Les idées et les opinions exprimées dans ce livret sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairrmentles vues de l'UNESCO.Les appellatioiis einploytea dans cei-cepublication et la présentation des données qui y figurent n'impliquent de la part de l'UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, terriroires,villes ou zones ou de leurs autorités,ni quaiit i leurs frontières ou limites. Publié cn 2005 par : Organisation des Nations Unies pour l'éducation,la science et la culture 7,place de Fontenoy,75350 Paris 07SP Sous la direction de Moufida Goucha,chefde Sccrion de la philosophie et des scicnces humaines, assisrée de Mika Shino,Feriel Ait-ouyahia, Arnaud Drouet,Kristina Ralalovsla et Nadya Naydenova. O UNESCO firpimi'en A n n c e p m Dtiitids-E tciidet lInpriinearr N" i~inipression:4320.3B Sommaire Préface 5 Connaissance et rationalité Hourya Benis Sinaceur 7 Rationalités et techno-sciences 21 Ali Cbanozlf.: Applications de la logique John Symons 31 Connaissance,rationalité,logique Jan Wolenski 57 Préface Dans le cadre de la deuxième Journéeinternationale de la philosophie (Paris,Maison de l'Unesco,jeudi 20 novembre 2OO3),une table ronde a été organisée par le Conseil international de la philosophie et des sciences humaines et par I'Institutinternational de philosophie. Le sujet débattu s'énonçait ainsi : Aahlt.mes ouveTts en eistémologie:connniss a m e et mtionnlité. Quatre philosophes ont échangé leurs arguments : Hourya Benis Sinaceur (Centre national de la recherche scientifique,Paris) ; Ali Chenoufi (Université de Tunis) ; Jan Wolenslti (Jagiellonian University,Cracovie) ; John Synions (Texas University,E l Paso). M.Pierre Sané,sous-directeurgénéral pour les sciences sociales et humaines, M a d a m e Moufida Goucha, chef de la section de la philosophie et des sciences humaines, M a d a m e Mika Shino, spécialiste de programme, M a d a m e Feriel Ait-Ouyahia,spécialiste adjointe de programme,ont assuré la publication des textes ou des propos de la cable ronde. Qu'ils en soient remerciés. Institut internnhorznl de philosophie. Paris,le 7juillet 2005. 5 Connaissance et rationalité Hourya Beiiis Sinaceur Dans sa conférence à la Société Française de Philosophie du 15 décembre 2001,Bertrand de SaintSernin répertoriait, parmi les problèmes ouverts, une double question : 1") celle de l'émergenced'une rationalité de type stratégique,se substituant au modèle de la rationalitécontemplative de type platonicien,qui prévalut des siècles durant,et à celui de la raison dialectique, qui marqua fortement la pensée moderne depuis la fin du XIX'siècle ; 2")la question de la fracture entre la ( (rationalité instrumentale ) ) et la ( ( rationalité axiologique )), selon les termes d'une distinction due à Max Weber. - La rationalicéinstrumentaleest l'adaptation des moyens aux fins dans la perspective d'une recherche de l'utilité et de la satisfaction des intérêts ; elle ignore les impératifs de la raison pratique. La rationalité axiologique est la conformation de l'action aux valeurs recon- 7 nues c o m m e telles ; elle accorde Lin primat à la raison pratique sur la raison théorique. Par ailleurs,parmi les nombreuses idées proposées par Jaakko Hintikka pour une nouvelle épistémologie,une nouvelle théorie de la connaissance, il y a celle d‘une connaissance dont le modèle est fourni par la théorie des jeux, c’est-à-direla théorie mathématique des stratégies du choix et de la décision rationnels. Dans les deux cas,pour la connaissance c o m m e pour la rationalité, qui sont bien entendu des concepts connexes,on constate la prégnance du concept de stratégie, lequel s’inscrit de prime abord dans le cadre d’une philosophie de l’action.C’est c o m m e si on ne pouvait plus concevoir aujourd’hui de rationalité ou de connaissance indépendamment de l’agir,alors que pendant deux millénaires l’ona séparé,ou tout au moins distingué nettement, connaissance et action, savoir et valeur, raison théorique et raison pratique. La perte d’autonomic et d’autosuffisance du concepr: de connaissance est clairement et remarquablementillustrée par la proposition de Hintikka d’une théorie de la connaissance qui, non seulement ne repose pas sur une clarification préalable de ce concept, mais encore s’en passe totalement. U n e théorie de la connaissance sans connaissance,telle est la formule-chocque nous pouvons 8 retenir pour notre discussion.Et,par ailleurs,une théorie de la raison connectant d’autantplus fort les inventions scientifiques et la réflexion éthique,le savoir et la valeur qui tendent irrésistiblement à diverger dans la réalité,tel est le paradoxe que nous pouvons méditer.Car il nous indique que la théorie de la raison moderne se présente souvent comme une théorie axiologique,où la raison est appréhendée non seulement comme donnée ou structure de l’humain mais aussi comme norme et valeur pour l’homme et qui propose, en conséquence, Line vision dont le moins qu‘on puisse dire est qu’ellevise à palier le divorce yéd, éprouvé comme ruineux et concrèLement catastrophique, entre rationnel et raisonnable. En guise de préliminaires à la discussion,je propose quelques remarques,destinées 2en tracer un cadre possible. I . Une théorie de la connaissance orientée vers I’actioii et une théorie axiologiquede la raison résultent toutes deux d’un certain rejec de la double division millénaire de la raison en théorique et technique,théorique et pratique.Technique et pratique ne se recouvrant pas, la marge reste grande,au-delàdu théorique,entre les succès techniques du savoir et l’ambition pratique, c’est-àdire moralement législatrice,de la raison. 9 2.C e rejet est lui-mêmed’ordreaxiologique. Car les faits attestent au contraire d’une division qui se reproduit entre stratégies de connaissance et stratégies d’action et entre rationalité instrumentale et rationalité axiologique. D’uncôté,certes,des connaissancesthéoriques,développées par la logique et les modèles de théories du choix rationnel,sont aujourd’hui incorporées c o m m e paramètres indispensables de la prise de décision,au niveau individuel c o m m e dans les sphères économique et politique. Jeux de stratégie et jeux de rôles vulgarisent d’ailleurs largement l’apprentissagede la décision rationnelle. Mais, d‘un autre côté, la tentation de maximiser le gain tend à laisser sur le bord de la route la visée ,axiologique et la dimension éthique. Sans compter qu’un gain modéré, évitant un déséquilibre trop brutal et trop criant par rapport à la situation antérieure,est sans doute plus payant à long terme qu’une supériorité &rasante superbement affichée. Optimiser le gain,puisque c’estde cela qu’ils’agit,implique d‘échelonner les gains et de renoncer au maximum pour préserver les chances d‘un meilleur gain futur. Plus fondamen talement, la recherche du maximum de profit immédiat s’accommode facilement de l’ignorance,rapidement fatale,des modalités de penser et d’agir étrangères nu point de vue des théories de ln rationalité logique et stratégique.C’est ce à quoi nous assistons avec 10 la ((victoire U des Américains en Irak.Non seulement,le rationnel s’est séparé dans la politique de Bush du rai- sonnable,mais encore le rationnel lui-mêmea péché par abstraction.II a montré son impziissnnce de se supposer universellemeizt unique et bien défini (ausens où on dit de telle fonction mathématique que son équation vérifie les critères d‘unicité et de bonne formation). Ji a manqué d’intégrer dans ses calculs les données de la situation locale qui ne ressortissent pas forcément à la rationalité stratégique mais exigent néanmoins d’être prises en compte et évaluées par elle. 3.II en résulte,à mon avis,une dissymétrie certaine entre connaissance et rationalité,du point de vue de la constitution d’unethéorie. I1 me paraît pertinent de se passer d‘une définition préalable et formelle de la connaissance dans une théorie dynamique de la connaissance orientée vers l’action, comme celle proposée par Hintikka’.II m e paraît tout aussi pertinent de focaliser,de manière réciproque,l’étude sur l’activitédu connaître plutôt que sur le concept de connaissance.La question du quid,qui polarise I’enquête philosophique depuis les dialogues platoniciens, débouche en général sur des difficultés et des apories 1. N Episremology wichour knowledge and wirhour bclief II )>, paralysantes. Aussi gagne-t-on à lui substituer celle, moins abstraite et moins aporétique,du quomodo.C’est la démarche usuelle d’uneoption pragmatiste en philosophie,pour qui l’idéede vérité entretient un lien étroit avec le succès dans l’action.Option qui,elle-même,peut être défendue dans une version purement instrumentale ou dans une version axiologique ne dissociant pas succès et valeur éthique. Pour répondre 2 la question du comment, on peut envisager l’activité de connaissance,c’est-à-direI’acquisition de connaissances nouvelles,c o m m e une application de la théorie mathématique des jeux. Mais la construction d‘une théorie logique de la connaissance en action et pouî. Ldction, c’est-à-dire d‘une connaissance conçue c o m m e recherche de gain d’informationen vue d’aider i la prise de décision,autrement dit encore c o m m e styatégie de coiznaissnnce sous-ttndant une stral-égie $action, conduit à des conséquences surprenantes au regard d‘un ensemble d’idées généralement admises par les philosophes au sujet de la connaissance.II m e paraît utile d‘en mentionner quelques-unes d’après l’article de Hintikka cité,qui indiquerontl’ampleurde la révolution apportée dans la conception reçue de la connaissance. Connaître, selon Hintikka,c’est connakre les scénarios d’action à exclure. O n est trts loin de la définition de Platon dalis le 7h&ét&c d o n laquelle la connaissance est la croyance vraie pourvue de Logos, terme qu’on traduit par ((raison )) OLI ((justification D. Mais si connaître vise à guider notre action plutôt qu‘à percer l’essence ultime des choses et atteindre la vérité ((absolue », alors il Faut non pas accuser les différences mais relever les similitudes entre connaitre et croire,percevoir,se souvenir,etc. 11 s’agit ici et là de ce qu’on appelle des ((attitudes propositionnelles))guidant,chacune de manière différente,nos actions. Hintikka substitue un concept de surface, celui d’information, à un concept en profondeur,celui de connaissance au sens traditionnel des philosophes.Car c’estl’informationqui coiistitue le contenu des différentes attitudes propositionnelles.Une m ê m e information peut être (< reçue à titre de connaissance par l’un, en guise de croyance par un autre, évoquée comme souvenir par un troisième,etc. Aussi le concept d’information