Le chrétien et « l`art de mourir

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FICHE DE LECTURE
Le chrétien et
« l’art de mourir »
D
ans leur Catéchisme pour adultes, les
évêques allemands abordent la question de
l’euthanasie. Ils la situent dans le cadre d’une
réflexion sur le cinquième commandement et,
plus précisément, sous la rubrique « le soin des
personnes malades et mourantes ». Nous
proposons ici l’essentiel de leurs remarques
sur « l’art de mourir chrétien » ainsi que leurs
repères pour mieux discerner une ligne de
conduite moralement acceptable dans des
situations particulièrement difficiles.
N
RÉSUMÉ
otre mort est à appréhender à la lumière de notre
foi en Dieu et en Christ, mort et ressuscité.
Les progrès de la médecine apportant la guérison sont
bons, mais quand on s’attache à repousser la fin de la
vie par tous les moyens, cela remet en question le sens
même de la mort.
Il faut distinguer l’euthanasies passive de l’euthanasie
active : dans le premier cas, on laisse advenir la mort
naturelle, sans acharnement thérapeutique ; dans le
deuxième cas, on met prématurément fin à la vie.
Aider les personnes très âgées et les malades en
phase terminale à mourir, c’est les aider à accepter
leur finitude. Cette acceptation peut prendre plusieurs
formes (voir texte).
Légaliser l’euthanasie risquerait de changer le but
de l’activité médicale qui est de préserver et non de
supprimer la vie. Aux chrétiens de continuer de témoigner
plutôt de leur espérance dans l’amour de Dieu, en se
dévouant auprès des malades et des mourants.
L
PERSPECTIVES
a réflexion des évêques résume les positions qu’ils
ont pris dans une série de documents publiés depuis
1978 sur la question de la mort, dont : « Mort digne
de l’homme et mort chrétienne » (DC 1979, n° 1764,
p. 479) et « L’accompagnement des grands malades
et des mourants » (traduit en partie par Questions
actuelles, voir hors série n° 5 de la DC, mai 1996).
Voir Catéchisme pour adultes : Vivre de la foi, (volume II)
de la Conférence épiscopale allemande, Centurion/Cerf, 1997,
p. 283-289. Titre de Questions actuelles.
Maladie, fin de vie et mort
dans la vie chrétienne
(…) « Comprendre » la mort dans la foi fait
que, pour le chrétien, regarder la mort en face
devient un ars moriendi chrétien, un art de
mourir qui consiste à s’attacher à Dieu dans
la confiance et à se déprendre de soi-même.
Dans la mort, notre foi est mise à l’épreuve
une dernière fois : elle met à l’épreuve notre
abandon à la certitude confiante que, dans sa
fidélité, Dieu nous demeure présent et nous
fait don d’un avenir et de la vie, même si les
apparences sont contraires. Plus nous aurons
appris à garder notre confiance croyante en
Dieu dans les épreuves de notre vie, plus
aussi nous pourrons dire un oui confiant à
Dieu dans l’épreuve de notre mort.
Pour demeurer ainsi attachés à Dieu nous
avons à nous déprendre des liens et des sécurités de notre vie terrestre. Nous déprendre
signifie nous détacher, accepter de perdre
dans la douleur, et ne plus nous cramponner
à ce à quoi nous étions attachés dans notre
vie. Se déprendre, c’est aussi laisser derrière
soi des souhaits, des espérances restés inaccomplis. La foi nous donne la liberté d’aller
notre chemin dans la certitude de Dieu en
nous déprenant de ce qui est terrestre, et de
nous savoir profondément unis au Christ qui
a pris avant nous le chemin de la souffrance et
de la mort. Il nous est donné d’avoir part à
ce chemin (voir 1 Co 1, 24) qui conduit à la
résurrection. Cette attitude de foi nourrit
l’espérance et donne un sens à la souffrance.
Depuis toujours, la piété chrétienne a vu
aussi dans cette attitude à l’égard de la souffrance et de la mort une vocation à ne jamais
perdre de vue.
Il s’agit de connaître le Christ, et la puissance de sa résurrection et la communion à
ses souffrances, de devenir semblable à lui
dans sa mort. [Ph 3, 10.]
Juillet-Août 2001 • 29
Les dangers éventuels liés à
la mise en œuvre de la
technique dans les hôpitaux
et les cliniques sont de plus
en plus manifestes.
