MISE AU POINT Nouvelles thérapeutiques ciblant le récepteur HER2 New anti-HER2 therapeutic strategies V. Diéras* L * Institut Curie, Paris. e récepteur de facteur de croissance HER2 est un facteur pronostique et prédictif important dans les cancers du sein, que ce soit en situation adjuvante ou métastatique. Le gène HER2 est amplifié et la protéine HER2 surexprimée dans 15 à 20 % des cas. Également connu sous le nom de HER2/neu ou c-erbB2, il est localisé sur le chromosome 17q et appartient à la famille des gènes de récepteurs de facteurs de croissance HER. Il code pour une protéine transmembranaire de 185 kDa, récepteur de facteurs de croissance avec activité tyrosine kinase, entraînant la signalisation pour la prolifération et la survie cellulaires. Le trastuzumab, un anticorps monoclonal humanisé se fixant sur le récepteur, a démontré son efficacité dans les cancers du sein aux stades précoce et métastatique (1). Cependant, s’il représente la clé de voûte des traitements du cancer du sein surexprimant HER2, il existe des résistances. En situation métastatique, elles sont fréquentes : 60 à 70 % en monothérapie, 30 % en association avec la chimiothérapie. À un moment donné, tous les cancers du sein métastatiques présentent une progression sous trastuzumab. En situation adjuvante, après traitement par trastuzumab, des récidives surviennent également. La surexpression de HER2 ne suffit pas à assurer une sensibilité au trastuzumab ; d’autres voies de signalisation sont impliquées. Différents mécanismes sont évoqués et présentés sur la figure 1 : activation de la voie de signalisation IGF-1, récepteur tronqué, activation HER3, activation de la voie PI3K (2). Il existe donc un besoin réel de développer de nouvelles thérapeutiques ciblées (3). Ce développement repose en grande partie sur les hypothèses biologiques de résistance au trastuzumab (figure 1). Schématiquement, ces nouvelles thérapeutiques comprennent les petites molécules ciblant le site tyrosine kinase du récepteur, de nouveaux 556 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 9 - novembre 2010 anticorps, les inhibiteurs du signal de transduction et les inhibiteurs d’HSP90 (figure 2). Les inhibiteurs de tyrosine kinase Ces petites molécules, administrées par voie orale, agissent au niveau du site tyrosine kinase du récepteur HER2. Elles inhibent également, à un degré variable, les tyrosine kinases des autres récepteurs (HER1, HER4). Les inhibiteurs de tyrosine kinase agissent par compétition avec l’adénosine triphosphate (ATP) au niveau de la portion intracellulaire du récepteur. Le rationnel de développement de ces molécules repose sur 2 grands principes : le ciblage du récepteur tronqué HER2 et l’inhibition de plusieurs récepteurs de la famille HER. Dans 25 % des tumeurs surexprimant HER2, un processus protéolytique aboutit à un récepteur tronqué (p95 – HER2), qui présente une activité tyrosine kinase augmentée. L’expression de ce récepteur est corrélée à un mauvais pronostic et à une résistance au trastuzumab (2). L’inhibition de plusieurs récepteurs peut contourner le mécanisme de résistance dû à l’activation collatérale des autres protéines de la famille HER. Le passage de ces molécules au niveau de la barrière hémato-méningée et leur activité sur les métastases cérébrales, fréquentes dans les cancers du sein surexprimant HER2, sont d’autres intérêts potentiels de leur développement. Lapatinib Le lapatinib, un inhibiteur réversible de tyrosine kinase ciblant HER1 et HER2, est actuellement le seul enregistré après progression sous trastuzumab. Résumé Mots-clés Le trastuzumab, anticorps ciblant HER2, représente une avancée majeure dans le traitement des cancers du sein surexprimant HER2, que ce soit au stade précoce ou en situation métastatique. Cependant, il existe des résistances, et de nouvelles stratégies thérapeutiques sont nécessaires pour améliorer le pronostic. Cette revue présente les nouvelles thérapeutiques émergeantes, incluant essentiellement les inhibiteurs de tyrosine kinase, les nouveaux anticorps et les inhibiteurs de la