peut-il être spécifié indépendamment des différentes attitudes possibles ; tandis que la connaissance ne peut être spécifiée iiidépendaninientdu contenu de connaissance. ) ) O n retrouve une ligne de pensée tracée par la théorie de l’intentionnalicé hussei-lienne,qui pose la corrélation de la noèse et du noeina vers lequel elle est intentionnellement dirigée. Le concept d’inforination constituc ainsi le versant objectif du processus de connaissance orienté vers l’action ; il a,en oztre,l’avantagede ne pas impli13 quer en lui le concept de vérité ; il est donc plus simple et moins problématique que celui de connaissance.D u point de vue logique,la théorie de l'information est le dénominateur commun pour la théorie de la connaissance,la théorie de la croyance,la théorie de la perception et, de manière générale,la théorie du concept d'une attitude propositionnelle. Question : la substituabilité de l'information à la connaissance signifie-t-elle une identité totale entre information et connaissance ? O n peut dire que la connaissance est de l'information validée, c'est-à-direle terme d'un processus d'acquisition d'information,non le processus lui-même.Si des points de vue cant descriptif qu'heuristique il est plus avantageux de diriger notre projecteur sur le concept d'information,reste la question normative que pose la validation de l'information.Cette question est d'autant plus cruciale que le flot des informations )> mises à notre disposition par la presse, spécialisée ou non,et surtout par ]'internet,ne cesse de croitre. Mais alors il apparaît qu'une bonne partie au moins des problèmes épistémologiques relatifs à la connaissance et 5 la question de la vérité se reposent à propos de l'information validée. O n devra, en particulier,chercher à déterminer des critères de validation,à moins de considérer que la validation s'opèreapostehri et de proche en proche dans le processus continué de recherche d'infor(< 14 mations nouvelles. Cette dernière conception,toute axée sur la pratique et l'activité de recherche, est celle de l'épistémologie dite française,représentée paradigmatiquement par Gaston Bachelard et Jean Cavaillès. 4.Si on gagne à passer outre une définition formelle explicite du concept de connaissance, on ne peut en revanche faire l'économie d'une réflexion préalable sur le concept de rationalité.Tant il est vrai que la raison a transformé ses propres principes, substituant à la contemplation de vérités immuables et à la dissolution dialectique des identités isolées, fixes et rigides dans le mouvement du concept créatifde son contenu,le uavail d'analyse et de structuration permettant la construction progressive et la correction permanente de scénarios d'actions dans l'espace iizteractif fondamentalement constitué par la relation à l'autre. La réflexion sLir le concept de rationalité stratégique ne peut se cantonner au plan pzirement formel,lequel tend à nous assurer de i'équivalence entre rationalité et calculabilité. Cette équivalence était déjà repérée par Leibniz, pour qui le calcul constitue le modèle de la formede tout raisonnement, non limicée au seul raisonnement arithmétique ou logique. De plus, on ne peut présupposer c o m m e un fait, mais on doit rechercher c o m m e un but l'accord entre l'esprit et la réalité et entre les divers.esprits. 15 II faut donc affronter la différence de la réalité. Si l’homme est doué de raison, il n’en fait pas nécessairement correct et bon usage. La rationalité n’est pas plus l’attribut immédiat des pensées et actions humaines qu’elle ne l’est de la réalité matérielle ou vivante. Cidentiré du rationnel et du réel,si elle n’estpas un principe schizophrénique c o m m e le croyait Freud, ne peut être entendue qu’au Fzivenu &bique du choix de la raison c o m m e norme de ses décisions et de l’effort soutenu d’actualisation de cette norme dans l’auto-éducationde soi dans l’expkrience.En m ê m e temps qu’elle la norme, la rationalité se forge dans l’action.Elle est un processus, sous-jacentau processus de connaissance,It: guidant tout en se nourrissant de lui. C’es[ pourquoi elle peut également étre appréhendée dyynnmiquement dans une [héorie de l’action. Et quoiqu’on distingue une action per se et une action justifiée par une valeur échique,on ne peut valoriser la raison en la proposant c o m m e norme de pensée et d’action sans proposer réciproquementc o m m e but 2 la raison la poursuite d’une finalité éthique de ses actions. O n observera, du reste, que le concept d’interaction en jeu dans le modèle stratégique comme dans 13 réalité de l’action,par sa présupposition de l’intersubjectivité, inscrit la réflexion dans le cadre éthique. 16 I1 faut aussi affronter la différence des esprits,des cultures,c'est-à-direabandonner le dogme de l'unicité.Si la raison-normepeut légitimement prétendre à l'unité et i l'universalité législatrices,c'est à sa racine m ê m e que la raison-processus,la raison en acte est plurielle, argumentative,apte à différencier des aspects et des degrés et à se différencier elle-même,à nuancer ses jugements,à s'adapter aux circonstances, à supporter le débat et la contestation,à ouvrir le dialogue,à soutenir la discussion en dépit de l'opacité sémantique éventuelle d'oh découlent malentendus et incompréhension.Q u e serait la raison qui exclurait le doute et craindrait les remises en question ? Souple,fluide,communicative, tolérante, telles sont d'ailleurs les caractéristiques cliniques de la saine raison. La raison monolithique et absolue est, au mieux,l'objet d'un fantasme,à jamais insatisfait,au pire l'effet d'un dogmatisme qui ne dit pas son nom. Or il n'est de dogmatisme qui ne repose sur la foi et ne réponde à un besoin (obsessionnel) de sécurité intellectuelle absolue. Le dogmatisme de la raison est une adhésion irraisonnée et supposée sécurisante à une conception exclusive et intolérante de la raison. Le dogmatisme rationnel est donc un irrationalisme. Au rebours,la condition naturelle d'exercice de la raison est d'être en situation,affrontant l'altérité mais prête 17 à l’échange, vouée à l’incertitude mais conjecturant le probable, exposée au risque mais capable de le mesurer ou de l’assumer,confrontée aux formes changeantes et multiples de son contraire : l’irrationnel,qu‘elle ne peut rejeter d’entrée de jeu de son champ de travail.Cexercice de la raison inclut la critique de la raison et la réflexion sur ses limites. Ce qui ne veut pas dire que la raison abdique devant la non-raison ou l’au-delàdes limites de la raison.La raison se conquiert patiemment dans I’altérité et les médiations,se renforce de sa résistance à l’irrationnel prolifique et invasif, doit étendre plutôt que défendre son territoire en usant de toutes les techniques de communication et de toutes les ruses et circonstances favorables pour apprivoiser et gagner à elle ce qui la contrarie. La rationalité est la conquête difficile et menacée de qui a pu accéder et se rendre accessible au besoin éthique de normes les plus universelles possible, cherchant le point de convergence où le partage d’une m ê m e valeur devien c réalisable. Et si le fruit de ce long travail et la caractéristique de la raison est en définitive,et demeure en dépit des divers visages que celle-cia pris selon les Bges et les peuples, la faculté de ((bien juger »’de ce qu’ily a lieu de faire,de la manitre et du moment pour le faire,alors il faut accep~ -~ 2.Ilescartes, Discours d~ la Méchode, I, 1 18 ter que la raison pèse les dzfférentes raisons,c’est-à-direles différents principes d’intelligibilité ou de justification des situations, des pensées et des actions humaines, qu’ellefasse la part des choses c o m m e on dit,et en particulier la part du hasard,de l’absurditéet de la déviance. Conjoignant le rationnel et le raisonnable, la raison doit viser l’équilibre,dans le grand chaos des disparités et des intéréts contraires ; elle doit viser le milieu, à l’écart des extrêmes. Les experts modernes en stratégie internationale expriment cela en proposant la gestion de la violence par le maintien d’un état du monde métastable assez durablement acceptable par les différentes parties. Car préserver la possibilité pour soi de continue/..dpgner encore, dans certaines limites, et sauvegarder chez I’adversaire l’espérance de réparer la perte, reste le meilleur moyen d’éviter la montée suicidaire aux extrêmes. Retenons donc le mot de Pascal,qui tant par sa machine à calculer que par sa pensée du pari a anticipé les théories modernes de la décision : ((la parfaite raison fuit toute extrémité D. 13 Rationalités et techno-sciences Ali Clianoufi La question d e la rationalité se pose aujourd’hui d’une Façon relativement nouvelle à partir de figures er d‘enjeux originaux,croisant les grandes questions de la philosophie. L‘expansion récente des techno-scienceset plus particulièrement des biotechnologies et des neuro-technosciences bouleverse notre idée de la raison et exige une réflexion philosophique qui soit i la hauteur de leur rationalité.Et le fait que la techno-scienceapparait aux yeux de beaucoup de personnes comme un paradigme de rationalité nécessite que l’onsache la situer coi-i-cctement dans l’ensembledes activités rationnelles. Dans cet essai,je m e propose d’analyserbrièvement les caractéristiques fondamentales de la spécification technoscientifique de la rationalité, pour voir si ses succès, surtout actuels,peuvent conduire i l’identifier à la rationalité en général. Formulée autrement, cette question revient à chercher quels genres de rapports la pensée technoscientifique peut entretenir avec les autres formes de pensée,spécialeineiitavec la pensée normative. Qu‘en estil de la fracture entre la rationalité technoscientifique et la rationalité axiologiqueI Tend-elle actuellement à s’accentuerou au contraire à se résorber ? Dans cette interrogation je serai guidé par l’idée que la philosophie n’apas pour vocation d’être gardienne du temple ni pour tâche de conserver ce qu’on peut considérer c o m m e les grandes valeurs (la raison, la dignité humaine, la vie...). Bien au contraire, c’est à elle que revient,en premier lieu,le rôle d‘inquiéter salutairement tous les conservatismes. Ainsi,au lieu de chercher à contrecarrer la rationalité technoscientifique ou à jouer les Cassandre pour lui prédire une limite, la philosophie gagnerait ;l’aider dans son déploiement. Je ne traiterai pas ici de la rationalité en ellemême ou de l’essencede la rationalité,si tant est qu’on puisse parler d’essence de la rationalité, mais d’un type spécifique, le technoscientifique, ou, plus modestement, de certaines de ses caractéristiquesprincipales,tout