Les systèmes de Common Law en Afrique sub-saharienne

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Les systèmes de Common Law en Afrique sub-saharienne :
(Le cas du Ghana, du Nigeria, du Kenya, la Tanzanie et de l’Afrique du Sud)
L’organisation de la société africaine, comme toute société humaine repose sur un système
juridique. Le droit dans les pays africains en tant que noyau du système juridique permet,
entre-autres, l’évolution d’un modèle rationnel de vie pour sa société et la résolution des
conflits opposant les rapports humains aux besoins de l’individu. Chaque système de droit en
Afrique possède sa propre histoire et sa propre évolution liées à sa culture juridique. Les
textes de loi et la jurisprudence étant ainsi différents d’un pays à l’autre, il serait faux de
penser qu’il existe un système de Common Law unique.
La première partie de cette analyse présente brièvement l’évolution de la Common Law
depuis ses origines en Angleterre et les circonstances de son expansion en Afrique et dans le
monde, avant de se pencher sur les conditions de son introduction dans les anciennes colonies
britanniques d’Afrique.
La deuxième partie présente les premiers critères d’appréciation de la Common Law tels que
l’équité, la doctrine de stare decisis et le principe du précédent. Cette partie présente
également un système de droit reçu, répondant par une flexibilité bien adaptée aux besoins
d'une sociéen pleine évolution et d’une économie en plein essor d’une part et apportant un
modèle de droit porteur de prévisibilité indispensable à la sécurité juridique et judiciaire,
d’autre part.
En se reposant sur quelques pays de la Common Law en Afrique sub-saharienne, cette analyse
décrit et compare les systèmes de Common Law africains en prenant en considération leurs
spécificités, selon les critères d’appréciation de la Common Law. Tous ces éléments
permettront de comprendre l’évolution différente du droit des affaires dans différents pays de
l’Afrique sub-saharienne.
A. Origines et expansion des systèmes de Common Law en Afrique sub-saharienne
Avant de revenir à la Common Law en Afrique, rappelons rapidement qu’elle est née en
Grande-Bretagne. Plus tard, cette île européenne devient à son tour colonisatrice et exporte la
Common Law hors de ses frontières, notamment en Afrique. C’est donc à travers deux
périodes importantes de l’histoire que la Grande-Bretagne a introduit son droit dans ses
colonies en Afrique : la colonisation et les premiers échanges commerciaux.
1. La période coloniale
L’Afrique a connu l’introduction de la Common Law à la fin du 19e et au but 20e siècle.
Comme ailleurs, la colonisation britannique en Afrique a respecté la très célèbre doctrine
connue sous le nom de l’affaire Calvin
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ou postnatus
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, une des décisions de justice historique
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(1608) 7 Coke Report 1a, 77 ER 377 ; Cour du Banc Roi: 1608, affaire Calvin, ER, King’s Bench, vol.
77, pp. 377 à 411, le juge en chef Lord Edward Coke rédacteur de l'arrêt.
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ayant ponctué l’évolution de la Common Law en Grande-Bretagne et dans le monde. L'affaire
illustre le rôle terminant des juges de Common Law et le développement de ce droit, mais
aussi la postérité de la décision puisqu'elle régit aujourd'hui, en sa qualité de précédent
judicaire, plusieurs domaines de ce droit.
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Cette affaire remonte à 1606, après l’union formée par Jacques Ier, sous une seule Couronne
«Grande-Bretagne » des royaumes d’Ecosse et d’Angleterre. Robert Calvin, écossais à
Édimbourg en 1605, est possédé d’un héritage par deux anglais, Richard et Nicholas Smith.
Calvin engage donc devant la Chambre de l’Echiquier une action contre ces derniers pour que
ses biens qui se trouvaient à Shoreditch en Angleterre lui soient rétrocédés. Les Smith
soulèvent l’incompétence de la cour anglaise sur la base du fait que Calvin serait un étranger.
Le président de la cour, Lord Edward Coke décide que Robert Calvin n’est pas un étranger et
donc a le droit de posséder des biens en Angleterre. En rendant sa décision dans cette affaire,
le président est allé au-delà de la détermination de la nationalité anglaise ou écossaise de
Calvin. Il distingue d’une part le statut des sujets et des étrangers et d’autre part le statut des
différentes colonies en précisant la différence entre-elles. C’est donc ainsi qu’est établie la
théorie de l’abrogation du droit dans les colonies britanniques fondée sur l’adéquation entre
ces deux royaumes : l’Angleterre et l’Ecosse.