transmission du signal. Highlights Interaction IGF1-R/HER2 Tyrosine kinase HER2 tronquée Fam i ERB lle HE B2 R IGF1 signalling src Cytoplasme Mutations de PI3K HER1-HER1 HER1- HER3+++ src IRS1 GRP p110 p85 PI3 kinase Surexpression du ligand SOS RAS RAF MEK 1/2 PTEN (délétion ou mutation) PTEN Activation d’AKT MAP kinase AKT p27 p27 cdk2 Noyau p Cycline Apoptose Dégradation de p27 p27 dégradation p27 Prolifération Metastatic breast cancer HER2 Targeted therapies Monoclonal antibodies Trastuzumab Pertuzumab Lapatinib Neratinib T-DM1 Angiogenèse Anti-IGF1-R T-DM1 Fam ille erb HE B2 R IGF1 signalling IRS1 Lapatinib Nératinib Cytoplasme src src Pertuzumab p110 p85 GRP PI3 kinase Inhibiteurs de PI3K PTEN Inhibiteurs de mTOR et AKT mTOR AKT Trastuzumab, monoclonal antibody targeting HER2, marked a breakthrough in the treatment of HER2 positive breast cancer patients with a large effect in early and advanced stages of the disease. However, resistances occur and new therapeutic strategies are needed in order to improve the outcome. This review presents emerging therapeutic approaches including mainly tyrosine kinase inhibitors, novel monoclonal antibodies, and signal transduction inhibitors. Keywords Figure 1. Mécanismes de résistance au trastuzumab. Tyrosine kinase Cancer du sein métastatique HER2 Thérapeutiques ciblées Anticorps monoclonaux Trastuzumab Pertuzumab Lapatinib Neratinib T-DM1 Inhibiteurs de HSP90 SOS RAS RAF MEK 1/2 MAP kinase T-DM1 p27 cdk2 Noyau Apoptose p27 Cycline Inhibiteurs de HDAC Prolifération p p27 p27 dégradation Angiogenèse Figure 2. Nouveaux ciblages thérapeutiques anti-HER2. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 9 - novembre 2010 | 557 MISE AU POINT Nouvelles thérapeutiques ciblant le récepteur HER2 Pertuzumab/trastuzumab Pertuzumab Trastuzumab Extracellulaire Intracellulaire Figure 3. Sites de liaison des anticorps sur le récepteur HER2. Domaine tyrosine kinase ErbB2 HER2 neu Dans les études précliniques, le lapatinib ne présente pas de résistance croisée avec le trastuzumab. Dans les essais de phase I, des réponses ont été observées chez des patientes lourdement prétraitées. Les essais de phase II ont montré que le lapatinib présentait une activité et une tolérance acceptables. Les principaux effets secondaires sont des rashs et des diarrhées. Dans l’étude pivotale d’enregistrement, chez des patientes présentant une progression après un traitement par anthracyclines, taxanes et trastuzumab, l’association capécitabine et lapatinib est supérieure à la capécitabine seule en termes de réponse objective (RO) [27 à 48 %] et de temps jusqu’à progression (5,6 à 8,2 mois) [4]. Un autre essai de phase III compare, dans la même situation, le lapatinib associé ou non à du trastuzumab : la poursuite du trastuzumab non seulement s’accompagne d’une augmentation de la survie sans progression mais se traduit également par une augmentation significative de la survie globale, ce qui montre l’intérêt potentiel d’un blocage complet du récepteur HER2 (5). Dans un essai de phase III comparant paclitaxel avec ou sans lapatinib, l’apport du lapatinib apparaît dans la population de patientes présentant une tumeur du sein surexprimant HER2 (6). Des associations avec d’autres cytotoxiques sont par ailleurs évaluées dans des essais de phase I/II, importants à réaliser du fait d’une interaction pharmacocinétique. Le lapatinib diffuse au niveau cérébral : ainsi, dans un essai de phase II, une activité dans les métastases cérébrales a été objectivée (7). En situation adjuvante, le lapatinib est en évaluation dans 2 grands essais cliniques (TEACH [Tykerb® Evaluation After Chemotherapy] et ALTTO [Adjuvant Lapatinib and/or Trastuzumab Treatment Optimisation]). L’essai néo-adjuvant NEO-ALTTO devrait permettre de préciser les facteurs prédictifs de réponse au lapatinib et au trastuzumab. Neratinib (HKI-272) Le neratinib est un inhibiteur irréversible pan-HER (HER1, HER2 et HER4). Dans les études de phase I (8), 558 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 9 - novembre 2010 la toxicité limitant