Le service des malades
et des mourants
(•) Voir plus
haut, p. 16.
La maladie et la mort ne sont pas seulement un appel à vivre dans la conscience de
la mort et à nous préparer à mourir en chrétiens : elles nous confrontent également à des
problèmes éthiques.
Nous sommes responsables de la conservation de la vie, de la promotion de la santé, de la
lutte contre les maladies et de leur guérison,
ainsi que de l’accompagnement et de l’aide aux
mourants. Tel est aussi le but de l’activité médicale et des soins dont le principe suprême est
le bien du malade au sens le plus global du
terme. Dans le christianisme, le service des
malades et des mourants est considéré depuis
toujours comme une « œuvre de miséricorde ».
Ces dernières années, la médecine a fait de
grands progrès dans de nombreux domaines.
Ces succès de la médecine moderne nous fascinent. Rares sont ceux qui renonceraient à
en bénéficier lorsqu’ils tombent malades.
Lorsqu’elle produit la guérison et restaure les
forces de la vie, elle ne peut qu’être approuvée du point de vue moral.
Mais les dangers éventuels liés à la mise en
œuvre de la technique dans les hôpitaux et
les cliniques sont de plus en plus manifestes.
La fascination exercée par ce qu’il est possible de faire a pour conséquence une modification inquiétante de l’attitude à l’égard du savoir
et du pouvoir médicaux et aussi du sens de la
vie et de la mort. Celui qui place une confiance
illimitée dans la technique verra dans le geste
médical une réparation ou un rétablissement de
la capacité d’un organe à bien fonctionner ; il
exigera d’être traité sans se préoccuper, si la
guérison n’est pas assurée, du sens de prolonger sa vie. Pour lui, la mort est l’ennemi à combattre par tous les moyens, à repousser jusqu’à
la fin inéluctable, même au prix d’une prolongation de la vie dans des conditions pénibles. Un
autre risque de la mise en œuvre de toute la
science médicale est de rendre le patient dépendant d’un appareillage sophistiqué et onéreux et de le désapproprier de sa mort. La technique médicale peut ici devenir inhumaine. (•)
LA PERSONNE SOUFFRANTE APPARTIENT TOUJOURS À L’HUMANITÉ
Dans un entretien publié
par Questions actuelles en
mai 1996, Mgr Albert Rouet
explique le sens des soins
apportés à des gens, privés
de leur conscience :
Chaque personne porte en elle
un idéal qui lui donne le désir
d’être au mieux de ses
possibilités et de mourir en
pleine conscience. Lorsque cet
état n’est pas atteint, on pense
que l’homme reste en dessous
de son existence. Bien des
regards portés sur ces situations
humaines extrêmes proviennent
de la déchirure de cet idéal.
Seulement cet idéal de
perfection existe-t-il en réalité ?
Ce qui est parfait n’est pas
humain. L’homme joue
perpétuellement entre la réalité
et une tension vers quelque
chose d’autre. Il faut considérer
ceux qui sont dans une situation
inconsciente ou grabataire
comme dans un état qui
appartient à l’humanité, dans
ce qu’elle a de précaire et
d’imparfait, comme pour toute
personne. Comment réagir ?
Il reste toujours le fait que l’être
en question, quel que soit son
état, appartient à l’humanité.
La relation aux autres n’est pas
simplement affaire de liberté,
de conscience, de décision.
Elle est d’abord un état qui
30 • Questions actuelles
s’impose à la liberté, à la
conscience et à la décision.
Cet être provient de l’humanité,
appartient à l’humanité par
son corps. Il serait étonnant de
pouvoir garder des photos,
des souvenirs et d’oublier, par
un idéalisme déplacé, le corps.
Or, par ce corps, la personne
reste frère de tous ceux qui ont
le même corps, la même
humanité. Le respect et les
soins apportés à des gens dans
une situation inconsciente
profonde continuent à montrer
qu’ils sont les frères de ceux
qui s’occupent d’eux au nom
de leur appartenance à la
même humanité.
Malgré les dangers possibles de la mise en
œuvre des techniques de la médecine moderne, il serait injuste de condamner a priori
le fait d’y recourir. Les méthodes modernes
de diagnostic et de traitement des maladies
ont prouvé leur valeur pour obtenir la guérison et permettre de continuer à vivre dans de
bonnes conditions.