« …..si le roi s'empare d'un royaume chrétien par conquête considérant qu'il a vitae et necis
potestatem. Il peut selon son bon plaisir modifier et changer le droit (laws) de ce royaume:
mais jusqu'a ce qu'il introduise une modification au droit de ce royaume, l'ancien droit
demeure. Mais si ce roi chrétien conquiert le royaume d’un infidèle, et le place sous sa
sujétion, dans ce cas le droit de l’infidèle est aboli ipso facto, car il n’est pas seulement
contre la chrétienté, mais contre le droit de dieu et de la nature, contenu dans le décalogue ;
et dans ce cas, jusqu'à ce qu’un certain droit soit établi à leur intention, le roi , de lui-même,
et les juges qu’il nommera, les jugeront, eux-mêmes et leurs causes selon l’équité
naturelle… ».
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Les britanniques trouvent dans l’affaire Calvin un Orbiter dictum
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justifiant le respect des
droits étrangers pendant la colonisation. En outre, les principes établis dans cette affaire
illustrent clairement la méthode et l’usage fondamental de la pratique du précédent judiciaire
dans l’évolution de la Common Law car Lord Coke a fondé sa cision sur la base des
précédents. Un droit créé par les juges et non par la loi, priorisant les précédents
jurisprudentiels.
2
Selon le roi Jacques Ier tous les sujets nés après le début de son règne en 1603 ne peuvent être considérés
comme des étrangers dans aucun de ses royaumes, qu’ils possèdent donc la double-nationalianglaise et
écossaise.
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L’affaire Calvin est aussi connue comme l’un des tout premiers exemples établissant la règle du précèdent
dans le système de Common Law britannique.
4
(1608) 7 Coke Report 1a, 77 ER 377 ; Cour du Banc Roi: 1608, affaire Calvin, ER, King’s Bench, vol.
77, pp. 377 à 411, le juge en chef Lord Edward Coke rédacteur de l'arrêt ; 7 Co Rep 17b ; Jacque
Vanderlinden, Histoire de la common law. (1996). Bruylant, données de catalogue avant publication
(Canada), p.38.
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Un Obiter dictum est une remarque ou observation faite dans l’analyse d’une décision judicaire, ne
justifiant pas le verdict de la décision. Un Obiter dictum sont donc souvent des opinions des juges utilisés
pour illustrer un fait pu différent ou semblable du cas en l’espèce.
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Dans l’évolution du droit en Grande Bretagne, au cours du 15e siècle, les juges se sont
finalement trop liés à la jurisprudence qu’ils appliquaient de façon rigide. La Common Law
s’est donc retrouvé figée dans des règles difficiles à modifier. La flexibilité de la Common
Law commence à cette étape de son histoire, lorsqu’indépendamment des règles de Common
Law, la chancellerie
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développe les règles de l’équité, posant les bases d’une nouvelle
juridiction parallèle, fondées sur les principes de la justice et de l’équité et permettant de
pallier les insuffisances et les rigidités de la Common Law. L’équité est venue donc suppléer
le droit formel et s’articuler avec lui de telle manière que, sans contredire explicitement ses
solutions, elle permet d’en imposer d’autres, considérées comme plus à même de rendre
justice aux parties. Par exemple, si le plaignant ne souhaitait pas une paration monétaire,
mais préférait que son cocontractant soit forcé à exécuter son contrat, l’action devait être en
équité.
Lorsqu’au 17e siècle un conflit s’est déclenché entre la Common Law et l’équité, le roi
Edouard III cida que l’équité continuerait et que ces décisions prendraient le dessus sur
celles de la Common Law mais que néanmoins l’équité serait liée par les décisions
précédentes (jurisprudence antérieure). Par la suite, la distinction entre la Common Law et
l’équité sera abrogée en 1875 mais gardera ses spécificités, même si les tribunaux en Grande
Bretagne sont désormais formellement unis.
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Par contre, bien avant leur unification, les deux
systèmes judiciaires se sont adaptés à l’application de la Common Law et de l’équité malgré
la différence fondamentale dans les procédures de chacune.
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L’histoire de la distinction entre
la Common Law et l’équité reste doublement importante car elle continue à être utilisée par
exemple dans la distinction entre le détenteur d’un legal title qui est différent d’un equitable
title de la chose vendue et surtout à démontrer la flexibilité et le pouvoir d’adaptation dans
l’évolution des principes de la Common Law et l’équité.
