1. Chacun sa vérité 52
La recherche de la vérité guide depuis toujours la pensée des philosophes et
des scientiques, mais elle obsède aussi parfois les chercheurs en marketing.
Le concept de vraie délité, témoigne ainsi de ce désir excessif d’appropriation
de la vérité (Day 1969; Jacoby et Kyner 1973; Amine 1998 ; Dick et Basu 1994 ;
Kasper et Bloemer 1995). Observons d’abord que la délité est le seul aspect
du comportement du consommateur, dont la conceptualisation est soumise
à l’exigence de vérité. Personne ne s’est inquiété de savoir si les concepts
d’implication, de satisfaction, de conance ou d’engagement, étaient des
concepts vrais ou faux. Réduire la vraie délité à la délité attitudinale, procède
d’une conception absolue du vrai, dont nous allons montrer les limites. La vérité
que l’on prête aux choses ou aux relations dépend en effet étroitement du sens
que l’on donne à ce mot.
1.1. La vraie délité : un comportement d’achat utile
S’ils ne le revendiquent pas ouvertement, les tenants de l’approche béhavioriste
de la délité aspirent eux aussi à l’authenticité. L’assurance afchée par Tucker
(1964) quand il dénit la délité, révèle cet appétit de vérité53. Si ses certitudes
ne sont guère mieux étayées que celles de ses contradicteurs, sa vision des
choses fait néanmoins écho à une conception pragmatique de la vérité. Qualiée
péjorativement de « philosophie pour businessman », le pragmatisme est à la fois
une méthode (Pierce 2002, 2003) et une théorie de la vérité (Rorty 1995, James
2007). En tant que méthode le pragmatisme conduit à se détourner des choses
premières que sont les essences et plus généralement de toutes les causes,
pour aller directement vers les conséquences et les résultats. Un concept est
considéré comme vrai parce qu’il est utile, et il est utile parce qu’il est vrai (James
2007). La conception pragmatique de la vérité repose sur deux principes :
1) est vraie « l’idée qui déclenche le processus de vérication »
2) est utile « sa fonction accomplie dans l’expérience » .
Dénir la délité du client, uniquement par ses achats répétés (Tucker 1964), c’est
considérer que la délité véritable est celle qui se « vérie » dans les actes. C’est
également voir dans ces achats successifs, une conrmation de l’utilité qu’ils
apportent au consommateur. Cette approche pragmatique de la délité conduit
donc à penser le comportement de délité comme étant construit par l’utilité qu’il
procure au client. Dis d’une autre manière, ce comportement est le produit direct
de ses conséquences. Un lien évident existe entre la conception pragmatique
de la vérité comme utilité, et la théorie de l’apprentissage opérant, souvent
52. Pirandello (1916), Chacun sa vérité.
53. Il n’y a pas lieu, de prendre en considération ce que le client pense, ni même la manière dont fonctionne son système nerveux
central. Son comportement est l’expression même de sa fidélité » (Tucker 1964).
Fidélité et vérité : une question philosophique
aux enjeux théoriques et managériaux