intro philosophie générale 11.11.08

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Université de lausanne
Faculté des Lettres - Section de philosophie
Cours de philosophie générale 2008-2009
Professeur : R. Célis
Assistante : S. Burri
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Introduction à la philosophie générale et systématique
La question de la révolte : Nietzsche, Marx, Camus
Introduction
Lors de la dernière séance, nous avions examiné le texte intitulé Sainte Cruauté, qui se situe au
paragraphe 73 de l’ouvrage de Friedrich Nietzsche, Le gai savoir. Cette parabole pose la question de
l’enfantement et de la prise en charge de la vie de quelqu’un d’autre. Nous avions vu que selon Nietzsche,
lorsque l’homme décide et accomplit un tel acte, celui de donner la vie à autrui et de la prendre en charge,
il signifie implicitement à son entourage que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Pour offrir un
monde à un enfant, il s’agit d’abord d’avoir soit même un monde. La question est donc de savoir si nous
avons un monde ou non (si nous sommes dans l’immonde). Pour Nietzsche, l’essentiel est alors de tendre
l’arc de son désir, d’avoir assez de souffle, de ferveur, pour se mettre en quête d’un monde, ce qui signifie
aussi une vie passionnante. Nous avons vu que la désirabilité de la vie n’est pas quelque chose d’évident et
que c’est pourtant ce désir qui pourrait rendre bien à cette dernière son intensité. Mais pourquoi cette
désirabilité n’est-elle pas évidente ? Si la désirabilité de la vie ne va pas de soi c’est, selon Nietzsche, parce
que la vie nous est présentée, dans notre monde moderne, essentiellement sous le signe du devoir.
Le devoir et la morale
Pour Nietzsche, nous venons de l’indiquer, l’existence humaine dans la modernité se présente à
nous essentiellement sous le signe du devoir. Mais pourquoi fait-on les choses par devoir (et non par
désir) ? L’entier de la pensée de Nietzsche s’articule autour de cette question. Ainsi, l’un de ses ouvrages
fondamentaux, la Généalogie de la morale questionne les caractéristiques de la morale et du devoir. Cette
généalogie est celle de la morale du judéo-christianisme. Selon Nietzsche, les lois d’une telle morale ne
sont plus à l’époque contemporaine, édictées par une instance externe mais elles ont bien plutôt été
intériorisées. Autrement dit, les lois ont été intégrées dans un espace de vie normalisé. Selon Nietzsche, le
problème de la morale, nous l’avons vu, consiste en la perversion de la spiritualité au sens où la morale, à
notre époque est devenue une (la) religion des petits devoirs, religion qui ne laisse plus aucun espace pour
les grands objectifs, pour les grandes destinées de la vie humaine.
Les trois métamorphoses de l’esprit : le chameau
Pour illustrer la transformation de l’homme qui peu à peu s’écarterait de cette religion du devoir
pour aller vers la désirabilité profonde de l’existence, Nietzsche recourt dans Ainsi parlait Zarathoustra, aux
trois métamorphoses de l’esprit : celles du chameau, du lion et de l’enfant joueur. La première figure de
l’homme supérieur qui apparaît dans les discours de Zarathoustra est présentée sous la forme de la
métaphore animale du chameau. Le chameau représente celui qui est au service d’autrui, celui dont
l’existence consiste à rendre service avec fierté. Le chameau est cet animal endurant au possible qui
traverse le désert (désert qui n’est pas ici à entendre au sens de désolation, tel qu’il s’entend dans
l’expression « le désert croît » ou celle du « monde moderne comme désert »). Le désert que traverse le
chameau est le désert naturel, « primitif » où l’on est encore libre. Dans un tel désert, il n’y a aucune règle,
aucune loi, sauf celles que l’on s’impose par nécessité. Ici, c’est donc la figure de l’ascète qui est mise en
avant. Loin de mépriser cette vie d’errance, de privation et d’ascète, Nietzsche, la valorise en mettant en
avant le fait que le chameau sert uniquement ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes. La question du chameau
est donc la suivante : qui dois-je servir ? Et la réponse à cette question – servir celui qui est sont propre
maître – est la seule justification à l’ascèse. Si l’on sert un Dieu ou un maître véritable, noble et grand, si
l’on sert un Dieu qui agit véritablement dans l’âme et le cœur, alors l’errance, la privation et l’austérité sont
pleinement justifiées.