en étant conscient qu‘une telle entreprise peut être jugée quasiimpossible,du fait que la rationalité technoscjencifique,en se 22 différenciant et en acquérant de nouvelles figures,évolue vertigineusement vers l’indescriptible.En effet elle est tout entière mouvement et virtuosité ; de locale,elle se répand et devient globale. Je ne traiterai pas non plus de la question de la rationalisation du monde,mais de la structure et du déploiement de la rationalité scientifique et technique en ellemême,à travers son autoorganisation et non, par autonomase - autrement dit,j’utiliseici le terme technoscience ))dans un sens strict et non pour indiquer la dynamique globale du développement du monde contemporain. ( ( En un sens la technoscience est le lieu m ê m e de l’expansion de la rationalité - l’immense transformation technoscientifique qui se poursuit er qui accroîr sans cesse ses effets et explore des champs nouveaux se fair:par la médiation d’innombrables procédures rationnelles, théoriques,techniques et pratiques. Or c’est essentiellement par son caractère opératoire que la science moderne s’est approchée de la technique. La science,en effet, se définit de moins en moins par la recherche de ses fondements ou par l’explication de l’ensemble de ses implications,((mais par la mise en œuvre de procédures précises de transformationet de généralisation )) 23 c o m m e l’expliqueJean Ladrière,dans un livre déjà classique mais qui n’a rien perdu de la justesse de ses vues’. La technique dans son couplage systématique avec les sciences se manifeste par son autoorganisation ainsi que par l’universalisationde ses procédures. Sciences et technique s’enchevêtrent et collaborent pour créer de plus en plus des objets-monde,c’estàdire des artéfacts universels. Certes, la rationalité scientifique n’est pas exclusivement opératoire, ou ne l’est pas encore ; elle garde une dimension théorique et peut faire preuve de beaucoup d’audaces spéculatives décelables, par exemple dans ces ( ( expériences de pensée i> dont parle Einstein,ou dans l a recherche du vrai et la visée de la totalité.Mais I’opérativité, qui est inhérente miime aux mathématiques,va trouver dans la science moderne des potentialités incalculables,et ce grâce d’abord à l’instaurationde la méthode : c’estla méthode scientifique,en tant que spécificationhaurement réfléchie et autocontroléede la méthode rationnelle qui est & la base de la dynamique commune qui traverse tant le champ scientifique que le champ technologique’)>, nous explique encore Jean Ladrière. ( ( Spécification )) car la méthode moderne s'inspire ( ( de la rationalité mathématique ancique.((Autocontrôle D au sens où cetce méthode permet un réajustement constant pour optimiser les possibilités de la connaissance.Enfin il y a une ((dynamique commune ))parce que I'opérativité est à la fois scientifique et technique. Dans son beau livre, La Puissance du rzltionnel, Dominique Janicaud nous a laissé une analyse magistrale des pouvoirs de la méthode qui,en connexion avec les mathématiques et dans i'horizon de la matbesis ziniversaLis, devient un opérateur universel.I1 nous explique comment la méthode en tant que ((discipline)) et en tant qu'cc économie de la certitude )) qui exige le rejet des objets simplement probables (ceux de la théologie,de la métaphysique et de la dialectique) constitue par ellem ê m e une sorte de révolution dans la raison car elle émane d'une grande décision : le projet d'une maîtrise du réel3. Mais c'est surtout avec l'organisation de la recherche que la rationalité technoscientifique prend une figure inédite et devient comme un système d'optimisation par la sélection du possible exploitable. La rationalité va prendre alors une double orientation : - 3 Doininique Janicaud, La puisSnme du mtiuvmel, Gallimard, 1985, pp. 188201. 25 - d‘un côté, relativisation des axiomes et des fondements les plus éprouvés de la science et introduction des coefficients d’incertitude; - d‘un autre côté, exigences accrues d’organisation, de précision et d’affinement des méthodes avec une recherche systématique de 1 ’opérativité. Avec la recherche contemporaine,((la science,nous dit Bertrand Saint-Sernin,a changé de mode et presque de nature4)). I1 jette des lumières sur cette réaliré nouvelle des réseaux de la recherche qui sont devenus à la fois coopératifs et compétitifs.Et il nous montre comment la rationalité scientifique est devenue ((politique et srratégique du fait qu’elles’occupede priorité,de succès et de puissance autant que de vérité P. II s’agit là surtout du versant effet, c’ex-à-direpratique de la rationalité de la recherche. Pour ce qui concerne l’aspect structurel, on peut considérer qu’étantdonné que la recherche scientifique et technologique est de plus en plus l’œuvre d’agents collectifs,il s’ensuitque (( la rationalité tant de ces agents collecrifs que des individus qui les composent, devient un mixte d’informationde deuxième ou de troi- 4.Bertrand Saint-Seriiin, Problkmes ouverts U, Bulletin de In de philosophie, numéro du centenaire, 15 décrmbre 2001,p. 43. (1 S‘ociétéfTntzçc~isc 26 sième main ( ~ O X L Zet) de science (ÉpUtéme? ce qui montre encore l’ampleurde cette révolution dans la raison5n. Cette double incarnation de la rationalité technologique chez les agents de la recherche et dans la société est certes essentielle pour appréhender le déploiement humain et mondain de la rationalité,mais elle n’épuise pas la réalité de cette rationalité et laisse de côté son aspect proprement systématique, qui par lui-même manifeste le grand pouvoir d’autoorganisationet d’autocontrôle dont elle jouit et par qui elle semble échapper i ces agents et m ê m e aux stratégies économiques et politiques,car la rationalité opératoire repousse toute limite et toute suspension. ( (Jusqu’où iront les technosciences ? ) ) , demandent avec angoisse les esprits inquiets ? Mais estce vraiment une question sensée ? Les biotechnologies, les neurosciences et le développement de la rationalité informationnelle nous invitent à mieux formuler nos questions. Quand la bioéthique se demande ce qui est humain ou ce qui est humain de faire sans savoir donner de réponse, voitelle que l’humanité se construit par cela m ê m e que la biologie,entre autres,ne cesse d’en faire ? ~~ 5. Ibid.,p. 42. 27 D e plus en plus nr devenons-nouspas cause opérationnelle de notre vie et de notre humanité ? Ainsi nous finissonsnous-mEmespar dépendre de choses qui dépendent de nous. La plupart des réactions critiques contre la rationalité techno-scientifiquerelèvent d'une sensibilitéaiguë aux effets de désymbolisation,de définalisation et de désontologisation de la science moderne et contemporaine. Pour elles I'opérativité technoscientifiquesusciterait 5 la longue sa propre suspension ou limite,voire son renversement vers l'irrationnel ou le spirituel. Pourtant rien dans le déploiement actuel de la rationalité techno-scientifiquene laisse présager un tel retournement et ce d'autant que ce déploiement est devenu de plus en plus autonome en acquérant une auto-régulation croissante. En fait, nombreuses sont les attitudes qui, face au développement de cette rationalité,procèdent encore du geste kantien : limiter le savoir pour faire place aux valeurs. Ainsi l'éthiquesemble de plus en plus invoquée partout sous le nom de transcendancesmultiples et hhives.Seraitce un signe de désespoir? C o m m e le montre cette gigantesque heuristique de la peur chez Hans Jonas,les visions apocalyptiquesne tarissent pas. Misère spéculative! 28 Sans aller jusqu à soutenir,comme l’a fait Luhman, que l’éthique est ((un paradigme perdu )) (Paradigmlost, Francfort 19901, sans penser comme Ulrich Beck que ( (l’éthique joue dans le modèle des sciences et des techniques, devenues autonomes, le rôle que joueraient les freins d‘un vélo montés sur un avion intercontinental )), il faut avouer que la plupart des attitudes éthiques ne semblent pas bien préparées aux développements nouveaux de la rationalité techno-scientifiqueet ne montrent pas qu’ellessont vraiment à la hauteur de cette pensée. I1 faut donc être vigilant face aux attendus des discours qui mettent systématiquementen cause la rationalité techno-scientifique et qui au nom de certaines valeurs la suspectent en reproduisantdes vues scientistes et en présupposant que la pensée scientifique tend à se substituer à toutes les autres formes de pensée.Ce qui est faux. La pensée scientifique est un des modes de la pensée interrogative - elle se donne des projets,invente ses problèmes et construit ses concepts,mais elle n’éclipse pas les autres formes de rationalité,lesquellesfont corps avec d’autresmodes d‘être de l’être humain ; la pensée technique, qui découpe le monde, selon son génie propre, pour en agencer et ajuster les éléments à son avantage ; la pensée normative qui relie les êtres humains entre eux par l’adhésionà des valeurs fondamentales. 29 Éminemment interrogative,la pensée phiiosophque reste la plus apte à ébranler tous les dogmatismes aujourd’hui renaissants, beaucoup plus surement et fructueusement que toutes les croisades contre le ((sur-rationalisme)) techno-scientifique. 30 Applications de la Logique Quelques remarques sur l’influence réciproque des recherches expérimentales et théoriques sur l’identification John Syrnons Logique et Science Ces dernières années la logique n’a joué qu’un rôle relativement marginal en philosophie des sciences.Selon la sagesse populaire, la logique fait plus de mal que de bien au philosophe.En plaquant de manière erronée une structure universelle rigide sur les processus dynamiques et très spécifiques de la recherche scienrifique,elle nous en cache les subtilités essentielles.Cette opinion presque unanime a eu pour conséquence que les avancées de la logique au cours des vingt dernières années sont passées pratiquement inaperçues dans le reste de la communauté philosophique. J’ai soutenu ailleurs, en collaboration 31 avec Shahid Rahman,que ces travaux récents en logique, par exemple dans la pléthore de logiques non classiques, dont la théorie sémantique des jeux et la logique IF, pourraient apporter une aide précieuse à la philosophie des sciences contemporaine pour la compréhension des concepts.