la dose était la diarrhée. Dans une large étude de phase II (9), une RO a été observée chez 51 % des patientes qui n’avaient pas reçu de trastuzumab antérieurement et chez 26 % des patientes prétraitées par trastuzumab (3). Les nouveaux anticorps Pertuzumab Le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé se fixant sur un épitope différent de celui du trastuzumab, empêchant la dimérisation des récepteurs (figure 3) [10]. Ainsi, il bloque la faculté du récepteur HER2 de former des hétérodimères avec les autres membres de la famille HER, empêchant la transmission du signal. Les études précliniques ont montré une synergie entre le trastuzumab et le pertuzumab qui peut contourner le mécanisme de résistance du trastuzumab. Dans les études de phase I (11), le pertuzumab est bien toléré, et une activité antitumorale a été objectivée. Les effets secondaires les plus fréquents sont représentés par les diarrhées, l’asthénie, les nausées-vomissements et les rashs. Les résultats d’une étude de phase II suggèrent que l’association trastuzumab et pertuzumab entraîne un bénéfice clinique après progression sous trastuzumab (12). Un essai de phase III (étude CLEOPATRA [CLinical Evaluation Of Pertuzumab And TRAstuzumab]) comparant docétaxel-trastuzumab-pertuzumab à docétaxeltrastuzumab-placebo en première ligne métastatique est en cours. Trastuzumab-DM1 L’une des stratégies pour contourner la résistance au trastuzumab est d’augmenter l’activité de l’anticorps. Le trastuzumab-MCC-DM1(T-DM1) associe cette molécule à un agent cytotoxique, la maytansine, qui est libérée dans le cytoplasme et permet ainsi une approche cytotoxique plus ciblée, avec moins d’effets secondaires (13). La maytansine est un inhibiteur puissant de l’assemblage des microtubules, mais son développement avait été interrompu en raison d’une toxicité importante dans les études cliniques. Le MCC est un composé qui stabilise le lien avec le trastuzumab dans la circulation générale et qui permet la libération au niveau intracellulaire, maintenant ainsi une efficacité et diminuant la toxicité. Dans les études de phase I évaluant 2 schémas d’administration (administration hebdomadaire et toutes les 3 semaines), des RO et 33rd SABCS SABCS des stabilisations ont été observées (3). La toxicité limitant l’augmentation de dose était une thrombopénie de grade supérieur à 2. Il n’a pas été observé de toxicité cardiaque. Dans 2 larges études de phase II, le T-DM1 a été administré à la dose de 3,6 mg/kg toutes les 3 semaines chez des patientes présentant un cancer du sein métastatique surexprimant HER2 et progressant après traitement par trastuzumab. Les taux de RO étaient de 32 et de 40 % (3). La thrombopénie et l’hypokaliémie ont été les principales toxicités de grades 3 et 4. Les études de phase III en première ligne ou au-delà de la première ligne sont en cours (études MARIANNE et EMILIA). San Antonio, 9-12 décembre 2010 Journal Ertumaxomab La résistance au trastuzumab peut également être contournée en formulant des anticorps ayant un double mécanisme d’action. L’ertumaxomab est un anticorps monoclonal, bispécifique fixant à la fois HER2 et CD3. Les liaisons forment un complexe de cellules T, de cellules HER2+ et de macrophages ou cellules dendritiques conduisant à la phagocytose des cellules tumorales. Dans l’étude de phase I (3, 14), une RO a été notée et les principaux effets secondaires étaient la fièvre, les frissons, les céphalées et les nausées-vomissements. Les toxicités de grades 3 et 4 comprenaient une lymphopénie et une cytolyse (14). Des études de phase II sont en cours. Inhibiteurs de mTOR La perte d’activité de PTEN (Phosphatase and TENsin homolog) a été associée à la résistance au trastuzumab (15). Les kinases mTOR (mammalian Target Of Rapamycin) régulent PTEN et sont des médiateurs importants de la signalisation PI3K-AKT (fi gure 1). Ce circuit, une fois activé, conduit à la prolifération cellulaire et est régulé de façon négative par PTEN. La rapamycine a été le premier inhibiteur de mTOR, mais d’autres analogues (temsirolimus, évérolimus