À propos des possibilités de la médecine
moderne, la véritable question éthique est
celle-ci : le médecin a-t-il le droit de faire ce
que la médecine le rend capable de faire ? La
vie doit-elle être maintenue et prolongée à
tout prix ? Qu’est-ce qui, en fin de vie, est moralement permis et moralement interdit ?
Toutes les tentatives de donner une réponse moralement justifiable à ces questions
et à d’autres doivent partir du fait qu’on n’a
pas le droit de disposer de la vie humaine, à
quelque stade que ce soit, et que l’homme a
le droit de mourir dans la dignité. Avec les
malades et les mourants en phase terminale,
l’obligation est de les aider à mourir et, tout
autant, l’obligation de ne pas tuer.
Le sens du terme « euthanasie »
Dans le débat public, dans le langage
scientifique et dans celui du droit, mais également dans des documents de l’Église, le
terme « euthanasie » revient fréquemment
lorsqu’il est question de l’aide et de l’assistance aux mourants.
Le mot « euthanasie » (eu-thanasia) signifie
littéralement « mort douce ». Dans l’Antiquité,
ce terme signifiait d’abord, tout simplement,
« aide en vue d’une bonne mort ». Plus tard,
on entendit par là un raccourcissement intentionnel du processus conduisant à la mort. Le
mourant n’est pas aidé dans son passage vers
la mort ; celui-ci est abrégé par un geste procurant la mort. Dans le système nationalsocialiste, on entendait par euthanasie la
« destruction de vie indigne de vivre », et
dans un « programme d’euthanasie » on ordonna la mise à mort de dizaines de milliers
de malades mentaux. Il ne s’agissait pas de
faire mourir des mourants, mais de faire disparaître des hommes malades mais vivants.
Aujourd’hui les expressions « euthanasie
passive » et « active » sont d’usage courant. (•)
On entend par euthanasie passive le renoncement à mettre en œuvre les moyens capables de
prolonger la vie pendant un certain temps, mais
qui ne ferait que prolonger des souffrances
intolérables. Il s’agit de laisser mourir, non
d’un geste provoquant la mort. Dans ce sens,
l’euthanasie dite passive est considérée de manière générale comme moralement permise.
Renoncer à mettre en œuvre certains moyens
devient cependant une euthanasie active dans
le cas d’une omission coupable portée par l’intention de mettre prématurément fin à la vie.
L’euthanasie active en revanche est une intervention directe dans le processus conduisant à
la mort qui prend la forme d’un geste homicide
à l’égard du patient, même si cela est conforme
à son souhait (« homicide à la demande »).
La déclaration sur l’euthanasie (1980) de la
Congrégation de la Doctrine de la foi entend par
euthanasie « une action ou une omission qui,
de soi ou dans l’intention, donne la mort afin
de supprimer ainsi la douleur ». L’euthanasie
existe donc au niveau de l’intention comme des
méthodes mises en œuvre. (••)
Pour éviter les malentendus et les erreurs
d’interprétation, le terme « euthanasie » devrait être utilisé seulement dans le sens
d’une euthanasie active, c’est-à-dire d’un
geste provoquant le décès d’un mourant (ou
d’un malade incurable), ou d’un renoncement
coupable à des soins de maintien de la vie.
Dans tous les autres cas, il faudrait toujours
parler d’aide à mourir, d’assistance ou d’accompagnement des mourants.
(•) Les évêques
du Canada
sont d’avis qu’il
ne faut plus
employer
les adjectifs
« active » et
« passive »
pour parler
de l’euthanasie
à cause de la
confusion qu’ils
risquent de créer
sur ce sujet (voir
plus loin, p. 35).
(••) Voir plus
haut, p. 10.
LA PRÉSENCE DE DIEU AUX COTÉS DU MALADE
Dans leur déclaration « Mort digne de l’homme et
mort chrétienne » (voir « Perspectives » p. 29), les
évêques allemands rappellent l’importance de la
promesse que Dieu nous accompagne toujours :
Cette promesse, le malade doit en outre pouvoir la
toucher, l’expérimenter dans la manière même dont
nous l’assistons. La présence du Seigneur peut devenir
évidente lorsque nous sommes simplement aux côtés
du malade (…). En nous efforçant d’être présent au
malade et d’être sensible à son sort, nous trouverons
du même coup les réponses qui nous permettront de
le comprendre vraiment. Même lorsque le mourant ne
semble plus avoir sa connaissance, nous pouvons
encore faire de petits gestes (…). Grâce à une telle
assistance, le mourant peut pressentir, ou même
expérimenter, la mystérieuse présence de Dieu à ses
côtés, et se confier dans la foi au mystère de la mort.