(Voir,Rahman et Symons 2004). Tlun des obstacles à la reconnaissancede la pertinence de la recherche en logique pour le reste de la recherche scientifique réside dans l’absence d’une i-eprésentation claire de la façon dont on pourrait appliquer des idées provenant de la logique aux problèmes qui se posent dans les sciences de la nature. Non seulement nous manquons d’une explication convaincante de la façon dont la logique pourrait s’appliquer,mais nous manquons également d’uneexplication de la façon dont le formalisme devrait être modifié pour répondre à des critères empiriques ou autres.Tandis qu’ily a relativement peu de discussions philosophiques sur ces questions,de nombreux travaux en inforinatiqueet ailleurs, traitent de façon ad hoc les problèmes qui se posent à l’interface de la théorie et de l’application pratique. C o m m e cela a été souligné par Scheutz et par d’autres, les solutions aux problèmes techniques pratiques liés,par exemple,à la question de l’application,sont susceptibles d’avoir une certaine signification philosophique à cet égard. (Scheutz2002). 32 L'absence d'un compte-rendu philosophique approfondi de l'interaction entre la recherche en logique et dans les autres disciplines scientifiques a, au moins en partie,une raison historique. Les arguments antipsychologistestraditionnels de la fin du XX'et du début du xx siècle ont encouragé la notion que la logique existe dans un isolement splendide. Ces arguments visaient à isoler la logique de ce qui était perçu comme les effets insidieux de la psychologie.Évidemment,Frege,Husserl et les autres adversaires de l'empiétement de la psychologie sur Ir domaine de la logique n'avaient certainement pas l'intention de faire de la logique une discipline n'ayant aucune application en science. C e qu'ils voulaient,c'est préserver son caractère fondamental.Cependant,s'ajoutant à l'influencecroissante des préoccupations d'ordre sociologique et historique e n philosophie générale des sciences depuis le début des années 70,la mise en quarantaine de la logique a eu pour principal effet de réduire progressivement son rôle e n philosophie. Les décennies récences ont vu la disparition de fait de la logique en philosophie des sciences.Les logiciens sont de plus en plus confinis dans les départements de mathémariques et d'informatique alors que peu de philosophes des sciences essayent activement d'appliquer les techniques logiques aux questions de philosophie des sciences. 33 II ne m'est pas possible d'aborder dans ce court article les controverses passées sur le rôle de la logique et d'autres types de formalisme dans la recherche scientifique. Cependant,il vaut la peine de considérer brièvement si l'attitudeantilogique en philosophie des sciences se fonde sur des arguments qui s'imposent. Après tout, aucun philosophe des sciences ne nierait qu'en plus de leur fonction empirique,les sciences de la nature constituent une entreprise conceptuelle ou [héorique. Si l'on prend en compte leur composante conceptuelle, il est difficile de soutenir que les avancées en logique n'ont aucune incidence sur les problèmes que se posent les sciences de la nature. Cela vaut particulièrement pour des sciences comme les neurosciences ou la science cognitive où des notions abstraites comme l'information et la représentation jouent un rôle central.I1 est possible de montrer que de [elles notions sont susceptibles d'être soumises à un traitement formel.La logique qui soustend des notions comme la connaissance et la croyance, élaborée par les logiciens et les informaticiens,(depuis sa formulationoriginelle par von Wright dans les années 50 et Hintikka dans les années 60)a des implications directes pour l'étude scientifique de l'activité concrète de recherche de la connaissance. I1 est regrettable que ces travaux aient suscité si peu d'attention dans le reste de la communauté philosophique.II est probable que le réexa34 men en cours des arguments traditionnels contre le psychologisme (voir par exemple Kusch (1999, Jacquette (2003))suscitera un intérêt nouveau pour la compréhension de l’interaction entre la recherche logique et scientifique. Afin souligner certains des problèmes qui ressortent de la réflexion sur la notion d’application,je m e concentrerai, dans le reste de l’article sur un sujet qui présente à la fois des aspects très théoriques et des aspects très pratiques, à savoir la notion d‘identification.J’ai soutenu ailleurs que l’identificationfournit l’exemple d’un sujet où les points de vue de la logique peuvent jouer un rôle dans le développement de la connaissance scientifique. C o m m e nous l’avonsmontré dans Hintildta et Symons (2003)par exemple, les résultats de la logique épistémique sont directement applicables aux problèmes théoriques de l’étude neuroscientifique de la perception. Dans les pages qui suivent ce projet servira d’exemple illustrant le type d’applicationsusceptible de contribuer directement au progrès dans le traitement de problèmes scientifiques spécifiques. Mais si l’onpeut légitimement être enthousiaste en ce qui concerne l’applicationde concepts formels aux questions scientifiques,ce serait une erreur de croire que le succès des applications permet une certaine forme de fondamentalismelogique.Par exemple,la réflexion sur le 35 concept d’identification a également permis de jeter la lumière sur l’influencede critères non logiques sur notre compréhension de la logique. C o m m e nous le verrons, l’analyse de la nature de l’identification donne des i-aisons de changer la façon dont nous comprenons la logique. Plus précisément, la réflexion sur la nature de l’identification croisée vient conforter l’idée que pour décider de l’interprétationdu quantificateur, il faille se tourner vers des critères non logiques.Évidemment,l’interaction entre les facteurs logiques et empiriques soulève bien plus de questions que je ne puis aborder dans ce court article. Cependant,ce volume ayant pour but de dresser l’invenmirede certains des problèmes non résolus en épistémologie, je prendrai la liberté d’en laisser quelques-unsen suspens. I1 me semble prbférable, plutôt que de plaider i’utilité de la logique appliquée,de supposer d‘emblée un certain degré d’applicabilité,faisant apparaître un ensemble plus fructueux et plus intéressant de questions et de se concentrer sur les nouveaux problèmes et possibilitésqui découlent de cette application. II est frappant qu’une telle hypothèse nécessite une position non fondamentaliste i la fois envers la logique er la science.Si nous rejetons la réduction de logique aux données empiriques et vice-versa,nous faisons de la place i une étude fructueuse d e leur interaction.La thèse gtnéraie de cet article est 36 que les applications de la logique dépendent de l’influence réciproque entre la logique et les thèmes scientifiques en question. Identification et Identité Pour illustrer ce genre d’étude tournons-nousvers la question de l’identitéou de l’identification.Un énoncé d’identité consiste en l’assertion que deux objeu, bien que choisis de manière différente, soient en fait un seul et même objet.I1 peut sembler un peu étrange au lecteur de choisir le problème de l’identificationcomme exemple d’application de la logique aux sciences de la nature. L‘identité et l’identification sont des sujets métaphysiques ou tout au moins purement logiques. Lors d’un moment fondateur de la philosophie analytique,le fait que nous apprenons quelque chose des énoncés d’identité conduisit Frege h introduire la distinction sens/référence.Ces dernières décennies, i la suite des travaux de Kripke, la réflexion sur la nature de l’identitéa mené i une renaissance en métaphysique analytique. Les courants de pensée Fregéen et Kripkéen ont tous deux été inspirés par la réflexion sur le caractère fondamental des énoncés d’identité. Pourquoi des lignes de recherche en apparence aussi abstraites devraient-ellesavoir une quelconque incidence 37 sur des questions scientifiques concrètes ? D it de façon simple,alors qu’«identité N est un terme inéluctablement métaphysique,((identifier ))c’ests’engagerdans une activité qui dépend en grande partie de considérations épistémologiques et scientifiques, plutôt que purement métaphysiques. L‘identité, comme nous le verrons, est invariablementassociée à I’identificationet l’identification est une activité que l’on peut étudier d’un point de vue comportementaliste,psychologique et neuroscientifique. A u cours des trois dernières décennies,les discussions philosophiques au sujet de i’identification ont suivi le chemin métaphysique tracé par Kripke dans Naming and Necessity. Le point de départ de Kripke est familier. Tout objet est identique à lui-mêmeet seulement à luimême. Deux objets ne peuvent être identiques. Les énoncés d’identitévrais sont nécessairement vrais. Selon Kripke, les énoncés d’identité vrais concernant des noms,par exemple,((Cicéron est Tullius D sont des désignateurs d’une nécessité de re. S’ilest vrai que Cicéron soit Tullius alors cela est nécessairement vrai, et cette nécessité est indépendante de la façon dont on a pu connaître la proposition vraie. Les philosophes Kripkéens affirment que les arguments avancés dans Naming and Necessity ont répondu aux objections traditionnelles au traitement non épistémique de l’identitéet ont ouvert la voie à une renaissance de l’investigation 38 métaphysique libérée des contraintes critiques de l’épistémologie. La nécessité de l’identitéest, après tout, un théorème simple de la logique modale et le serait, selon Kripke, quel que soit l’état ou les sources de notre connaissance.U n tel point de vue implique que la nécessité de l’identitéprécède toute identification particulière et, de manière plus significative peut-être,qu’ilest possible d’examiner les implications de propositions métaphysiques indépendamment de toute considération épistémologique. L‘argument de Kripke est fort et ses prémisses de base semblent incontestables.Cependant,afin de comprendre comment s’appuyer sur cette intuition métaphysique afin de mener une recherche sur la notion d’identité ou d’identification ou en faire une application, il faut se courner vers d’autressources. Selon Hintikka et Sandu l’intuition fondamentale développée par Kripke dans Naming and Necessity se résume dans l’assertion que la quantification dans un contexte modal ou intensionnel présuppose des coiiditions de l’identité qui ne réduisent pas à des conditions descriptives. Ils reconnaissent que cette intuition est indéniable.La théorie de la désignation rigide qui découle de la nécessité de l’identitéest critiquée par Hintikka et Sandu, non pour des raisons métaphysiques, mais parce que, en caractérisant la désignation rigide comme rapport entre les noms et les objets,Kripke a arbitraire39 ment limité le sens de ce que signifie identifier un individu. Cette critique vise à montrer que les questions de référence sont orthogonales aux questions d’identification. C e qu’ilscritiquent c’est essentiellement la restriction que Kripke impose au comportement des quantificateurs et la théorie de la désignation rigide qui s’ensuit. Pour Kripke les quantificateurs doivent prendre un ensemble fixe de valeurs et il exclut donc la différence entre identifier cela,et identifier quoi ou qui,entre dire par exemple ((on sait que quelqu’un a payé Ann n. (1 .I K.