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Assistante : S. Burri
Le chameau est celui qui n’accepte pas mais qui veut. Il est celui qui veut une charge et qui
s’agenouille effectivement devant celui qu’il sert. Mais en pliant les genoux ainsi devant son maître qu’il
considère comme sublime, il sert le plus haut et se sent alors libre. Celui qui sert le plus haut est libéré,
dans un premier temps de tous les autres impératifs. Il est libéré ainsi aussi de la peur. Maintenant, la
question est de savoir, comme nous l’avons vu dans l’introduction, si nous avons un monde ou non, si
nous pouvons habiter ce monde. Habiter un monde est ce qui différencie l’homme de la bête, toujours
aux abois. L’homme est celui qui doit posséder un monde et lorsque l’on crée un espace de civilisation,
une culture, c’est essentiellement pour être à l’abri de ce type de nécessité. Autrement dit, un espace de
civilisation et de culture est un espace pacifié où l’homme peut être à l’abri, où il peut se reposer.
Nietzsche a compris qu’à son époque déjà, ce monde est devenu problématique, qu’un tel monde n’est
plus du tout évident que ce n’est plus même possible de compter sur qui que ce soit. Le chameau, dans un
tel monde (celui de la modernité de Nietzsche comme la nôtre), n’a plus de véritable maître. Dans un tel
monde, le chameau croit alors qu’il ne s’agit plus que d’exécuter de toutes petites tâches – et c’est ça
l’asservissement.
Selon Nietzsche, dans notre monde des vertus telles que le courage ou la générosité ne s’enseignent
plus. Les hommes d’église se sont emparés de la source du devoir pour en faire non pas l’objet d’une
véritable éducation de l’homme. L’homme est alors condamné à opiner, à ne jamais affronter l’adversité.
Et les hommes justifient une telle morale en « clignant de l’œil », comme si l’on s’entendait. Notre société
est arrivée au bout de la piste et la démocratie libérale ainsi que les sciences positives sont pensées comme
indépassables. Dans une telle société, il n’y a, selon Nietzsche, plus de place pour l’histoire. Il n’y a plus
d’histoire si ce n’est l’incessante répétition des éternels mêmes scénarios. Que devenir dans une telle
société ? La réponse à la question est esquissée dans la deuxième métamorphose de l’esprit : celle du lion.
Les trois métamorphoses de l’esprit : le lion
Le lion est celui qui ne sert plus personne, il est celui qui dit non. Il rejette ce que le chameau avait
sur le dos. Mais à quoi se refuse le lion ? A quoi dit-il non ? Le lion est celui qui dit non à toutes formes
d’imposition dont il ne voit pas, dont il ne saisit pas la nécessité. Le lion ne cherche pas à faire le bonheur
des autres et à tirer son propre bonheur de ce service qu’il rend. Autrement dit, le lion ne tire pas son
bonheur de celui des autres. Le lion n’est pas idéaliste, il est réaliste ; il dit non dans une attitude réaliste.
Et celui qui se prétend maître du lion est décrit comme « le dernier homme ». Le dernier homme et celui
qui désire par-dessus tout l’ordre, un ordre qui le protège du danger. C’est du moins ce qu’entend
Nietzsche lorsqu’il affirme que le dernier homme ne sait plus ce qu’est un ordre véritable, un ordre
mouvant où peut régner le chaos. Le dernier homme exécute sans rechigner des ordres inauthentiques et
se demande « « Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que création ? Qu’est-ce que nostalgie ? Qu’est-ce
qu’une étoile ? « - ainsi demande le dernier homme, et il cligne de l’œil »1. Le dernier est homme est celui
qui ne désire les étoiles et vouloir les étoiles, c’est vouloir le lointain. Faire les choses de manière
désintéressées et non pas par devoir ; c’est ça viser une étoile, être nostalgique ou encore faire de la vie
elle-même une œuvre d’art.
Compte-rendu de la séance du 11 novembre 2008
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F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (Prologue de Zarathoustra).
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