Chapitre 1: Facteurs d'échelle Des considérations générales sur la taille des objets ou des êtres vivants et leur influence sur différents paramètres, permettent d'établir simplement quelques lois ou tendances, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans les détails de fonctionnement souvent très complexes. 1.1 Analyse dimensionnelle L'analyse dimensionnelle d'une formule ou d'un résultat permet de tirer d'emblée quelques conclusions. Pour cela, il faut réaliser que les unités de toutes les grandeurs physiques peuvent s'exprimer avec les unités de base masse (kg), longueur (m), temps (s), courant électrique (A). Ainsi: Grandeur physique Définition Unités (ou dimension) masse volumique ρ=m/V kg/m3 accélération a=Δv/Δt m/s2 force F=ma kg.m/s2 travail ou énergie A=f.d kg.m2/s2 puissance P=E/t kg.m2/s3 chaleur massique c=Etherm/m.Δθ m2/(°.s2) courant électrique I=Q/t A tension électrique U=Eél/Q kg.m2/A.s2 pression p=F/S kg/s2.m champ électrique E=F/q kg.m/A.s3 champ magnétique F=qvB B=F/q.v kg /A.s4 etc... Exemple 1: Accélération dans un mouvement circulaire On sait par expérience que l'accélération dans un virage dépend de la vitesse à laquelle on le v2 prend et de son rayon de courbure. La seule possibilité est : a ∝ r Exemple 2: les temps, distance, masse etc de Planck procèdent du même type de réflexion. Voir cours Astrophysique. € Exemple 3: Période d'un pendule. La période d'un pendule dépend clairement de la longueur du fil et de l'accélération de la pesanteur... Comment 'fabriquer' un temps en combinant ces deux grandeurs? 1.2 Monstres, lilliputiens et puces savantes Des êtres humains miniatures ou des insectes géants qui soient des homothéties exactes des créatures que nous connaissons, ne peuvent exister. Pour des questions de résistance des matériaux, des araignées géantes ne pourraient avoir des pattes proportionnellement aussi grêles que les araignées réelles. En effet, admettons qu'une sphère de rayon R soit supportée par un cylindre de rayon r. L'effort (tension) auquel est soumis le cylindre porteur, est donné Poids sphère par σ = . Cet effort produit un allongement (ou une compression) relative Section cylindre qui ne dépend que des propriétés élastiques du matériau. Si le matériau du géant ou du € -1- Facteur d'échelle mg R3 ∝ = constante , d'où l'on tire r ∝ R 3 / 2 . Par 2 2 π⋅r r exemple, si l'on double le rayon de la sphère, il faut plus que doubler le rayon du cylindre lilliputien est le même, on a que σ = ( R'= 2R ⇒ r'= 2 3 r = 2,83r ). Ce qui signifie que les gros animaux ont des membres trapus il suffit de comparer la€silhouette d'un éléphant et celle d'un chat! € € Quant aux puces réputées pour leurs sauts pouvant atteindre 200 fois leur dimension linéaire, voici ce qui se passerait si elles étaient mille fois plus grandes (passant du mm au m). Masse: 109 fois la masse initiale; puissance musculaire - qui est proportionnelle à la section des muscles: 106 fois la puissance initiale. Le saut d'une telle puce atteindrait 0,2 fois seulement (égal un cinquième) sa dimension linéaire, soit quelque 20 cm... 1.3 Refroidissement, respiration et division cellulaire Une sphère à 37° (comme un humain!) se refroidit plus ou moins vite selon sa taille. L'énergie thermique emmagasinée est proportionnelle au volume, les pertes d'énergies sont proportionnelles à la surface de l'objet. Si ces dernières s'effectuaient à un taux constant (ce qui n'est pas vraiment exact!), le temps nécessaire au refroidissement de la sphère donnerait Energie emmagasinée R3 en première approximation: temps = , soit t ∝ 2 = R . Une petite Puissance perdue R sphère se refroidit plus rapidement qu'une grande, ce qui implique que les petits mammifères doivent manger constamment pour compenser leur déperdition de chaleur et qu'il y a donc une taille minimum pour un mammifère (un mammifère trop petit ne pourrait pas assurer une € € de nourriture). ingurgitation suffisante Un raisonnement analogue permet de conclure que les insectes sont en général suffisamment petits pour permettre l'apport d'oxygène par diffusion à travers la surface du corps. Dans le cas de l'homme, seul 2% de l'apport d'oxygène est réalisé par ce biais: l'être humain est contraint de respirer pour couvrir ses besoins! Pour les mêmes raisons (rapport du volume à la surface qui le délimite) les cellules ne peuvent croître indéfiniment. En effet, les échanges avec l'extérieur se font à travers la membrane. Or, comme la quantité de substances nutritives dont a besoin la cellule est proportionnelle au volume de la cellule, alors que le taux d'échange est proportionnel à la surface de la cellule, la cellule s'asphyxie et meurt au delà d'une certaine taille (les échanges avec l'extérieur ne s'effectuant plus assez rapidement). 