FICHE DE LECTURE Le chrétien et « l’art de mourir » D ans leur Catéchisme pour adultes, les évêques allemands abordent la question de l’euthanasie. Ils la situent dans le cadre d’une réflexion sur le cinquième commandement et, plus précisément, sous la rubrique « le soin des personnes malades et mourantes ». Nous proposons ici l’essentiel de leurs remarques sur « l’art de mourir chrétien » ainsi que leurs repères pour mieux discerner une ligne de conduite moralement acceptable dans des situations particulièrement difficiles. N RÉSUMÉ otre mort est à appréhender à la lumière de notre foi en Dieu et en Christ, mort et ressuscité. Les progrès de la médecine apportant la guérison sont bons, mais quand on s’attache à repousser la fin de la vie par tous les moyens, cela remet en question le sens même de la mort. Il faut distinguer l’euthanasies passive de l’euthanasie active : dans le premier cas, on laisse advenir la mort naturelle, sans acharnement thérapeutique ; dans le deuxième cas, on met prématurément fin à la vie. Aider les personnes très âgées et les malades en phase terminale à mourir, c’est les aider à accepter leur finitude. Cette acceptation peut prendre plusieurs formes (voir texte). Légaliser l’euthanasie risquerait de changer le but de l’activité médicale qui est de préserver et non de supprimer la vie. Aux chrétiens de continuer de témoigner plutôt de leur espérance dans l’amour de Dieu, en se dévouant auprès des malades et des mourants. L PERSPECTIVES a réflexion des évêques résume les positions qu’ils ont pris dans une série de documents publiés depuis 1978 sur la question de la mort, dont : « Mort digne de l’homme et mort chrétienne » (DC 1979, n° 1764, p. 479) et « L’accompagnement des grands malades et des mourants » (traduit en partie par Questions actuelles, voir hors série n° 5 de la DC, mai 1996). Voir Catéchisme pour adultes : Vivre de la foi, (volume II) de la Conférence épiscopale allemande, Centurion/Cerf, 1997, p. 283-289. Titre de Questions actuelles. Maladie, fin de vie et mort dans la vie chrétienne (…) « Comprendre » la mort dans la foi fait que, pour le chrétien, regarder la mort en face devient un ars moriendi chrétien, un art de mourir qui consiste à s’attacher à Dieu dans la confiance et à se déprendre de soi-même. Dans la mort, notre foi est mise à l’épreuve une dernière fois : elle met à l’épreuve notre abandon à la certitude confiante que, dans sa fidélité, Dieu nous demeure présent et nous fait don d’un avenir et de la vie, même si les apparences sont contraires. Plus nous aurons appris à garder notre confiance croyante en Dieu dans les épreuves de notre vie, plus aussi nous pourrons dire un oui confiant à Dieu dans l’épreuve de notre mort. Pour demeurer ainsi attachés à Dieu nous avons à nous déprendre des liens et des sécurités de notre vie terrestre. Nous déprendre signifie nous détacher, accepter de perdre dans la douleur, et ne plus nous cramponner à ce à quoi nous étions attachés dans notre vie. Se déprendre, c’est aussi laisser derrière soi des souhaits, des espérances restés inaccomplis. La foi nous donne la liberté d’aller notre chemin dans la certitude de Dieu en nous déprenant de ce qui est terrestre, et de nous savoir profondément unis au Christ qui a pris avant nous le chemin de la souffrance et de la mort. Il nous est donné d’avoir part à ce chemin (voir 1 Co 1, 24) qui conduit à la résurrection. Cette attitude de foi nourrit l’espérance et donne un sens à la souffrance. Depuis toujours, la piété chrétienne a vu aussi dans cette attitude à l’égard de la souffrance et de la mort une vocation à ne jamais perdre de vue. Il s’agit de connaître le Christ, et la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de devenir semblable à lui dans sa mort. [Ph 3, 10.] Juillet-Août 2001 • 29 Les dangers éventuels liés à la mise en œuvre de la technique dans les hôpitaux et les cliniques sont de plus en plus manifestes. Le service des malades et des mourants (•) Voir plus haut, p. 16. La maladie et la mort ne sont pas seulement un appel à vivre dans la conscience de la