nord
Chabbath Dévarim
12/07/2013
5 Mena’hem Av 5773
1
Magazine Edité par Judaïsme Nord
Recueil d’articles publiés
sur Daf-Hagueoula.org et sur la version française de Chabad.org
Tous les textes sont protégés par le copyright
Composition par Rav Eliahou Dahan
Tous nos remerciements à Rav Emmanuel Mergui
rédacteur de la version française de Chabad.org
2
Table des matières
Editorial............................................................................................................................................... 4
Naissance d’Une Delivrance .............................................................................................................. 4
Il était une Fois ................................................................................................................................. 6
Rapide comme un pur-sang .............................................................................................................. 6
Paracha de La Semaine ................................................................................................................. 7
Devarim En Bref ................................................................................................................................. 7
Réflexions sur la Paracha de la Semaine ............................................................................... 8
Perdus dans la Traduction................................................................................................................. 8
‘Hazon – Le Chabbath de la Vision .................................................................................................. 11
Comment supporter l’exil ? ............................................................................................................. 14
Le Midrash Raconte la Guéoula ............................................................................................... 16
Dirigez-vous vers celui qui est cache !............................................................................................ 16
Pirké Avoth ....................................................................................................................................... 17
Rabbi Akiva – Exemple d’Amour..................................................................................................... 17
Une Invitation a dîner ...................................................................................................................... 18
Saisons de l’âme ............................................................................................................................. 20
Profits et Prophetes ......................................................................................................................... 20
Beth-Habé’hira – Le Temple ..................................................................................................... 24
L’autel des Encens............................................................................................................................ 24
3
Editorial
Naissance d’Une Délivrance
Nos sages nous relatent cette histoire extraordinaire :
Un fermier nommé Ezra, qui
vivait à l’époque de l’occupation
romaine, était en train de labourer
lorsque sa génisse se mit
soudainement à beugler. Son cri
était si fort qu’il faisait penser à
une alarme.
Le bruit attira un paysan arabe qui passait par-là. « Pourquoi continuestu de labourer ? » dit-il au fermier juif.
« Je dois finir mon sillon. » répondit Ezra.
« Oh ! Pauvre Juif, » dit l’Arabe, « détache ta génisse et va te lamenter ! »
« Pourquoi ? »
« Le Temple des Juifs vient d’être détruit ; c’est le soupir de ta génisse
qui me l’a indiqué. »
Puis, la génisse beugla une deuxième fois. Cette fois-ci, l’Arabe dit au
Juif : « Rattache ta charrue et poursuis ton travail. Le Machia’h,
libérateur d’Israël, est né. Il se nomme Ména’hem, le consolateur. »
La Pensée Juive affirme que D-ieu ne peut imposer une épreuve qui soit
insurmontable ; c’est pourquoi Il crée « le remède avant la maladie ». Cependant, c’est
à l’homme de découvrir le remède à ses maux.
Cette histoire rappelle ce principe. Machia’h naquit au moment même de la destruction
du Temple, car les Juifs ne peuvent vivre un instant sans libérateur.
Depuis l’origine, à l’aube de la Création, D-ieu programma la Guéoulah. Elle est la
raison d’être de la Création. Nos sages nous indiquent, d’ailleurs, que le premier jour
l’esprit de Machia’h planait déjà au-dessus des océans. Ces eaux symbolisent le tumulte
de l’existence, la tempête de la vie active. C’est en prenant conscience que ces vagues
4
peuvent amener l’univers jusqu’à sa destination finale que nous découvrirons l’esprit
Messianique qui plane au-dessus d’elles.
Le 9 Mena’hem-Av marque à la fois le deuil – la destruction des Temples – et le
réconfort – la naissance potentielle du Machia’h. Cette année, le 9 Av tombe mardi 16
juillet. Nous devons, alors, ressentir et vivre les deux aspects opposés de cette tragique
journée. Notre cœur sera plein d’amertume pour la destruction et l’exil, et d’autre part,
nous devons avoir espoir en la réalisation de l’apparition soudaine de notre maître,
Mele’h Hamachia’h.
Nous lisons aussi cette semaine, dans la Haftara, le premier chapitre du livre du
prophète Isaïe – ‘Hazon Yéchayahou. C’est pourquoi ce Chabbath est appelé
traditionnellement Chabbath ‘Hazon.
L’illustre Rabbi Lévi-Yits’hak de Berditchev affirme que dans le courant de ce Chabbath
« chaque Juif a le mérite d’avoir un ‘Hazon – une vision lointaine – du futur BethHamikdach. »
Il ne dépend que de nous d’ouvrir les yeux pour voir que le Machia’h est déjà là et que
le Temple est prêt à descendre. Chaque geste de Tsédaka, chaque ligne de Torah
supplémentaire étudiée, chacune de nos bonnes actions nous aidera à éparpiller le
brouillard épais qui envahit l’exil pour laisser jaillir la lumière de la Guéoulah.
Rav Eliahou DAHAN
5
Il était une Fois
Rapide comme un pur-sang
Un Hassid qui vivait près de Loubavitch avait marié sa fille
à un jeune Talmid ‘Ha’ham, un étudiant très prometteur
en matière de connaissance de la Torah. Le beau-père était
si fier qu’il s’engagea à subvenir aux besoins du jeune
couple afin que le jeune homme puisse se consacrer à ses
études sans aucun souci.
Mais peu de temps après, le jeune prodige se retrouva en
mauvaise compagnie et il se mit, très vite à négliger ses
études, puis il commença à se détourner des sentiers de la
Torah. C’est après des efforts considérables que le beau-père angoissé réussit à
persuader son gendre de rencontrer le Tséma’h-Tsédek, Rabbi Ménachem Mendel de
Loubavitch.
