Université de lausanne
Faculté des Lettres - Section de philosophie
Cours de philosophie générale 2008-2009
Professeur : R. Célis
Assistante : S. Burri
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Introduction à la philosophie générale et systématique
La question de la révolte : Nietzsche, Marx, Camus
Introduction
Lors de la dernière séance, nous avions examiné le texte intitulé Sainte Cruauté, qui se situe au
paragraphe 73 de l’ouvrage de Friedrich Nietzsche, Le gai savoir. Cette parabole pose la question de
l’enfantement et de la prise en charge de la vie de quelqu’un d’autre. Nous avions vu que selon Nietzsche,
lorsque l’homme décide et accomplit un tel acte, celui de donner la vie à autrui et de la prendre en charge,
il signifie implicitement à son entourage que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Pour offrir un
monde à un enfant, il s’agit d’abord d’avoir soit même un monde. La question est donc de savoir si nous
avons un monde ou non (si nous sommes dans l’immonde). Pour Nietzsche, l’essentiel est alors de tendre
l’arc de son désir, d’avoir assez de souffle, de ferveur, pour se mettre en quête d’un monde, ce qui signifie
aussi une vie passionnante. Nous avons vu que la désirabilité de la vie n’est pas quelque chose d’évident et
que c’est pourtant ce désir qui pourrait rendre bien à cette dernière son intensité. Mais pourquoi cette
désirabilité n’est-elle pas évidente ? Si la désirabilité de la vie ne va pas de soi c’est, selon Nietzsche, parce
que la vie nous est présentée, dans notre monde moderne, essentiellement sous le signe du devoir.
Le devoir et la morale
Pour Nietzsche, nous venons de l’indiquer, l’existence humaine dans la modernité se présente à
nous essentiellement sous le signe du devoir. Mais pourquoi fait-on les choses par devoir (et non par
désir) ? L’entier de la pensée de Nietzsche s’articule autour de cette question. Ainsi, l’un de ses ouvrages
fondamentaux, la Généalogie de la morale questionne les caractéristiques de la morale et du devoir. Cette
généalogie est celle de la morale du judéo-christianisme. Selon Nietzsche, les lois d’une telle morale ne
sont plus à l’époque contemporaine, édictées par une instance externe mais elles ont bien plutôt été
intériorisées. Autrement dit, les lois ont été intégrées dans un espace de vie normalisé. Selon Nietzsche, le
problème de la morale, nous l’avons vu, consiste en la perversion de la spiritualité au sens où la morale, à
notre époque est devenue une (la) religion des petits devoirs, religion qui ne laisse plus aucun espace pour
les grands objectifs, pour les grandes destinées de la vie humaine.
Les trois métamorphoses de l’esprit : le chameau
Pour illustrer la transformation de l’homme qui peu à peu s’écarterait de cette religion du devoir
pour aller vers la désirabilité profonde de l’existence, Nietzsche recourt dans Ainsi parlait Zarathoustra, aux
trois métamorphoses de l’esprit : celles du chameau, du lion et de l’enfant joueur. La première figure de
l’homme supérieur qui apparaît dans les discours de Zarathoustra est présentée sous la forme de la
métaphore animale du chameau. Le chameau représente celui qui est au service d’autrui, celui dont
l’existence consiste à rendre service avec fierté. Le chameau est cet animal endurant au possible qui
traverse le désert (désert qui n’est pas ici à entendre au sens de désolation, tel qu’il s’entend dans
l’expression « le désert croît » ou celle du « monde moderne comme désert »). Le désert que traverse le
chameau est le désert naturel, « primitif » où l’on est encore libre. Dans un tel désert, il n’y a aucune règle,
aucune loi, sauf celles que l’on s’impose par nécessité. Ici, c’est donc la figure de l’ascète qui est mise en
avant. Loin de mépriser cette vie d’errance, de privation et d’ascète, Nietzsche, la valorise en mettant en
avant le fait que le chameau sert uniquement ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes. La question du chameau
est donc la suivante : qui dois-je servir ? Et la réponse à cette question – servir celui qui est sont propre
maître – est la seule justification à l’ascèse. Si l’on sert un Dieu ou un maître véritable, noble et grand, si
l’on sert un Dieu qui agit véritablement dans l’âme et le cœur, alors l’errance, la privation et l’austérité sont
pleinement justifiées.