(4 R x ,n) ( ( où x parcourt les individus d’un monde possible fixt, on saic qui a payé Ann )). Dès que l’on se tourne vers la question de la compi-éhension de la connaissance du sujet,il devient ntcessaire de savoir si, par exemple, le traitement Kripkéen du quantificateur est approprié.La question revient à savoir si une distinction du type de celle qui est présentée plus haut mérite d’être conservée dans l’appareilformel.Certe question est indépendante du point de vue que l’onpeut avoir sur la nécessité métaphysique de l’identité.Les crittres de choix cntre les différents traitements du quantificateur seront inévitablement tirés d‘une source aurre 40 que nos réflexions sur la nécessité de re de l’identité. Même si Hintilclta et Sandu soutiennenr que la nécessité de l’identité ne suffit pas à imposer Je traitement des quantificateurs qui sous-tendla théorie de la désignation rigide de JStipke,celui-cipourrait défendre ce traitement en s’appuyantsur d’autres raisons. En fait, quand nous envisageons comment on pourrait s’y prendre pour introduire des quantificateurs dans des contextes épistémiques et d’autres contextes modaux, il est clair,m ê m e dans l’exemplerelativement simple mentionné ci-dessus, que les connecteurslogiques et les quantificateurs ne suffisent pas à rendre compte de l’identification croisée pour les individus. Dans le cas de l’identificationcroisée,ce qu’Hintikka et Sandu suggèrent,c’est qu‘une fois que les critères de l’identificationcroisées ont été spécifiés,la quantification dans des contextes modaux ou intensionids devient maniable par l’intermédiairede la spécification de l’ensemble approprié de mondes et du destin de leurs ineinbres. C’est exactementle contraire de ce que ffiipke pensait avoir démontré dans ses travaux.Pour Kripke,l’idée fondamentale qu’unechose est idencique à elle-même et seulement à elle-même,que Nixon est Nixon, (mêmesi on l’avaitappelé autrement que Nixon) prouve que la désignation rigide est nécessaire. Bien qu’Hiiitikka et Sandu reconnaîtraient certainement la nécessité de l’au41 to-identité,elle ne leur parait pas constituer une raison suffisante pour introduire des désignateurs rigides.Au lieu de cela,ils soutiennent que les identifications vraies qui présentent un réel intérêt pour nous viennent des différentes manières de désigner une m ê m e chose. La logique seule ne permet pas de déterminer les critères appropriés pour de telles identifications croisées, mais une fois ces critères en place la machinerie des quantificateurs peut faire son travail.Pour tenir quelque raisonnement modal ou intensionnel que ce soit,il faut pouvoir faire des identifications croisées et comme l’identification croisée précède conceptuellement la quantification dans un contexte modal,elle ne peut étre expliquée sans sortir de la logique proprement dite. Eu égard à leur importance, il est frappant qu’Hintikka ait eu si peu de choses à dire au sujet des principes non logiques qui régissenr l’identificationcroisée.Le plus qu’ila à dire sur ce sujet tient dans une hypothèse sur la continuité formulée dans un article écrit en commun avec Merrill Hintikka, où ils décrivent comment on pourrait utiliser la théorie de la stabilité des équations différentielles comme cadre mathématique de l’identification croisée. Cette position contraste nettement avec l’affirmationde Kripke selon laquelle le fait d’avoir spécifié les mondes possibles élimine le problème de l’identificationtrans-monde.Elle differe aussi nette42 ment d’autres tentatives de comprendre les processus impliqués dans l’identification croisée. Par exemple la célèbre thèse de David Lewis selon laquelle nous identifions,ou plus exactement que nous sélectionnons, des homologues à travers les mondes possibles par I’intermédiaire de mesures subjectives de similitude. Naturellement,Lewis ne manquait pas de préciser que les homologues ne sont jamais réellement identiques entre eux.Plantinga également,d’une manikre très différente et opposée à celle de Lewis,fait observer que les habitants des mondes possibles sont fondamentalement différents (cette fois par nature) de ceux du monde réel. Alors que la façon dont on comprend l’identitépeut être influencée par la position que l’ona envers les questions métaphysiques en général, l’opposition métaphysique entre Hintikka et Kripke sur l’existence de désignateurs rigides provient comme je l’ai indiqué plus haut de désaccords au sujet de la nature de la logique et plus précisément au sujet de la nature de la quantification. Les considérations logiques, métaphysiques et, comme nous le verrons, m ê m e empiriques sur l’identité sont inextricablement liées. Cet enchevêtrement donne lieu à une série de problèmes ouverts pour la philosophie. 43 Logique Épistémique et Neuroscience de l’Identification Afin de se faniiliariser avec les divers aspects de ces problèmes,je traiterai dans le reste de cet article dune application de la logique de l’identification à la neuroscience de l’identification.O n trouvera un traitement en détail de la neuroscience de l’identification dans Hintikka et Symons (2003).Je m e limiterai dans cet article à dégager quelques points centraux de logique épistémique,afin de mettre en lumière les problèmes qui restent ouverts.Les idées logiques dont il sera question ne sont ni nouvelles ni particulièrement compliquées.Elles remontent à l’article de 1969 d’Hintildca ‘Surla logique de la perception’où il fait une distinction systématique entre les méthodes physiques et les méthodes perceptuelles d’identification croisée. Cette distinction peut être caractérisée comme une opposition entre les modes didentification centrés sur le sujet et centrés sur l’objet. C o m m e cela est discuté dans Hintikka et Symons (2003) la logique de cette distinction s’appliquedirectement à la neuroscience et à la psychologie de l’identification. Une telle applicabilité est frappante,compte tenu du fait que la logique épistémique traite de sujets cognitifs idéalisés et semble opérer dans un domaine qui se sime très au-dessus du désordre des détails empiriques des sciences de la nature.D u fait qu’ellesdoivent être limitées à une classe définie de sujets rationnels les logiques 44 épistémiques traitent d'idéalisations. Ces classes sont définies pat un ensemble spécifié de postulats. Ces postulats de rationalitévarienr:d'un chercheur à l'autre et ces dernières années des efforts on été faits pour les remodeler afin d'en rendre les agents un peu plus réalistes. D e s limitations sur les types de ressources disponibles pour le sujet cognitif, ainsi que des considérations dynamiques et sociales ont été introduites dans les logiques de la connaissance afin d'adapter les agents idéalisés aux contextes épistémiques réalistes (voir par exemple,Fagin et al 2004).M ê m e avec de tels ajouts,la logique épistémique doit partir d'une spécification et se limiter aux caractéristiques de certains sujets cognitifs idéalisés. Malgré son caractère idéalisé, la spécification de la nature du sujet cognitif est Je premier lieu où la logique épistémique et les facteurs empiriques se recoupent. Le choix initial des postulats de rationalité est susceptible d'être fait à la lumière de I'adéquation empirique. La logique épistémique est un moyen de modeler le phénomène naturel de recherche de la connaissance. Ces modèles s'articulentautour de certaines convictions fondamentales colicernant les sujets cognitifs tels qu'ils existent dans la nature.D e même,les mérites d'un ensemble particulier de postulats de rationalité peuvent être jugés, en partie, par leurs implications. I1 est par conséquent 45 difficile de séparer la construction et l’évaluationd’une logique épistémique des considérations empiriques. À l’origine,la Logique épistémique consistait simplement en l’ajout d‘un opérateur épistémique K à la logique de premier ordre ordinaire.(Hintikka 1964).La sémantique de cette logique de premier ordre complétée est modale par nature. Parler de ce qu’unepersonne sait c’est spécifier un ensemble de scénarios possibles. Cet espace des scénarios possibles est divisé entre ceux qui sont compatibles avec ce que l’agentsait,et ceux qui ne le sont pas. I1 s’agitd’une relation entre un sujet cognitif a dans le scénario wl et les scénarios qui sont compatibles avec tout ce que le sujet cognitifsait dans wl.n sait S dans wl s’il est vrai que S dans tous les scénarios w* accessibles à a depuis wl .w* est l’ensembledes alternatives épistémiques à wl pour n, qui sont ce qu’Hintikka appelle les mondes de connaissance pour a dans wl. L‘opérateur épistémique Kn se comporte donc comme quantificateur universel défini sur tous les mondes de connaissance de a. Le comportement et la nature des quantificateurs devient l‘un des sujets les plus essentiels dans le développement de la logique épistémique. L‘applicationde cette approche formelle à l’étudede cas empiriques réels d’acquisition de connaissances et d‘identification est étonnamment simple. Considérons, par exemple, l’ensemble de stimuli visuels qu’un agent 46 reçoit à un instant donné.Inévitablement,ce stimulus ne spécifiera pas un scénario unique quant à la nature de l’espacevisuel de l’agent.