« Dis-moi ! » dit le Rabbi au jeune génie qui avait maintenant la passion des courses
de chevaux, « Qu’est-ce qui fait la supériorité d’un cheval rapide ? Il est capable de
traverser une vingtaine de kilomètres pendant qu’un cheval moyen en parcourt
simplement quatre ; mais lorsqu’il s’engage dans une mauvaise direction, il s’éloigne
de sa destination initiale cinq fois plus vite ! »
« C’est exact ! » reconnut le jeune homme. « Dans ce cas la rapidité du cheval est à
son désavantage. »
Puis le Rabbi poursuivit sa démonstration. Ce sont ces derniers mots qui touchèrent le
jeune homme dans le fond du cœur : « Souviens-toi, cependant, qu’aussitôt que le
cheval réalisera qu’il s’est égaré, il pourra rejoindre le droit chemin beaucoup plus
rapidement qu’un cheval moyen. »
6
Paracha de La Semaine
Dévarim En Bref
Deutéronome 1, 1 - 3, 22
Le premier du mois de
Chevat (37 jours avant qu’il
ne quitte ce monde), Moïse
commence sa répétition de
la Torah devant les Enfants
d’Israël
rassemblés,
retraçant les événements
survenus et évoquant les
Lois reçues au cours du
voyage de quarante années
depuis l’Égypte jusqu’au
Sinaï et, de là, vers la Terre Promise. Il réprimande les Enfants d’Israël pour leurs
fautes et leurs iniquités et les engage à rester attachés à la Torah et à en observer les
commandements sur la terre que D.ieu leur donne en héritage pour l’éternité et dans
laquelle ils vont entrer après sa mort.
Moïse rappelle aussi la nomination des hommes chargés d’alléger son propre fardeau
en exerçant la magistrature et en enseignant au peuple la parole de D.ieu ; le voyage
dans le grand et redoutable désert ; l’envoi des explorateurs et la réaction du peuple
qui, entendant leur récit, crut impossible l’entrée en Terre Promise, ce qui entraîna le
décret divin que toute la génération de l’Exode périrait au désert. « Aussi contre moi,
dit Moïse, D.ieu fut en colère à votre sujet, me disant : toi non plus tu ne t’y rendras
pas. »
Moïse fait également le récit d’événements plus récents : le refus des nations de Moab
et Ammon d’autoriser les Israélites à traverser leurs territoires ; les guerres contre les
rois émoréens Si’hon et Og et l’installation sur leurs terres des tribus de Réouven, de
Gad et d’une partie de la tribu de Manassé ; puis il y a le message de Moïse à son
successeur, Josué, qui va faire entrer le peuple dans la terre et les mener dans les
batailles pour sa conquête : « Ne les crains pas, car l’Éternel votre D.ieu, c’est Lui qui
combattra avec vous. »
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7
Réflexions sur la Paracha de la Semaine
Perdus dans la Traduction
par Haya Schu’hat
Les concepts spirituels peuvent-ils s’exprimer dans un
langage courant ? Ou bien doit-on les évoquer sur un ton
grave, dans de saints murmures, si tant est qu’il convienne
d’en parler ? Pour bon nombre d’entre nous, la littérature
spirituelle semble irrémédiablement déconnectée de notre
vie quotidienne. Nous associons la notion de « textes
sacrés » à l’image de livres de prières jaunis, craquelés et
poussiéreux, écrits dans une langue archaïque, ou bien à
celle de parchemins ternis recouverts de hiéroglyphes à
peine décryptables. Mais la littérature sacrée doit-elle nécessairement être si lointaine
et séparée de la réalité ? Y a-t-il quelque chose d’incongru à discuter de la divinité et de
la spiritualité dans un langage terre à terre et des exemples tirés de la vraie vie ?
Quand nous parlons de D.ieu dans des termes qui nous sont familiers, nous L’invitons
au cœur de notre vie, plutôt que de Le reléguer à la périphérie de notre existence. Et
pourtant, on pourrait rétorquer que trop modérer la révérence peut facilement
conduire à la désinvolture et au manque de respect pour des sujets réellement
sublimes. Une certaine distance doit être maintenue pour préserver la sainteté du sujet.
Nous ne devons pas perdre de vue notre propre faiblesse et notre ignorance vis-à-vis
de sujets véritablement spirituels et divins de crainte que nous commencions à créer
D.ieu à notre propre image.
L’étroite démarcation entre le fait de rendre D.ieu accessible à l’entendement humain
et celui de Le réduire à une dimension humaine est discutée depuis les temps
talmudiques. Il arriva un jour que cinq érudits furent désignés par le roi Ptolémée pour
traduire la Torah en grec. Ce jour, dit le Talmud,1 fut « aussi néfaste pour Israël que
celui où fut façonné le Veau d’Or, car la Torah ne pouvait être exactement traduite ».
Et pourtant nous lisons dans la Torah qu’avant la traversée du Jourdain pour entrer en
Terre d’Israël, Moïse expliqua la Torah2 en soixante-dix langues.3 Bien plus, au
moment de la traversée du fleuve, il chargea le Peuple Juif d’écrire la Torah entière sur
des pierres,4 en soixante-dix langues.5 Si la Torah avait déjà été traduite en soixante1
Sofrim 1:7
Deutéronome 1,5
3
Rachi, ibid.
4
Deutéronome 27, 4-8
5
Rachi, ibid, citant Sotah 32a
2
8
dix langues, pourquoi sa traduction en grec fut-elle considérée comme tellement
tragique ?
Quelle est la relation entre la traduction ptolémaïque de la Torah et le péché du Veau
d’Or ? Remarquez que le Talmud ne fait pas la comparaison avec « le jour où le Veau
d’Or fut adoré » mais avec « le jour où le Veau d’Or fut façonné ». Au départ, le Peuple
Juif ne cherchait pas un objet à idolâtrer. Ils cherchaient seulement un maître pour
remplacer Moïse qu’ils croyaient, sincèrement, mort sur le Mont Sinaï. Tout comme
D.ieu avait désigné Moïse comme Son agent pour sauver les Juifs d’Égypte, ils
espéraient que le Veau d’Or servirait comme une sorte d’intercesseur entre le peuple
juif et D.ieu. Ils ressentaient le besoin d’une représentation tangible pour les aider à
combler la distance entre leur existence terrestre et D.ieu.