mort et à nous préparer à mourir en chrétiens : elles nous confrontent également à des problèmes éthiques. Nous sommes responsables de la conservation de la vie, de la promotion de la santé, de la lutte contre les maladies et de leur guérison, ainsi que de l’accompagnement et de l’aide aux mourants. Tel est aussi le but de l’activité médicale et des soins dont le principe suprême est le bien du malade au sens le plus global du terme. Dans le christianisme, le service des malades et des mourants est considéré depuis toujours comme une « œuvre de miséricorde ». Ces dernières années, la médecine a fait de grands progrès dans de nombreux domaines. Ces succès de la médecine moderne nous fascinent. Rares sont ceux qui renonceraient à en bénéficier lorsqu’ils tombent malades. Lorsqu’elle produit la guérison et restaure les forces de la vie, elle ne peut qu’être approuvée du point de vue moral. Mais les dangers éventuels liés à la mise en œuvre de la technique dans les hôpitaux et les cliniques sont de plus en plus manifestes. La fascination exercée par ce qu’il est possible de faire a pour conséquence une modification inquiétante de l’attitude à l’égard du savoir et du pouvoir médicaux et aussi du sens de la vie et de la mort. Celui qui place une confiance illimitée dans la technique verra dans le geste médical une réparation ou un rétablissement de la capacité d’un organe à bien fonctionner ; il exigera d’être traité sans se préoccuper, si la guérison n’est pas assurée, du sens de prolonger sa vie. Pour lui, la mort est l’ennemi à combattre par tous les moyens, à repousser jusqu’à la fin inéluctable, même au prix d’une prolongation de la vie dans des conditions pénibles. Un autre risque de la mise en œuvre de toute la science médicale est de rendre le patient dépendant d’un appareillage sophistiqué et onéreux et de le désapproprier de sa mort. La technique médicale peut ici devenir inhumaine. (•) LA PERSONNE SOUFFRANTE APPARTIENT TOUJOURS À L’HUMANITÉ Dans un entretien publié par Questions actuelles en mai 1996, Mgr Albert Rouet explique le sens des soins apportés à des gens, privés de leur conscience : Chaque personne porte en elle un idéal qui lui donne le désir d’être au mieux de ses possibilités et de mourir en pleine conscience. Lorsque cet état n’est pas atteint, on pense que l’homme reste en dessous de son existence. Bien des regards portés sur ces situations humaines extrêmes proviennent de la déchirure de cet idéal. Seulement cet idéal de perfection existe-t-il en réalité ? Ce qui est parfait n’est pas humain. L’homme joue perpétuellement entre la réalité et une tension vers quelque chose d’autre. Il faut considérer ceux qui sont dans une situation inconsciente ou grabataire comme dans un état qui appartient à l’humanité, dans ce qu’elle a de précaire et d’imparfait, comme pour toute personne. Comment réagir ? Il reste toujours le fait que l’être en question, quel que soit son état, appartient à l’humanité. La relation aux autres n’est pas simplement affaire de liberté, de conscience, de décision. Elle est d’abord un état qui 30 • Questions actuelles s’impose à la liberté, à la conscience et à la décision. Cet être provient de l’humanité, appartient à l’humanité par son corps. Il serait étonnant de pouvoir garder des photos, des souvenirs et d’oublier, par un idéalisme déplacé, le corps. Or, par ce corps, la personne reste frère de tous ceux qui ont le même corps, la même humanité. Le respect et les soins apportés à des gens dans une situation inconsciente profonde continuent à montrer qu’ils sont les frères de ceux qui s’occupent d’eux au nom de leur appartenance à la même humanité. Malgré les dangers possibles de la mise en œuvre des techniques de la médecine moderne, il serait injuste de condamner a priori le fait d’y recourir. Les méthodes modernes de diagnostic et de traitement des maladies ont prouvé leur valeur pour obtenir la guérison et permettre de continuer à vivre dans de bonnes conditions. À propos des possibilités de la médecine moderne, la véritable question éthique est celle-ci : le médecin