Juillet-Août 2001 • 31
(•) Voir encadré
p. 11.
La vraie aide aux mourants
L’aide à mourir, comprise comme assistance ou accompagnement du mourant, vise à
lui rendre la mort plus facile, à l’aider à vivre
sa propre mort. On pourrait donc parler d’aide
à vivre pour les mourants. Une telle aide peut
prendre des formes diverses.
Beaucoup de personnes meurent très âgées,
sans traitements agressifs et sans soins intensifs. La mort survient au terme d’un processus
de diminution de leurs forces et de défaillance
progressive de leurs fonctions vitales. L’assistance aux mourants, c’est ici utiliser les
moyens qui diminuent leurs souffrances. Dans
de telles situations, il n’y aurait aucun sens, en
mettant en œuvre tous les moyens disponibles, à vouloir prolonger la vie au-delà de la
survenue prévisible de la mort naturelle. Le
respect de la fin inéluctable demande de s’effacer et d’accepter la mort. Outre l’assistance
LES OBJECTIFS DES SOINS PALLIATIFS
À l’occasion de la « Semaine pour la Vie 1996 »,
le Conseil des Églises Évangéliques et la
Conférence épiscopale d’Allemagne ont publié
une déclaration commune intitulée : « La fin de
la vie, c’est encore la vie ». Voici un résumé de
leurs propos sur l’importance du mouvement
des soins palliatifs et ses objectifs :
Ce Mouvement des soins palliatifs, né en Allemagne
sous l’impulsion de la Grande-Bretagne et des
États-Unis, a démarré lentement et a connu bien des
difficultés et des échecs. Mais il ne s’est jamais laissé
détourner de ses objectifs, à savoir :
– reconnaître la fin de la vie comme faisant partie de la
vie ;
– découvrir le sens de la fin de la vie ;
– faire prendre conscience que les mourants et leurs
proches sont à accompagner ensemble ;
– apporter le support d’une équipe interdisciplinaire ;
– associer des auxiliaires bénévoles, hommes et femmes ;
– assurer le suivi de tous les acteurs ;
– s’assurer de la coopération de toutes les personnes
impliquées dans chaque situation que l’on prend en
charge ;
– intégrer le concept de soins palliatifs dans les services
et les institutions existant ;
– avoir des connaissances spécialisées en matière de
contrôle des symptômes ;
– assurer la continuité de la prise en charge ;
– accompagner les endeuillés.
Cf. DC 1996, n° 2138, p. 493-497.
32 • Questions actuelles
médicale, normale, l’aide apportée au mourant
consistera en soins, en une sollicitude et un accompagnement personnels qui soulageront le
mourant dans la phase ultime de sa vie, et permettront de mourir d’une mort chrétienne. On
cherche aujourd’hui à assurer cette aide et cet
accompagnement grâce à des personnes et des
services formés à cette fin.
Cela vaut également pour les situations où le
processus conduisant à la mort a abouti à la
cessation progressive des fonctions biologiques, et à laquelle viennent s’ajouter soudain
des complications (pneumonie par exemple)
qui accélèrent le processus. Ici, en règle générale, le médecin n’est pas tenu de combattre
les complications, ce qui ne ferait que surseoir
à une échéance proche et inéluctable.
La question se pose de savoir ce qu’il est
permis de faire pour un malade en phase terminale en proie à de grandes souffrances, qu’il
est possible de combattre, mais par des
moyens qui, outre la neutralisation de la douleur, peuvent avoir pour effet possible d’accélérer la mort en cas de traitement prolongé.
Étant donné le développement actuel des médicaments anti-douleur, cette possibilité ne
devrait pas être fréquente, mais elle ne peut
être exclue. Un médecin qui aurait connaissance des effets secondaires de ce type pourrait-il néanmoins administrer de tels remèdes?