Dans le Judaïsme, chacun est capable de – et supposé – construire une relation avec
D.ieu sans intermédiaire. Pourquoi, dans ce cas, y aurait-il besoin d’un guide quel qu’il
soit ? La réponse est que D.ieu désire que nous ayons avec Lui une relation basée sur
la vie réelle, que nous Le comprenions avec nos esprits et que nous L’aimions avec tout
l’amour que nos cœurs humains et charnels peuvent concevoir. C’est pourquoi D.ieu
choisit un chef, un Tsaddik qui, par l’exemple de son propre comportement, devient
une manifestation vivante de la Divinité, avec laquelle nous avons un rapport et que
nous pouvons tâcher d’imiter.
Mais les Juifs désiraient aller plus loin. Ils arguèrent que la révélation de D.ieu ne doit
pas se limiter au niveau humain et qu’elle peut également s’exprimer à travers le règne
animal. Au Mont Sinaï, les Juifs avaient eu une perception de D.ieu descendant vers la
montagne sur un chariot porté par des anges à quatre faces dont l’une était celle d’un
bœuf. Ils tentèrent de donner une forme tangible à cette vision spirituelle.
Leur erreur résida dans leur « traduction » inepte de la vision divine dans la matière.
Une telle représentation ne peut être réalisée sans une instruction divine explicite. Les
objets matériels ne sont investis d’énergie divine qu’à travers un commandement direct
de D.ieu. L’exemple par excellence de cela est la construction du Tabernacle dans lequel
l’énergie divine émanait de l’Arche Sainte couronnée par les Chérubins. C’est parce que
sa construction avait été une injonction divine qu’il devint un canal pour la Divinité et
était totalement « annulé » devant D.ieu. Mais toute tentative de notre part pour
traduire la spiritualité dans une forme physique, guidés par notre seule perception, est
vouée à l’échec. Et comme cette traduction ne représente pas la volonté divine mais
notre propre conception limitée de la Divinité, elle résulte finalement en une
séparation entre nous et D.ieu.
Lorsque la Torah est traduite dans un langage étranger, il existe un risque similaire que
notre interprétation humaine obscurcisse le sens divin des mots. D’où l’affirmation des
Sages selon laquelle la traduction grecque de la Torah fut « aussi néfaste que le jour où
fut façonné le Veau d’Or ». En revanche, quand la traduction de la Torah fut divinement
9
ordonnée, comme ce fut le cas sur les rives du Jourdain, il n’y avait aucune possibilité
de distorsion.
Quelle leçon peut-on tirer de ces deux événements ? L’histoire du Veau d’Or devraitelle nous dissuader de nous lier à D.ieu selon nos propres modalités ? Il est évident
que D.ieu désire que nous L’attirions dans notre monde, comme l’illustre le fait que
Moïse lui-même traduisit la Torah en soixante-dix langues. Le Veau d’Or ne sert qu’à
nous rappeler que nous risquons de nous perdre quand nous basons nos
interprétations sur notre propre compréhension, sans nous référer à l’autorité de la
Torah.
Dans notre génération, nous avons une capacité sans précédent de rendre la Torah
accessible, dans toutes les langues, à des individus et des populations qu’elle n’a jamais
atteints auparavant. Nous pouvons choisir de nous dérober à cette opportunité, sous
prétexte de notre propre faiblesse et de la bassesse du monde en général. Ou bien nous
pouvons mettre à profit cette force pour communiquer les valeurs et les idéaux de la
Torah dans toutes les langues et dans tous les langages. D.ieu sera réellement révélé
dans ce monde lorsque tous les hommes, selon toutes les optiques existantes, seront
capables de reconnaître Sa présence et étudier Ses enseignements.
Nos efforts dans cette direction peuvent servir à annuler les effets néfastes du Veau
d’Or. L’intention originelle de se rapprocher de D.ieu (bien que par des moyens
inadéquats) peut être ramenée à sa source positive par nos intenses efforts pour rendre
la Divinité manifeste dans ce monde, selon les modalités prescrites par la Torah. L’une
des descriptions de l’Ère messianique évoque le moment où D.ieu « donnera aux
peuples un langage pur de sorte qu’ils invoqueront tous le Nom de D.ieu et Le serviront
dans un but commun ».6 Alors les jours de deuil7 qui commencent le 17 Tamouz8 et
culminent le 9 Av9 seront transformés en jours de réjouissances et de fêtes, avec l’aide
de D.ieu, lors de la venue de Machia’h.
Basé sur un discours du Rabbi de Loubavitch,
Likoutei Si’hot vol. 24, pp. 1-11
© Copyright 2013, all rights reserved
6
Céphania 3,9
Les Trois Semaines entre le 17 Tamouz et le 9 Av qui commémorent la destruction du Saint Temple à Jérusalem,
puisse-t-il être promptement reconstruit
8
Le 17 Tamouz est le jour où le Veau d’Or fut adoré. A l’époque du Temple, c’est le jour où la muraille de Jérusalem fut
percée
9
Le 9 Av est le jour où chacun des deux Temple fut brûlé par les envahisseurs
7
10
‘Hazon – Le Chabbath de la Vision
Et moi, Daniel, seul j’ai eu la vision, mais les
gens avec moi ne la virent pas ; et pourtant
une grande terreur s’empara d’eux et ils
fuirent pour se cacher
Daniel 10, 7
Mais, s’ils n’ont pas eu la vision, pourquoi
étaient-ils terrifiés ? Parce que, bien qu’euxmêmes n’aient pas vu, leur âme vit.
Talmud Meguila 3a
Le neuvième jour du mois d’Av (Tichea beAv) nous jeûnons et pleurons pour la
destruction du Temple de Jérusalem. A cette date furent détruits à la fois le premier
Temple (833-423 avant l’ère commune) et le second Temple (-349-69). Le Chabbat qui
précède ce jour de jeûne est appelé le « Chabbat de la Vision », car nous y lisons un
chapitre des Prophètes (Isaïe 1, 1-27) qui commence par ces mots : « la vision d’Isaïe... »
Mais il y a également un sens plus profond au nom de « Chabbat de la Vison » que le
maître ‘hassidique Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev, exprimait par la métaphore
suivante :
Un père prépara un jour un magnifique costume pour son fils. Mais l’enfant ne prit pas
soin du cadeau de son père et bientôt le costume fut en lambeaux. Le père donna à son
fils un second costume, mais très vite celui-ci fut également abîmé par l’enfant.