L’usage de ces principes dans les colonies britanniques représente l’exportation de son
système de droit, d’où l’introduction et de l’application de la Common Law, de l’équité et des
lois de portée générale en vigueur en Grande Bretagne dans les années suivantes : Ghana
(Côte d’Or) en 1874, Malawi (Nyassaland) en 1902, le Nigeria en 1900, Sierra Leone en
1880, Gambie en 1888, Somalie 1900, Zambie (Rhodésie du Nord).
Pour le cas de certains autres territoires comme au Kenya en 1897, en Ouganda en 1902 et en
Tanzanie (Tanganyika) en 1902, la Common Law et l’équité ont été introduites tels qu’elles
étaient appliquées en Inde (British India), tout en respectant les droits des autochtones
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C’est sous l’impulsion de la chancellerie qui gérait le patrimoine du roi que les règles de l’équité ont été
développées et sa propre cour va donner naissance à l’équité. Ensuite une autre section similaire de la
curia regis qui connait se développement est l’Echiquier.
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La cour suprême de la Grande Bretagne administre cependant les deux corps du droit de la Common Law.
L’équité couvre les domaines suivant du droit ; trust ; sociétés commerciales ; sociétés par action ;
faillites ; testaments et successions. La Common Law qu’en a elle couvre les domaines du droit criminel ;
droit des contrats et responsabilité civile.
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Les tribunaux de la Common Law compensaient uniquement financièrement et reconnaissaient
uniquement le propriétaire légal d’un bien alors que les tribunaux de l’équité (Court of Chancery,
Exchequer) pouvaient donner des injunctives relief’(ordonner à un contractuel en infraction de faire
quelque chose, donnez quelque chose à quelqu'un, ou arrêtez de faire quelque chose) et reconnaitre les
trusts de propriété.
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(indirect rule). Les noirs américains introduisent la Common Law au Libéria, tels qu’elle
était, à cette époque, appliquée aux Etats-Unis.
2. La période des comptoirs coloniaux
Cette riode correspond à l’installation des comptoirs commerciaux dans les colonies.
L’introduction du système britannique de Common Law s’opère d’une part à travers les règles
régissant les échanges entre les colons, ou entre les colons et les autochtones. Cette
introduction est faite dans le respect du principe de la distinction entre les colonies
britanniques, tels que définie dans l’affaire Calvin, ce qui explique pourquoi la Common Law
n’est pas l’unique système de droit appliqué dans des territoires passant sous contrôle
britannique.
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Ces territoires connaissent dé un système de droit,
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où alors l’influence
d’autres systèmes de droit occidentaux.
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Mais, grâce à sa flexibilité et sa facilité d’adaptation
dans de différents contextes sociaux, la Common Law va s’introduire et s’implanter.
L’Afrique du Sud (peu après 1910) et la Namibie
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ont connu cette période. Ces deux
territoires connaissent l’introduction de la Common Law alors qu’ils appliquaient déjà le droit
romano-hollandais et le droit des coutumes locales des autochtones.
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Dans la même riode,
le territoire du Cameroun est partagé entre la France et la Grande Bretagne. La Common Law
est donc introduite dans une partie du territoire, le Cameroun anglophone, alors que l’autre
partie, le Cameroun francophone, connaît l’introduction du Code Napoléon.
3. Le cas de l’Afrique du Sud
En 1652, les hollandais sont les premiers colons en Afrique du Sud.
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Ils occupent le Cap de
Bonne Espérance et y introduisent leur droit d’origine, sous forme de coutumes, de lois, de
décisions judiciaires et de doctrine.
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Ce droit était en fait un mélange de droit romain et de
droit hollandais. En 1802, la Hollande cède les colonies du Cap à la Grande-Bretagne.
Cependant l’Acte de Capitulation prévoit la continuation de l’application du système juridique
hollandais déjà en place. Le droit romano-hollandais s’enracina donc dans tout le pays jusqu’à
la formation par les anglais de l’Union de l’Afrique du Sud en 1910, sous le contrôle du South
Africa Act.
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une base du droit hollandais est restée en vigueur malgré la présence progressive
9
Jacque Vanderlinden, Histoire de la common law. (1996). Bruylant, données de catalogue avant
publication (Canada), p. 41.
10
Exemple du Cameroun (influence parallèle française et britannique) et de l’île Maurice (influence
française et par la suite britannique).
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Exemple du Botswana, du Lesotho, de la Namibie, le Swaziland et le Zimbabwe qui connaissaient déjà un
système de droit mixte (romano-hollandais).
12
La Namibie officialise la Common Law dans sa constitution en 1990.