Étant donné une connaissance antérieure,les nouveaux stimuli visuels laissent un certain nombre d’alternatives ouvertes. Cet espace des scénarios visuels possibles contient ceux qui sont compatibles avec ce que l’agentsait. Si l’onse rapporte à la description de la logique épistémique que nous avons esquissée plus haut, cette relation peut être vue comme une relation entre un sujet cognitif n dans le scénario visuel wl et les scénarios qui sont compatibles avec tout ce que le sujet cognitif sait dans wl.Ainsi, I’identification qui est considérée ici concerne l’identitéd’un objet dans les différents scénarios que les informations visuelles du percevant laissent ouverts. Ces alternatives, que nous appellerons simplement les alternatives visuelles du percevant à un moment donné,constituent les scénarios entre lesquels l’identificationdoit avoir lieu. C o m m e nous l’avonsvu plus haut dans la discussion de l’interprétation que Kripke donne du quantificateur, l’identification des objets entre diverses alternatives visuelles peut se produire au moins de deux manières différentes.C o m m e nous en avons discuté dans Hintikka et Symons (2003), identifier une personne ou un objet peut se comprendre par analogie comme le situer dans un certain cadre ou sur une ‘carte’.Dans l’identification 47 visuelle perspective,ce cadre est fourni par l’espacevisuel du sujet.Rien que le m o d e d‘identification perspectif ou centré sur le sujet fasse usage de quelque chose qui ressemble & un système de coordonnées défini par rapport à un percevant ou à un sujet cognitifparticulier il n’estpas subjectif dans le sens où il serait inaccessible aux autres. I1 s’appuie plutUt sur des principes généraux objectifs et sur les situationspossibles entre lesquellesles lignes d‘univers de l’identification sont tracées. Pour illustrer cela, considérons ce qu’une personne,Jane,voit à un moment donnt. Supposons qu’elle voit un homme qui se tient devant elle,mais qu’ellene voit pas qui il est. L‘hommequi se tient prts de Jane occupe un créneau particulier dans le champ visuel de Jane et peut être individualisé de telle manière que Jane puisse le suivre par le biais d’alternatives visuelles variées.Nous pouvons dire dans ce cas qu’il est l’un des objets perspectifs visuels de Jane,quoique cette locution doive être e m ployée avec précaution.’ Bien sûr,cet homme a aussi un n o m , un numéro de sécurité sociale et beaucoup d’autres caractéristiques de sa personne publique au moyen desquelles il peut être identifié.Les personnes et les objets identifiés ainsi peu- 1 . Une grande partie de ce qui suit s’inspire largement dr Hinrikka et Symoris (2003).Je remercie Hintikka de m’avoir permis de l’inclure dans cet article. 48 vent être appelés des objets publics. L‘identification publique constitue une autre manière de reconnaître une personne par le biais de scénarios possibles, c’est-à-dire par référence à ce qu’est cette personne. Imaginons que cet homme qui se tient en face de Jane est le maire d’El Paso. Jane peut avoir de nombreuses croyances et opinions à propos du maire sans être capable d’identifier l’homme qui se tient en face d’elle c o m m e étant le dignitaire. Elle ne peut pas identifier, uniquement au moyen d’informations visuelles, l’objet perspectivement individualisé se tenant devant elle c o m m e la célébrité publiquement individualisée dont le noin apparaît régulièrement dans les journaux et pour qui elle a voté deux fois. Ceci signifie que parmi certains des scénarios qui sont compatibles avec l‘information visuelle de Jane,le maire est ailleurs dans son champ visuel ou m ê m e en dehors de celui-ci.Ceci n’exclut pas la possibilité qu‘elle sache qui est l’homme en face d’ellesur la base d’autres sortes d’informations, par exemple si on lui a dit qui était cet h o m m e . C’est aussi compatible avec le fait que Jane sache qui est M.Wardy en dehors de la situation visuelle particulière, par exemple être capable d’identifier M.Wardy c o m m e un objet public ce qui,dans ce cas,se rapproche de savoir quel personnage public il est. Elle peut le reconnaître à travers l’histoire politique, elle a des opinions sur sa politique,etc. 49 Les stimuli contribuent à réduire la liste de scénarios possibles ; plus on a d'informations,plus la liste d'alternatives est étroitement restreinte.Par exemple,lorsque la liste de scénariosalternatifs est si étroite que dans chacun d'eux un terme révèle la même personne, on peut dire que le percevant voit qui est cette personne ou voit cette personne comme dépendant du mode d'identification. Par opposition,les relations identificatoires entre deux scénarios différents sont indépendantes de l'information factuelle qu'un agent peut posséder. En termes plus généraux, on peut dire que dans le cadre de l'identification publique, on prend un objet visuel, on le place sur une carte de figures publiques au sens large de l'expression.Lorsque ceci se produit au moyen des informations visuelles à disposition à ce moment donné,on peut dire que le percevant voit qui ou ce qu'est l'objetvisuel. En revanche,dans le cadre de l'identification visuelle perspective, le percevant prend un objet public et le place parmi ses propres objets visuels. L'expression familière pour caractériser cette sorte d'exploit qu'est l'identificationconsiste dans le fair: de dire que le percevant voit l'objet (public)en question, illusrrant ainsi la portée sémantique de la construction directe de l'objet avec des verbes de perception.En résum é , la distinction entre les modes d'identification public, ou centré sur i'objet,et perspectif, ou cenrré sur le sujet, 50 est ainsi plus claire dans le cas de la perception visuelle. O n peut utiliser le champ visuel du percevant comme sa propre structure idencificatoire. Les personnes et les corps qui occupent le même créneau dans ce champ visuel (dansles différentes situations compatibles avec ce que voit la personne) peuvent être considérés comme idenciques,m ê m e si cette personne ne voit pas qui ils sont.Cela engendre un système d’identificationperspectif ou centré sur le sujet.Veuillez noter que par identité, deux choses différentes (mais néanmoins reliées) peuvent être entendues : ou bien l’identitéà l’intérieurd’un scénario ( N monde possible ))), ou bien l’identité trans-scénarios. C’est le deuxième type d’identité,qui pourrait plus explicitement être appelée identité croisée. Concepruellement parlant, la caractéristique la plus remarquable de l’analysedes deux modes d’identification tient dans le fait qu’uneseule notion de connaissance est impliquée dans les deux. Ceci est vrai en plusieurs sens. C o m m e cela a été montré dans Hintikka et Symons (20031,toutes les constructions différentes,en terme de connaissance, peuvent être analysées sans faire appel à plus d’un sens du terme savoir,c’est-à-dire((savoir que )). Ceci peut être considéré comme un résultat majeur de la logique épistémique,combinée avec le principe des deux modes d’idencification.En outre,la distinction entre les deux genres d’identifications ne repose sur aucune dis51 tinction entre les différents énoncés S dans la construction I& S,si ce n’estla présence de différents genres de quantificateurs,bien sur. Jci un important point d’interprétation se montre directement dans l’utjlisationd’une notation appropriée.La distinction &laquelle nous avons à faire est une distinction entre deux principes d’identification et non entre deux types de connaissance ou d‘information. C’est une distinction entre deux structures identificatoires auxquelles on peut relier sa propre connaissance visuelle. L’application de cette analyse des deux modes d’identification au contexte de la recherche scientifique sur la reconnaissance visuelle est tout à fait saisissante. Identifier b au sens perspectif signifie trouver un créneau pour b parmi nos objets visuels,en d’autres termes,localiser b visuellement.Ceci signifie en fait pouvoir répondre à la question ((où ». En revanche,identifier b au sens de l’identificationpublique croisée signifie être capable de placer sur une carte de savoir abstrait impersonnel. Cela signifie pouvoir répondre à la question ‘qui’ou ( ( quoi )>.Ceci suggère fortement un parallèle : l a distinction entre les deux systèmes cognitifs et la distinction entre l’identificationperspective et publique.Cela se voit de faFaçon frappante chez les sujets qui souffrent de troubles dans l’unou l’autresystème. Cette identité de la distinction sémantique entre la distinction sémantique 52 entre les deux méthodes d’identification et les deux systèmes cognitifs est si forte que de tels troubles peuvent être utilisés pour enseigner et intérioriser la distinction logique entre les deux types de quantificateurs.Le type le plus commun de trouble est une incapacité d‘identifier des objets d’une certaine sorte,par exemple des visages (prosopagnosie)ou des couleurs (agnosiede couleur). Comme nous l’avons montré dans Hintikka et Symons (2003)cette analyse des deux modes de l’identification visuelle a des implications importantes pour la façon dont les neuroscientifiquestraitent le flux d’information dans le cerveau.Nous avons montré que I’hypothèse selon laquelle il existe deux types d’informationet deux ensembles de chemins visuels est injustifiée. L‘information fournie par différents chemins neuronaux à différentes aires corticales n’a pas besoin d’être différenciée pour que deux modes d’identification puissent s’appliquer.L‘univocitéde la connaissance suggère que la connaissance du ‘où’et la connaissance du ‘quoi’soient toutes deux extraites de la même information, ou au moins d’une information qui se recoupe.Si l’onadmet que la m ê m e sorte de connaissance ou d’information est impliquée dans les deux structures identificatoires distinctes,nos programmes de recherche en neurosciences devront être reconsidérés. O n pourrait s’attendre,par exemple,à ce que les systèmes identificatoires se servent 53 de n’importe quel indice valable, plutôt que d’être restreints à une source particulière d’information.On abandonnerait i’idée que des aspects différents de stimulus du champ visuel soient tels qu’ilspuissent être retracés à travers des sentiers neuronaux distincts dans le cerveau. C o m m e nous l’avonsvu, les deux flux ne doivent pas être analysés comme deux routes informationnelles largement séparées dans l’ensemble du système visuel. Plutôt,différentes zones feront appel à différentes composantes de traitement des données les plus utiles pour les genres d’actionsamorcées.Les zones suivantesdans le système sont dédiées à la résolution des problèmes particuliers (par ex. les mouvements de coordination des membres) et à l’extractiondes précédents processus l’information pertinente pour ces tâches respectives. L‘analysefaite dans Hintildta et Symonsa montré que les investigations logiques peuvent jouer un rôle non trivial en neurologie. Dans le cas du système visuel, nous avons soutenu que la correspondance frappante entre deux modes d’identification,distingués dans le contexte sémantique,et deux systèmes cognitifsdistingués par I’analyse neuroscientifique du système visuel (les systèmes du ‘où’et du ‘quoi’)ne relève probablement pas d‘une simple coïncidence. Bien au contraire,cette correspondance est susceptible de jouer un rOle clarificateur en neuroscience de I’idencificationperceptuelle. 