Le père fit alors faire un troisième habit. Mais cette fois-ci, il ne le donna pas à son fils.
De temps en temps, à des occasions particulières, il le lui montrait en lui expliquant
que quand il apprendrait à l’apprécier et à en prendre soin, il le lui donnerait. Cela
conduisait l’enfant à améliorer son comportement jusqu’à ce que, progressivement,
cela devienne sa seconde nature et qu’il mérite le cadeau de son père.
Lors du « Chabbat de la Vision », explique Rabbi Lévi Its’hak, chacun d’entre nous
reçoit une vision du troisième Temple qui, lui, sera éternel, de sorte que, pour
paraphraser le Talmud, « bien que nous ne le voyions pas, nos âmes le voient ». Cette
vision suscite en nous une profonde réaction, même si nous ne sommes pas conscients
de la cause de cette inspiration soudaine.
La résidence divine
Le Temple de Jérusalem était le siège de la présence manifeste de D.ieu dans le monde
matériel.
11
Un principe fondamental de notre foi est que « La terre entière est remplie de Sa
présence » (Isaïe 6, 3) et « Il n’existe pas un endroit vide de Lui » (Tikounei Zohar 57).
Mais la présence et l’engagement de D.ieu dans Sa création sont masqués par les
mécanismes en apparence indépendants et arbitraires de la nature et de l’histoire. Le
Temple constituait une ouverture dans le voile, une fenêtre à travers laquelle D.ieu
projetait Sa lumière dans le monde. Là, l’engagement de D.ieu dans notre monde était
clairement manifeste dans cet édifice dont les miracles constituaient une part
« naturelle » du fonctionnement quotidien et dont l’espace lui-même reflétait l’infinité
et l’omniprésence du Créateur. Là, D.ieu se montrait à l’homme et l’homme se
présentait devant D.ieu.
A deux reprises nous eûmes le privilège d’une résidence divine en notre sein. A deux
reprises, nous n’en fûmes pas à la hauteur et nous rejetâmes la Présence Divine de
notre vie.
Alors D.ieu construisit pour nous un troisième Temple. Mais contrairement aux deux
précédents qui furent des constructions humaines et, de ce fait, purent être détruits du
fait des fautes de l’homme, le Troisième Temple est aussi éternel et indestructible que
son omnipotent architecte. Mais D.ieu garde ce « troisième costume » loin de nous,
confinant sa réalité à une sphère céleste supérieure, au-delà de la vision et de
l’expérience de l’homme terrestre.
Chaque année, lors du « Chabbat de la Vision », D.ieu nous montre le Troisième
Temple. Notre âme contemple une vision d’un monde en paix avec lui-même et avec
son Créateur, un monde pénétré de la connaissance et de la conscience de D.ieu, un
monde qui aura réalisé son potentiel de bien et de perfection. C’est une vision du
Troisième Temple dans les cieux, c’est-à-dire dans un état spirituel et abstrait, à l’image
du troisième vêtement que le père a fait confectionner pour son enfant mais qu’il ne lui
donne pas. Mais c’est également une vision qui porte une promesse : la vision d’un
temple céleste prêt à descendre sur terre, une vision qui nous inspire et nous engage à
corriger notre comportement et ainsi hâter le jour où cette vision spirituelle deviendra
une réalité concrète. À travers ces visions répétées, vivre avec la présence divine
devient de plus en plus une « seconde nature » pour nous, nous élevant
progressivement au niveau d’être dignes de vivre le divin dans notre vie quotidienne.
La maison portée comme un vêtement
Les métaphores de nos sages continuent de nous parler bien après que l’idée générale
de leur message ait été assimilée. Sous la surface de la leçon la plus évidente de la
métaphore se trouvent des strates de sens de plus en plus profondes, dans lesquelles
chaque détail du récit porte un sens.
Il en est de même de la métaphore de Rabbi Lévi Its’hak. Son sens premier est clair,
mais de nombreux enseignements subtils se cachent dans ses détails. Nous pourrions
12
par exemple demander pourquoi les trois Temples sont représentés par trois
costumes ? L’image d’une d’un édifice ou d’une maison n’aurait-elle pas été plus
appropriée ?
De fait, une maison et un vêtement « abritent » et enveloppent tous deux la personne.
Mais le vêtement le fait d’une manière bien plus personnelle et individualisée. S’il est
vrai que les dimensions et le style d’une habitation reflètent la nature de son occupant,
c’est d’une manière plus globale, pas de la manière spécifique et intime dont un
vêtement « va » à celui qui le porte.
D’un autre côté, la nature individuelle d’un habit limite sa fonction à un usage
strictement personnel. Une maison peut abriter de nombreuses personnes, un
vêtement n’est porté que par une seule. Je peux vous inviter chez moi, mais je ne peux
pas partager mon vêtement avec vous : même si je vous le donne, il ne vous ira pas
comme il me va, car il est taillé à ma mesure.
D.ieu choisit de révéler Sa présence dans notre monde dans une « demeure », une
structure commune qui dépasse la dimension de l’individu pour convenir à un peuple
tout entier, à l’entière communauté des hommes. Et pourtant le Saint Temple de
Jérusalem possédait également certains aspects caractéristiques des vêtements. Ce
sont ces caractéristiques que Rabbi Lévi Its’hak souhaite souligner en comparant le
Temple à un costume.
Car le Saint Temple était une structure fortement compartimentée. Il y avait une Cour
des Femmes et un parvis réservé aux hommes, un espace réservé exclusivement aux
cohanim (les prêtres), un « sanctuaire » (heikhal) imprégné d’une plus grande sainteté
que les « cours », et le « Saint des Saints », une pièce dans laquelle seul le Grand Prêtre
pouvait pénétrer et exclusivement à Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année. Le
Talmud énumère huit degrés différents de sainteté dans le Temple, chacun avec sa
fonction et son objet propres.
En d’autres termes, bien que le Temple exprimât une vérité unique – l’omniprésence
de D.ieu dans notre monde –, il le faisait à chaque individu de façon personnalisée.