1.4 Métabolisme, fréquence cardiaque et longévité Lorsque l'on représente le métabolisme de base, P (W) en fonction de la masse M (kg) pour un grand nombre d'espèces, les mesures se regroupent en trois familles, selon qu'il s'agit d'organismes unicellulaires à 20°C (1), d'animaux à sang froids à 20°C (2) ou d'organismes plus évolués à sang chaud, à une température interne d'environ 39°C (3). Ceci met en évidence le fait que la dépense énergétique de base par unité de temps, dépend de la masse de l'organisme. Les courbes ci-contre montrent (D'après Bouyssy, Davier, Gatty) !Echelles logarithmiques! -2- Facteur d'échelle que la relation puissance-masse suit la loi suivante (loi de Kleiber): P = k ⋅ M 0,75 avec k = 0,018 ou k=0,14 ou k=4,1 respectivement pour les 3 cas cités plus haut. € Si l'on ne tenait compte que de la déperdition de chaleur qui est proportionnelle à la surface du corps (de dimension linéaire R), on s'attendrait à ce que la puissance métabolique soit donnée par P ∝ R 2 ∝ M 2 / 3 = M 0,67 . Un raisonnement plus complet et tenant compte du travail effectué conduit à la loi de Kleiber donnée plus haut. Exemple: la souris (25 g) mange une masse équivalent au 1/3 de sa masse par jour; l'éléphant € (3 t) mange le 1/100 de sa masse. Si la première ne mangeait pas, elle épuiserait toutes ses réserves en 7 jours, alors que l'éléphant pourrait tenir plusieurs mois. Beaucoup de fonctions métaboliques suivent la loi en M 0,75 . Il en résulte d'importantes conséquences pour la durée de vie des animaux, pour leur vitesse de déplacement sur terre, dans l'eau et les airs, pour le processus d'hibernation, etc. € € € On déduit de la relation de Kleiber que la fréquence cardiaque N varie avec la masse comme 1 N ∝ 0,25 . En effet, le temps entre deux battements est donné par M Energie M t= ∝ 0,75 = M 0,25 . Elle vaut 600 battements/minute pour la souris contre 30 Puissance M battements/minute pour l'éléphant. Ceci influe sur la longévité d'un animal, tout se passant comme si chacun avait un certain potentiel de battements (de l'ordre de 109 battements par vie). Les mesures ci-contre montrent la durée de vie moyenne de quelques mammifères en fonction de leur masse. La droite est donnée par: L(longévité en années) = 10 ⋅ M 1/ 4 € Voir aussi tableau ci-dessous: Espèce Souris Cobaye Renard Chèvre Homme Gorille Eléphant Masse (kg) 0,025 0,3 3 30 65 200 3'500 Longévité moyenne (ans) 3,5 7,5 14 18 70 (28) 35 70 -3- Facteur d'échelle 1.5 Autres applications A) La course à pied peut être décrite en utilisant la loi d'échelle : lorsqu'on court, on lève successivement une jambe puis l'autre, et on la laisse retomber. Les muscles réalisent donc un travail A qui est égal au produit d'une force (proportionnelle à la section d2 du muscle) par le déplacement de la force ( l ). Donc A ∝ l ⋅ d 2 . L'énergie cinétique est égale au travail fourni, 1 ce qui permet d'écrire: A = mv 2 = k ⋅ l ⋅ d 2 = k'⋅m . Donc v 2 = 2k' . Or k' (et k, bien sûr) est 2 une constante, donc la vitesse v est une constante également, indépendante de la masse. Ceci € € est presque vrai: on observe des vitesses de 5 à 25 m/s pour une vaste distribution de masses. € Par ailleurs, les animaux les mieux adaptés à la course ont des jambes fines, avec une masse € concentrée dans le voisinage de la cuisse, de façon à minimiser l'énergie mise en jeu pour soulever la jambe. B) La forme des hautes cheminées d'usine et des arbres peut aussi être déduite en appliquant la loi d'échelle. Celle-ci montre que le diamètre de ces objets diminuent progressivement de la base vers le sommet selon la loi d = k ⋅ l 3 / 2 où k dépend du matériau. € -4- Facteur d'échelle Interprétation: naïvement on aurait pu attendre que P = k'⋅M . Compte tenu de la déperdition de chaleur qui est proportionnelle à la surface de l'animal et qui doit être compensée par la prise de nourriture, la relation devrait plutôt être P = k'⋅M 2 / 3 . Finalement, en prenant en dl € la puissance est donnée par P = F ⋅ . La compte le travail mécanique, on trouve que dt puissance mécanique met en jeu les muscles, de section s et de longueur l . La force € musculaire est proportionnelle à s, et le taux de variation de la longueur du muscle est dl dl exprimée par . On a donc: P = k ⋅ s ⋅ . Seul le terme s dépend € de la taille de l'animal, les dt dt € autres paramètres sont des caractéristiques du fonctionnement musculaire et donc les mêmes pour une catégorie d'animaux. € €d 2 Lien entre l et s = π : les contraintes mécaniques font que d ∝ l 3 / 2 . 4 La masse de l'animal est proportionnelle à son volume: M ∝ l ⋅ d 2 = d 8 / 3 soit d ∝ M 3 / 8 . Donc la puissance s'écrit: € la relation mise en évidence € P ∝ s ∝ d 2 ∝ (M 3 / 8 ) = M 3 / 4 = M 0,75 ce qui confirme € expérimentalement (loi de Kleiber). € € € (Résumé de Bouyssy, Davier, Gatty) l Dimensions d'un muscle: € Modèle d'un animal: Les contraintes mécaniques font qu'une cheminée d'usine ou un tronc d'arbre ont un diamètre diminuant progressivement de la base vers le sommet selon la loi d = k ⋅ l 3 / 2 où k dépend du matériau. € -5- d Facteur d'échelle 1.5 Conséquences (Résumé de Bouyssy, Davier, Gatty) -6-