54 Conclusion Si l’on admet qu’il existe une interaction entre la recherche en logique et la recherche dans d’autresdomaines scientifiques,alors une série de questions intéressantes et profondes apparaît. Pour comprendre la nature de l’adéquation entre la recherche logique et la recherche empirique il faudrait une analyse bien plus détaillée que celle qui m’est possible dans l’espace de ce court article. Cependant,j’espère pour le moins que ce qui précède a montré comment des analyses c o m m e celle qui est présentée dans Hintikka et Symons (2003)peuvent susciter des questions intéressantes au sujet de l’idée m ê m e d’appliquer des idées de logique aux problèmes scientifiques. En tout cas,il ne fait pas de doute que le projet de comprendre l’influence réciproque entre la recherche en logique et la recherche scientifique ouvre un large éventail de domaines de recherche philosophique,nouveaux et potentiellement fructueux. Bibliographie Fagin,Robert,Joseph Halpern,Yoram Moses and Moshe Vardi. (2004)Reasoning about Knowledge.MIT Press, Cambridge Massachusetts. Hintikka,Jaakko. (1962)Knowledge and Belief: Cornell University Press, Ithaca,N.Y. 55 Hintiltlta,Jaaldto.(1 975)U O n the Logic of Perception )), in Jaaldco Hintilçlta Models f.u Modalities. D.Reide1, Dordrecht,pp.151-184. EIintikka,Jaaltkoand Symons,John.(2003)(( Systems of Visual Identification in Neuroscience: Lessons from Epistemic Logic )), I’hikosophy of Science. 70 89-194 Jacquette,Gale. (ed.) (2003)I’hilosophy, PsychoLou, and Psychologism :Cuiticaland HistouicalReadings on the Psychological Z~rnin Philosophy. Kluwer Academic Publishing,Dordrecht. Kripke, Saul. (I 980) Naming and Necessity. Harvard University Press, Cambridge Massachusetts. Kusch, Martin. (I 995) Psycholo@sm: A Case Study in the Sociolngy of PhilosophicalKnowledge.Routledge,London. Rahman, Shahid and Symons, John. (2004) <( Logic, Epistemology and the Unity ofScience :An Encyclopedic Project in the Spirit of Diderot and Neurath ))in Shahid Rahman,John Symons and Jean l’ad Van Bendegem Logic, Epistemohu and the Uhiq of Science. Kluwer Academic Publishers,Dordrecht,pp.15-4 5. Scheutz,Matthias. (ed.) (2002)Com~utationalism;New Directions.MIT Press,Cambridge Massachusetts. Wright, Georg Henrik von. (1951)An Essay in Modal Logic. North Holland,Amsterdam. Connaissance,Rationalité, Logique Jan Wolenski A l’adjectif raisonnable )) correspondent deux noms apparentés mais néanmoins distincts,i savoir le ((rationalisme )) et la ((rationalité D. Le rationalisme est une doctrine philosophique concernant les sources et les méthodes de la connaissance humaine. Le rationalisme prétend en général q u e la raison joue le rôle principal dans les performances cognitives.Le nativisme et l’apriorisme sont deux composantes distinctes mais connexes du rationalisme.Selon la première approche nous posséderions une quantité de connaissance innée, alors que selon la seconde nous savons quelque chose indépendamment de l’expérience, c’est-à-dire, a priori. Cempirisme s’oppose au rationalisme sous ces deux aspects. D’abord,selon l’empirisme,tout ce que nous savons dépend de l’expérience.Nihil est in intellectu, quod non prius fteTii in sensu (Rien n’est dans l’intelligente qui n’aitpas été d‘abord dans les sens) - cette sen( ( 57 tence résume succinctement la vision empiriste (sensualiste) de la genèse de la connaissance.Elle signifie qu’il n’ya pas de connaissance indépendante de l‘expérience, génétiquernent ou méthodologiquement. Platon, Descartes, Leibniz et Kant appartiennent à l’école du rationalisme,tandis qu’Aristote,Locke, H u m e et M ill sont des empiristes classiques. Le fait de savoir si nous possédons ou non un savoir inné est maintenant un sujet qui intéresse principalement la psychologie cognitive et l’intelligence artificielle.Ainsi, l’apriorisme et I’empirisme méthodologique ne demeurent au sein du débat entre rationalisme et empirisme principalement qu’en tant que sujets philosophiques. Les deux points de vue se rencontrent tant sous une forme radicale que modérée. Pour Platon, la raison est responsable de toute la conn aisance. Ce point de vue est caractéristique de I’apriorisme radical,partagé également par (entre autres) Descartes, Leibniz et Spinoza. L‘épistémologie de Kant est un exemple d’apriorisme modéré. Les mathématiques et la physique théorique (illustrée par la physique newtonienne) fournissent des exemples de sciences aprio~i(fondées sur des propositions synthétiques a priori), alors que l’histoireest liée à l’expérienceet s’exprimepar des affirmations synthétiques a posterioTi. John Stuart M i l l soutenait que tous les résultats scientifiques,y compris les 58 vérités de la logique et des mathématiques, sont basés sur l’expérience ; c’est de l’empirisme radical. D’une part, Hume et le cercle de Vienne ont proposé un empirisme plus modéré, considérant que la logique et les mathématiques sont apriori et analytiques,mais que le reste de la connaissance est synthétique et a posteriori. II s’ensuit qu’admettre des propositions qui sont simultanément synthétiques et a priori est un trait caractéristique de I’apriorisme. En revanche, cette catégorie de propositions est rejetée par les empiristes. Les philosophes du siècle des Lumières ont donné une nouvelle conception du rationalisme.Selon eux le rationalisme consiste à se servir de la raison en s’appuyantsur l’expérience. Cette sorte de rationalisme n’est pas en contradiction avec l’empirisme. Tout au contraire, le comportement rationnel ou raisonnable est celui qui prend en compte une information empirique fiable. Par exemple,si un diabétique se soumet à un régime particulier prescrit par un médecin,il se comporte rationnellement, non parce que son information est innée ou a priori mais parce qu’elle est basée sur la connaissance médicale acquise par l‘expérience. Nous devrions peutêtre utiliser les deux adjectifs ((rationaliste ))et ((raisonnable )) pour désigner différents types de comportement rationnel. 59 Cependant, le problème principal n’estpas un problème de terminologie. L‘idée de cognition rationnelle acquise par une expérience méthodologiquement régulière a trouvé des adhkrents parmi les positivistes (français et viennois) comme Russell et Popper,entre autres. La rationalité est donc une attitude qui consiste i utiliser la connaissance rationnelle comme guide de la vie intellectuelle et pratique. Une description instructive de cette position a été faite par le philosophe polonais Kazimierz Ajdulriewicz. Afin de distinguer le nouveau rationalisme du rationalisme traditionnel,Ajdukiewicz a introduit le terme cc anti-irrationalisme)>. Permettez-moide citer la caractérisation qu’Ajduluewiczdonne du rationalisme (comme anti-irrationalisme) et de l’irrationalisme (K.Ajduluewicz,Problems and Theories of Philosophy,tr. by H. Skolimowski and A. Quinton, Cambridge University Press,Cambridge 1973,les passages sont tirés des pp. 45-49): ( ( Le rationalisme privilégie un type de connaissance qui a pour paradigme la connaissance scientifique ou plus préciskment dont les paradigmes sont les mathémariques et les sciences de la nature. II rejette la connaissance qui se fonde sur les révélations,la divination,les pressentiments, les prophéties, la contemplation des houles de cristal,etc. [...I. 60 La meilleure façon de caractériser la connaissance scientifique consiste peur-êrre à souligner les deux conditions auxquelles elle doit satisfaire. L a connaissance scientifique consiste uniquement e n les contenus de pensée qui peuvent être communiqués à d’autres par des mots compris litréralement,c’est-à-diresans métapliores,aiialogies et autres demi-mesures de 13 transmission de la pensée. En second lieu,seules peuvent prétendre au titre de connaissance scientifique les affirmations dont I’exacLitude ou l’inexactitude peut être vérifiée en principe par quiconque qui se trouve dans des conditions externes appropriées, c’est-à-direcommunicables et contrôlables de façon intersubjective. Seule l’intersubjectivité semble caracréristique de la connaissance rationnelle. [...I. Les adversaires du rationalisme s’appellentirrationalistes. Pour commencer,il y a les mystiques de toutes sortes. Par mystiques nous enrendoils les personnes qui ont des expériences particulières appelées extases mysciques. Au cours de ces expériences,ils ont des révélations par lesquelles ils arreignenr (au moyen du raisonnement er d’une observation scrupuleuse) une certitude subjective, le plus souveiit quant à l’existence de Dieu. Ils font l’expérience directe de son existence c o m m e s’ils se trouvaient face i face,ils en reçoivent des instructions, des remontrances et des commandements. Aucun argument ne peut faire revenir les personnes qui ont vécu de telles expériences sur leur conviction quant à la certitude de la connaissance acquise [..I 61 dans les é m s d’extaseet ils se laissent encore moins ébranler par le jugementque les rationalistesportent sur leur foi. La certitudede leur coniiaissanceest trop grande,les nouveaux horizons,la nouvelle vision du monde,la plénitude de la vie qu’ilsacquièrent par cette connaissance ont trop de valeur pour qu’ilsl’abandonnent.Il est impossible de les persuader que puisqu’ilsne sont pas à m ê m e de justifier suffisamment leur thèse ils devraient s’abstenirde la soutenir.)) Pour résumer le point de vue d’Ajdukiewicz,on peut dire que les convictions rationnelles sont celles qui sont (a) intersubjectivement communicables et (b) intersubjectivement vérifiables ; sans cela les convictions sont irrationnelles.La condition (a) signifie que les convictions rationnelles peuvent être exprimées par les dispositifs linguistiques utilisés généralement, complétés par une terminologie spéciale. La condition (b) exige que si quelqu’un a des doutes au sujet de l’exactitude d‘une hypothèse donnée, il doit être possible de la vérifier par des tests appropriés. Les deux conditions expriment quelque chose de semblable.En effet,si une croyance est intersubjectivement communicable, elle est également intersubjectivement vérifiable et vice-versa.En.revanche, les irrationalistes présentent leur connaissance c o m m e infaillible. Pourtant cette connaissance est acquise par 62 des moyens qui ne sont pas communicables de façon intersubjective et de ce fait,les convictions irrationnelles ne sont pas soumises à un contrôle intersubjectif. Je soutiendrai la thèse que l’idée d’Ajdukiewiczpeut se comprendre dans le cadre d’un modèle de théorie des jeux de la cognition (j’emploiele terme ((cognition )) et non ((connaissance N à dessein pour éviter le lien avec la vieille idée de I’épistémècomme connaissance absolue et finale). Considérons la cognition comme un jeu de somme nulle à deux joueurs.Le chercheur (C) et la nature (N)sont les joueurs. Supposons que C essaye-dedécouI vrir les mystères de,N et que N essaye de cacher ses lois. Dans ce jeu, les deux joueurs emploient des stratégies. Nous pouvons négliger les détails de la