Bien que ce fût une « maison » dans le sens où il servait à de nombreux individus – en
fait au monde entier – comme leur lieu de rencontre avec l’infini, il constituait pour
chaque personne le « vêtement » sur mesure de ses besoins spirituels spécifiques, lui
offrant une relation personnelle et intime avec D.ieu.
Chaque année, le Chabbat qui précède Tichea beAv, nous recevons une vision de notre
monde comme résidence divine, un lieu où toutes les créatures de D.ieu jouiront de Sa
présence. Mais c’est aussi la vision d’un « vêtement » divin, la vision d’une relation
personnelle avec D.ieu parfaitement adaptée à notre caractère et à nos aspirations
propres, que nous connaîtrons tous quand le Troisième Temple descendra sur terre.
13
Comment supporter l’exil ?
Cette semaine nous commençons la
lecture du livre de Dévarim – le
Deutéronome. Ce livre constitue les
dernières volontés de Moché. Aussi,
une grande partie du livre est
consacrée aux souvenirs que le guide
remémore à son peuple avant de le
quitter. Dans notre Paracha, Moché
rappelle au peuple l’instant où il
s’était plaint devant D-ieu car il
estimait que la mission de guide était
trop lourde (Deutéronome 1 – 12) :
« Ei’ha – Comment donc supporterais-je seul votre labeur, votre fardeau et vos
disputes ! » Le peuple Juif était trop nombreux et les individus qui le constituaient
étaient trop différents pour qu’il soit dirigé par un seul homme.
D-ieu répondit alors à Moché : « Choisissez parmi vous, dans vos tribus, des hommes
sages, judicieux et renommés, Je les installerai dirigeants. » Ceci allait soulager le
fardeau et aiderait Moché à mener à bien sa mission.
Ce récit comporte une leçon pratique :
Chaque Juif fut investi d’une mission spéciale par Moché Rabbénou : conduire sa vie
selon les préceptes de la Torah, et influencer les personnes de son entourage de sorte
qu’elles se comportent, elles aussi, dans cette manière.
Un individu pourrait trouver cela difficile, et se demander comment il est possible
qu’une simple personne puisse produire autant d’énergie. « Comment pourrais-je,
seul, accomplir une mission si importante ? » se demandera-t-il.
En outre, chaque juif est enjoint de réjouir D-ieu en transformant ce monde en un lieu
propice pour l’établissement d’une Résidence pour la Ché’hina – la Présence Divine.
Ainsi qu’il est dit : « Israël se réjouit de son Créateur. » Nos sages commentent ce
verset des Psaumes de cette manière : « Le peuple Juif se réjouit de la Joie qu’il
engendre chez D-ieu – le Créateur – qui est fier et heureux de résider dans les
dimensions inférieures. »
14
Une personne pourrait s’interroger sur ses capacités ; a-t-il vraiment le pouvoir de
d’accomplir une mission si impressionnante !
La Torah nous répond que Hachem accorde à chaque Juif la capacité d’accomplir avec
succès son devoir dans la vie personnelle, et d’avoir une influence positive sur les
autres.
Chacun de nous a reçu personnellement la Torah de Moché en tant qu’héritage, ainsi
qu’il est écrit : « La Torah que Moché nous a enseigné est l’héritage de communauté
de Yaakov. » Par conséquent, quand un juif estime la Torah comme un cher
patrimoine, il reçoit alors toutes les forces nécessaires de conduire sa vie dans l’esprit
de la Torah. D-ieu a aidé Moché à accomplir sa mission en nommant des responsables
pour l’épauler, ainsi D-ieu établit les moyens qui nous sont indispensables pour mener
à bien notre mission.
Le Midrash indique que si les Juifs avaient été méritants, un seul verset de Ei’ha aurait
été suffisant ; malheureusement, l’histoire voulut que les choses soient autrement et
nous en sommes venus à un deuxième Ei’ha, celui des Lamentations lues le 9 Av :
« Ei’ha – Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse ! »
Il en ressort de ce texte que lorsqu’un Juif se conduit dans l’esprit de la Torah en
suivant l’exemple de Moché, il a alors le pouvoir d’annuler le concept de l’Exil à sa
racine et d’éviter la destruction du Sanctuaire. Une telle conduite nous mènera à
l’époque où la récitation des Lamentations ne sera plus nécessaire, car la Guéoulah par
le Machia’h sera devenue réalité.
3 Mena‘hem-Av 5741
15
Le Midrash Raconte la Guéoula
Dirigez-vous vers celui qui est caché !
« L’E-ternel me parla en ces termes : Assez longtemps vous avez tourné
autour de cette montagne ; Dirigez-vous Tsafona – vers le Nord. »
(Deutéronome 2 – 3)
Nos sages voient en ce verset une allusion à
l’époque de Machia’h. La Montagne devant
laquelle le peuple Juif tarde, c’est l’exil. Hachem
annonce qu’à un moment de l’histoire, il en sera
assez de séjourner en Galouth. David exprime
l’espoir en la délivrance dans les Psaumes (60 –
11) : « Qui me conduira à la ville Matsor – forte ?
Qui saura me mener à Edom ? » Dans ce verset,
David parle de Rome (responsable de notre exil) ; il l’appelle Matsor parce qu’elle a
assiégé Yérouchalayim et a fait souffrir le peuple Juif. David réclama de prendre
possession de cette puissance. D-ieu lui dit alors : Es-tu certain de pouvoir en venir à
bout ? David répondit : Tu es celui qui m’a donné Edom ; je compte sur Toi pour obtenir
Rome !
Ici le terme de Tsafona ne fait pas seulement référence à la direction du Nord, nos sages
rappellent que Essav veut la disparition de Yaakov depuis que Yits’hak l’a béni. D-ieu
dit alors à Israël : « HaTspinou – Cachez-vous tant que l’instant ne viendra pas. » Le
peuple Juif rétorquera alors : « Mais où veux-Tu que nous nous réfugions dans ce
sombre exil ? »
« Vous trouverez refuge dans la Torah ! » répondra Hachem.