a-t-il le droit de faire ce que la médecine le rend capable de faire ? La vie doit-elle être maintenue et prolongée à tout prix ? Qu’est-ce qui, en fin de vie, est moralement permis et moralement interdit ? Toutes les tentatives de donner une réponse moralement justifiable à ces questions et à d’autres doivent partir du fait qu’on n’a pas le droit de disposer de la vie humaine, à quelque stade que ce soit, et que l’homme a le droit de mourir dans la dignité. Avec les malades et les mourants en phase terminale, l’obligation est de les aider à mourir et, tout autant, l’obligation de ne pas tuer. Le sens du terme « euthanasie » Dans le débat public, dans le langage scientifique et dans celui du droit, mais également dans des documents de l’Église, le terme « euthanasie » revient fréquemment lorsqu’il est question de l’aide et de l’assistance aux mourants. Le mot « euthanasie » (eu-thanasia) signifie littéralement « mort douce ». Dans l’Antiquité, ce terme signifiait d’abord, tout simplement, « aide en vue d’une bonne mort ». Plus tard, on entendit par là un raccourcissement intentionnel du processus conduisant à la mort. Le mourant n’est pas aidé dans son passage vers la mort ; celui-ci est abrégé par un geste procurant la mort. Dans le système nationalsocialiste, on entendait par euthanasie la « destruction de vie indigne de vivre », et dans un « programme d’euthanasie » on ordonna la mise à mort de dizaines de milliers de malades mentaux. Il ne s’agissait pas de faire mourir des mourants, mais de faire disparaître des hommes malades mais vivants. Aujourd’hui les expressions « euthanasie passive » et « active » sont d’usage courant. (•) On entend par euthanasie passive le renoncement à mettre en œuvre les moyens capables de prolonger la vie pendant un certain temps, mais qui ne ferait que prolonger des souffrances intolérables. Il s’agit de laisser mourir, non d’un geste provoquant la mort. Dans ce sens, l’euthanasie dite passive est considérée de manière générale comme moralement permise. Renoncer à mettre en œuvre certains moyens devient cependant une euthanasie active dans le cas d’une omission coupable portée par l’intention de mettre prématurément fin à la vie. L’euthanasie active en revanche est une intervention directe dans le processus conduisant à la mort qui prend la forme d’un geste homicide à l’égard du patient, même si cela est conforme à son souhait (« homicide à la demande »). La déclaration sur l’euthanasie (1980) de la Congrégation de la Doctrine de la foi entend par euthanasie « une action ou une omission qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi la douleur ». L’euthanasie existe donc au niveau de l’intention comme des méthodes mises en œuvre. (••) Pour éviter les malentendus et les erreurs d’interprétation, le terme « euthanasie » devrait être utilisé seulement dans le sens d’une euthanasie active, c’est-à-dire d’un geste provoquant le décès d’un mourant (ou d’un malade incurable), ou d’un renoncement coupable à des soins de maintien de la vie. Dans tous les autres cas, il faudrait toujours parler d’aide à mourir, d’assistance ou d’accompagnement des mourants. (•) Les évêques du Canada sont d’avis qu’il ne faut plus employer les adjectifs « active » et « passive » pour parler de l’euthanasie à cause de la confusion qu’ils risquent de créer sur ce sujet (voir plus loin, p. 35). (••) Voir plus haut, p. 10. LA PRÉSENCE DE DIEU AUX COTÉS DU MALADE Dans leur déclaration « Mort digne de l’homme et mort chrétienne » (voir « Perspectives » p. 29), les évêques allemands rappellent l’importance de la promesse que Dieu nous accompagne toujours : Cette promesse, le malade doit en outre pouvoir la toucher, l’expérimenter dans la manière même dont nous l’assistons. La présence du Seigneur peut devenir évidente lorsque nous sommes simplement aux côtés du malade (…). En nous efforçant d’être présent au malade et d’être sensible à son sort, nous trouverons du même coup les réponses qui nous permettront de le comprendre vraiment. Même lorsque le mourant ne semble plus avoir sa connaissance, nous