stratégie de la nature (stratégie N)et supposer qu‘elle finira par tromper C.II est commode de supposer que la stratégie du chercheur (stratégieC)est une méthode de recherche.La question qui se pose maintenant est - quand le jeu cognitifest-il correct (c’est-à-dire, équitable) ? L’intuition suggère que le jeu est correct (équitable) si ni C ni N ne possèdent de stratégie gagnante,c’est-à-dire,une stratégie qui garantit le gain,indépendamment des coups des joueurs. Par exemple, il n’existe probablement aucune stratégie gagnante aux échecs (pour autant que je sache .ceproblème n’estpas résolu,bien que l’onsache que les blancs ont une stratégie non perdante, c’est-à-dire, ’ i 63 I menant à une partie nulle dans le pire des cas), alors qu’il en existe une au jeu de dames. D u fait que C ne dispose pas de stratégie gagnante, quelques applications de la méthode de recherche peuvent échouer. D e m ê m e , les dispositifs trompeurs employés par N peuvent également échouer. D e la part de C,cela signifie que le chercheur prend le risque derreur c o m m e constitutif de sa situation cognitive. I1 est alors clair que la méthode de recherche doit pouvoir être communiquée et vérifiée de façon intersubjective. Pour qu’unjeu cognitif soit considéré c o m m e correct (c’est-àdire,équitable), il doit permettre d’informerles autres du succès ou de l’échec.Les modèles de théorie des jeux de la cognition présentent plusieurs aspects philosophiques intéressants. C’est déjà sous-jacent dans la vision de Popper de la méthode scientifique, à la différence importante que la théorie des jeux n’exige pas que C essaye de falsifier les hypothèses qu’il formule. II suffit qu’il soit prêt à réviser l’ensemble de ses convictions acquises. II est clair que la faillibilité est un aspect important du modèle de la théorie des jeux. Il s’ensuit qu’il est lié au point de vue selon lequel la doxa est la réalité de notre connaissance (cognition). Le modèle montre également pourquoi les sceptiques sont dans l’erreur.Leur erreur consiste eii la thèse que N possède toujours une stratégie de leurre gagnante. En général 64 dans le modèle de théorie des jeux de la cognition,la faillibilité est au ceur de la rationalité. Que dire de l’irrationalismedans ce contexte ? Nous pouvons dire que si quelqu’unprétend avoir découvert une vérité ultime et non révisable,cette affirmation nous paraît à juste titre irrationnelle.Cela conforte l’opinion largement répandue que les utopistes politiques,les prophètes religieux et les totalitaires idéologiques sont irrationnels,parce qu’ilsessayent de convaincre les autres de vérités finales et absolues. A une époque qui connaît autant d’idéologies différentes il est important d’être conscient de cet état des choses. Ajdulciewicz l’a bien vu (Ibid.,p. 49),il est remarquable que l’originalpolonais de son livre ait paru cinq ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et au début de l’ère du communisme en Pologne : [...I ( ( la voix du rationaliste est une réaction sociale saine, c’es[ un acte de défense de la société contre les dangers d’une domination par des forces incontrôlables parmi lesquelles peut se [rower un saint proclamant une révélation aussi bien qu’un fou répandanc les produits de son imagination délirante et finalement un imposteur qui veut convertir d’autres ?Ises vues pour des buts égoïstes et indignes. Mieux vaut compter sur la nourriture sûre mais modeste de la raison que, de crainte de manquer la voix de la (( vérité n, se laisser nourrir de toutes sortes d’aliments 65 incontrôlables qui peuvent êt-replus souvent toxiques que sains et-salutaires.)) I1 existe cependant une autre source d’irrationalisme. Certains philosophes dont Plotin, Maître Eckhart, Nicolas de Cusa et Bergson ont ouvertement défendu i’irrationalisme.U n exemple plus complexe se rencontre chez des rationalistes,c o m m e Platon,Descartes,Leibniz, Spinoza,Kant ou Husserl,qui ont partagé diverses formes d’apriorisme.Ils ont tous cru que les divers ‘yeux’de la raison comme l’intuition,l’appréhension,l’époque, etc.,jouaient un rôle crucial dans l’obtentiond’une épistémè irrévocable. Il semble cependant douteux qu’ils soient parvenus à réaliser leurs buts déclarés. Nous en arrivons ainsi à la conclusion surprenante que les plus grands rationalistes étaient aussi irrationnels, peut-être pas en ce qui concerne la totalité, mais certainement beaucoup d‘aspects de leur philosophie. Une autre façon de voir I’anti-irrationalismeconsiste à dire que les paris sur une hypothèse rationnelle sont toujours basés sur le risque ou même l’incertitude.Cela est certainement vrai des hypothèses empiriques,qu’elles soient de bon sens ou scientifiques. Mais comment la logique et les mathématiques peuvent-ellesêtre incorporées au modèle de la théorie des jeux ? L‘empirisme peutU6 il être intégré aux bases des mathématiques ?Je plaiderai pour une autre solution,du moins en ce qui concerne la logique. Le respect de la logique est traditionnellement considéré comme une condition minimum de rationalité. Deux arguments ont été récemmentavancés contre cette opinion. Le premier argument est que la logique n’est pas employée dans la plupart des raisonnementsde bon sens de la vie quotidienne ou dans les raisonnements scientifiques.Le second est que la conséquence logique, telle qu‘elle est définie en logique formelle,est trop rigide pour englober certains arguments parce qu’elle ne parvient pas à rendre compte des inférences défendables et qu’elle impose l’omniscience logique ou ignore des traits essentiels des contextes épistémiques. Le premier argument n’est pas convaincant pour la raison suivante. Bien qu’il soit vrai que les gens construisenttrès souvent des arguments qui ne se conforment pas aux règles de la logique,il est également vrai que la critique des inférences, par exemple en mathématiques, fait apparaître les erreurs ou les lacunes logiques.Si des objections de cette sorte sont formulées,il n’ya aucune manière d’améliorer l’argument en question afin de le rendre logiquement correct.Le deuxième argument confond la logique pure et la logique appliquée. La seconde exige toujours des contraintes additionnelles consistant en des restrictions appropriées de dispositifs logiques forts (voir les papiers 67 non publiés de Jaaltlto Hintikka distribués avant la discussion actuelle). Cependant, je défendrai la logique comme facteur formel de la rationalité d'une autre manière. La cognition a principalement pour tâche l'accumulation de l'information et sa préservation aussi longtemps que nous croyons qu'eile est correcte.Cela signifie qu'il nous faut empéchei-la diffusion de l'information et que nous avons besoin de moyens pour y parvenir. La logique peut être considérée comme un mécanisme destiné à accomplir cette t k h e (je ne prétends pas que la logique est le seul dispositif contribuant à cette tâche ; les mathématiques en sont peut-êtreun autre). II est intéressant de remarquer qu'il existe un nombre infini (voire non dénombrable) d'opérations formelles de conséquence qui applique un ensemble de phrases dans des ensembles de phrases. En particulier,il est possible de définir une opération de conséquence préservantla fausseté comme valeur logique distinguke dans les inférences. Cependant, les êtres humains tendent à choisir les opérations de conséquence qui préservent la vérité,c'est-à-dire celles qui produisent des inférences qui ne mènent jamais à la fausseté à partir de la vérité.Ainsi,la logique peut être considérée comme un cadre formel qui préserve la vérité, non dans le sens où elle aiderait à trouver l'information vraie, mais où elle empêche sa diffusion (l'entropie de l'information). Le 68 fait que les principes logiques soient vrais dans tous les modèles possibles (ou invariants par rapport à toute information substantielle ou concrète) est comparable à un axiome du calcul des probabilités,qui dit qu’ily a un CvCnement de probabilité égale à 1. Le rôle de l’axiome du calcul des probabilités peut être compris c o m m e étant d’empêcher la diffusion de la probabilité à l’intérieur de l’espace de probabilité.Il est possible que l’interprétation de la logique c o m m e mécanisme servant dans le processus de néguentropie de l’informationcontribue à l’idée de sa genèse c o m m e créée par I’évolutioii biologique. La logique est phylogénétiquement empirique, mais ontogénétiquement innée.Elle devrait donc être respectée par tous les individus pour des raisons biologiques vitales. 69 Présentation des auteurs Hourya Benis-Sinaceur (Maroc) Anchne élève de l'École Normale Supérieure,agrégée de philosophie et Docteur d'État, le professeur Benis-Sinaceurest spécialiste de philosophie des sciences mathématiques et logiques.Outre de nombreux articles, elle a publié Corps et Modèles, Essais sur l'histoire de l'algèbre delle, Paris, Vrin, 1991 ; Le Labyrinthe du continu (Co-édition avec J.-M. Salanskis), Springer-Verlag France,1992 ;Lesparadoxes de llnjni,édition critique et traduction,avec notes et introduction,de l'ouvrage posthume de Bernard Bolzano,Paris,Le Seuil, 1993 ;jean Cavaillès. Philosophie mathématique, Paris, Presses Universitaires de France,1994 ; Traduction française de Jacob Alkindi, ((D e causis diversitaturn aspectus )) et ( (dandis demonstrationibus geometricis s uper eas )) (en collaboration avec JeanJolivet et Henri Hugonard-Roche), in Guvres philosophiques et scientzjques d2l-Kindi, Volume 1 : L'optique et Irt catoptrique (édité par Roshdi Rashed), E.J. Brill,1997. 71 Ali Chanoufi (Tunisie) Le Professeur Chanoufi est titulaire d'une [hèse d'État sur le statut de I'homme chez Spinoza (de l'université Paris I Sorbonne, 1986) et professeur de philosophie la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis (Tunisie). Le Professeur Chanoufi est également président de la Société tunisienne des Études philosophiques. John Symons (Irlande) Département de philosophie,Université du Texas à El Paso,El Paso,Texas, États-Unis. JanWolenski (Pologne) Professeur de ph ilosophie à Jagie lloniarz Univel-sity, Cracovie (Pologne). Le Professeur Wolenski travaille dans le domaine de l'épistémologie,de la logique pliilosophique,de l'Histoire de la logique et de la philosophie du droit. Le Professeur Wolenski est m e m b r e de l'Institut international de Philosophie et actuellement président de la Société européenne de la philosophie analytique. I1 est l'auteur d'ouvrages en anglais : Logiq-and Philosophy in the Lvov-Wal-sawSchool (1 989), Essays in the History of Logic and Logical Philosophy (1989), Handhooh of Epistemology, ed. (avec I. Niiniluoto et M. Sintonen) (2004). 72