Rabbi Yits’hak explique ainsi les termes « Dirigez-vous Tsafona – allez vers celui qui
est caché jusqu’à l’instant ultime : Machia’h. » D’ailleurs, les Psaumes prédisent (31 –
20) : « Ah ! Qu’elle est grande Ta bonté – Asher Tsafanta – que Tu tiens en réserve
pour Tes adorateurs ! »
Midrash Rabba
16
Pirké Avoth
Rabbi Akiva – Exemple d’Amour
Rabbi Akiva dit : D-ieu aime l’homme parce qu’Il l’a créé à Son
image. Israël est aimé de D-ieu ; ainsi les Béné-Israël sont
appelés ‘enfants de D-ieu’. D-ieu aime Israël puisqu’Il leur
donna un joyau précieux – la Torah.
(Chapitre 3 – 14)
Il y a trois sentences dans cette Michna. La
première souligne les vertus de l’humanité dans
son ensemble. La seconde indique la qualité du
peuple Juif sans considération à son lien avec la
Torah. La dernière phrase met en évidence le
rapport privilégié, entre Dieu et le peuple Juif,
créé par la Torah.
Nous constatons que dans cette Michna sont évoquées trois étapes de l’histoire du
monde. Au commencement, l’homme fut créé à l’image de D-ieu. Au moment de la
sortie d’Egypte, les Juifs reçurent le titre d’enfants de D-ieu. Puis vint le Don de la
Torah qui leur conféra un lien particulier avec D-ieu.
Ces trois phases existent aussi dans l’existence de chaque individu. A l’état d’enfant,
l’homme développe son aspect physique. L’accent est mis sur les valeurs partagées avec
le reste de l’humanité. Après la Bar-Mitsva, il acquiert le potentiel d’établir un lien avec
D-ieu par la pratique des Mitsvoth. Puis vient l’âge de la maturité, il lui est alors
possible de profiter pleinement des précieuses valeurs de l’étude de la Torah.
Ces trois sentences s’appliquent aussi à l’histoire personnelle de Rabbi Akiva. Il était
issu d’une famille de prosélytes ; il pouvait donc apprécier les vertus et les valeurs
communes à toute l’humanité. Il fut ignorant pendant 40 années de sa vie ; c’est alors
qu’il découvrit les valeurs qui existent chez chaque Juif, même s’il est illettré. Puis, il
se consacra, 80 années durant, à l’étude de la Torah ; c’est à cette époque qu’il apprécia
le joyau précieux, la Torah que Hachem offrit à Sa bien-aimée – le peuple Juif.
Sefer HaSi’hoth
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Une Invitation à dîner
Rabbi Eléazar de Modiine dit : « Celui qui humilie son
prochain en public n’a pas de part au Monde Futur. »
(Pirkei Avot 3:11)
Rabbi Hochaya prenait grand soin de
l’éducation de son fils. Il s’était
assuré qu’il aurait un maître qui
n’allait pas seulement lui enseigner
la Torah, mais serait également un
exemple dans son caractère et son
comportement.
Le maître que Rabbi Hochaya choisit
pour son fils était aveugle. Il était
très instruit, et avait une grande
crainte du Ciel. Rabbi Hochaya
admirait beaucoup cet enseignant.
Chaque jour, il l’invitait à venir
manger avec lui. Il estimait que
c’était une grande mitsva d’honorer
le professeur de son fils, et il aimait
discuter de la Torah avec lui.
"Pardonnez-moi, dit Rabbi Hochaya.
J'ai seulement voulu protéger vos
sentiments…"
Un jour, Rabbi Hochaya se trouva
dans une situation difficile. Des invités se présentèrent inopinément, et restèrent très
longtemps chez lui. Rabbi Hochaya eut peur d’amener son invité aveugle pour le dîner.
Peut-être que les invités se sentiraient mal à l’aise, se dit-il. Peut-être même diraientils quelque chose qui embarrasserait le maître aveugle. À contrecœur, Rabbi Hochaya
décida qu’il serait préférable de ne pas inviter le professeur ce jour-là.
Pendant ce temps, lorsque Rabbi Hochaya ne se présenta pas comme d’habitude, le
professeur se demanda ce qui s’était passé. « Peut-être qu’il ne trouve plus agréable de
me faire dîner avec lui », pensa-t-il.
Les invités restèrent de nombreuses heures. Dès qu’ils furent partis, Rabbi Hochaya se
précipita vers la maison du maître.
« Bonsoir, Rabbi, dit Rabbi Hochaya. S’il vous plaît, pardonnez-moi. Je me sens
affreusement coupable. J’ai eu des invités inattendus, et j’ai eu peur que, si je vous
faisais dîner avec nous, ils puissent vous insulter ou vous embarrasser d’une
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quelconque façon, c’est pourquoi je ne vous ai pas invité au repas. S’il vous plaît, ne
m’en veuillez pas. »
Le professeur aveugle fut très soulagé. Il pensait que Rabbi Hochaya l’avait oublié.
Maintenant, il se rendait compte que Rabbi Hochaya avait seulement voulu protéger
ses sentiments, et était même venu lui demander pardon.
Le maître aveugle dit : « Je ne vois pas, bien que tous puissent me voir, et vous
demandez mon pardon. Puisse le D.ieu Tout-Puissant qui voit tout, mais ne peut être
vu, vous regarder d’un oeil bienveillant. »
« Amen », dit Rabbi Hochaya, reconnaissant pour la bénédiction de l’aveugle.
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Saisons de l’âme
Profits et Prophètes
par Rav Jonathan Saks
Il y a, dans toute la littérature religieuse, peu de
passages aussi flamboyants que le premier chapitre du
livre d’Isaïe relatant la grande « vision » – le ‘hazone –
qui donne son nom au Chabbat qui précède Ticha
BeAv, le jour le plus triste du calendrier juif. Ce texte
est bien plus que de la grande littérature : il exprime
l’une des grandes vérités prophétiques qui est qu’une
société ne peut prospérer sans honnêteté et justice.
Rien ne saurait être plus pertinent pour notre époque.