Lorsqu’un groupe de médecins posa cette
question à Pie XII (•), il répondit : « Lorsque
d’autres moyens font défaut, et que compte
tenu des circonstances on n’empêche pas par
là l’accomplissement du devoir religieux et
moral qui demeure, cela est permis. » Il ne
s’agit pas ici de donner la mort de façon intentionnelle ; écourter la vie est un effet secondaire de l’apaisement des souffrances.
Parfois une personne qui souffre d’une maladie incurable, et qui, selon le diagnostic du
médecin et le pronostic médical, n’a plus une
grande espérance de vie, pourra s’interroger
sur l’opportunité de se soumettre à une opération qui, sans doute, pourrait différer la
mort, mais entraînerait également de graves
séquelles corporelles et psychiques. Si le malade se prononce de façon consciente et libre
contre cette intervention, sa décision doit
être respectée car, au lieu d’une prolongation
des souffrances qui n’a pas de sens, le malade
opte pour une mort consciente et digne.
Le principe éthique de la
proportionnalité
Des problèmes particuliers sont posés aujourd’hui par les possibilités médicales et
techniques de la réanimation. Pour parvenir à
un jugement moralement juste concernant la
mise en œuvre des techniques de réanimation, le principe éthique est celui de la proportionnalité selon lequel « on appréciera les
moyens en mettant en rapport le genre de
thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités
de son emploi, avec le résultat qu’on peut en
attendre, compte tenu de l’état du malade et
de ses ressources physiques et morales » (•).
De ce principe découlent des conséquences
importantes pour une utilisation moralement
responsable des techniques de réanimation.
Les mettre en œuvre est une obligation morale lorsqu’un malade a des chances de retrouver la santé. Si en revanche tout espoir d’amélioration est exclu et qu’y recourir ne ferait
que prolonger la phase terminale de la vie, renoncer est une décision moralement acceptable. Elle respecte la condition mortelle de
l’homme et le terme fixé par Dieu. Elle suppose cependant l’assentiment du malade ou, si
cela n’est plus possible, l’accord des proches.
Mourir dans la dignité inclut également de ne
pas mettre un patient sous respiration artificielle si celle-ci n’a d’autre résultat que de
maintenir des fonctions biologiques.
À propos de la mort donnée intentionnellement à un malade incurable ou à un mourant,
des situations extrêmes n’appellent-elles pas
des critères spécifiques ? N’est-il pas compatible avec la foi chrétienne de faire une injection libératrice à un homme en proie à des
souffrances atroces et qui le demande ?
L’éthique chrétienne refuse un tel acte. La vie,
un don Dieu, est portée par Dieu et référée à
lui en chacun de ses instants, jusqu’à sa fin terrestre et au-delà. Mettre fin à la vie délibérément signifierait une volonté d’en disposer,
moralement inacceptable. Du reste les progrès
de la médecine moderne en matière de lutte
contre la douleur ont rendu très rares les cas
dans lesquels celle-ci ne peut être contrôlée.
Du point de vue chrétien, il n’existe pas de
droit de mettre fin à une vie, mais bien un
droit de mourir dignement. Cette préoccupation peut être rencontrée grâce à l’administra-
tion d’analgésiques qui rendent la douleur
physique supportable. Cela n’exclut pas, il est
vrai, qu’un malade proche de sa fin soit écrasé
par des souffrances morales que personne
n’arrive à atténuer et qu’il manifeste le souhait que tout cela prenne fin. Il s’agit alors
d’un appel et d’une demande d’aide. Cette
situation est à mettre en rapport avec l’observation suivante : dans une société où la vie
faible, malade, mourante ne s’accorde plus
avec l’univers du rendement et de la consommation, les malades et les mourants pourront
facilement avoir ce sentiment : je ne vaux plus
rien, je ne fais plus qu’imposer des charges,
des dépenses et du travail aux autres.
Il est temps de reprendre conscience du fait
qu’aucune vie humaine ne perd sa valeur et sa
dignité, si misérable et apparemment inutile
qu’elle puisse être. La souffrance et l’infirmité font partie de la condition humaine.
Nous mésestimerions cette vérité en niant la
souffrance liée à la vie, et si nous n’étions
plus disposés à l’endurer.
