Rencontres philosophiques de Langres, 2015
Restitution des séminaires
D’abord, une raison existentielle : la filière L est en souffrance et la philosophie n’est plus la discipline
«reine» qu’elle a été. Elle a été détrônée par les sciences en général et par une forme d’agressivité
des sciences sociales et humaines. D’où le fait que les professeurs de philosophie peuvent avoir
l’impression que toute nouveauté est une menace.
- Une raison native : l’idée même que la philosophie redevienne la servante de la théologie est
un cauchemar dans l’esprit du philosophe. Cela est lié au fait que la corporation des
professeurs de philosophie s’est constituée contre l’influence de l’Eglise catholique en France,
comme un clergé d’Etat spiritualiste, serviteur de la laïcité, devant «remplacer» le précédent.
- Une raison épistémologique : Les philosophes doivent travailler conceptuellement la notion de
religion et doivent défendre cette spécificité par rapport à l’approche des faits religieux par les
sciences des religions.
- Une raison pédagogique : Les philosophes se sentent souvent les derniers chevaliers de
l’élitisme intellectuel républicain. Ils ne veulent pas brader cette qualité, ce qui les conduit
parfois à être méfiants à l’égard des changements proposés au nom de l’impératif d’innovation
pédagogique.
Le moyen de dissiper la méfiance est de comprendre ce qu’est véritablement la laïcité et de la
rapprocher davantage de la non croyance que de l’incroyance. La laïcité est une épistémologie, une
déontologie et une éthique de la non croyance, ce n’est pas un catéchisme de l’incroyance. L’esprit
laïc c’est ce travail de la non croyance, de la suspension du jugement dans un premier temps pour
exercer ensuite le jugement d’une manière plus informée. C’est une pratique qui n’exclut pas d’avoir
par ailleurs des moments de foi ou d’athéisme. La non croyance est un travail qui n’a pas de fin.
Questions
Qu’elle doit être alors la posture du professeur ? Même si la déontologie laïque implique juridiquement
une neutralité confessionnelle, pédagogiquement il faut surtout être impartial, c’est-à-dire être
quelqu’un qui a conscience de ses choix métaphysiques et qui sait qu’on peut en faire d’autres.
Deuxième temps : illustrer la nécessité pour le professeur d’enrichir son enseignement de
ressources et de lectures qui puisent ailleurs que chez les auteurs au programme
En exemple, est proposé un résumé de quelques idées de l’ouvrage Le coran silencieux et le coran
parlant, sources scripturales de l’Islam, entre histoire et ferveur de Mohammed Ali Amir-Moezzi.
La grande thèse des chiites est que le coran, tel qu’il est, est silencieux, ne parle pas parce qu’il a été
mutilé. Amir-Moezzi montre que la recherche exégétique et historique confirme les sources chiites et
ne peut pas croire la version ordinairement sunnite de l’établissement du texte via la vulgate
othmanienne.
Amir-Moezzi nous fait donc comprendre que le chiisme est une dissidence par rapport au sunnisme
eu égard au texte même du Coran. Le Coran a d’abord été une tradition orale, sa mise par écrit est
postérieure à la mort du prophète, très complexe, et ne peut pas être dissociée d’enjeux politiques.
La question qui est posée aussi par Moezzi avec cette contestation chiite, c’est la question de
l’orthodoxie et de l’hérésie. Le mot hérésie vient d’un verbe grec qui signifie choisir. L’hérétique est
considéré comme quelqu’un qui n’a accès qu’à une partie de la vérité, qui n’en accepte pas la totalité.
Les chiites sont les hérétiques du sunnisme; mais la grande thèse du chiisme est que les sunnites ont
été hérétiques, c’est-à-dire qu’ils auraient choisi certains passages du coran plutôt que d’autres, en
« caviardant » les noms propres pour justifier leur captation du pouvoir.
Cet ouvrage nous permet ainsi de comprendre que nous n’aurons jamais accès à un autre texte qu’à
un texte qui a été écrit par les hommes dans des contextes sociaux, historiques, politiques
déterminés.