Le Talmud10 affirme que lorsque nous quittons cette vie
et arrivons dans l’autre monde, la première question qui
nous est posée n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, d’ordre religieux (« As-tu
consacré du temps à l’étude de la Torah ? »), mais plutôt : « As-tu mené tes affaires
honnêtement (bé-émouna) ? » Je me suis demandé comment les rabbins étaient
certains de cela. La mort n’est-elle pas, après tout, « cette région inexplorée, d’où nul
voyageur ne revient » ? La réponse, il me semble, tient dans ce passage d’Isaïe :
Voyez comment la cité fidèle est devenue une prostituée ! Jadis pleine de justice, c’était
l’asile de la vertu, et maintenant elle est un repaire d’assassins ! Ton argent pur s’est
changé en scories, ton vin généreux est dilué dans de l’eau. Tes chefs sont rebelles,
complices de voleurs ; tous aiment les dons corrupteurs et courent après les gains
illicites ; à l’orphelin ils ne font pas justice, et le procès de la veuve n’arrive point devant
eux.11
Jérusalem ne fut pas détruite parce que les gens s’étaient mal comportés d’un point de
vue religieux, mais parce qu’ils ne s’étaient pas comportés honnêtement. Les gens de
l’époque s’adonnèrent à des pratiques commerciales déloyales très rentables mais
difficiles à détecter, comme mélanger de l’argent avec des métaux moins précieux ou
diluer le vin. Ils étaient seulement préoccupés par la maximisation des profits et
restaient indifférents à la perte des autres. Le système politique était, lui aussi, devenu
Chabbat 31a
11
Isaïe 1,21-23
10
20
corrompu : les politiciens utilisaient leur position et leur influence pour leur avantage
personnel. Les gens le savaient, ou le soupçonnaient. Isaïe ne prétend pas révéler
quelque chose qu’ils ne savaient pas déjà ; il ne s’attend pas à surprendre ses auditeurs.
Le fait que les gens s’étaient résignés à ne pas attendre mieux de la part de leurs
dirigeants était en soi une marque de déclin moral.
Ceci, dit Isaïe, est le véritable danger : que la malhonnêteté et la corruption généralisées
sapent le moral d’une société, rendent les gens cyniques, créent des divisions entre les
riches et les puissants d’un côté et les pauvres et les faibles de l’autre, détruisent le tissu
social, et conduisent les gens à se demander pourquoi ils devraient faire des sacrifices
pour le bien commun si tout le monde semble à la recherche d’un avantage personnel.
Une nation dans cet état est malade et en passe de sombrer dans le déclin. Ce que vit
Isaïe – et qu’il dit avec force et une clarté –, c’est que, parfois, la religion (organisée)
n’est pas la solution, mais fait elle-même partie du problème.
Il a toujours été tentant, même pour une nation de monothéistes, de se laisser aller à
la pensée magique : que nous pouvons expier nos péchés ou ceux de la société en
multipliant les visites au Temple, les offrandes de sacrifices et les manifestations de
piété. Peu de choses, sous-entend Isaïe, courroucent D.ieu plus que celle-ci :
« Que M’importe la multitude de vos sacrifices ? » dit l’Éternel... « Vous qui venez vous
présenter devant Moi, qui vous a demandé de fouler Mes parvis ? Cessez d’y apporter
des offrandes vides de sens ! Votre encens M’est en horreur... Je ne supporte plus vos
assemblées iniques : Néoménie, Chabbat, saintes solennités, Mon âme les abhorre.
Elles Me sont devenues à charge ; Je suis las de les tolérer. Quand vous étendez les
mains en prière, Je détourne de vous Mes regards ; dussiez-vous accumuler les prières,
J’y resterais sourd. »12
Les corrompus ne croient pas seulement qu’ils peuvent tromper leurs semblables ; ils
pensent qu’ils peuvent également tromper D.ieu. Lorsque les normes morales
commencent à se décomposer dans les affaires, la finance, le commerce et la politique,
une sorte de folie collective s’empare des gens – les sages ont déclaré adam bahoul al
mamono, ce qui signifie grosso modo : « l’argent nous fait faire des choses folles » – et
les gens en viennent à croire qu’ils mènent une vie magique, que la chance est avec eux
et qu’ils n’échoueront pas et ne seront pas découverts. Ils croient même qu’ils peuvent
soudoyer D.ieu pour qu’Il regarde ailleurs. Mais, en fin de compte, tout s’écroule, et
ceux qui souffrent le plus ont tendance à être ceux qui le méritent le moins.
Si la prophétie d’Isaïe était dirigée vers une situation donnée, elle n’en est pas moins
pertinente s’agissant de l’économie et de la politique d’aujourd’hui, et peut même se
12
Ibid, 11-15
21
décliner en termes laïques. L’économie de marché est, et doit être, une entreprise
morale. Faute de quoi, elle est vouée à échouer.
Il existait la croyance parmi les lecteurs superficiels d’Adam Smith, le prophète du
libre-échange, que l’économie de marché ne dépend en rien de la morale : « Ce n’est
pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons
notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. »
C’était là le génie du système de transformer l’intérêt personnel en bien commun par
l’effet de ce que Smith appelle de manière presque mystique, une « main invisible ».
La morale, elle, était absente du système. Elle n’était pas nécessaire.
C’était là une mauvaise interprétation de Smith, qui prenait la moralité très au sérieux
et écrivit un livre intitulé La Théorie des Sentiments Moraux. Et c’était aussi une
mauvaise interprétation de l’économie. Ceci a été clarifié, deux siècles plus tard, par un
paradoxe de la théorie des jeux connu sous le nom de Dilemme du Prisonnier. Sans
entrer dans les détails, ce paradoxe imagine deux personnes devant faire un choix (de
rester silencieux, d’avouer ou d’accuser l’autre), la conséquence de leur décision
respective dépendant de ce que l’autre aura fait, sans que cela puisse être connu à
l’avance. Il peut être démontré que si les deux personnes agissent de façon rationnelle
dans leur propre intérêt, elles produiront un résultat qui sera mauvais pour toutes les
deux. Cela semble réfuter l’hypothèse de base de l’économie de marché qui est que la
poursuite de l’intérêt personnel sert le bien commun.