et ridaforolimus) ont été développés pour augmenter sa stabilité et sa solubilité. En monothérapie, son activité est faible. En revanche, en association avec la chimiothérapie (paclitaxel ou vinorelbine) et le trastuzumab, des RO ont été observées (3). Des études de phase III sont en cours (dont les études BOLERO). en ligne En direct les temps forts du congrès Coordinateur : Pr Jean-François Morère, Bobigny 3310EONC25 - Novembre 2010 Les inhibiteurs de la transmission du signal Annual San Antonio Breast Cancer Symposium Consultation sur : www.edimark.fr/ejournaux/sabcs2010 S I T E R É S E R V É AU X P R O F E S S I O N N E L S D E L A S A N T É Avec le soutien institutionnel de “Attention : ceci est un compte-rendu de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique.” “Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication.” La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 9 - novembre 2010 | 559 MISE AU POINT Nouvelles thérapeutiques ciblant le récepteur HER2 Inhibiteurs de PI3 kinase L’activation de la voie de l’IGF-IR (Insulin-like Growth Factor-1 Receptor) a été le premier mécanisme décrit de résistance au trastuzumab (17). Comme pour les récepteurs de la famille HER, le ciblage peut s’effectuer par des anticorps ou par des molécules inhibant le site tyrosine kinase. De nombreux anticorps sont en voie de développement. Factor Receptor). L’inhibition de HSP 90 induit une dégradation du protéosome et une inhibition tumorale (18). Ce mécanisme peut être utilisé pour contrecarrer la résistance au trastuzumab. Le développement du premier inhibiteur, la geldanamycine, a été interrompu en raison d’une toxicité hépatique. Dans les études précliniques, la tanespimycine était moins toxique et induisait une diminution d’expression de la protéine HER2 et de la croissance cellulaire. Dans les études de phases I et II, chez des patientes présentant un cancer du sein surexprimant HER2 et recevant du trastuzumab hebdomadaire associé à la tanespimycine, des réponses ont été observées (19). Les principaux effets secondaires étaient des céphalées, de l’asthénie, des diarrhées et une cytolyse hépatique. Des inhibiteurs de HSP 90 de seconde génération, dont l’alvespimycine sont en cours de développement et d’évaluation (20). Agents antiangiogéniques Conclusion Il existe une corrélation entre la surexpression HER2 et l’expression du VEGF, conduisant à l’évaluation de l’inhibition simultanée de ces deux circuits. L’association d’agents antiangiogéniques (anticorps comme le bévacizumab ou inhibiteur de tyrosine kinase comme le pazopanib) aux agents ciblant HER2 a démontré une efficacité potentielle en cours de confirmation dans les essais randomisés (3). Le pronostic des cancers du sein HER2 a été considérablement amélioré par le trastuzumab. En situation métastatique, il prolonge la survie sans progression et la survie globale, mais une évolutivité survient chez la majorité des patientes. Les mécanismes de résistance sont variés, de nombreux agents sont en cours d’évaluation dans cette situation et certains semblent très prometteurs. À l’avenir, il est très vraisemblable qu’il faudra envisager l’association de plusieurs thérapeutiques ciblées afin de prévenir la résistance. Le challenge sera alors de définir les associations et leurs séquences optimales, fondées sur des données biologiques. Dans cette optique, les essais cliniques en situation préopératoire ou néo-adjuvante représentent le meilleur modèle.■ L’activation de la voie PI3 kinase (PI3K) est importante dans la signalisation HER2 (16). Des mutations de PI3K ont été associées à une résistance au trastuzumab. De nombreux inhibiteurs de PI3K sont actuellement en développement précoce. Les autres approches Ciblage de la voie IGF-IR Inhibiteurs de HSP90 HSP 90 (Heat Shock Protein 90) est une protéine chaperone qui stabilise des protéines telles que HER2, AKT, EGFR (Epithelial Growth Factor Receptor) et PDGFR (Platelet-Derived Growth Références bibliographiques 1. Pegram MD, Konecny G, Slamon DJ. 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