(•) Ce principe
a été élaboré
dans la
déclaration de
la Congrégation
pour la Doctrine
de la foi (voir
plus haut,
p. 12).
La « machine à suicide » tant controversée, employée
dans l’État du Michigan, aux États-Unis.
Juillet-Août 2001 • 33
Partout où des hommes
souffrent, la présence
chrétienne doit leur donner
l’espérance et la confiance en
l’amour inébranlable de Dieu.
(•) Sur ce point,
voir le document
suivant, surtout
p. 40-41.
La légalisation de l’euthanasie active aurait des conséquences imprévisibles. (•)
Elle ouvrirait la porte à tous les abus ; elle
susciterait l’insécurité chez les malades dans
les hôpitaux ; elle ébranlerait la confiance au
principe de la relation entre les malades et
les médecins. Le but de l’activité médicale
est la guérison, l’atténuation des souffrances
et la sollicitude pour les personnes, non
d’asseoir un pouvoir sur la vie et sur la mort.
C’est pourquoi, du point de vue éthique
comme du point de vue juridique, il n’est pas
permis au médecin de donner la mort à une
personne, même à sa demande. Même si la
loi ne sanctionne pas un médecin qui, à la demande du patient, lui procure un produit
mortel qu’il s’administrera lui-même, un tel
geste est une coopération active à un suicide : il est moralement défendu.
LE SERMENT D’HIPPOCRATE
On attribue à Hippocrate (environ - 460 à - 377)
plusieurs traités sur la médecine. Ce médecin grec
est particulièrement connu pour son Serment
qui constitue une base pour la réflexion sur
l’éthique médicale. Voici ce qu’il dit sur le rôle
du médecin et sur l’acte de donner la mort
à un malade :
« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hyhie
et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses,
et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes
forces et de mes connaissances, je respecterai le
serment et l’engagement écrit suivant :
(…) Dans toute la mesure de mes forces et de mes
connaissances, je conseillerai aux malades le régime
de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux
tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. Jamais
je ne remettrai du poison, même si on me demande,
et je ne conseillerai pas d’y recourir. »
Traduction de Littré (1844).
34 • Questions actuelles
Dans certains établissements hospitaliers,
on distribue des formulaires appelés « testament de vie ». Ils prévoient qu’après leur
admission, des malades – mais l’initiative
s’adresse aussi aux personnes bien portantes
–, expriment en signant ce formulaire leur volonté concernant le recours à des moyens
médicaux exceptionnels. Cette signature
signifie qu’en cas d’inconscience ils refusent
des gestes médicaux dont l’effet serait de prolonger l’agonie et les souffrances.
Beaucoup expriment des réserves à propos
de ces « testaments de vie ». La situation
dans laquelle la signature a été sollicitée et
apposée ne peut pas être comparée à celle qui
adviendra si le patient se trouve effectivement dans l’état décrit par le testament. Sa
volonté pourra alors être éventuellement différente. Ils rejettent la validité d’une manifestation de la volonté du patient sous la forme
d’un « testament de vie ».
En tout cas, celui qui envisage cette éventualité devrait auparavant vérifier la portée de
la formule « prolongation de la vie ou des souffrances ». Si elle devait désigner la prolongation du processus de mort par une utilisation
excessive des techniques de réanimation, le
signataire aurait incontestablement le droit de
refuser son accord. Si, en revanche, il s’agissait d’éviter de souffrir, il ne s’agirait pas en
l’occurrence de permettre une mort digne,
mais d’éviter une souffrance possible. Dans ce
cas, la signature susciterait des réserves du
point de vue moral, car la souffrance ne doit
pas être considérée a priori comme dépourvu
de sens. Elle peut permettre à un chrétien de
mûrir dans une solidarité plus profonde avec
les souffrances du Christ sauveur.
Les chrétiens témoignent de leur foi par
leur amour pour les malades et les infirmes.
Partout où des hommes souffrent, la présence chrétienne doit leur donner l’espérance
et la confiance en l’amour inébranlable de
Dieu. Dans le sacrement des malades,
l’Église prononce une parole efficace de salut
et de guérison dans le Christ. Dans un souci
actif pour les malades, elle se dévoue à l’assistance corporelle des malades et des mourants. L’histoire impressionnante de l’action
caritative en christianisme est un témoignage
visible de la foi chrétienne opérant par la sollicitude de l’amour.
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