13
Le droit de la Common Law introduit dans les provinces du Cap en Afrique du Sud donne naissance à un
droit mixte comprenant le droit romano hollandais en droit privée (succession, droit des affaires, droit des
contrats et le droit des délits) et la Common Law dans le reste des matières.
14
Conduit par Van Riebeck, les colons hollandais colonisent le Cap de Bonne Espérance.
15
The most listed doctrine includes, Du Bois, François, Wille’s, Principle of South African Law,(2007) 1st to
9th ed (Cape Town; Juta 2007); Zimmermann, Reinhard and Visser, Daniel P. (1996) Southern Cross:
Civil Law and Common Law in South Africa Clarendon Press, Oxford ; Joubert, W. A. et al. (2004) The
Law of South Africa LexisNexis Butterworths, Durban, South Africa.
16
Loi adoptée par le parlement britannique en 1909 et qui établissait la formation du dominion appelé
Union sud-africaine entre les colonies britanniques du Transvaal, du Cap, de la rivière Orange et du Natal.
Cette loi, servit de Constitution sud-africaine jusqu'en 1961.
5
du système de la Common Law anglaise. Cette introduction fût possible au travers de
l’introduction des règles de commerce, dès que l’Angleterre commença à dominer
économiquement.
Par contre, à la suite de la décision de la Cour suprême de l’Etat du Transvaal, l’équité de la
Common Law anglaise n’a pas été introduite en Afrique du Sud car le système de droit
romano-hollandais contient déjà ses propres éléments d’équité.
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De cette description, l’Afrique du Sud n’appartient à aucun système juridique défini. Elle a
hérité à la fois du système de Common Law et du système du droit civil romano-hollandais
pour déboucher à un système mixte, sans pour autant abandonner les coutumes qui sont
encore pratiquées.
18
Aujourd’hui, nous pouvons dire que le droit sud-africain, coiffé par une déclaration
constitutionnelle,
19
est le sultat de différentes sources de droit, chaque source représentant
son influence : le droit romain, le droit romano-hollandais et la Common Law. Une
description détaillée du régime sud-africain présente un modèle de système de droit
continental non codifié, antérieur à Napoléon c’est-à-dire un système romano-germanique,
considérablement influencé par le droit anglais,
20
ayant adopté le principe de stare decisis (la
règle du précédent).
21
Tout comme sa gislation est souvent fondée sur le modèle anglais et
son droit procédural relève de la Common Law anglaise. Le droit privé sud africain est donc
un mélange du droit civil romano-hollandais et de la Common Law anglaise.
22
Le modèle sud-africain de système de droit mixte est également présent dans les pays voisins
comme le Botswana, le Lesotho, la Namibie, le Swaziland et le Zimbabwe.
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B. Le système de Common Law en Afrique et ses critères d’appréciation
Dans le système de Common Law, le droit coutumier et traditionnel non écrit dans les lois et
les règlements d’une part et d’autre part le sens précis de ces coutumes et traditions, de la loi
écrite ainsi que la doctrine ne peuvent être considérés comme faisant partie d’une loi de
Common Law que lorsqu’ils ont été interprétés par les juges ou utilisés dans une situation
concrète par une décision judicaire. Des cisions judiciaires, nous obtenons alors les
précédents.
17
Lazarus v. Wessels, (1903) T.S. 509.
18
Schalk van der Merwe, LF van. Huyssteen, MFB Reinecke & GF Lubbe, Contract General Principles,
Cape Town: Juta (3rd edn. 2007). p. 24.
19
En raison essentiellement de l’article 39.2 de la Constitution, ainsi libellé : Lorsqu’ils interprètent un
texte législatif et qu’ils font progresser la Common Law ou le droit coutumier, les cours et tribunaux
doivent promouvoir l’esprit, le sens et les objectifs de la déclaration des droits”.
20
À cet égard, il est analogue à celui des pays qui l’entourent et de Sri Lanka. Il n’est pas sans rappeler celui de
la Louisiane et du Québec.
21
Pour une illustration des principes de la Common Law par d’innombrables exemples de jugements non
publiés, voir Roberts Petroleum Ltd v. Kenny Ltd [1983] 2 AC 192; Michaels v. Taylor Woodrow
Developments Ltd [2000] EWHC Ch 178.
22
Jacques E. Du Plessis, South Africa, Elgar Encyclopedia of Comparative Law, Great Britain: Edward
Elgar Publishing (2006), p. 668.
23
B. Wunsh, C.L. Wulfsohn, South Africa, Remedies for International Sellers of Goods [2008] II, Dennis
Campbell (ed), Johannesburg: Yorkhill Law Publisher (2008), p. III/227.
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