Le résultat négatif du Dilemme du Prisonnier ne peut être évité que si les deux
personnes se retrouvent à plusieurs reprises dans la même situation. Elles finissent
alors par se rendre compte qu’elles se nuisent l’une à l’autre ainsi qu’à elles-mêmes.
Elles apprennent à coopérer, ce qu’elles ne peuvent faire que si elles ont confiance l’une
en l’autre, et elles ne le feront que si l’autre aura gagné cette confiance en agissant avec
honnêteté et intégrité.
En d’autres termes, l’économie de marché dépend de vertus morales qui ne sont pas
elles-mêmes produites par le marché, et peut être compromise par le marché luimême. Car si le marché se résume à la recherche du profit, et si nous pouvons gagner
aux dépens des autres, alors la recherche du profit conduira d’abord à des pratiques
douteuses (« Ton argent pur s’est changé en scories, ton vin généreux est dilué dans de
l’eau »), puis à la rupture de la confiance, puis à l’effondrement du marché lui-même.
Un exemple classique de ceci est ce qui s’est passé après le krach financier de 2008.
Pendant une décennie, les banques s’étaient livrées à des pratiques douteuses,
notamment des prêts hypothécaires « subprimes » et la sécurisation des risques au
moyen d’instruments financiers si complexes que les banquiers eux-mêmes admirent
plus tard qu’ils ne les comprenaient pas totalement. Ils ont continué à les autoriser,
22
bien que Warren Buffett ait averti en 2002 que les subprimes étaient « des instruments
de destruction financière massive ». Il en résulta le krach. Mais ce n’est pas cela qui fut
la cause de la dépression-récession qui suivit. Celle-ci se produisit du fait que les
banques n’avaient désormais plus confiance l’une en l’autre. Le crédit n’était plus
librement disponible et, dans un pays après l’autre, l’économie tomba au point mort.
Le mot-clé, utilisé tant par Isaïe que par les sages, est émouna, qui signifie « fidélité »
et « confiance ». Isaïe emploie à deux reprises dans notre haftara l’expression kirya
néémana, « la cité fidèle ». Les sages disent qu’il nous sera demandé au Ciel : « As-tu
mené tes affaires bé-émouna ? », c’est-à-dire « As-tu mené tes affaires de manière à
inspirer la confiance ? ». C’est ainsi : l’économie de marché repose sur la confiance.
Ôtez cela et reposez-vous à la place sur les contrats, les avocats, les règlements et les
autorités de contrôle et il y aura toujours plus de scandales, d’effondrements et de
krachs puisque l’ingéniosité de ceux qui cherchent à contourner les règles dépassera
toujours celle de ceux dont le travail consiste à les appliquer. La seule autorité
régulatrice sûre, c’est la conscience, la voix de D.ieu dans le cœur de l’homme qui nous
interdit de faire ce que nous savons être mal, mais pensons néanmoins pouvoir faire
en douce.
L’avertissement d’Isaïe est tout aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était il y a vingt-sept
siècles. Quand la morale est absente, et que l’économie et la politique sont motivées
par le seul intérêt personnel, la confiance disparaît et le tissu de la société se défait.
C’est ainsi que toutes les grandes superpuissances ont commencé leur déclin, et cette
règle ne souffre pas d’exception.
L’expérience a démontré qu’il est toujours plus judicieux de s’en remettre aux
prophètes plutôt qu’aux profits.
Le Rav Lord Jonathan Sacks est le grand rabbin du Royaume-Uni et du
Commonwealth
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Beth-Habé’hira – Le Temple
L’autel des Encens
« Fais un Mizbéa’h – autel – en bois de cèdre pour y brûler
l’encens… Aaron brûlera l’encens sur cet autel chaque matin… Cet
encens sera perpétuel devant l’E-ternel, pour toutes vos
générations. »
(Exode 30 – 1,7,8)
Ce passage donne
les
instructions
pour la fabrication
des ustensiles du
Temple et des
vêtements sacrés
des Kohanim – les
prêtres.
La
dernière
Mitsva énoncée
par la Paracha
concerne
la
construction d’un
autel à encens en or. De ce fait, nous pouvons déduire que l’offrande de l’encens – la
Kétoreth – constituait le point culminant des différents rites et services faits dans le
Sanctuaire.
Analysons donc les particularités de ce rite :
L’encens était offert chaque jour par un Kohen différent ; seul un Kohen pouvait entrer
dans l’enceinte du Sanctuaire ; aucune autre personne ne devait être présente au
moment où le Kohen procédait à son offrande. Le Kohen se retrouvait seul face à la
Présence Divine.
C’est en ce point que nous pouvons faire le parallèle avec le service de D-ieu de chaque
Juif. Nous atteignons le plus haut niveau de pratique de la Torah et des Mitsvoth
lorsqu’ils sont appliqués dans la discrétion et sans fanfare ; dans cette situation, chacun
de nous se retrouve face à la Présence de D-ieu.
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En réalité, nous pouvons dire que chaque Juif est considéré « Kohen » ; d’ailleurs,
Hachem ne dit-Il pas à Moché : « Vous serez pour Moi une nation de Kohanim. » A
l’instar des Kohanim qui furent choisis pour faire le service dans le Sanctuaire au nom
de toute notre nation, chaque Juif fut choisi pour servir Hachem. Aussi, le service de
D-ieu de chacun a une résonance collective au-delà de l’intérêt individuel.
La meilleure façon d’exécuter une Mitsva – et particulièrement la Tsédaka – est de
l’appliquer à l’abri des regards et des flashs médiatiques. Un Juif ne devra jamais faire
une Mitsva dans le but d’être reconnu où d’être cité dans les journaux pour ses œuvres.
La discrétion est la forme la plus parfaite pour entreprendre une bonne action ; ainsi,
seuls D-ieu et le participant en sont informés. Le dialogue avec D-ieu se fait alors
intime, à la manière de l’encens qui n’était offert par le Kohen qu’en Présence de D-ieu.
En outre, à l’instar de l’encens offert dans le Temple, le service de D-ieu fait dans la
discrétion cause et engendre la manifestation de Ché’hina – la Présence Divine – à
travers le monde.
Likouté Si’hoth Vol I
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