pouvons encore faire de petits gestes (…). Grâce à une telle assistance, le mourant peut pressentir, ou même expérimenter, la mystérieuse présence de Dieu à ses côtés, et se confier dans la foi au mystère de la mort. Juillet-Août 2001 • 31 (•) Voir encadré p. 11. La vraie aide aux mourants L’aide à mourir, comprise comme assistance ou accompagnement du mourant, vise à lui rendre la mort plus facile, à l’aider à vivre sa propre mort. On pourrait donc parler d’aide à vivre pour les mourants. Une telle aide peut prendre des formes diverses. Beaucoup de personnes meurent très âgées, sans traitements agressifs et sans soins intensifs. La mort survient au terme d’un processus de diminution de leurs forces et de défaillance progressive de leurs fonctions vitales. L’assistance aux mourants, c’est ici utiliser les moyens qui diminuent leurs souffrances. Dans de telles situations, il n’y aurait aucun sens, en mettant en œuvre tous les moyens disponibles, à vouloir prolonger la vie au-delà de la survenue prévisible de la mort naturelle. Le respect de la fin inéluctable demande de s’effacer et d’accepter la mort. Outre l’assistance LES OBJECTIFS DES SOINS PALLIATIFS À l’occasion de la « Semaine pour la Vie 1996 », le Conseil des Églises Évangéliques et la Conférence épiscopale d’Allemagne ont publié une déclaration commune intitulée : « La fin de la vie, c’est encore la vie ». Voici un résumé de leurs propos sur l’importance du mouvement des soins palliatifs et ses objectifs : Ce Mouvement des soins palliatifs, né en Allemagne sous l’impulsion de la Grande-Bretagne et des États-Unis, a démarré lentement et a connu bien des difficultés et des échecs. Mais il ne s’est jamais laissé détourner de ses objectifs, à savoir : – reconnaître la fin de la vie comme faisant partie de la vie ; – découvrir le sens de la fin de la vie ; – faire prendre conscience que les mourants et leurs proches sont à accompagner ensemble ; – apporter le support d’une équipe interdisciplinaire ; – associer des auxiliaires bénévoles, hommes et femmes ; – assurer le suivi de tous les acteurs ; – s’assurer de la coopération de toutes les personnes impliquées dans chaque situation que l’on prend en charge ; – intégrer le concept de soins palliatifs dans les services et les institutions existant ; – avoir des connaissances spécialisées en matière de contrôle des symptômes ; – assurer la continuité de la prise en charge ; – accompagner les endeuillés. Cf. DC 1996, n° 2138, p. 493-497. 32 • Questions actuelles médicale, normale, l’aide apportée au mourant consistera en soins, en une sollicitude et un accompagnement personnels qui soulageront le mourant dans la phase ultime de sa vie, et permettront de mourir d’une mort chrétienne. On cherche aujourd’hui à assurer cette aide et cet accompagnement grâce à des personnes et des services formés à cette fin. Cela vaut également pour les situations où le processus conduisant à la mort a abouti à la cessation progressive des fonctions biologiques, et à laquelle viennent s’ajouter soudain des complications (pneumonie par exemple) qui accélèrent le processus. Ici, en règle générale, le médecin n’est pas tenu de combattre les complications, ce qui ne ferait que surseoir à une échéance proche et inéluctable. La question se pose de savoir ce qu’il est permis de faire pour un malade en phase terminale en proie à de grandes souffrances, qu’il est possible de combattre, mais par des moyens qui, outre la neutralisation de la douleur, peuvent avoir pour effet possible d’accélérer la mort en cas de traitement prolongé. Étant donné le développement actuel des médicaments anti-douleur, cette possibilité ne devrait pas être fréquente, mais elle ne peut être exclue. Un médecin qui aurait connaissance des effets secondaires de ce type pourrait-il néanmoins administrer de tels remèdes? Lorsqu’un groupe de médecins posa cette question à Pie XII (•), il répondit : « Lorsque d’autres moyens font défaut, et que compte tenu des circonstances on n’empêche pas par là l’accomplissement du devoir religieux et moral qui demeure, cela est permis. » Il ne s’agit pas ici de donner la mort de façon intentionnelle ; écourter la vie est un effet secondaire de l’apaisement des souffrances. Parfois une personne qui souffre d’une maladie incurable, et qui, selon le diagnostic du médecin et le pronostic médical, n’a plus une grande espérance de vie, pourra s’interroger sur l’opportunité de se soumettre à une opération qui, sans doute, pourrait différer la mort, mais entraînerait également de graves séquelles corporelles et psychiques. Si le malade se prononce de façon consciente et libre contre cette intervention, sa décision doit être respectée car, au lieu d’une prolongation des souffrances qui n’a pas de sens, le malade opte pour une mort consciente et digne. Le principe éthique de la proportionnalité Des problèmes particuliers sont posés aujourd’hui par les possibilités médicales et techniques de la réanimation. Pour parvenir à un jugement moralement juste concernant la mise en œuvre des techniques de réanimation, le principe éthique est celui de la proportionnalité selon lequel « on appréciera les moyens en mettant en rapport le genre de thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités de son emploi, avec le résultat qu’on peut en attendre, compte tenu de l’état du malade et de ses ressources physiques et morales » (•). De ce principe découlent des conséquences importantes pour une utilisation moralement responsable des techniques de réanimation. Les mettre en œuvre est une obligation morale lorsqu’un malade a des chances de retrouver la santé. Si en revanche tout espoir d’amélioration est exclu et qu’y recourir ne ferait que prolonger la phase terminale de la vie, renoncer est une décision moralement acceptable. Elle respecte la condition mortelle de l’homme et le terme fixé par Dieu. Elle suppose cependant l’assentiment du malade ou, si cela n’est plus possible, l’accord des proches. Mourir dans la dignité inclut également de ne pas mettre un patient sous respiration artificielle si celle-ci n’a d’autre résultat que de maintenir des fonctions biologiques. À propos de la mort donnée intentionnellement à un malade incurable ou à un mourant, des situations extrêmes n’appellent-elles pas des critères spécifiques ? N’est-il pas compatible avec la foi chrétienne de faire une injection libératrice à un homme en proie à des souffrances atroces et qui le demande ? L’éthique chrétienne refuse un tel acte. La vie, un don Dieu, est portée par Dieu et référée à lui en chacun de ses instants, jusqu’à sa fin terrestre et au-delà. Mettre fin à la vie délibérément signifierait une volonté d’en disposer, moralement inacceptable. Du reste les progrès de la médecine moderne en matière de lutte contre la douleur ont rendu très rares les cas dans lesquels celle-ci ne peut être contrôlée. Du point de vue chrétien, il n’existe pas de droit de mettre fin à une vie, mais bien un droit de mourir dignement. Cette préoccupation peut être rencontrée grâce à l’administra- tion d’analgésiques qui rendent la douleur physique supportable. Cela n’exclut pas, il est vrai, qu’un malade proche de sa fin soit écrasé par des souffrances morales que personne n’arrive à atténuer et qu’il manifeste le souhait que tout cela prenne fin. Il s’agit alors d’un appel et d’une demande d’aide. Cette situation est à mettre en rapport avec l’observation suivante : dans une société où la vie faible, malade, mourante ne s’accorde plus avec l’univers du rendement et de la consommation, les malades et les mourants pourront facilement avoir ce sentiment : je ne vaux plus rien, je ne fais plus qu’imposer des charges, des dépenses et du travail aux autres. Il est temps de reprendre conscience du fait qu’aucune vie humaine ne perd sa valeur et sa dignité, si misérable et apparemment inutile qu’elle puisse être. La souffrance et l’infirmité font partie de la condition humaine. Nous mésestimerions cette vérité en niant la souffrance liée à la vie, et si nous n’étions plus disposés à l’endurer. (•) Ce principe a été élaboré dans la déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (voir plus haut, p. 12). La « machine à suicide » tant controversée, employée dans l’État du Michigan, aux États-Unis. Juillet-Août 2001 • 33 Partout où des hommes souffrent, la présence chrétienne doit leur donner l’espérance et la confiance en l’amour inébranlable de Dieu. (•) Sur ce point, voir le document suivant, surtout p. 40-41. La légalisation de l’euthanasie active aurait des conséquences imprévisibles. (•) Elle ouvrirait la porte à tous les abus ; elle susciterait l’insécurité chez les malades dans les hôpitaux ; elle ébranlerait la confiance au principe de la relation entre les malades et les médecins. Le but de l’activité médicale est la guérison, l’atténuation des souffrances et la sollicitude pour les personnes, non d’asseoir un pouvoir sur la vie et sur la mort. C’est pourquoi, du point de vue éthique comme du point de vue juridique, il n’est pas permis au médecin de donner la mort à une personne, même à sa demande. Même si la loi ne sanctionne pas un médecin qui, à la demande du patient, lui procure un produit mortel qu’il s’administrera lui-même, un tel geste est une coopération active à un suicide : il est moralement défendu. LE SERMENT D’HIPPOCRATE On attribue à Hippocrate (environ - 460 à - 377) plusieurs traités sur la médecine. Ce médecin grec est particulièrement connu pour son Serment qui constitue une base pour la réflexion sur l’éthique médicale. Voici ce qu’il dit sur le rôle du médecin et sur l’acte de donner la mort à un malade : « Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hyhie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et de mes connaissances, je respecterai le serment et l’engagement écrit suivant : (…) Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me demande, et je ne conseillerai pas d’y recourir. » Traduction de Littré (1844). 34 • Questions actuelles Dans certains établissements hospitaliers, on distribue des formulaires appelés « testament de vie ». Ils prévoient qu’après leur admission, des malades – mais l’initiative s’adresse aussi aux personnes bien portantes –, expriment en signant ce formulaire leur volonté concernant le recours à des moyens médicaux exceptionnels. Cette signature signifie qu’en cas d’inconscience ils refusent des gestes médicaux dont l’effet serait de prolonger l’agonie et les souffrances. Beaucoup expriment des réserves à propos de ces « testaments de vie ». La situation dans laquelle la signature a été sollicitée et apposée ne peut pas être comparée à celle qui adviendra si le patient se trouve effectivement dans l’état décrit par le testament. Sa volonté pourra alors être éventuellement différente. Ils rejettent la validité d’une manifestation de la volonté du patient sous la forme d’un « testament de vie ». En tout cas, celui qui envisage cette éventualité devrait auparavant vérifier la portée de la formule « prolongation de la vie ou des souffrances ». Si elle devait désigner la prolongation du processus de mort par une utilisation excessive des techniques de réanimation, le signataire aurait incontestablement le droit de refuser son accord. Si, en revanche, il s’agissait d’éviter de souffrir, il ne s’agirait pas en l’occurrence de permettre une mort digne, mais d’éviter une souffrance possible. Dans ce cas, la signature susciterait des réserves du point de vue moral, car la souffrance ne doit pas être considérée a priori comme dépourvu de sens. Elle peut permettre à un chrétien de mûrir dans une solidarité plus profonde avec les souffrances du Christ sauveur. Les chrétiens témoignent de leur foi par leur amour pour les malades et les infirmes. Partout où des hommes souffrent, la présence chrétienne doit leur donner l’espérance et la confiance en l’amour inébranlable de Dieu. Dans le sacrement des malades, l’Église prononce une parole efficace de salut et de guérison dans le Christ. Dans un souci actif pour les malades, elle se dévoue à l’assistance corporelle des malades et des mourants. L’histoire impressionnante de l’action caritative en christianisme est un témoignage visible de la foi chrétienne opérant par la sollicitude de l’amour. ■